200 ans de paléontologie française

Ça ne vous a pas échappé, en décembre 2012, il a beaucoup été question de fin du monde. Et curieusement, pas un mot sur Georges Cuvier, qui mit en évidence le rôle des catastrophes dans l’histoire du vivant, et dont on fêtait le bicentenaire de la publication de Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, ouvrage fondateur de la paléontologie. Histoire de rattraper le coup, voici un petit topo sur 200 ans de paléontologie française, alimenté par deux générations de paléontologues, Philippe Taquet et Pierre-Olivier Antoine (dont on avait parlé ici).

En « antiquaire d’une espèce nouvelle », Georges Cuvier (1769 – 1832) donna à voir aux hommes de son temps des mondes disparus peuplés de créatures étranges : reptiles marins, paresseux géants, mammouths, etc. Cette vision, aujourd’hui familière, était si nouvelle à l’époque qu’elle provoqua un étonnement considérable. Admiratif, Balzac, qui conçut sa Comédie Humaine comme une anatomie comparée des membres de la société française, se demandait si Cuvier n’était pas « le plus grand poète de notre siècle ».

Dessin de cuvier représentant le Megatherium, (sans sa queue), un paresseux géant d'Amérique du Nord (autrefois nommé Megalonyx ou Mégathère de Jefferson), dont le nom scientifique est Megatherium

Dessin de cuvier représentant le Megatherium, (sans sa queue), un paresseux géant d’Amérique du Nord

Il reste en tout cas considéré comme un des plus grands savants pour avoir donné à la science les moyens de reconstituer le passé de la Terre et de ses habitants. En 1812, il publiait Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, ouvrage qui donnait à la paléontologie ses bases méthodologiques. On lui doit aussi d’avoir révélé l’importance de l’extinction des espèces et des catastrophes dans l’histoire du vivant, tandis que la géologie a profité de sa contribution à la datation des terrains au moyen des fossiles.

Mais à quoi ressemble la paléontologie française deux siècles après ? L’image du paléontologue couvert de poussière et s’excitant sur des tiroirs de fossiles n’est plus d’actualité. Pierre-Olivier Antoine, professeur de paléontologie à l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier, fait partie de la nouvelle génération. Il brosse le portrait d’une science résolument moderne : « La paléontologie est extrêmement riche, car elle a su dresser des ponts avec des disciplines connexes (biologie du développement, géochimie…) et utiliser les technologies de pointe provenant de l’imagerie médicale, comme le microtomographe (scanner), qui permettent d’accéder sans les détruire à des structures inaccessibles et offrent de nouvelles perspectives. » L’avènement de la classification moderne, dite phylogénétique, qui consiste à placer organismes vivants et espèces fossiles sur un même arbre en fonction de leur degré d’apparentement, a aussi bouleversé la discipline : l’anatomie comparée chère à Cuvier n’a pas disparu, mais les paléontologues travaillent désormais dans un cadre formel et conceptuel renouvelé qui intègre l’évolution des espèces.

Malgré sa modernité, la paléontologie française bénéficie toujours de son passé prestigieux, de ses collections (parmi les plus importantes au monde) et de ses structures académiques. L’Hexagone lui-même, depuis que Cuvier mit au jour une faune disparue dans le gypse des carrières de Montmartre, reste un théâtre de découvertes marquantes, notamment avec les gisements à dinosaures (Charente ; Aude). La discipline jouit enfin d’une tribune médiatique disproportionnée. Le grand public se masse dans les musées d’Histoire naturelle, mais aussi, désormais, sur les gisements, grâce aux musées de sites ou aux chantiers ouverts à tous, qui permettent de former de jeunes paléontologues en herbe.

Malgré la précarisation du métier de chercheur, la paléontologie française continue à recruter, bon an mal an, ce qui est loin d’être le cas dans d’autres pays. Faute de commission propre dans les instances nationales de la recherche, que ce soit au CNRS ou à l’Université, la communauté des paléontologues doit toutefois composer avec ses voisines plus influentes, celles des géologues et des biologistes, tout en cultivant des expertises très spécifiques pour lesquelles il n’existe souvent que deux ou trois spécialistes à l’échelon mondial. Elle parvient ainsi à rester bien visible dans les revues scientifiques internationales.

Là comme ailleurs se pose la question du financement du travail sur le terrain. Ce que Pierre-Olivier Antoine appelle « mettre les mains dans le cambouis, parce que les spécimens ne poussent pas dans les tiroirs. » Cette partie du métier a aussi un coût en énergie, en temps et parfois pour la vie de famille. Mais elle offre « un plaisir insigne, qui attire vers le métier, celui de découvrir un gisement », souligne le jeune paléontologue, qui cumule déjà une vingtaine de missions en Amazonie.

Paradoxalement, la paléontologie tient peut-être son meilleur argument pour les années à venir de la crise majeure de biodiversité que nous traversons. « La société est consciente collectivement que la vie, qu’elle soit actuelle ou passée, est la même. C’est une seule histoire », conclut Pierre-Olivier Antoine, optimiste. C’est l’occasion rêvée pour sa discipline de faire valoir sa connaissance des crises biologiques du passé. Et peut-être aussi d’être un peu mieux reconnue.

 

Cours d’anatomie de Georges Cuvier Lithographie française, XIXe siècle © Jacques Boyer / Roger-Viollet

Cours d’anatomie de Georges Cuvier Lithographie française, XIXe siècle © Jacques Boyer / Roger-Viollet

Le point de vue de…

Philippe Taquet, paléontologue, professeur au Muséum, auteur d’une biographie de Georges Cuvier.

En quoi Georges Cuvier est-il le père de la paléontologie ?

Lorsqu’il arrive à Paris en 1795, Cuvier est décidé à revoir la classification des animaux. Il a une chance extraordinaire, car les armées de la République ont ramené des Pays-Bas deux crânes d’éléphants. Cuvier constate qu’ils n’ont pas la même forme et que les traces d’usure des dents ne sont pas identiques. Il prouve là l’existence de deux espèces, l’éléphant d’Asie et celui d’Afrique. Mais il va plus loin. Il y avait dans les réserves un animal trouvé dans les glaces de Sibérie que tout le monde connaissait sous le nom de mammouth. Il va comparer, dans la même planche, ce crâne aux deux autres, et montrer qu’il s’agit bien d’un autre éléphant, disparu, dont les dents sont encore différentes. Cuvier tient ainsi une méthode qui permet de comparer des espèces entre elles, mais aussi de faire revivre des espèces éteintes et de plonger le regard dans le passé. C’est ce qui va faire sa gloire.

Pourquoi les espèces disparaissent-elles, selon lui ?

Cuvier s’aperçoit qu’il y a des faunes différentes dans les différentes strates géologiques : dans les couches les plus récentes, des mammouths, dans celles d’en dessous des mammifères disparus proches des tapirs, et encore en dessous des grands reptiles. Ce sont des mondes totalement différents. Pour passer de l’un à l’autre, Cuvier imagine des « révolutions du globe », c’est-à-dire de grandes catastrophes. Les Anglais vont assimiler la dernière au déluge biblique, mais pas Cuvier : il reste prudent et ne veut pas mélanger science et religion. Avec Darwin, on pensera ensuite que Cuvier avait tort et que l’évolution se produit par changements progressifs étalés sur des millions d’années. Depuis les années 1980, on a redécouvert l’importance de cette approche catastrophique. Il y a bien des périodes de crise, mais on parle désormais d’extinctions et non plus de révolutions du globe.

Quel est l’héritage de Cuvier ?

Cuvier a donné ses lettres de noblesse à la paléontologie des vertébrés. Dans sa description du mosasaure [reptile marin disparu], il n’y a pas une virgule à changer, il a été un formidable anatomiste. Ce qui a évolué, ce sont les technologies modernes, qui permettent par exemple de saisir d’un seul coup l’intérieur d’un crâne. Mais j’utilise toujours la même méthode de l’anatomie comparée pour reconstituer mes dinosaures, ça n’a pas changé : un maxillaire droit reste un maxillaire droit.

Depuis Cuvier, on a gardé la tradition, il y a une très bonne école française de paléontologie, avec une chaire prestigieuse au Muséum ainsi que des collections de fossiles extraordinaires. Nos équipes sont reconnues au niveau international dans tous les domaines de la paléontologie, y compris la paléontologie humaine : n’oublions pas que les Français ont contribué à la découverte de Toumaï [plus vieil hominidé, 7 millions d’années] ou de Lucy.

 

A lire :

Eric Buffetaut, Cuvier. Le découvreur de mondes disparus, Belin / Pour la science, 2002, 160 p.

Philippe Taquet, Georges Cuvier – Naissance d’un génie, Odile Jacob, 2006, 539 p. (et c’est que le premier tome !)

Servais, Thomas, Antoine, Pierre-Olivier, Danelian, Taniel, Lefebvre, Bertrand, and Meyer-Berthaud, Brigitte, 2012. Paleontology in France: 200 years in the footsteps of Cuvier and Lamarck. Palaeontologia Electronica Vol. 15, Issue 1; 2E:12p.

 

apprenons à reconnaître un Viking (hs#25 AMON AMARTH, Twilight Of The Thunder God)

Vous ne pensiez tout de même pas débuter cette nouvelle année de headbanging science sans savoir comment reconnaître un Viking tout de même ? Allez, ôtez-moi ce grotesque casque à cornes et appareillons sur le langskip d’Amon Amarth pour rectifier quelques idées reçues sur les hommes du Nord.

De très sérieuses études inventées à l’instant démontrent que 50 % des Suédois (et assimilés) jouent dans un groupe de métal – les 50 % restant achètent de la musique métal. Quel beau pays. Parmi les sous-genres les plus appréciés, le Black Metal tient le haut du pavé. Le Black Metal tient en une interrogation existentielle qui peut se résumer ainsi : une créature se demande si elle va commencer par violer votre fille ou égorger votre chèvre (ou l’inverse). Le sous sous genre du Viking Metal, c’est un peu la même chose, sauf que la créature en question est un Viking.

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Amon Amarth fait partie des groupes qui jouent à fond sur la mythologie nordique, bien qu’ils se défendent d’être un groupe de Viking Metal (pour tout vous dire, ils jouent du Death mélodique, pas du Black, mais ça cause tout de même de Valhalla à tout bout de champ). Laissons ces petits jeunes férus de culture et de tradition vous exposer leurs bonnes intentions dans le coolissime Twilight Of The Thunder God :

En mars 2012, une étude génétique sur la souris domestique (Mus musculus), publiée dans BMC Evolutionary, montrait que cette commensale avait suivi nos hardis navigateurs dans leurs pérégrinations en Islande, au Groenland ou à Terre-Neuve. En d’autres termes, nos fiers Vikings avaient tout bêtement servi de marqueur pour une étude sur des rongeurs… Pas très glorieux. Leur fierté en a encore pris un coup en novembre 2012 lorsqu’un jeune doctorant en géochimie de l’Université du Massachusetts s’est targué d’avoir retracé l’historique de l’occupation humaine d’un site lacustre des îles Lofoten, au nord de la Norvège, grâce à … du caca de Viking fossile ! La grande classe.

Il semble donc que nos amis scientifiques ne respectent plus la force brute. D’où, peut-être, cette tentative désespérée d’Amon Amarth pour redonner aux pillards sanguinaires de notre enfance un peu de leur lustre rustre d’antan. Hélas, les poncifs alignés par le Viking Metal semblent ressortir du mythe bien plus que de la réalité historique. Passons quelques lieux communs sur les Vikings tirés de l’imagerie d’Amon Amarth à l’épreuve des faits.

1. Le Viking portait un casque à cornes

Ben non.  Cette représentation daterait du XIXe siècle et serait liée, selon les sources, aux pratiques folkloriques d’une clique de poètes suédois, la Götiska Förbundet (ou Gothic League), ou aux costumes des opéras de Wagner. Au combat, plutôt que cet ustensile d’opérette peu pratique, les Vikings portaient des heaumes tout ce qu’il y a de plus basiques, en cuir renforcé de bois et de fer pour la piétaille, ainsi qu’en témoignent les pièces retrouvées et les sources iconographiques.  Voici celui du cimetière de Valsgärde, en Suède :

 

2. Le Viking, une force de la nature !

Oui, bof. L’anatomie du Viking était assez similaire à la nôtre, à ceci près que nous leur rendons tout de même 8 à 10 cm, en moyenne. Si vous preniez le métro aujourd’hui avec un Viking, vous pourriez agripper la barre et lui faire sentir les effluves de votre aisselle en toute impunité, ce qui serait peu cher payé pour leurs forfaits passés.

D’après les historiens et les archéologues qui ont travaillé sur les restes osseux trouvés dans les tombes, les corps des Vikings étaient marqués par la rudesse des travaux des champs : une musculature enviable, mais aussi de l’arthrose, des problèmes dentaires et une croissance infantile perturbée par une mauvaise nutrition. Ces grands gaillards étaient plus fragiles qu’on ne l’imagine.

 

3. Le Viking, un mâle, un vrai

Ah ah. Les squelettes des Vikings révèlent une distance morphologique entre les sexes assez peu marquée, à tel point que les crânes des hommes et des femmes sont difficiles à distinguer dans les tombes. Chez les hommes, un visage moins carré que ce qu’on peut observer chez d’autres peuples anciens. Pour les femmes, des mâchoires et des sourcils plus prononcés que chez les Scandinaves actuelles (et là c’est un autre mythe qui en prend un coup…).

 

4. Le Viking, un vrai goret

Sale, rude, débraillé, la bave au coin des lèvres, tel est le portrait habituel du Viking.  Pas vrai, Johan Hegg ?

Beurk. Plusieurs sites archéologiques ont livré des pinces, des peignes, des petits nécessaires pour se curer les ongles ou se nettoyer les oreilles, des cure-dents… Tout un attirail qui plaide plutôt en faveur d’un Viking bien propret et absolument pas négligé.  Des sources écrites médiévales décrivent les Vikings installés en Angleterre comme des briseurs de cœurs très soignés, ayant l’habitude de se peigner les cheveux tous les jours, de changer leurs vêtements régulièrement, de prêter attention à leur apparence par moult caprices frivoles, et même de prendre un bain le samedi ! Peut-être pas très virilement correct, mais ça leur permettait d’assiéger la vertu des femmes mariées et de quémander la main des filles de bonne famille. Des tombeurs, quoi. D’autres sources soulignent que les hommes avaient des barbes bien entretenues, les cheveux courts dans la nuque et de longues franges soignées… Là ça commence à craindre un peu tout de même.

 

5. Le Viking, conquérant des mers

Bon, reconnaissons-leur le mérite d’avoir poussé les premiers jusqu’en Amérique du Nord (la chose est attestée archéologiquement depuis les années 1960 et ne prête plus à controverse). Mais, et si, plutôt qu’un incroyable talent de navigateurs, les Vikings avaient eu un truc tout bête à leur disposition ?


Non, je ne pensais pas à cela. D’ailleurs, les Drakkars  ne s’appelaient pas du tout ainsi ; le terme de langskip est employé pour désigner génériquement les navires de guerre. Si les Vikings purent mener leurs navires si loin, c’est grâce à un instrument de navigation dont deux physiciens français, Guy Ropars et Albert le Floch (laboratoire de physique des lasers de l’université de Rennes 1), pensent avoir percé le secret (Ropars et al, A depolarizer as a possible precise sunstone for Viking navigation by polarized skylight, Proc R Soc A, 2011).

Les Vikings auraient exploité les propriétés optiques du spath d’Islande, un cristal de calcite transparent très courant en Islande qui possède la caractéristique unique de dépolariser totalement la lumière, ce qui permet de déterminer la position du soleil même quand ce dernier n’est pas visible ou caché par des nuages. Albert Le Floch explique ainsi son utilisation : «En fait, quand on regarde à travers le spath islandais, qui se présente comme un gros cristal transparent, on voit double. La moindre luminosité dépolarisée apparaît sous la forme de deux petits rectangles de même surface. Quand le contraste de ces derniers est identique, le soleil est juste en face. Sa direction peut être relevée au degré près. » (en savoir plus sur son blog)

Bref, le talent des Vikings paraît avoir été très exagéré. Et puisqu’on en est à briser du mythe, figurez-vous que le Viking Metal n’a même pas été inventé par les Scandinaves. Eh oui, rappelez-vous Immigrant Song, de Led Zeppelin, en 1970 :

Ah, ah
We come from the land of the ice and snow
From the midnight sun where the hot springs flow
The hammer of the gods
Will drive our ships to new lands
To fight the horde, singing and crying
Valhalla, I am coming!

Maintenant que vous savez reconnaître un Viking, gardez l’œil ouvert, on n’a peut-être pas fini d’entendre parler des ces imposteurs :

Et si vous vous sentez d’aller suggérer quelques rectifications à Amon Amarth sur leur site officiel : http://www.amonamarth.com/, n’hésitez pas.

A lire également : http://sciencenordic.com/what-vikings-really-looked

 

magnéto, Serge ! (fin du monde 1)

Dans la série debunking de scénarios de fin du monde, que l’on trouve à toutes les sauces actuellement, j’aimerais revenir sur celui de l’inversion du champ magnétique, car il présente quelques spécificités intéressantes.


Quelle est la trame apocalyptique de ce scénario ?

Une inversion du champ magnétique supprimerait la protection de la ceinture magnétique (la ceinture de Van Allen), laissant le champ libre à toutes les particules et radiations cosmiques pour bombarder la Terre, provoquant mutations génétiques et extinction d’espèces. Ouille.


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Que doit-on en penser ?

Ce scénario catastrophe existe bel et bien… dans l’univers des comics Marvel, dans lequel le vilain Magnéto fait peser sur la planète la menace d’une inversion subite des pôles magnétiques. Dans celui plus prosaïque de la physique du globe et du géomagnétisme, c’est le train-train de la planète, autant dire que cela ne fait trembler personne. Et pour cause, le champ terrestre s’est inversé environ 300 fois ces derniers 200 millions d’années, dont la dernière il y a 780 000 ans.

 

Comment ça marche ?

Le champ magnétique terrestre provient du cœur de la planète. Le mélange métallique à l’état liquide du noyau est animé de mouvements de convection qui engendrent des courants électriques, donnant eux-mêmes naissance à des champs magnétiques. Ceux-ci viennent à leur tour renforcer les courants électriques, créant ainsi un effet dynamo auto-entretenu. Mais cet effet est instable : des perturbations du noyau provoquent des affolements du champ magnétique de courte période (de 1000 à 10 000 ans) pendant lesquelles les pôles magnétiques se déplacent rapidement à la surface du globe. À l’issue de cette transition, soit les deux pôles permutent (on parle alors d’inversion) soit ils reviennent simplement à leur position initiale (il s’agit dans ce cas d’une excursion).

Est-ce que ce n’est pas en train de se profiler ?

Eh bien, non, la terre ne perd pas la boussole. Bien que la fréquence des inversions ait varié considérablement au fil du temps et ne révèle aucune périodicité (donc aucune prédictibilité), les géophysiciens estiment que nous sommes dans une configuration des plus défavorables pour que cela se produise et seraient prêts à miser une pièce pour parier sur une diminution, suivie d’une stabilisation et d’un retour à la hausse ! Tout simplement parce que nous partons d’une situation où l’intensité est élevée, le champ est même plutôt plus intense que par le passé et, statistiquement, on n’a jamais vu d’inversion se produire aussi vite derrière une situation comme celle-ci. La baisse d’intensité (réelle et mesurée à -0,05 % par an depuis 150 ans, mais initiée depuis 3000 ans) ne prélude donc pas une inversion prochaine des pôles.

 

Quelles seraient les conséquences pour l’homme ?

Rassurons les foules, il n’y a aucune preuve géologique corrélant les inversions et les extinctions d’espèces. Les météorites, oui, les inversions magnétiques, non.

En 2010, deux scientifiques français, remarquant que la disparition des Néandertaliens « coïncidait » avec l’excursion dite de Laschamp, datée entre 41 et 34 000 ans, ont avancé l’idée qu’ils aient eu à faire face à un accroissement de la production d’UV-B pendant une longue période. Avec leur peau claire et une pilosité analogue à la nôtre, ils auraient été vulnérables aux effets délétères de ces expositions et cette excursion aurait donc un lien causal avec leur extinction.

oh, et si je mettais mon bob ?

Ces résultats tenaient plutôt de la spéculation hasardeuse et eurent du mal à convaincre.

Sur le plan historique d’abord, rappelons que l’Homme de Néandertal n’a complètement disparu que 10.000 ans plus tard, son dernier bastion attesté étant la grotte de Gorham à Gibraltar, où sa présence est datée de 24 000 ans. Inversement, les premiers Hommes modernes (Homo sapiens) seraient arrivés en Europe plus tôt qu’on ne le pensait, il y a environ 45 000 ans, d’après de nouvelles analyses de deux dents de lait découvertes il y a une cinquantaine d’années dans une grotte préhistorique italienne, et qui avaient été attribuées à tort à des Néanderthaliens. Alors quoi, sapiens aurait eu l’intelligence de mettre un chapeau de paille et un paréo pour se protéger et pas Néandertal ?

Sur le plan logique, l’hypothèse tient encore moins la route. Si une inversion avait des effets qui puissent être enregistrés dans les archives fossiles, pourquoi n’en aurions-nous pas enregistré pour toutes les générations précédentes de Néandertal, et toutes les autres espèces du genre Homo, par la même occasion, qui ont traversé les excursions précédentes ?

l'Anomalie magnétique de l'Atlantique sud

Enfin, il n’est pas inutile de rappeler quelques données physiques. Certes, la magnétosphère joue un rôle essentiel de bouclier de protection en déviant les particules de haute énergie du vent solaire et des rayons cosmiques, protégeant ainsi la biosphère de leur impact. Mais ce fameux bouclier ne disparaît pas complètement, même en cas d’inversion, ainsi que le révèle les mesures de la paléointensité des 800 000 dernières années. Par ailleurs, l’atmosphère reste notre première protection : ce qui arrive au sol de particules est extrêmement atténué. Évidemment, si on augmente la proportion de ce qui arrive en altitude, on augmente la proportion de ce qui arrive au sol, mais pas au point de recevoir des dizaines de fois plus de radiations.

La situation se complique un peu quand le champ s’approche d’une inversion, car il diminue, devient multipolaire et présente des zones de faiblesses. Notons que ces zones de faiblesses existent en temps normal. Ainsi, l’anomalie magnétique de l’Atlantique sud (AMAS) est la région où la partie interne de la ceinture de Van Allen est la plus proche de la surface de la Terre. Mais aucun guide touristique ne vous déconseille d’aller en Amérique du Sud parce que vous pourriez y attraper un cancer à cause du champ magnétique. Ce serait un peu plus sérieux, mais pas dramatique au moment d’une inversion.

excusez-moi mesdames, auriez-vous vu mon nid ?

Quelles seraient les conséquences pour les animaux ?

Si la Terre perd le Nord, comment font, les animaux qui utilisent le champ magnétique pour se diriger ? Précisons tout d’abord que la logique qui amène ce type de question m’échappe : si les animaux n’étaient pas capables de s’adapter à ce type de modification de leur environnement, inutile de dire qu’aucun naturaliste n’aurait le loisir de les observer… ils n’existeraient plus, tout simplement. S’ils sont là, c’est qu’aucun n’a un besoin absolument vital du champ magnétique, bref, qu’ils ne sont pas à l’ouest parce que le nord est passé au sud. Par ailleurs, l’échelle de temps du géomagnétisme et de la cigogne diffère sensiblement : la cigogne obtient des informations un peu différentes des précédentes à chaque génération, mais aucune cigogne, durant sa courte vie, n’est prise au dépourvu par une information qui serait très différente d’un jour à l’autre. Vous-même, si votre boussole était déréglée, n’auriez guère de problème à vous repérer : peu importe la direction indiquée par l’aiguille de l’instrument si vous avez pris l’habitude de noter dans quelle direction il faut vous diriger par rapport à elle.

en cas d'inversion, ça se complique un peu, quand même...

Et l’impact technologique ?

Si l’on doit craindre quelque chose d’une modification du champ magnétique, c’est effectivement sur le plan de la technologie. Fort heureusement, les concepteurs de satellites et autres engins spatiaux n’ont pas attendu les prédictions sur la fin du monde pour savoir que leurs joujoux traversent un milieu spatial hostile. Ainsi, la Station spatiale internationale est dotée d’un revêtement particulier pour supporter ces radiations, le télescope spatial Hubble éteint ses instruments lorsqu’il passe au-dessus de l’AMAS et les orbites de la navette étaient calculées pour l’éviter. Quant aux satellites, ils subissent quelques avaries et perturbations de leurs instruments et en subiraient beaucoup plus si le champ venait à être considérablement réduit. Mais il ne faut pas perdre de vue, comme pour les cigognes, qu’une inversion elle-même prend plusieurs milliers d’années alors qu’un satellite vit 20 ans (soit moins qu’une cigogne !). La seule question qui se pose est donc d’est d’être capable d’anticiper ces phénomènes et de développer des matériels qui protègent mieux des radiations.

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Que faut-il retenir de tout cela ?

Que la vie sur Terre, de manière générale, n’a rien à redouter d’une inversion des pôles, et que l’homme en tant qu’animal, n’a rien à redouter lui-même. Mais que la civilisation humaine a à craindre des effets indésirables et aura besoin de s’ajuster. Une inversion extraordinairement rapide durerait 2000 ans. Amplement le temps de voir venir.

 

Dr Paléo et Mr Rock (hs#24 OPENIGHTMARE, Lexomil)

Bigre ! 24e numéro du headbanging science. Déjà deux ans d’improbables rapprochements entre rock et science. Pour fêter cela, un invité de marque ce mois-ci, à qui je vais laisser la parole (j’entends votre soulagement d’ici) au sujet de ses deux passions : le rock et la science. Let’s punkrock. Mais avec méthode.


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Avant de découvrir notre invité-mystère, voyons de quoi il retourne musicalement. Le voici à l’œuvre avec OpeNightmare (“évidemment un (mauvais) jeu de mots scientiste sur le cauchemar qu’a ouvert Robert Oppenheimer”, précise-t-il), son groupe ‘historique’.

Ça secoue bien, surtout pour un morceau qui s’appelle Lexomil. Et il y a un lien avec la science insolite, puisque cette vidéo a été tournée en juillet 2010 sur le “campus spatial” de l’Observatoire Midi-Pyrénées, à Toulouse, dans le laboratoire Géosciences-Environnement Toulouse (GET) :

 

L’invité en question s’appelle Pierre-Olivier Antoine, paléontologue des vertébrés. C’est celui qui cogne sur ses fûts. L’instrument lui va pas mal, je trouve, parce que c’est tout de même un spécialiste mondial des rhinocéros (il a redécouvert Baluchitherium, plus grand mammifère terrestre qui ait jamais existé). Je l’ai découvert à l’occasion d’un papier sur Cuvier en me renseignant sur les signataires d’un état des lieux de la paléontologie française ; il avait les cheveux rouges, c’est lui que j’ai choisi d’interviewer.

Pierre-Olivier  fait partie de l’équipe de Paléontologie de l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier. Il enseigne à l’Université Montpellier 2, ainsi qu’au Mnhn.  Le concert ci-dessus était son pot de départ de Toulouse, et l’occasion de faire se rencontrer deux mondes :

J’ai profité de ma fête de départ du labo pour y organiser/imposer un concert d’OpeNightmare, dans le patio central du GET. A fond les manettes et sans la moindre concession ! C’était le lendemain de mon retour de mission de terrain en Turquie, le 5 juillet 2010. On entrait d’ailleurs en studio le lendemain pour l’enregistrement de la batterie (les autres allaient ensuite enregistrer leurs parties de “Unashamedly” [dernier album de OpeNightmare] pendant que je serais parti en expédition en Amazonie [dès le 15 juillet]…). Chouette et mémorable expérience, avec des punkrockers qui venaient pour la première fois dans un labo de recherche et des (enseignants-)chercheurs qui assistaient pour la première fois à un concert DIY  !!!

OpenNightmare et la science fricotent d’autres façons. En direct sur France Inter, Pierre-Olivier est capable de citer ‘les punkrockers de Bad Religion’ dans le texte : “And tomorrow when the human clock stops and the world stops tickin’ We’ll be an index fossil buried in our own debris” (The Index Fossil, Suffer, 1988).

Parolier de OpeNightmare, il aborde parfois des thèmes scientifiques (environnement, nucléaire) et glisse quelques clins d’oeil au milieu des thèmes politiquement engagés plus spécifiques au genre, dont cet admirable : Get ourselves brains and read Darwin again (No Fun Atom, The Harder We Come, 2008).

Enfin, il s’amuse aussi avec les pochettes, qu’il réalise lui-même :

 

Mais assez causé, voyons ce qu’il a à nous dire sur les rapports entre rock et science.

A l’instar de Greg Graffin, chanteur et leader de Bad Religion mais aussi paléontologue et enseignant (lire: l’origine des espèces de punks), tu cumules les activités de rocker et scientifique. Peux-tu nous les présenter ?

Ouah ! Je rosis de la comparaison… Je suis un grand fan de Bad Religion et, par conséquent, de Greg Graffin, même si ma vocation de paléontologue s’est déclarée bien avant ma flamme pour le punk rock (et donc mes premières écoutes du gang californien) ! J’ai eu la chance de poursuivre mes études dans le domaine qui me faisait rêver. Côté paléontologie, tout a roulé plutôt bien dans les deux dernières décennies, entre la fac en géologie à Toulouse, ma thèse de paléontologie des vertébrés au Muséum National à Paris, un post-doc à Montpellier, puis un poste de maître de conférences à Toulouse en 2003 et, pour finir, le Graal du monde académique : depuis 2010, je suis prof à Montpellier 2, dans un labo très dynamique et au sein d’une équipe extrêmement attachante, où l’humain compte beaucoup.

Côté rock, mon père est batteur et mélomane (jazz, blues, rhythm’n’blues et rock). Autant dire que j’ai baigné toute ma vie dans la musique. J’ai commencé à jouer de la batterie à la fin des années 80 (en plein explosion du punk alternatif), avec de multiples influences – partiellement héritées de l’ambiance familiale. Légèrement hyperactif sur les bords et profondément anarchiste (n’y vois pas de lien causal !), je me suis tout naturellement tourné vers le punk rock, mode de vie autant que courant musical, où l’éthique importe plus que l’esthétique (eh oui, y a pas que chez Pouy que « Spinoza encule Hegel »). Je ne m’en suis jamais éloigné depuis lors. J’ai eu plusieurs groupes à l’existence éphémère, mais l’aventure a vraiment commencé avec Feuck (devenu Singaï), entre 1994 et 1997, avec lequel j’aurai enregistré trois démos et enquillé les premières tournées. C’est l’un des groupes stupides les plus diplômés de l’histoire – avec Spinal Tap, évidemment –, puisque Marie (chant) est chargée de com’ au CNRS, Yann (guitare, chant) est docteur de SupAéro et maintenant cadre chez EADS et Mathieu (basse, chant) est chercheur au CNRS (géologue) ! Ensuite, j’ai martyrisé les fûts dans NéoForceps (si si !), un sacré combo de fusion-néométal (c’était l’époque – bien révolue), en y instillant toujours ma touche de pou-ta-pou-ta-pou… Et enfin, la grande histoire d’amour OpeNightmare a commencé tout début 2000. Elle aura duré 12 ans (je viens de jeter l’éponge, pour des raisons strictement matérielles – l’éloignement, le manque de disponibilité) et aussi pour ne pas empêcher Yoorwell et Alexomyl de continuer l’aventure, même si c’est sans moi… On a sorti quatre albums, tourné partout en France et en Europe, vécu des moments complètement fous, et rencontré des individus incroyables de talent, de modestie et d’humanité. En même temps, pendant une période de baisse d’activité d’OpeNightmare (2008-2009), Bruno de RAVI et moi avons monté un duo guitare-batterie « d’emo-crust », un genre qui n’existait pas vraiment. Après six répets avec Ivan Rebroff’s Armpits, on a fait une première démo, puis aligné les concerts, enregistré un album et fait trois tournées en France, en Espagne et même aux USA (2009). Court mais bon !!!

Dans son bouquin Anarchy Evolution, Greg Graffin décrit comment il arrive à alterner ses deux carrières, mais les deux mondes semblent parfaitement étanches. Est-ce le cas pour toi ?

Ca me surprend un peu, mais c’est peut-être lié aux conditions de travail, assez différentes entre USA et France. Pour ne prendre qu’un exemple, aux USA, et en particulier dans de grandes facs comme l’UCLA ou des colleges (le New York Hunter College où mon pote par ailleurs plutôt rock’n’roll Mike Steiper est prof), il est très mal vu qu’un enseignant soit habillé de manière relâchée. La pression de conformité (ça me rappelle le « Corrosion of Conformity » de Bad Religion, ou le « Portrait of Conformity » de mes frères autrichiens Rentokill) est beaucoup moins marquée en France, en tout cas dans les disciplines scientifiques. Peut-être cette licence est-elle due au statut un peu particulier qu’ont ici les « savants fous »… Toujours est-il que je fais cours en baggy, en vans « Germs », en T-shirt des Urinal Mints ou d’An Albatross (l’évangélisation des foules passe par là, que veux-tu !) et en sweat-à-capuche, là encore de groupes que j’aime (High Five Drive, Burning Heads, Rentokill ou Antillectual). J’ai eu les cheveux rouges pendant six ans. Je suis même allé sur le terrain en Turquie et en Amazonie avec sans que ça pose le moindre problème. Pour résumer, ça a toujours été difficile de dissimuler ma double vie !

Autre point commun aux deux vies : faire cours en amphi, c’est se donner en spectacle et se livrer à une audience parfois réticente. Il faut être bon, en forme et littéralement éviter les fausses notes. L’expérience des concerts est d’un apport remarquable dans cette optique, d’autant qu’après 15 ans d’enseignement supérieur, il m’arrive toujours d’avoir le trac avant le premier cours de l’année… Ensuite, ma conscience et mon engagement ne me quittent pas quand je fais cours ou que je dois réfléchir au partage des budgets (dans l’intérêt commun et le soutien aux moins « dotés »). Pendant les mouvements universitaires de 2009 (premières applications de la LRU : modulations des charges des enseignants), où la Fac de Toulouse III a été bloquée des semaines durant, j’ai fait grève pendant neuf semaines. Les rares cours que j’ai donnés étaient soit dans le Jardin des Plantes de Toulouse, soit dans le squat culturel Les Pavillons Sauvages. Avoir fait découvrir ce lieu de culture alternative à des jeunes adultes, tout en enseignant et en respectant le mouvement de contestation restera l’un des plus beaux moments de ma vie d’enseignant-chercheur ! Et on y jouait parfois le soir, en soutien…

La paléontologie française se porte pas mal et jouit toujours de son passé glorieux. C’est un peu moins le cas pour le rock français, non ?

Ça dépend ce que tu entends par « rock français » et par « glorieux ». Si tu t’en tiens aux artistes qui ont pignon sur rue, trombine sur couverture et dont on matraque les titres sur les médias généralistes, alors oui, je ne vois strictement rien à sauver. Je serais même beaucoup plus radical en privé, mais il ne faut pas choquer ton lectorat…

En revanche, si tu prends la peine de sortir dans ta ville, d’aller dans les rares cafés-concerts, salles associatives ou squats qui n’ont pas été fermés dans la dernière décennie, sous la pression inique des maires, des préfets… et des voisins, alors tu vas découvrir une activité débordante complètement insoupçonnable via les media mainstream. Les concerts sont à prix libre, au pire à 5€, avec des artistes sincères, talentueux et pour la plupart bénévoles – je n’ai jamais aimé le terme d’ « amateur » – et revendiquant ce statut de quasi-anonymat. Flying Donuts, Hellbats, Diego Pallavas, Bruit Qui Court ou Face-B, C’EST LE ROCK !

Tu as dessiné le squelette du Baluchitherium. Tu exécutes aussi les pochettes de tes disques. C’est le même exercice de DIY ?

Exactement : le « fais-le toi-même » (ou DIY pour Do It Yourself), c’est le mode de vie dont je parlais tout à l’heure. Dessiner une pochette ou un flyer, aller distribuer des mensuels gratuits pour un peu de promo, se taper 600 bornes par jour en camion, jouer à 4000 bornes de chez toi pour une caisse de bières, organiser un concert avec un groupe slovène génial (In-Sane) pour sept spectateurs ou un festival avec 900 spectateurs (et des groupes tout aussi géniaux) au Bikini, héberger chez toi trois groupes à la fois et faire à manger pour quinze, dont cinq végétariens et cinq végétaliens, c’est le même trip que dessiner une reconstitution de rhinocéros géant, gérer un programme de recherche international en Amazonie, aller dénicher toi-même les fossiles que tu vas étudier, ou s’assurer de ce que tes étudiants sont dans de bonnes conditions pour apprendre leur métier. Quand tu fais toi-même, tu te mets en danger, mais tu en tires tellement de plaisir ! C’est ce que j’appelle « mettre les mains dans le cambouis ». T’es sale et crevé à la fin de la journée, mais t’as provisoirement gagné ton combat contre l’inertie et le défaitisme.

Dans un article de La Dépêche consacrée à ta découverte des plus anciens rongeurs connus d’Amérique du Sud, tu arbores un T-shirt des Ramones (objet du hs#10). C’est quoi le message caché ?

Pas de message subliminable (comme dirait Lofofora). C’était juste le T-shirt que j’avais ce jour-là. Au contraire d’une cérémonie protocolaire à la Salle des Illustres de Toulouse, où – en présence de tout le gratin scientifique et culturel de Midi-Pyrénées – j’avais volontairement mis mon T-shirt « Kill Your Elite », du nom du festival dans lequel nous avions joué à La Maroquinerie, à l’invitation de Till de Guerilla Poubelle. On ne se refait pas.


Greg Graffin a un oiseau fossile qui porte son nom : Qiliana graffini. Ben… et toi ?

Pas encore. Pour l’instant je me contente de nommer des espèces en hommage à mes amis, qu’ils soient paléontologues (Mesaceratherium welcommi, du nom de mon aîné-jumeau Jean-Loup Welcomme) ou pas (Canaanimys maquiensis ou Cachiyacuy contamanensis, en l’honneur de mes quasi-frères de sang « Canaan de Cachiyacu », une communauté native du Pérou amazonien, près de Contamana).

Brian May (guitare) est docteur en astrophysique. Greg Graffin (chant) est paléontologue, comme toi. Tu vois quelqu’un à la basse pour monter un super-groupe de scientifiques ?

Sans hésiter un instant, Mathieu de Singaï (et Snoutbender), le docteur en géochimie, qui coordonne des missions au Kilimandjaro. Un monstre de technique et de toucher. Un sacré groove à 4, 5 ou 6 cordes … et un gars en or.

On pourra toujours reprendre The Show Must Go On, en pou-ta-pou-ta-pou !

150 concerts donnés en France et en Europe avec OpenNightmare VS. 40 missions de terrain comme paléontologue : qui aura gagné à la fin de ta carrière, le rock ou la science ?

Ni l’un ni l’autre : en tant qu’individu, les deux facettes m’auront tout autant enrichi (au figuré, pas en monnaie trébuchante, évidemment). Gageons qu’il restera au moins une toute petite trace de cette hyper-activité. Je crèverai fatigué, mais heureux !

Un grand merci à PierrO pour s’être prêté au jeu malgré une actu chargée (mais ça lui apprendra à trouver des rhinocéros cuits par des volcans).

A voir :

Le site d’OpenNightmare.

Cet article de futura-sciences sur la reconstitution du Baluchitherium

 

“L’homme descend du singe”: la dérive raciste (2)

Lorsque le singe désigne un autre homme : la dérive raciste de l’expression “l’homme descend du singe”

Cette série de 3 billets poursuit un travail sur l’expression “l’homme descend du singe” déjà évoqué sur le bLoug (à propos du procès du singe, du débat d’Oxford, ou encore de ce qu’en pensent les étudiants). Après un billet sur les élucubrations classificatoires du médecin anglais Charles White, voici celui consacré au triste rôle assigné aux Bochimans et aux Hottentots, avant un dernier qui fera le point sur le prétendu racisme de Darwin.

La Vénus hottentote sur le billard

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Après Chales White et d’autres, l’anatomiste et anthropologue Paul Pierre Broca (1824-1880) s’essaie à son tour, par des mesures objectives, à démontrer qu’il existe une hiérarchie des races humaines. Il cherche à reconstituer le grand escalier du progrès humain, du chimpanzé à l’homme blanc. Comme le relève Stephen Jay Gould, le racisme de Broca n’a rien de particulièrement virulent au regard de celui des savants de son temps (évidemment blancs – et masculins), mais il se distinguait tout de même en montrant :

« un peu plus d’acharnement dans l’accumulation de données sans lien véritable avec son sujet, et qu’il présentait ensuite après les avoir soigneusement sélectionnées, pour défendre ses conceptions pleines d’a priori. »[1]

Broca s’intéresse à la taille du crâne – et réalise des mesures qui vont à l’appui de sa thèse – ainsi qu’au rapport des longueurs du radius et de l’humérus (les avant-bras longs étant une caractéristique classique des singes). La mesure de ce rapport (égal à 0,794 chez les Noirs et 0,739 chez les Blancs) paraît aller dans son sens… à l’exception de celui du squelette de la célèbre Vénus hottentote ! Ce qui le contraint à abandonner cette preuve.

La Vénus hottentote n’apparaît pas par hasard dans l’échantillon de Broca. Sur l’échelle raciste qui guide bon nombre de travaux scientifiques de l’époque, certains peuples ont le triste privilège de truster à peu près continûment les barreaux les plus bas, au voisinage immédiat des chimpanzés ou des orangs-outans. Les Bochimans et les Hottentots (ou plus justement, les Khoïkhoï) d’Afrique du Sud en font incontestablement partie. On insiste alors à loisir sur leur apparence et leurs mœurs simiesques. Le dictionnaire de pédagogie de Buisson (1882), livre ainsi cette appréciation d’Edmond Perrier, rédacteur d’un article sur les races humaines qui entend  révéler un  lien chronologique entre singe et homme ; l’auteur prend l’exemple des Bochimans, qu’il décrits comme :

« inférieurs aux Hottentots, avec qui ils présentent plusieurs traits de ressemblance […] leurs bras au contraire très longs, comme chez les singes anthropomorphes, dont ils ont encore les mouvements des lèvres, les allures brusques et capricieuses, les oreilles petites… »[2]

White (encore lui !) signalait déjà que :

« les femmes hottentotes ont des poitrines si flasques et pendantes qu’il leur suffit de lancer leur sein par-dessus l’épaule pour nourrir l’enfant qu’elles portent sur le dos »


Bushmen’ Display from the Crystal Palace Exhibition (Pitt Rivers photographic collection in Oxford)

Le compte rendu de l’exposition d’une famille de Bochimans dans le Hall égyptien de l’Exposition Universelle de Londres en 1847 multiplie ce genre d’observations :

« Leur apparence est à peine plus belle que celle des singes. Ils sont toujours accroupis, en train de se réchauffer près du feu, en caquetant ou en grognant. Ils sont maussades, muets et sauvages ; ils ont des penchants presque purement animaux sous une apparence pire encore. »[3]

L’assimilation des Bochimans aux animaux était profondément ancrée : le terme était selon certains savants la traduction littérale du mot malais orang-outan signifiant « homme de la forêt » et des colons hollandais ont soi-disant abattu et mangé un Bochiman au cours d’une partie de chasse, le prenant pour l’équivalent africain d’un orang-outan…

En 1817, la Vénus hottentote fut disséquée par Georges Cuvier, qui avait pu l’observer de son vivant (elle était décédée en 1815). Ses observations figurent dans ce volume des Mémoires du Muséum (p259 et suivantes).

Notre “Napoléon de l’intelligence” cherchait à établir la preuve de l’infériorité de certaines races et se plut à souligner les caractéristiques soi-disant simiesques de la Vénus (qu’il qualifie de “Bochimanne”). Ainsi son nez épaté (« De ce point de vue, je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable aux singes que la sienne »[4]), son fémur, la petite taille de son crâne (sans tenir compte du fait qu’elle ne mesurait que 1,37 m) ainsi que certaines réactions (« ses mouvements avaient quelque chose de brusque et de capricieux qui rappelait ceux du singe. Elle avait surtout une manière de faire saillir ses lèvres tout à fait pareille à celle que nous avons observée chez l’orang-outang »[5]).

De façon curieuse, Cuvier relevait aussi, sans y percevoir de contradiction, que la Vénus était une femme intelligente, douée pour les langues, et avait une main charmante… C’est toujours ça de pris.

 

Polyphylétisme et évolution régressive

L’essor des théories évolutionnistes n’allait guère améliorer le sort réservé aux Hottentots et Bochimans dans les phylogénies humaines au soubassement raciste.

Cette illustration tirée tirée de l’édition de 1874 de l’ouvrage de Ernst Haeckel, Anthropogénie, s’inscrit dans une longue tradition de préjugés racistes sur la supériorité de l’homme Blanc dans le règne animal et sur les autres « races » humaines, mais elle spécifiquement évolutionniste, puisque Haeckel s’appuie sur sa théorie de la récapitulation pour établir la supériorité raciale des Blancs d’Europe du Nord et classer les races noires à proximité du singe.

Dès le 19e, puis surtout au 20e siècle, divers auteurs, tombés dans l’oubli, développent la thèse du polyphylétisme, qui cherche à enraciner chacune des grandes « races » humaines dans une espèce de grand singe. Le principe sous-jacent est que différents territoires ont vu éclore différentes formes humaines et différentes formes de grands singes, ce qui se traduit par des similitudes morphologiques comme la forme du crâne ou la couleur de la peau.

En fonction des auteurs, le nombre de branches reconnues varie et le corpus fluctue : certains prennent en compte les hommes fossiles dans l’établissement de la séquence, d’autres non ; certains se limitent aux singes de l’Ancien Monde, d’autres élargissent aux singes du Nouveau Monde (à queue !), voire aux prosimiens.

Le polyphylétisme selon Hermann Klaatsch (in “Die Aurignac-Rasse und ihre Stellung im Stammbaum der Menschheit,” Zeitschrift für Ethnologie, 1910, vol. 42, p. 567.)

En 1910, l’Allemand Hermann Klaatsch (1863-1916) propose de rattacher « les nègres au gorille, les blancs au chimpanzé et les jaunes à l’orang-outang »[6]. L’Italien Gioacchino Sera ira jusqu’à 6 branches incorporant variétés humaines, grands singes et singes de l’Ancien et du Nouveau monde (« l’hypothèse la plus extraordinaire de toutes, par son éclatement le plus total »[7]).

Avec le polyphylétisme, le préjugé raciste sort par la porte pour mieux rentrer par la fenêtre : l’ascendance simienne vaut aussi pour l’homme blanc, mais la hiérarchisation des races demeure d’actualité, la position privilégiée de l’homme blanc étant recherchée à chaque stade évolutif : le meilleur singe, le meilleur homme possible, pour évidemment finir par la meilleure race actuelle.

Ce type de vision a persisté jusque tard au XXe siècle : en 1960, le magazine Life consacré à l’évolution et préfacé par Jean Rostand, publiait un arbre évolutif reconduisant les classifications du XIXe siècle :

« la race négroïde dérive des australopithèques, la race mongoloïde dérive de l’homme de Pékin et la race caucasoïde de l’homme de Néandertal »[8].

Et là encore, en fin d’article, les pauvres Bochimans étaient impitoyablement relégués tout au bas de l’échelle :

« Sans chercher à rattacher l’homme à ces animaux, n’est-il pas permis de se demander ce que feraient les zoologistes d’êtres inférieurs aux Bochimans : et ces êtres n’ont-ils pas réellement existé ? »[9]

Comme il doit être très rigolo de s’amuser à hiérarchiser les êtres, pourquoi ne pas le faire dans l’autre sens ? En envisageant non pas une évolution du bas vers le haut, mais une régression du haut vers le bas ? Comme le note Richard Dawkins :

« dans les légendes traditionnelles de tribus du Sud-Est asiatique et d’Afrique, l’évolution va à rebours de la vision classique qui prévaut en général : leurs grands singes locaux passent pour des humains déchus. »[10]

Cette idée de régression, sorte de miroir inversé de la séquence que cherchait ordonner White, a bien été exploitée. Elle est au centre d’un épiphénomène chrétien du préjugé raciste dans les années 1940 : l’évolution régressive[11] (abordée dans ce billet, désolé pour la redite). Georges Salet et Louis Lafont, les deux auteurs de l’essai éponyme publié en 1943 étaient convaincus de la régression des races les unes par rapport aux autres à cause du péché originel (comme quoi on peut être polytechnicien et débile) :

« Ce n’est pas l’animal qui est devenu progressivement Homme, c’est l’Homme, dans des races peut-être plus coupables que les autres, qui a rétrogradé vers l’animalité. »[12]

Dans cette vision, l’homme ne descend plus du singe, il y retourne ! Du moins les races humaines plus coupables que les autres.

Un autre auteur, Henri Decugis, rejoint les deux précédents sur le thème de la dégénérescence. Les Hottentotes et les Bochimans (quelle surprise !), seraient les populations les plus dégénérées d’Afrique, proches de groupes paléolithiques éteints, donc menacés d’extinction prochaine :

« On peut supposer que nous sommes ici en présence de races déjà dégénérées chez lesquelles l’excédent de graisse était dû à un état organique défectueux qui a provoqué leur extinction dans toute l’Europe vers la fin de l’âge du Renne. »[13]

Bochimans et Hottentotes ont toutefois ceci pour se rassurer : dans la vision hautement pessimiste de l’auteur, toutes les espèces vivantes sont appelées à disparaître les unes après les autres. Attention, poésie :

« Le vieillissement des espèces vivantes est beaucoup plus avancé qu’on ne le croit communément. Aucune ne peut y échapper. [...] Seul, [l'Homme] se penche sur l’abîme sans fond vers lequel [son espèce] s’achemine pour y sombrer, lorsque son heure sera venue et pour s’endormir enfin dans le silence de la mort, pendant que de petits êtres restés primitifs, moins évolués — comme les Bactéries, les Infusoires et les Lingules — inertes, aveugles, sourds, vivront longtemps encore dans la vase froide et obscure du fond des Océans, puis s’éteindront à leur tour sans le savoir. »[14]

Tremble, lingule, ton tour viendra !

Voilà qui réconforterait sûrement beaucoup la Vénus Hottentote : les bactéries, les infusoires et les lingules étaient tout de même moins bien considérées par ces auteurs pleins de mansuétude.


[1] S. J. Gould, « La Vénus hottentote », Le sourire du flamant rose, Paris, Seuil, 1988, p.267.

[2] Cité par M.-P. Quessada, L’enseignement des origines d’Homo sapiens, hier et aujourd’hui, en France et ailleurs : programmes, manuels scolaires, conceptions des enseignants. THÈSE de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER II en Sciences de l’Éducation, option Didactique de la biologie, 2008, p.95

[3] Ibid., p.269

[4] S. J. Gould, op. cit. , p.270

[5] Id.

[6] Cité par M.-P. Quessada, op. cit., p.69.

[7] Collectif, Homo sapiens, l’odyssée de l’espèce, Paris, La Recherche/Taillandier, 2005. p.25.

[8] Ibid. p.70.

[9] Ibid., p.95.

[10] R. Dawkins, Il était une fois nos ancêtres, Une histoire de l’évolution, Robert Laffont, 2007.

[11] Aussi étonnant que cela puisse paraître, il existe toujours des séquelles pseudo-scientifiques de cette théorie : voir http://www.biblisem.net/historia/perosing.htm

[12] Georges Salet & Louis Lafont, L’Évolution régressive, Paris, Éditions franciscaines, 1943, p. 66.

[13] H. Decugis, Le Vieillissement du monde vivant, Paris, Librairie Plon, 1943, p.364.

[14] Id.

livres de sciences: les prix du bLoug 2012

C’est l’heure du bilan 2012 de la rubrique littéraire du bLoug : de la science racontée de différentes façons, parfois brillamment, parfois beaucoup moins ; lu pour vous en toute partialité :

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Prix spéciaux

Prix du bronzage intelligent : Il était une fois… les Romains en Languedoc, Georges Mattia (Errance, 250 p., 27, 00 €). Une collection de chronique archéologiques, initialement publiées dans le Midi Libre, à déguster sur la plage avant quelques huîtres (qui n’étaient  pas du tout les mêmes du temps des Romains) et un petit blanc.

Prix du livre dont j’ai vraiment beaucoup aimé dire du bien, peut-être parce qu’il réveille un vieux désir d’aventure : Au-delà d’un naufrage – Les survivants de l’expédition Lapérouse, Jean-Christophe Galipaud, Valérie Jauneau (Errance, 288 p., 30, 00 €). Un ouvrage en forme de jeu de piste sur les traces historiques et archéologiques des survivants de l’expédition Lapérouse ; un peu foutraque mais vraiment dépaysant. (critique complète)

Prix du bizutage militant : Darwinisme et Marxisme, Anton Pannekoek et Patrick Tort (Arkhê, 256 p., 19,90 €). Mon entrée dans le monde de la chronique littéraire scientifique : rugueux quand même. (critique complète)

 

Prix scientifiques

Prix du premier ouvrage : Histoire des dinosaures, Ronan Allain (Perrin, 228 p., 19,90 €) Il m’a dit que ça avait été une tannée à écrire, mais on l’encourage à recommencer, non ? Attention, pour une fois, le titre veut dire quelque chose : il s’agit bien d’une Histoire des dinosaures, pas simplement d’un énième livre sur les dinosaures.

Palme de silex : La Préhistoire du cinéma – Origines paléolithiques de la narration graphique et du cinématographe, Marc Azéma (Errance, 293 p., 39, 60 €). Il a bougé le lion là ? Mais, non t’es con, c’est la flamme de ta torche sur la paroi de la grotte. Ah… ça me donne une idée… Beau, didactique et avec 1 DVD (critique complète)

Prix de la modestie : Pourquoi je n’ai pas inventé la roue, et autres surprises de la sélection naturelle, Michel Raymond, (Odile Jacob, 206 p., 20,90 €). Michel Raymond a toujours pas mal de choses à raconter ; tiens, par exemple, ici, ça parle beaucoup de biomimétique, et c’est à l’honneur en ce moment avec l’expo Vinci. (critique complète)

Médaille 30 millions d’amis : Kamala, une louve dans la famille, Pierre Jouventin (Flammarion, 343 p., 21,00 €). Parce qu’un écologue et éthologue suffisamment timbré pour vivre avec un loup dans sa maison en arrive à vous donner des idées sur un sujet d’archéozoologie bigrement discuté : le process de domestication du chien.

Prix du livre dont la réponse est non : Un crapaud peut-il détecter un séisme ? 90 clés pour comprendre les séismes et tsunamis, Louis Géli, Hélène Géli (Quae, 173 p., 21,00 €). Reste que 5 jours avant le tremblement de terre de L’Aquila (2009), ils ont déserté les lieux ; ça prouve au moins qu’il est plus facile d’être crapaud qu’expert scientifique en Italie.

Prix du titre le plus poétique : Le bitume dans l’Antiquité,  Jacques Connan (Errance, 272 p., 35,00€). Tout est dit.

 

Prix citoyens

Prix du livre suisse utile : Manifeste pour les grands singes, Christophe Boesch, Emmanuelle Grundmann, Blaise Mulhauser (PPUR, 143 p., 15, 00 €). En réalité, ça parle surtout de forêt et de biodiversité, mais ça vous fera réfléchir à deux trois choses avant d’acheter vos meubles de jardin. Obligatoire.

 

Prix de l’effroi : Créationnismes, mirages et contrevérités, Cédric Grimoult (CNRS Éditions, 221 p., 20,00 €), pour cette citation : « les créationnistes ont déjà gagné lorsqu’ils réclament que l’on évoque leur opinion dans les cours de biologie, dans la mesure où, même dans notre pays, il n’est plus guère possible d’enseigner la théorie de l’évolution sans être assailli de questions au sujet des objections religieuses. » Le pire, c’est qu’il a raison.

Prix du livre qui a une drôle d’odeur, quand même : L’inavouable histoire du pétrole – Le secret des 7 sœurs, Frédéric Tonolli (La Martinière, 256 p., 30,00 €). Documentariste, Frédéric Tonolli fait les dessous de tapis de la géopolitique et ça sent l’hydrocarbure partout ; on a beau le savoir, on ne le sait jamais vraiment assez.

Prix du mal de mer : Capitaine Paul Watson, Entretien avec un pirate, Lamya Essemlali, Paul Watson (Glénat, 283 p., 22,00 €). Certes, c’est une hagiographie, et la misanthropie du personnage peut heurter. Mais les océans en ont besoin (et c’est un copain de Gojira).

 

Special bargain

Prix du livre que j’ai aimé déchirer au Monoprix jusqu’à ce qu’ils le retirent des rayons : je ne vous le dirai pas mais ça a été « écrit » par deux frères.

Prix de l’attachée de presse la plus zélée : Tous cobayes ! OGM, pesticides, produits chimiques, Gilles-Éric Séralini. (Flammarion, 255 p., 19,90 €). Plus rapide que La Redoute. Tiens donc ?

Prix de l’erreur de casting : Changer le comportement de votre chien en 7 jours – Hyperactivité, agressivité, peurs…, Joël Dehasse (Odile Jacob, 245 p., 21, 00 €). Je n’ai pas de chien.

Prix du fail de traduction : Une introduction à l’évolution, Carl Zimmer (De Boek, 450 p., 47,00 €). Avec des “platypus à bec de canard” dedans. Et quel titre ! (critique complète).

 

la naissance de la mort (hs#23 DEATH, Open Casket)

Peut-on passer de l’homme de Néandertal à Maurice Blanchot grâce au métal extrême tout en réglant deux trois futilités telles que l’apparition de la conscience de la mort et de la religion ? Ben oui, pourquoi cette question ? C’est le headbanging science ici, on en a vu d’autres. Ouvrons ce joli cercueil fourre-tout sans plus attendre.

 

 

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[retrouvez l'ensemble des articles dans le théma du c@fé des sciences consacré à la mort]

Death est un groupe de… ? Death. Bien joué.

C’est même l’inventeur du genre, ce qui permet pour une fois de s’y retrouver facilement dans la phylogénie du métal extrême. Fondé par le guitariste chanteur Chuck Schuldiner en 1983, Death publie en 1988 son deuxième album, délicatement intitulé Leprosy, dont est issu le morceau Open Casket, que voici ici interprété à Toronto 1990, dans une des rares vidéos audibles (avec en bonus Denial of Life, vous êtes vraiment gâtés)  :

Open Casket – « cercueil ouvert », donc.  De quoi peut-il bien être question ? Certainement de trucs bien gore, à l’image des titres du sanglant premier album (Zombie Ritual ; Mutilation ; Regurgitated Guts etc.) ?

Raté. Chuck Schuldiner a très vite délaissé le trip postadolescent série Z pour passer à des sujets plus matures, questionnant notamment la nature de l’être humain, ses relations avec les autres et ses sentiments. Oui, j’ai bien écrit ‘sentiments’.  En l’occurrence ceux qui étreignirent le chanteur devant le cercueil d’un défunt cher, son frère (c’est le sujet de la chanson). Ne vous y trompez pas, les hurlements entendus dans la vidéo ne sont pas inhumains. Ils sont ceux d’une émotion intense face à la mort qui est même foutrement humaine.

 

 

Comportements altérés chez les animaux

Vous me direz, beaucoup d’animaux adoptent un comportement particulier lorsqu’ils sont confrontés à la mort de leurs congénères. C’est vrai des chimpanzés, dont les mères peuvent gardent par exemple le corps de leur enfant décédé pendant des jours, jusqu’à ce que la dépouille se momifie. Regardons le jeune Fokayé jouer avec le dépouilles de son frère ou de sa soeur, conservée par la mère pendant 68 jours ; les images de ce type d’attitude sont troublantes :

Je ne pense toutefois pas qu’elles soient bouleversantes. Ni qu’elles doivent être interprétées comme un comportement comparable à celui des humains, qui serait l’indice d’une véritable conscience de la mort. Sur ce sujet, il semble indispensable de tracer la frontière entre perception et représentation. Certains animaux perçoivent un changement de statut du corps de l’individu qu’ils connaissent (ce qui autorise Youki à manger mémère) et ont comportement altéré, signe d’incompréhension, de manque affectif et de stress. Mais ils n’ont ni conception de la mort, ni représentation du défunt dans un quelconque au-delà, et corollairement pas de rituel funéraire.

 

Le puits aux ossements

Ceci posé, depuis quand l’homme suit-il de tels rituels ?

Le traitement rituel des morts chez les humains semble apparaître tardivement. Tout au moins si l’on se réfère aux seules traces que nous en ayons, les sépultures. Traces fragiles s’il en est puisque la préservation du squelette en connexion est un critère qui ne se suffit pas à prouver l’inhumation volontaire et que d’autres indices pouvant être appelés en renfort de cette interprétation, tels que l’aménagement de la sépulture, des traces d’ocres ou des objets accompagnant le corps, restent sujets à caution, ainsi que nous allons le voir.

Le gisement de la Sima de los Huesos à Atapuerca (Espagne) a livré quelque 30 squelettes de l’espèce Homo heidelbergensis, précurseur de Néandertal (notez bien ce détail). Datés d’au moins 300 000 ans, ces pré-Néandertaliens, essentiellement des jeunes adultes, auraient été jetés intentionnellement dans une cheminée verticale de 13 m. La présence de tant de restes humains concentrés dans une petite bande sédimentaire ne semble pas due à un événement catastrophique et pourrait être la plus ancienne sépulture connue. Relevons tout de même qu’un enterrement à la mode los Huevos devait ressembler à ça (personnellement, ça ne me ferait pas envie) :

 

Funérailles au Paléolithique moyen

Les plus anciennes sépultures volontaires font leur apparition à partir de 100 000 ans. Elles sont liées à l’Homme de Néandertal en Europe et aux premiers humains anatomiquement modernes au Proche-Orient.

Le phénomène semble apparaître en divers lieux, mais pas d’un seul coup ni partout.  Il n’y a pas de discrimination d’âge ni de sexe chez les défunts et les corps sont déposés le plus souvent sur le côté, en position « fœtale », la direction est-ouest paraissant privilégiée.

Les plus anciennes sont celles des grottes de Skhul (100 000 ans) et Qafzeh (92 000 ans), en Israël. Skhul a livré 10 squelettes (7 adultes et 3 enfants) ; tous étaient en position repliée, dans des fosses de faible profondeur.  C’est le site le plus ancien, mais c’est celui de Qafzeh, qui a livré  25 squelettes, qui va retenir notre attention. En particulier Qafzeh 11, sépulture ayant livré le squelette d’un adolescent, décrit ainsi par Bernard Vandermeersch, son découvreur : “Il était couché sur le dos, les mains ramenées de chaque côté du cou et on voit l‘hémi-massacre d’un grand cervidé qui a été déposé sur les mains, en travers de la partie supérieure du thorax” (voir ci-dessous). Nous sommes donc en présence d’une offrande faite au mort.

Intéressons nous maintenant aux deux sites plus récents : Kébara (Israël) et La Ferrassie (Dordogne). La sépulture de Kebara remonte à 60 000 ans et se distingue par la mise en évidence d’un rituel impliquant le prélèvement post-mortem du crâne d’un défunt longtemps après enfouissement (une molaire supérieure déchaussée en atteste). Celle de La Ferrassie est une nécropole de sept sépultures (dont 3 enfants, un nourrisson et un fœtus) datée de 35 000 ans, qui montre des signes manifestes de protection des corps (l’une des sépultures étant même couverte par une dalle).

 

 

L’acte de croire, le propre de sapiens ?

Kebara-La Ferrassie-Qafzeh. Que nous dévoilent ces trois sites archéologiques associés à des sépultures ?

La chronologie n’est pas celle que l’on pourrait imaginer : Qafzeh est plus ancien (92 000 ans), mais attesterait une capacité cognitive supplémentaire, matérialisée par la présence d’une offrande. La clé de lecture réside donc dans l’identité des défunts : les sépultures de Kebara et de La Ferrassie appartiennent à l’Homme de Neandertal, celle de Qafzeh à Homo sapiens.

Tout ceci amène l’anthropologue Albert Piette à proposer une hypothèse passionnante sur l’origine de l’acte de croire, qui serait associée aux seuls Hommes modernes. Je vous en conseille la lecture complète, mais la voici résumée à très gros traits :

1. Préalable méthodologique sur les offrandes : la plupart des interprétations allant dans ce sens ont été invalidées (mais pas Qafzeh !), ainsi que le rappelle Albert Piette :

Des études récentes, très techniques, de ces éléments constituent d’ailleurs une remise en cause de la plupart de ces interprétations et réduisent à presque rien le nombre de «faits positifs» ou indiscutables (Soressi & D’Errico 2007). Les ossements gravés ou percés qui ont été découverts dans plusieurs sépultures néandertaliennes l’auraient été à la suite de processus naturels, des incisions régulières qui ont été repérées sur des pierres ne seraient pas dues au travail des hommes, les pollens que d’aucuns associaient à une litière de fleurs auraient été transportés par des animaux.

2. Les animaux attendent l’animation du corps du défunt, s’émeuvent de son absence, continuent à se comporter envers lui comme s’il était vivant.

3. Par rapport à cela, l’homme de Kebara ou de La Ferrassie (Néandertal, donc), a une perception nette de la mort comme processus irréversible (le corps est enterré) : l’homme de Kebara, en prélevant le crâne du défunt, ne sépare pas le mort enterré de son état de mort (difficile d’évoluer sans crâne même dans l’au-delà !) ; celui de La Ferrassie maintient l’attention accordée à la personne vivante (protection de l’espace funéraire) : c’est un premier signe de “comme si” (comme si c’était encore «lui»), mais qui n’indique pas encore que le mort continue à « vivre ».

4. Avec l’homme de Qafzeh (Homo sapiens, donc), l’apparition de l’offrande signe une tout autre compétence cognitive : l’acte de croire (que le mort est d’une manière ou d’une autre toujours vivant) ; voici ce qu’en dit Piette :

Dans ce cas, le mort n’est plus présent comme mort sur le mode du comme si en tant qu’ancien vivant, mais comme toujours vivant. Vivant où ? Il est bien sûr prématuré de penser qu’il y a là une représentation d’un autre monde vers lequel la mort serait un passage. Disons que cette nouvelle forme de vie du mort reste indéterminée. Ce lieu pourrait d’ailleurs être considéré comme proche, mais invisible. Il est peut-être d’ailleurs aussi indéterminé pour ceux qui ont placé le bois de cervidé sur le cadavre. Les offrandes d’objets spécifiques laissent penser qu’il ne s’agit pas de faire pendant quelques instants comme si le mort était encore vivant, mais plutôt qu’elles sont destinées à un mort comme revivant.

 

Naissance de la religion  ?

L’hypothèse ne séduira pas forcément, la mode étant à la réhabilitation de Néandertal. N’oublions pas non plus qu’elle ne repose que sur trois sites.

Toutefois, elle résonne plutôt bien avec ce que la psychologie évolutionniste nous dit de l’apparition de la religiosité : sapiens se serait distingué à un moment donné par une plus grande souplesse cognitive, qui lui a permis de produire des inférences  à partir de prémisses non réelles, de réaliser des scénarios en utilisant des données imaginées, ce qui est exactement au centre de la proposition religieuse : tout sonne presque vrai, mais l’on accepte le presque et l’on oublie que c’est bizarre (Piette utilise les termes d’hypolucidité ou de relâchement mental pour parler de cette capacité nouvelle induite par une plus grande fluidité cognitive).

 

 

Mort de Death

Et Chuck Schuldiner, le chanteur de Death, dans tout ça ? Était-il croyant ? Il se défendait en tout cas d’être sataniste, changeant la croix inversée qui formait le « t » de Death pour une autre, plus normale. Il ne parvint en tout cas pas à échapper à la camarde et mourut en 2001, des suites d’un cancer au cerveau, qu’il n’avait pu opérer par manque d’argent et grâce à l’excellent système de Santé américain.

Ses textes accomplissent pour lui cette opération singulière sur la mort qui consiste à la renverser en l’impossibilité de mourir et que Maurice Blanchot appela génialement  l’« arrêt de mort », qui n’est autre que l’espace de la littérature – ou du métal extrême.

 

 

 

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[retrouvez l'ensemble des articles dans le théma du c@fé des sciences consacré à la mort]

 

Death – Open Casket

Approach the image filled with fear
As the image grows so clear
Future now takes full control
The one whose past you now behold
Touch – the flesh it is so cold
Turn away – you now have been told
Never to return, memories will last
In the future, you’ll think about the past
Never to forget, what you have seen
 
People come to pay respect
Taking pictures of the dead
That is what life comes to be
Once they lived, now they’re deceased
 
Death is oh so strange
The past no one can change
What you can’t predict
Is how long you’ll exist
Open casket – open casket
 
Life will never be the same
Death can never be explained
It’s their time to go beyond
Empty feeling when they’re gone
 
Never to return, memories will last
In the future, you’ll think about the past
Never to forget, what you have seen
What can not be real you now believe

 

un étrange air de famille #2

L’étrange air de famille entre grands singes et humains se nourrit de fantasmes et d’approximations depuis l’Antiquité, ainsi que nous l’avons vu dans la première partie. Après les frasques du Pongo (le gorille), voici les tribulations du Pygmée (le chimpanzé) sur les tables de dissection.

 

Aux bons soins des docteurs Tulp et Tyson

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À mesure que se développe l’anatomie comparée, à partir du XVIe siècle, l’évidence du caractère animal de l’homme devient de plus en plus difficile à ignorer.[1] Mais les grands singes posent un problème de taille : les naturalistes n’en ont encore jamais vu. Il leur faut compter avec des descriptions exagérées et des témoignages fantaisistes, qui se mêlent aux croyances moyenâgeuses en l’existence d’hommes sauvages ou aux créatures mythologiques héritées de l’Antiquité. Par ailleurs, la distinction entre les grands singes n’est pas encore faite. Gorille, chimpanzé et orang-outan ont été signalés au tout début du XVIIe siècle, mais pendant longtemps encore, « on appellera orang-outan indifféremment le chimpanzé et l’orang-outan actuels. »[2]

Étrangement, c’est à un anatomiste de renom, le Hollandais, Nicolaas Claes Tulp (1593-1674), ci-dessus à l’oeuvre dans La leçon d’anatomie de Rembrandt, que l’on doit pour partie la survivance de cette confusion. Tulp eut pourtant une belle occasion de préciser la connaissance des différentes espèces : en 1632, il eut la chance de pouvoir examiner vivant puis de disséquer un chimpanzé venu d’Angola qui avait été placé dans la ménagerie du prince Frédéric-Henri d’Orange-Nassau, dans les environs de La Haye. Tulp en donna hélas une description certes historique, puisqu’il s’agit de la première description scientifique d’un anthropoïde, mais fort peu précise – identifiant au surplus l’animal dont il connaissait l’origine africaine à l’orang-outan indonésien, tout en le dénommant Satyre indien, se fiant à l’un des amis ayant vécu à Bornéo et imaginant que l’espèce qu’il lui décrivait était commune sous tous les tropiques.

Aux imprécisions des anatomistes s’ajoutèrent celles des illustrateurs. Ainsi, du dessin d’un « orang outang » que fit le médecin néerlandais Bontius en 1658, Thomas Huxley jugera plus tard qu’il ne montrait à voir « rien d’autre qu’une femme fort velue, assez belle, et avec des proportions et des pieds entièrement humains » (voir l’illustration dans cet article)[3]. Quant celle qui ornait l’ouvrage de Tulp Observationes Medicae (1641), ci dessous, elle est tellement ambiguë que l’on peut bel et bien y voir un orang-outang…

1699 est une date reconnue comme importante dans l’histoire de l’anatomie sinon de la science en général. Edward Tyson (1650-1708), réputé pour être le meilleur spécialiste anglais d’anatomie comparée, voire le fondateur de la discipline, publia cette année-là un ouvrage intitulé : L’Orang-outang, sive « homo sylvestris » : une étude comparée de l’anatomie d’un singe, d’un grand singe et de l’homme. Passons sur le fait que l’orang-outan en question était, une fois encore, un chimpanzé, confusion, on le voit, alors banale. L’épisode Tyson est intéressant, car c’est un bon exemple de construction d’une des ces « légendes dorées » qui émaillent l’histoire des sciences[4]. Stephen Jay Gould, qui n’aimait rien tant qu’inciter son lecteur à s’affranchir du filtre déformant des représentations modernes pour mieux décrypter les grandes heures de l’histoire de la biologie, a consacré son essai Le Montreur de singe[5] au cas Tyson. Son analyse montre que l’œuvre du médecin anglais a fait date, mais pas forcément pour les bonnes raisons.

Les commentateurs du traité de Tyson ont célébré son travail pour le modernisme de ses méthodes et de ses conclusions. Thomas Huxley, dans La place de l’Homme dans la nature (1863), rendit par exemple hommage au travail de Tyson, « premier compte rendu exhaustif sur un singe humanoïde, qui mérite notre intérêt pour sa précision scientifique ». Tyson dresse une liste de tous les caractères qui rapprochent son « pygmée » (c’est ainsi qu’il nomme son chimpanzé) soit des petits singes soit de l’homme. Il dénombre trente-quatre caractères pour les premiers et quarante-sept pour les seconds. Il en arrive à la conclusion que le chimpanzé a plus de ressemblances avec l’être humain qu’avec les singes, notamment dans la structure de son cerveau. L’existence d’une créature s’éloignant de tous les autres animaux connus et qui présentant bien des points de ressemblance avec l’homme est ainsi démontrée, et Tyson conclut que son « pygmée » est un être intermédiaire.

Si l’on peut reconnaître à Tyson le mérite d’anticiper Linné et l’invention des primates d’un demi-siècle, il serait faux d’en faire un précurseur de l’évolutionnisme, avertissent Albert et Jacqueline Ducros. Son œuvre « accroît les connaissances, mais sans bouleversement idéologique »[6]. Du reste, elle n’eut pas grand retentissement à l’époque, signe qu’elle ne défiait en rien le cadre conceptuel admis en son temps. Tyson s’en tient en effet fidèlement la description traditionnelle de la nature selon l’« échelle des êtres » et ne fait preuve d’aucun modernisme à cet effet. Il place son « pygmée » à mi-chemin entre d’autres primates et les êtres humains, mais sous une étiquette animale : « Notre pygmée présente de nombreux avantages sur ses congénères, et pourtant, je persiste à croire qu’il n’est qu’une sorte de singe, une simple brute ; comme le dit si bien le proverbe, un singe reste un singe, même s’il est vêtu. »

La minutie avec laquelle Tyson compare l’anatomie de son sujet avec celles de l’homme et des petits singes n’est, selon Gould, que la preuve flagrante de son conservatisme. Il écrit :

« De plus, l’utilisation de la méthode de l’anatomie comparée n’était pas la marque du modernisme éclairé de Tyson, c’était également l’expression de son attachement à la théorie de la chaîne du vivant. Si vous désirez accorder à un animal un statut intermédiaire entre le singe et l’homme, quel autre recours avez-vous que de dresser la liste des ressemblances de cet animal avec les représentants des deux groupes ? »[7]

Gould va plus loin. Outre son conservatisme, il relève chez Tyson quelques largesses avec les faits qui cadrent bien mal avec les louanges ultérieures qui seront adressées à sa méthode. Tyson insiste continuellement sur la position intermédiaire de son chimpanzé : « Notre pygmée, je le placerais dans une position intermédiaire entre celle de l’homme et celle du singe dans la grande chaîne de la création. » Mais pour en arriver à cette conclusion, il exagère, peut-être de toute bonne foi, les caractéristiques humaines de son « pygmée » et, écrit Gould, « donne simplement et systématiquement sa préférence à tout ce qui paraît plutôt humain, chaque fois qu’il existe une ambiguïté. » Cette pente glissante qui pousse à interpréter les faits à la faveur du résultat que l’on espère se lit aussi dans les croquis du chimpanzé exécutés par Tyson : le sujet est représenté debout, mais appuyé sur une canne (Tyson reprend en cela la figure de Breydenbach (voir première partie). Ayant vu son pygmée vivant, il justifie la canne en arguant de sa faiblesse et de sa difficulté à se tenir debout).

En fait de rigueur scientifique, le grand traité de 1699 se pose là. Mais Tyson, victime de la connaissance très lacunaire des grands singes, ne s’est pas rendu compte du très jeune âge de l’animal qu’il disséquait (un an). Aussi a-t-il été induit en erreur par la plus forte ressemblance des très jeunes chimpanzés avec notre propre espèce.[8]

À la fin du XVIIe siècle, l’existence des grands singes est donc connue, mais sans que les distinctions entre espèces soient très claires ni que leur place à côté de l’homme soit vraiment discutée. Le XVIIIe siècle sera celui de l’acceptation en tant que réalité scientifique des similitudes entre l’homme et les grands singes et de la discussion de leurs rapports par plusieurs anatomistes, naturalistes ou philosophes. La proximité de l’homme aux singes, d’abord descriptive et non généalogique, n’est alors acceptable que dans la mesure où l’on sépare l’âme du corps, mais elle posera rapidement question, ainsi que nous le verrons prochainement.. .

 


[1] On trouve dès 1555 des squelettes comparés de l’homme et de l’oiseau dans un ouvrage du naturaliste français Pierre Belon.

[2] Sous la direction de Pascal Picq et Yves Coppens, Aux origines de l’humanité t.2 ; le propre de l’homme, Paris, Fayard, 2001, p.38.

[3] Cité par R. Dawkins, Il était une fois nos ancêtres, Une histoire de l’évolution, Paris, Robert Laffont, 2007, p.149.

[4] A propos de ces phénomènes de distorsion de la postérité, voir les billets consacrés au légendaire débat d’Oxford et au non moins célèbre Procès Scopes.

[5] S. J. Gould, « Le montreur de singe », Le sourire du flamant rose, Seuil, Paris, Seuil, 1988.

[6] Sous la direction de Pascal Picq et Yves Coppens, Aux origines de l’humanité t.2 ; le propre de l’homme, Paris, Fayard, 2001, p.47.

[7] S. J. Gould, Le montreur de singe, in Le sourire du flamant rose, Seuil, Paris, Seuil, 1988 p.245.

[8] C’est une des illustrations classiques de la néoténie.

“L’homme descend du singe”: la dérive raciste (1)

Lorsque le singe désigne un autre homme : la dérive raciste de l’expression “l’homme descend du singe”

Cette série de 3 billets poursuit un travail sur l’expression “l’homme descend du singe” déjà évoqué sur le bLoug (à propos du procès du singe, du débat d’Oxford, ou encore de ce qu’en pensent les étudiants). En attendant un billet consacré à la Vénus Hottentote et un autre qui fait le point sur le prétendu racisme de Darwin, amusons-nous un peu des élucubrations classificatoires du médecin anglais Charles White.

Dr Charles White (1728-1813), fan d’échelles (Joseph Allen, 1809 © Manchester City Galleries).

 

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White, seul sur son échelle

Mais parfaitement, Monsieur, j’ai du sang noir ; mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre, et mon arrière-grand-père était un singe ! Vous voyez que nos deux familles ont la même filiation, mais pas dans le même sens !

Alexandre Dumas

Propos prêté à l’écrivain en réplique à quelqu’un ayant chuchoté à son passage : « On dit qu’il a beaucoup de sang noir »)[1]

 

 

Les idées de Darwin ont été déformées jusqu’au XXe siècle pour faire prévaloir l’idée que les peuples non européens, à commencer par les Africains, sont des « races » intermédiaires entre les grands singes et les Européens blancs, sur une échelle rectiligne qui va des formes animales les moins évoluées aux plus perfectionnées. Ce dévoiement a souvent été mis en avant pour discréditer le darwinisme lui-même. Il procède d’un préjugé racial généralisé fortement ancré qui recouvre l’histoire, pré-évolutionniste, de la découverte des grands singes (dont nous avons raconté les prémisses dans un étrange air de famille). Il découle également d’un contresens radical des mécanismes décrits par Darwin car il enfreint un principe fondamental de l’évolution : deux cousins sont toujours liés exactement au même degré à tout groupe extérieur, puisqu’ils lui sont liés par un ancêtre commun.

La grande confusion qui préside à la découverte et à l’identification des grands singes ne tient pas aux seuls tours que peuvent nous jouer la mémoire ou l’imagination. Le fait que l’on confonde allègrement les singes entre eux et les singes aux humains qui vivent auprès d’eux doit aussi beaucoup au racisme le plus basique. Comme le souligne Richard Dawkins :

« Les premiers explorateurs blancs en Afrique voyaient dans les chimpanzés et les gorilles des parents proches des humains noirs seulement, et pas d’eux-mêmes. »[2]

L’”Ourang Outang” de Bontius (Historiae naturalis et medicae Indiae orientalis, 1658, publication posthume)

La confusion est à l’œuvre avec la dissection du chimpanzé par Tyson en 1699 (un prochain article lui sera consacré). Son « pygmée », qu’il dessine marchant debout avec une canne à la main, reprend la terminologie de Homère et Hérodote qui évoquaient une race légendaire de très petits humains – le mot pygmée va rester pour désigner des humains de petite taille. La porosité entre hommes (de couleur) et grands singes n’est pas que physiologique, elle est aussi comportementale. Bontius, à qui l’on doit la première représentation d’un orang-outan, affirme, reprenant une antienne du racisme colonial, que :

« Selon les Javanais, les orangs asiatiques tant mâles que femelles sont parfaitement capables de parler, mais qu’ils s’en gardent bien de peur qu’on ne les force à travailler. »[3]

Le schéma raciste type de l’humanité est inscrit dans une vision fermement antiévolutionniste du vivant, celle de l’échelle des êtres. La Gradation linéaire de la chaîne des êtres du médecin et chirurgien anglais Charles White (1728-1813) en est un exemple édifiant. Dans cet ouvrage de 1799, il cherche à ordonner en une progression graduelle et linéaire les différents représentants du monde vivant en y incluant les différentes races d’homme.

La chaine des êtres, selon White. La “progression” des races humaines jusqu’à l’idéal de la statuaire grecque part de la bécassine et passe part le singe, le “Nègre” ou le “Sauvage Américain”.Asiatique.

Dans son essai « Tous unis par la longue chaîne du vivant », Stephen Jay Gould s’est attaché à décortiquer comment White s’y est pris « pour construire une chaîne unique, alors que la nature nous met sous les yeux tant de variété si peu hiérarchisée ».[4] Pour parvenir à ses fins, le médecin anglais cherche à rehausser le singe tout en rabaissant des catégories d’hommes jugées inférieures, de façon à pouvoir combler les vides importants qui séparent les échelons simiesques et humains. Quand il ne se contente pas d’inventer, White interprète certains comportements relevés chez les singes de façon très anthropocentriques. Il prétend ainsi que les babouins placent des « sentinelles chargées de veiller sur le sommeil du troupeau pendant la nuit » ou que les orangs-outangs « ont la réputation de se laisser saigner quand ils sont malades et même de solliciter cette opération. »[5]

De façon à pouvoir établir une échelle linéaire des races qui assure une position prééminente aux blancs, White se livre pendant une centaine de pages de comparaisons à ce que Gould qualifie de « lutte intellectuelle épuisante » consistant à faire entre de force des données peu malléables dans un schéma prédéfini.

Le problème pour White est évidemment que les variations qu’il relève ne vont pas toujours dans le même sens. Il n’a donc d’autre choix pour sauver son système que de créer des regroupements de caractéristiques selon qu’elles lui donnent tort ou raison. La première catégorie de traits bâtie par White regroupe « des caractéristiques de grande valeur, dont les Blancs sont abondamment pourvus, les Noirs un peu moins, et les animaux moins encore », explique Gould, hiérarchie qui, on s’en doute, convient tout à fait à son entreprise. Il fonde sa catégorie sur une série de mensurations de signification pour le moins douteuses telle que la taille du cerveau. La deuxième catégorie comprend des caractéristiques toujours « de grande valeur » dont les Noirs sont cette fois mieux pourvus que les Blancs -  à son grand désarroi -, si bien qu’il se voit obligé de renverser sa séquence en trouvant des exemples d’animaux mieux encore dotés que les Noirs. Parmi ces traits, la transpiration. White estime que :

« Les nègres transpirent beaucoup moins que les Européens ; à peine aperçoit-on de temps en temps une goutte de sueur sur leur peau. Les Simiens suent moins encore et les chiens pas du tout. »[6]

Dans le même ordre d’idées, les menstruations des femmes noires sont moins abondantes que celles des femmes blanches, mais, fort opportunément pour White, « chez les singes femelles, les saignements sont très réduits, ou même totalement absents. »[7] Pour la mémoire, ce sont les éléphants, qui n’oublient jamais, qui lui sauvent la mise.

La troisième catégorie comporte des caractéristiques qui embarrassent White, car, que ce soit dans un sens ou dans l’autre, il n’est pas moyen de respecter la séquence animal – blanc – noir. Ainsi du système pileux, plus abondant chez les Blancs que chez les Noirs, mais moins, évidemment que chez les animaux. Qu’à cela ne tienne, White en tire que seuls les animaux de la plus noble espèce ont été dotés par Dieu d’une parure : la crinière du lion, celle du cheval, et la chevelure de l’homme blanc.

La dernière catégorie, celle des caractéristiques dites « bestiales », présente une incohérence du même ordre, mais en sens inverse : les Noirs sont mieux pourvus que les Blancs, mais les animaux sont les plus démunis. White ne peut se dépêtrer des faits autrement qu’en les écartant purement et simplement, comme l’explique Gould :

« Un exemple : les hommes noirs ont des pénis plus grands que les blancs tandis que les femmes noires ont des poitrines plus fortes – signes évidents d’une sexualité indécente et non maîtrisée. Mais les pénis des singes mâles et les poitrines des singes femelles sont plus petits que ceux de n’importe quel groupe d’êtres humains. White ne trouva aucune solution satisfaisante à ce problème ; il se contenta de le contourner, sans omettre en passant que, tout compte fait, les femmes noires et les singes avaient les mamelons les plus gros ! »[8]

L’argumentation de White finit par s’écrouler d’elle-même, l’auteur ne pouvant s’en sortir qu’avec des critères subjectifs d’esthétisme. Pour ridicule qu’elle puisse nous apparaître – en particulier à travers la lecture de l’essai de Gould, qu’on a connu moins dur avec ses sujets –, la démarche de White n’en est pas moins exemplaire d’une longue tradition de dévalorisation des races non blanches au moyen d’une comparaison systématique aux grands singes. C’est dans cette tradition que s’inscrivent les théories ultérieures, dont les méthodes de comparaison se font plus scientifiques et embrassent la perspective évolutionniste, mais reposent sur le même préjugé sous-jacent, comme nous le verrons dans un prochain billet

 


[1] Cité par Claude Schopp, biographe et responsable des éditions critiques de Dumas, http://next.liberation.fr/culture/0101619448-ses-cheveux-sentent-le-negre, 15 février 2010, consulté le 16 mai 2011

[2] R. Dawkins, Il était une fois nos ancêtres, Une histoire de l’évolution, Robert Laffont, 2007, p.148.

[3] Cité par P. Picq et Y. Coppens (Dir.), Aux origines de l’humanité t.2 ; le propre de l’homme, Paris, Fayard, 2001, p.56.

[4] S. J. Gould, « Tous unis par la grande chaîne », in Le sourire du flamant rose, Paris, Seuil, 1988, p.259.

[5] Ibid. p.260.

[6] Ibid., p.262.

[7] Id.

[8] Ibid., p.263.

des nouvelles de Lapérouse (insane lectures #9)

Du nouveau dans l’énigme du naufrage de l’expédition Lapérouse

(insane lectures #9)

Un ouvrage en forme de jeu de piste sur les traces historiques et archéologiques des survivants de l’expédition Lapérouse.

C’est une des énigmes de mer les plus célèbres. Que sont devenus les quelque 200 marins et scientifiques de l’expédition Lapérouse, disparue corps et biens en 1788 à Vanikoro, dans les îles Salomon, au nord du Vanuatu ?

Parties de Brest en 1785, la Boussole et l’Astrolabe, les deux frégates de l’expédition commandée par Jean François de Galaup, comte de La Pérouse, devaient permettre à la France de se hisser au niveau de l’Angleterre de James Cook. Les objectifs, à la fois diplomatiques, commerciaux et scientifiques, étaient nombreux. Le trajet ambitieux. Le cap Horn vaincu, les navires reconnurent les côtes orientales des Amériques, complétèrent l’exploration des côtes asiatiques, puis cinglèrent vers les dernières terres inexplorées du Pacifique Sud. C’est là qu’on perd leur trace. Et que l’histoire, entre traditions orales, écrits partiaux de navigateurs et intrigues des chasseurs de trésor, cède la place au mystère.

Archéologue et historien du Pacifique, Jean-Christophe Galipaud entreprend de le dissiper dans un ouvrage coécrit avec la journaliste Valérie Jauneau. Grâce aux travaux d’un groupe de passionnés et de l’Institut de Recherche pour le Développement, le dossier Lapérouse est désormais solidement étayé. Plusieurs fouilles archéologiques ont permis de reconstituer le scénario de l’après-naufrage et de redécouvrir formellement le campement des rescapés. Les sources historiques, dont certaines inédites, ont elles aussi livré leur part de vérité.

Des pistes brouillées

En donnant à voir en creux combien cette reconstitution fut délicate, ce livre-enquête permet de sentir la complexité du travail de l’historien. Dès après le naufrage, la tourmente de la Révolution française relègue la recherche de survivants au second plan, laissant libre cours aux spéculations et à la rumeur. Ce n’est que quarante plus tard que le baroudeur irlandais Dillon puis le Français Dumont d’Urville, qui admire « les héros de savoir plus que de batailles », localisent les traces matérielles du naufrage. Tous deux recueillent les témoignages d’un événement vivace dans les mémoires, mais les interprètent de façon subjective. Entre 1880 et 1930, marins des Nouvelles-Hébrides voisines, appâtés par un hypothétique trésor, ou administrateurs de l’île plus ou moins férus de sciences, exhument des pièces sans concertation ni méthode. Ces fouilles sauvages brouillent encore un peu plus les pistes…

Dans cet écheveau de sources, le lecteur pourra être décontenancé par la structure d’ensemble de l’ouvrage et sera parfois en mal de repères. Mais le livre, qui emprunte le ton du récit d’aventure, est aussi une invitation à lâcher prise et à se laisser porter à travers les époques. Les riches illustrations qui le composent pour moitié aideront à l’immersion. Gravures, photographies d’époque, ou tableaux réalisés lors des fouilles par le peintre de marine Michel Bellion, offrent une immersion complète à Vanikoro.  Et témoignent des rudes conditions d’existence sur l’île, pour les chercheurs comme pour les naufragés avant eux.


Les très nombreux vestiges exhumés éclairent les efforts des rescapés pour organiser leur escale impromptue avant de tenter de repartir. Dans un coin du campement, la porcelaine et le verre, dans un autre les instruments scientifiques. A l’écart, les armes et munitions, pour leur défense face aux tribus indigènes. Si certains restèrent sur l’île, la plupart connurent probablement un destin plus funeste…

« A-t-on des nouvelles de Monsieur de La Pérouse ? » aurait demandé Louis XVI au moment de passer sur l’échafaud. Ce livre permet de répondre par l’affirmative. Tardivement, mais de fort belle façon.

Jean-Christophe Galipaud et Valérie Jauneau, Au-delà d’un naufrage, les survivants de l’expédition Lapérouse, Actes-Sud/Errance/IRD, 288 p., 30,00 €

Article publié le 30 juin 2012 dans Le Monde, cahier sciences et techno.

Un entretien avec Jean-Christophe Galipaud  sur le site de l’Institut de Recherche pour le Développement

De belles photos des fouilles sur le site du photographe Teddy Seguin