les dents de mes mers (requins de métropole)

L’été dernier, un aoûtien inattendu s’échouait sur une plage de la Manche : un requin “féroce”, espèce nageant d’ordinaire dans les eaux profondes de Colombie, Cette découverte insolite semblait à l’époque faire écho à l’actualité dramatique de l’île de La Réunion, théâtre d’attaques mortelles sur des surfeurs. Ce genre de collision médiatique pourrait se reproduire cette année, mais c’est un simple trompe-l’œil. Les requins qui longent les plages de métropole sont aussi méconnus qu’inoffensifs.

 

Combien sont-ils ?

Difficile, même pour les spécialistes, d’estimer le nombre d’espèces de requins qui fréquentent nos côtes. Les élasmobranches, la grande famille des poissons à squelette cartilagineux regroupant requins et raies, sont encore mal connus. Et, paradoxalement, peu étudiés, dans la mesure où ils ne constituent pas un enjeu économique, comme d’autres groupes de poissons.

On estime qu’une cinquantaine d’espèces nagent dans les eaux métropolitaines, sur plus de 500 recensées sur la planète, plus de 1000 en comptant les raies – un nombre croissant à chaque campagne scientifique (parmi les 300 espèces marines découvertes aux Philipines en 2011 figurait notamment un requin gonflable, ayant la faculté de remplir son estomac d’eau pour impressionner ses prédateurs).


Qui sont-ils ?

Parmi les plus communes sur nos côtes, des requins de fond : le requin hâ – bien pratique au scrabble – qui peut atteindre 2 m, l’aiguillat, la petite et la grande roussette (qui outre les 90 cm qui les séparent se distinguent aussi à la couleur de leur iris ou à l’écart entre leurs valvules nasales), ou l’émissole – ces trois derniers achalandant les étals des poissonneries sous l’appellation trompeuse de saumonette.

Requin hâ © APECS

Requin hâ © APECS

 

Quelques grosses espèces pélagiques aussi, c’est-à-dire évoluant dans la colonne d’eau : le placide requin-pèlerin, deuxième plus gros poisson du monde avec ses 12 mètres, le superbe et très hydrodynamique peau bleue, le plus mastoc taupe ou encore le renard, reconnaissable à sa longue queue falciforme pouvant mesurer jusqu’à la moitié de la longueur totale de l’animal. Enfin, un certain nombre de raies, famille dont les travaux en génétique récents ont montré qu’il s’agissait en fait de bêtes requins aplatis plutôt que d’espèces sœurs.

Requin peau bleue © APECS

Requin peau bleue © APECS

 

Faut-il annuler sa quinzaine à Mimizan ?

Ben, je n’ai pas de conseil touristique à vous donner, mais non. Même ces grands prédateurs ne font pas vraiment peser de menace sur nos plages. Au niveau mondial, l’ISAF (International Shark Attack File) ne répertorie que 484 attaques mortelles non provoquées depuis… 1580 ! (au 11 février 2013 ; la cuvée 2013 n’est pas encore répertoriée, avis aux amateurs… )

En outre, difficile d’affirmer qu’elles sont en augmentation récente tant ces statistiques sont fragiles et soumises à un effet loupe médiatique. Pour la France, peu de dorsales menaçantes à l’horizon : seulement 4 attaques depuis 1847, dont une seule mortelle, dans les années 1930.

© Chapatte

© Chapatte

 

Les espèces de nos littoraux, Manche, Atlantique ou Méditerranée, ne sont pas réputées agressives, même si le requin bleu ou le mako sont impliqués dans de très rares cas mortels ailleurs. Ne pas les importuner relève toutefois du simple bon sens. Ainsi, le colossal pèlerin n’ayant pour option que la fuite, gare au coup de queue lorsqu’il s’échappe ! Des scientifiques en ont d’ailleurs fait l’expérience – et en ont profité pour récupérer le mucus laissé par l’animal sur leur coque afin d’en prélever de l’ADN. Du côté des raies, attention aux décharges électriques de la torpille marbrée (de part et d’autre de la tête) ou à l’aiguillon de la pastenague (infiniment moins venimeuse ici que ses consœurs tropicales).

 

Le grand blanc nous laissera-t-il bronzer ?

Carcharodon carcharias, le grand requin blanc, fréquente la Méditerranée, c’est une certitude. Mais les rencontres restent rares : on ne l’aurait aperçu que 600 fois depuis le Moyen Âge. 22 attaques sont tout de même recensées, dont 10 mortelles, mais la dernière date de 1984. La plupart des rencontres ne sont donc pas très mouvementées, et ressemblent à ça (Spielberg, passe ton chemin) :

http://www.dailymotion.com/video/xgymqd

Vidéo de Baptiste BACCHIOLELLI, compagnie de promenade en mer CORSE EMOTION réalisée entre Sagone et Toulon.

 

Ainsi que l’indique le site corsicamare.com dans un billet qui lui est consacré, on ne sait pas grand-chose sur la démographie du grand blanc en Méditerranée, mais les phoques et les thons rouges qu’il affectionne ayant pratiquement disparu de ces eaux, il se peut que ses populations soient en régression. Les observations ont pour la plupart lieu là où on trouve encore un peu d’espadons (Italie du Sud, Malte, Sicile, Adriatique… et une ou deux observations annuelles en Corse).

Quant à l’Atlantique, rien n’interdit de penser que le grand blanc pousse jusque-là (contrairement à ce que l’on imagine, c’est une espèce des eaux tempérées), mais il s’y signale par son absolue discrétion.

 

Des espèces fragiles

Loin d’être une menace, les requins de nos côtes sont donc plutôt des espèces vulnérables, dont les caractéristiques biologiques (maturité sexuelle tardive, gestation longue, croissance lente) supportent mal la surpêche. Aucune espèce n’est protégée par la loi française, mais la Politique Commune de la Pêche de l’Union Européenne instaure des interdictions (requin-pèlerin, requin blanc, raie brunette) ou des quotas qui peuvent descendre à zéro (requin-taupe).

Des mesures de gestion circonstanciées seraient sans doute plus efficaces (interdictions saisonnières, sur des zones de reproduction…). Encore faut-il connaître l’écologie de ces espèces et cerner la structure des stocks. Pour ce faire, différentes associations parient sur les sciences participatives et mettent à contribution citoyens et pêcheurs pour remonter leurs observations ou les captures accidentelles.

Préserver la diversité des requins de métropole passe par cette amélioration du savoir, ainsi que l’illustre à merveille l’emblématique pèlerin. En 2008, un gros spécimen femelle équipé d’une balise Argos à l’île de Man stupéfiait les scientifiques en traversant l’Atlantique en quelques mois, révélant que l’espèce fréquentait les eaux océaniques. Une découverte précieuse pour sa protection : inutile, en effet, d’agir isolément sur un seul bord de l’océan si l’espèce fait la navette entre les deux !

 

apecs_logo

 

Le point de vue de…

Éric Stéphan — Association pour l’Étude et la Conservation des Sélaciens (APECS)

Fondée en 1997, l’APECS mène des programmes scientifiques et éducatifs pour mieux connaître et faire connaître requins et raies. Le programme CapOeRa permet de recenser les échouages de capsules d’œufs de raies ; le programme Allo Elasmo invite pêcheurs, plaisanciers et plongeurs à signaler les captures ou les observations de toute espèce de requin ou de raie.

 

Quelles espèces trouve-t-on en Atlantique et en Bretagne ?

Les requins ont réussi à coloniser tous les environnements. On les trouve vraiment partout, y compris dans les eaux métropolitaines. Mais on les connaît encore très mal et il est impossible d’établir des cartes de répartition ou d’abondance. Certaines espèces sont plus fréquemment observées à certains endroits, mais ce sont globalement les mêmes qu’on trouve sur la façade Atlantique, en Manche ou en Méditerranée. On peut croiser en plongée des petits requins vivant plutôt au fond et ne se déplaçant pas beaucoup : la petite et la grande roussette, ou l’émissole. Le requin-taupe lui est bien présent au niveau du talus continental. Avec le peau bleue, ce sont des espèces pélagiques, mais l’été, les plus jeunes individus peuvent s’approcher des côtes et croiser des plaisanciers. Le requin-renard, lui, vit plutôt au large. Enfin, il y a le requin-pèlerin…

 

Pourquoi vous intéressez-vous particulièrement à cette espèce ?

C’est un géant de notre patrimoine ! On l’observe régulièrement en Bretagne, en particulier dans le Finistère sud et au nord de la mer d’Iroise. Le pèlerin était très mal connu du grand public et des scientifiques lorsque nous avons créé l’APECS en 1997. On savait que l’espèce était là, et c’est tout. Il a fallu mettre en place un programme de recensement des observations pour un premier état des lieux. Nous avons ensuite mené des campagnes de terrain grâce aux suivis par satellite, à partir du début des années 2000. On acquiert encore des données, mais les premiers résultats sont surprenants. Très longtemps, on a pensé que le pèlerin restait au fond l’hiver, avec une activité réduite. Ce n’est pas ça du tout ! Il continue à être actif et à se déplacer dans la colonne d’eau, mais remonte moins en surface. On le voit donc moins qu’au printemps ou en été. C’est probablement lié à la profondeur du plancton dont il se nourrit.

 

 Les requins de nos côtes sont-ils menacés ?

La principale menace qui pèse sur eux est la pêche intensive. Mais toutes les espèces ne sont pas forcément menacées. Quand on regarde les données des campagnes halieutiques de l’IFREMER, on voit que la petite roussette ne l’est pas, par exemple. Certaines sont plus vulnérables. Le requin-taupe était pêché de façon ciblée par des bateaux français. Par mesure de précaution, l’Europe en a interdit la prise en 2009. Parmi les raies, on a aussi des espèces qui ont du mal à se régénérer et qui ne supportent pas une pression de pêche trop forte. L’objectif de notre association est de sensibiliser le grand public à la présence des requins sur nos côtes et à leur vulnérabilité. Mais aussi de contribuer à l’amélioration des connaissances. Nous avons besoin d’études complémentaires, car il y a un cruel manque de données pour les eaux françaises : en France, les raies et les requins ne sont pas un sujet de recherche prioritaire.

 

Sodomie : 100% naturelle

En réaction aux saillies homophobes de certains opposants au mariage pour tous, un peu de sciences naturelles pour expliquer que : non, l’intromission du pénis dans le rectum – et plus largement, l’homosexualité – n’est pas une pratique contre-nature. C’est même tout le contraire, ainsi que le démontre le monde animal à l’envi.

La captivité induisant des comportements que l’on n’observe pas dans la nature et la domestication pouvant faire apparaître des comportements homosexuels en sélectionnant indirectement certains traits, il faut regarder du côté des populations sauvages.


Quels sont les cas d’homosexualité observés chez les animaux ?

La distribution de l’homosexualité dans le règne animal est extrêmement large. Elle concerne non seulement des centaines d’espèces, mais encore une large gamme d’animaux, qu’ils soient sociaux ou pas, de l’insecte (coléoptères, papillons, libellules et blattes) aux mammifères terrestres et marins en passant par les reptiles et les oiseaux, bref à peu près tout ce qui a une reproduction sexuée. Pour être exact, ces comportements ne se traduisent pas toujours par une intromission effective.

Les cerfs à queue blanche dédicacent cette monte à Frigide et à ses coreligionnaires trop vite déscolarisés

Les cerfs à queue blanche dédicacent cette monte à Frigide et à ses coreligionnaires trop vite déscolarisés

Nous n’allons pas écrire les 120 journées de Sodome du monde animal, mais mentionner seulement trois cas présentant un intérêt particulier.

Le Charançon des agrumes, qu’on ne soupçonnerait a priori pas de débauche, se révèle être un libertin frénétique : on observe de véritables partouzes où les mâles montent les femelles, les femelles montent les mâles, et les mâles se montent entre eux ou montent les couples déjà formés. Notons que l’appareil génital du mâle pénètre bien la cavité anale de son partenaire.

Le petit pingouin est amusant, car il a inventé le club libertin. Les montes entre mâles ne se produisent pas à proximité des colonies de reproduction, au milieu des gosses, mais un peu à l’écart, et impliquent même une minorité de femelles. Chez le petit pingouin, qu’on se le dise, 91% des mâles se font monter par d’autres mâles.

Les frottis-frottas du bonobo étant relativement connus, je mentionnerai ici plutôt le fier gorille des montagnes (objet de tant de fantasmes injustifiés), chez qui l’on trouve des groupes constitués uniquement de mâles. Et là, comme dans toute situation contrainte de ce type, advient ce qui doit advenir : les mâles ont des comportements homosexuels régis par leur rang hiérarchique. Temporairement exclus du marché du sexe hétérosexuel, ils sont coincés dans une file d’attente sociale, dont ils sortiront éventuellement lorsqu’ils pourront avoir accès aux femelles.

Esquisse d’explication et de différentiation

Les biologistes retiennent trois catégories d’explication : la pénurie de partenaires de l’autre sexe (comme chez le gorille), la nécessité d’alliances sociales (comme chez le dauphin) ou la difficulté à discriminer entre les sexes (typiquement, chez les insectes).

Il convient ici de préciser que les scientifiques qui travaillent sur le sujet distinguent les comportements homosexuels de la préférence homosexuelle, qui est exclusive et sur le long terme. Le distinguo a son importance, car l’existence d’une préférence homosexuelle exclusive n’a jusqu’ici été formellement démontrée chez aucun animal non humain. Il n’est donc pas rigoureusement exact d’assimiler les pratiques homosexuelles animales aux pratiques humaines, bien que certaines associations homosexuelles semblent perdurer chez certaines espèces, par exemple chez certains goélands ou certains cygnes. Ceci soulève aussitôt deux questions : qu’est-ce qui fait cette spécificité humaine ? Et comment se fait-il que ce trait puisse être sélectionné, compte tenu de l’évidente baisse de fertilité qu’il implique ? Des billets ultérieurs permettront d’apporter quelques éléments de réponse.

D’ici là, j’aimerais finir en exposant une légère pointe d’agacement devant la façon dont lesmédias traitent l’actualité de ce sujet. C’est bien gentil de nous infliger continuellement les vagissements de l’alliance prognathe du bombers et de la soutane, mais serait-il inconcevable d’opposer à leur protoargumentation, au moins de temps en temps, l’avis circonstancié des gens qui connaissent le sujet. Vous savez, oui, les chercheurs. Parce qu’ils ne font pas que chercher des bosons, ils ont aussi des choses à dire pour éclairer ce type de débat. Je ne sais pas, moi, un écologue, par exemple, un anthropologue, un biologiste de l’évolution… C’est quand même pas compliqué. Enculés de lesmédias, tiens…

 

Ces éléments sont tirés sans vergogne d’un parfait résumé sur l’homosexualité chez les animaux commis par Michel Raymond & Frank Cézilly

Michel Raymond a également consacré un chapitre à l’homosexualité dans son premier livre Cro-Magnon toi-même (ici : la critique de son second ouvrage), qui est plus que recommandable.

 

le quiz nature du printemps

Vous avez performé comme des malades au quiz de l’automne sur les merveilles de la nature en très gros plan ? En ferez-vous autant pour le redoutable quiz du printemps ?

De quoi s’agit-il donc…

Photo 1

A – Un champignon du cuir chevelu

B – Une langue de pingouin

C – Un poisson-scie gominé

Quiz7

Photo 2

A – Des pointes de flèche du Néolithique

B – Une râpe à diamants

C – De la peau de requin

Quiz 6

 

Photo 3

A – Le secret de la moustache d’Edwy Plenel

B – L’algue comestible n°1 au Japon

C – Des poils de phoque

Quiz 5
Ces photos sont toujours extraites de La nature vue de (très) près, Giles Sparrow (Dunod, 320 pages, 22€), qui nous invite à regarder au plus près notre environnement: animaux, plantes ou structures géologiques remarquables, avec des petits textes explicatifs plutôt instructifs.

 

Voici les réponses. Je rappelle qu’un voyage à Bali est en jeu, ne trichez pas !

Photo 1

B – Une langue de pingouin

C’est bien une langue de pingouin, recouverte de barbes rigides qui empêchent les proies chassées en plongée par l’oiseau (krill, petits poissons et calmars) de glisser hors de son bec. (C’est toujours utile pour ne pas manger salement.)

Photo 2

C – De la peau de requin

S’il vous vient à l’idée de caresser un requin, faites-le dans le sens des denticules dermiques qui tapissent son corps ; dans l’autre, ça râpe ! – la peau du requin était d’ailleurs utilisée comme papier de verre. Ces couches de denticules, constituées d’une cavité centrale entourée d’une fine paroi de dentine, protègent le requin des parasites et favorisent son hydrodynamisme.

Photo 3

C – Des poils de phoque

Cette coupe d’une peau de phoque au microscope électronique à balayage montre que la fourrure de l’animal est constituée de poils aplatis, étanches, disposés en couches superposées, qui emprisonnent suffisamment d’air pour empêcher que l’eau (ou le vent) atteigne la peau. Si cela ne suffit pas, il y a en dessous une sacrée couche de graisse, que l’on peut voir dans un phoque coupé en deux par le scalpel de JP Colin.

 

Le christianisme nuit-il à la biodiversité ?

La religion joue-t-elle un rôle en matière de biodiversité ? Voilà une problématique apte à m’extirper de ma torpeur postprandiale ! Une équipe de biologistes de Stanford a récolté pendant 3 ans une foule de données sur les us et coutumes en matière de chasse de 23 communautés d’Indiens d’Amazonie appartenant aux ethnies Macuxi et Wapishina, vivant au Guyana. L’objectif des chercheurs était de déterminer comment les croyances religieuses indigènes et chrétiennes de ces communautés pouvaient influencer leurs tabous alimentaires. Et partant, en quoi elles pouvaient bénéficier à certaines espèces ou au contraire les mettre en péril. Leurs résultats, publiés en décembre 2012 dans Human Ecology1, montre que la question n’est pas si saugrenue qu’elle en a l’air, mais que la réponse est loin d’être simple.


Carte des communautés Wapishana et Macuxi étudiées

Carte des communautés Wapishana et Macuxi étudiées

 De 2007 à 2010, les chercheurs ont recueilli des données socioéconomiques quantitatives auprès de 1774 foyers (environ 9000 personnes), afin de déterminer quelle étaient leur affiliation religieuse, leur source de protéines principale, si un ou plusieurs membres du foyer proscrivaient la consommation de viande, et si oui, de quelle espèce et pourquoi, en considérant aussi bien les animaux sauvages que domestiques. Des données qualitatives sur les pratiques de chasse et celles des shamans ont complété ce corpus.

 15 des 16 appartenances religieuses répertoriées ont été regroupées en 3 catégories : « cultes établis » (catholiques et anglicans, 73 %), évangélistes (20 %) et adventistes du septième jour (3 %). Les témoins de Jéhovah et les « sans appartenance » et les « mixtes » ont été exclus.

Sources de protéines

Sources de protéines

 La viande (sauvage ou domestique) représente la source de protéines principale dans moins de la moitié des cas. Dans chaque village, la proportion de foyers dont au moins un des membres évite de consommer de la viande délibérément est extrêmement variable : de 0 % à 98 %, avec une moyenne à 38 %. Pour 77 % des foyers concernés, le tabou alimentaire lié à la viande s’explique par la peur des maladies (les « allergies », selon la terminologie indigène). Les espèces les plus communément évitées sont le tapir du Brésil, le daguet gris (un cervidé), le porc domestique, des tortues et le capybara (le plus gros rongeur vivant). De façon curieuse, les primates ne font pas partie des tabous alimentaires, mais ne sont pas chassés pour autant.

La nature exacte de l’« allergie » redoutée par les Indiens est de nature spirituelle. Ils craignent le « maître » de l’animal : le « maître » des daguets est par exemple réputé être particulièrement mauvais envers les jeunes enfants. Pour ces ethnies, le shaman est le seul à même de soigner ces « allergies », fournir la prière appropriée pour apaiser le « maître » et prodiguer des conseils sur les animaux que l’on peut consommer et ceux qu’il vaut mieux éviter.

Le tapir du brésil, en tête des espèces tabou

Le tapir du brésil, en tête des espèces tabou

L’évangélisation de ces ethnies, à partir du 17e siècle et surtout depuis le 19e siècle, a d’ores et déjà profondément modifié leurs systèmes de croyances, puisque, en fonction des villages, les visites au shaman se sont réduites (de 0 % des foyers à 38 % au cours de l’année écoulée, dans le cas présent). Mais elle pourrait influencer bien plus que les modalités de prière et concourir à aussi à modifier la biodiversité, selon les chercheurs.

Le tableau d’ensemble n’est toutefois pas clair à saisir, car les situations varient en fonction de l’appartenance cultuelle. Ainsi, 87 % des foyers adventistes déclarent avoir des tabous alimentaires, contre 32 et 34 % pour les évangélistes et les « cultes établis ». Dans le détail, ces tabous diffèrent d’un culte à l’autre et par rapport aux prescriptions traditionnelles des shamans. Alors que ces derniers prohibent un tiercé porc domestique / viande de brousse / poissons sans écailles, les anglicans et catholiques boycottent tapir / daguet / tortues, les évangélistes un trio proche tapir / daguet / capybara, et les adventistes se démarquent en prohibant porc / tapir / poissons sans écailles.

Au-delà de la difficulté à établir une carte si vous souhaitez ouvrir un resto dans les parages, cet imbroglio diététique a des conséquences pratiques en matière de biodiversité. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, la disparition partielle et contrainte de la pratique shamanique n’entraîne pas celle des tabous alimentaires, qui subsistent, même modifiés ou atténués, au sein des populations.

Christianisme:  le tapir lui dit merci

Christianisme: le tapir lui dit merci

Une espèce comme le tapir peut s’en réjouir. Étant donné son faible taux de reproduction et sa sensibilité aux chasses excessives, le changement culturel affectant les ethnies qui le consomment aurait pu conduire à une surexploitation fatale.

Dans d’autres cas, les effets environnementaux sont plus complexes. La pression de chasse peut avoir été transférée sur d’autres espèces, domestiques ou sauvages, lesquelles peuvent ou pas la supporter. Les conséquences de ces transferts ne sont pas étudiées dans la publication de Human Ecology, qui se borne à suggérer que les tabous alimentaires constituent un outil additionnel de gestion des ressources. Dans un commentaire, José M. V. Fragoso, auteur du papier et responsable du laboratoire ayant conduit l’étude, souligne que la disparition des shamans conduit les communautés à chasser dans de vastes territoires autrefois associés à des entités spirituelles et qui constituaient de facto des sanctuaires dans lesquels les animaux pouvaient se reproduire et élever leurs jeunes. Sur la base de ses observations de terrain, Fragoso estime que le nombre d’animaux non tabous tués est en augmentation, en particulier dans ces zones qui ne sont plus protégées. La biodiversité dans la région se trouve donc bien impactée par l’importation et l’essor de religions extérieures, dans des proportions que de futurs travaux permettront de préciser.

 

  1. Jeffrey B. Luzar, Kirsten M. Silvius, Jose M. V. Fragoso. Church Affiliation and Meat Taboos in Indigenous Communities of Guyanese Amazonia. Human Ecology, 2012; 40 (6): 833

“L’homme descend du singe”: la dérive raciste (2)

Lorsque le singe désigne un autre homme : la dérive raciste de l’expression “l’homme descend du singe”

Cette série de 3 billets poursuit un travail sur l’expression “l’homme descend du singe” déjà évoqué sur le bLoug (à propos du procès du singe, du débat d’Oxford, ou encore de ce qu’en pensent les étudiants). Après un billet sur les élucubrations classificatoires du médecin anglais Charles White, voici celui consacré au triste rôle assigné aux Bochimans et aux Hottentots, avant un dernier qui fera le point sur le prétendu racisme de Darwin.

La Vénus hottentote sur le billard

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Après Chales White et d’autres, l’anatomiste et anthropologue Paul Pierre Broca (1824-1880) s’essaie à son tour, par des mesures objectives, à démontrer qu’il existe une hiérarchie des races humaines. Il cherche à reconstituer le grand escalier du progrès humain, du chimpanzé à l’homme blanc. Comme le relève Stephen Jay Gould, le racisme de Broca n’a rien de particulièrement virulent au regard de celui des savants de son temps (évidemment blancs – et masculins), mais il se distinguait tout de même en montrant :

« un peu plus d’acharnement dans l’accumulation de données sans lien véritable avec son sujet, et qu’il présentait ensuite après les avoir soigneusement sélectionnées, pour défendre ses conceptions pleines d’a priori. »[1]

Broca s’intéresse à la taille du crâne – et réalise des mesures qui vont à l’appui de sa thèse – ainsi qu’au rapport des longueurs du radius et de l’humérus (les avant-bras longs étant une caractéristique classique des singes). La mesure de ce rapport (égal à 0,794 chez les Noirs et 0,739 chez les Blancs) paraît aller dans son sens… à l’exception de celui du squelette de la célèbre Vénus hottentote ! Ce qui le contraint à abandonner cette preuve.

La Vénus hottentote n’apparaît pas par hasard dans l’échantillon de Broca. Sur l’échelle raciste qui guide bon nombre de travaux scientifiques de l’époque, certains peuples ont le triste privilège de truster à peu près continûment les barreaux les plus bas, au voisinage immédiat des chimpanzés ou des orangs-outans. Les Bochimans et les Hottentots (ou plus justement, les Khoïkhoï) d’Afrique du Sud en font incontestablement partie. On insiste alors à loisir sur leur apparence et leurs mœurs simiesques. Le dictionnaire de pédagogie de Buisson (1882), livre ainsi cette appréciation d’Edmond Perrier, rédacteur d’un article sur les races humaines qui entend  révéler un  lien chronologique entre singe et homme ; l’auteur prend l’exemple des Bochimans, qu’il décrits comme :

« inférieurs aux Hottentots, avec qui ils présentent plusieurs traits de ressemblance […] leurs bras au contraire très longs, comme chez les singes anthropomorphes, dont ils ont encore les mouvements des lèvres, les allures brusques et capricieuses, les oreilles petites… »[2]

White (encore lui !) signalait déjà que :

« les femmes hottentotes ont des poitrines si flasques et pendantes qu’il leur suffit de lancer leur sein par-dessus l’épaule pour nourrir l’enfant qu’elles portent sur le dos »


Bushmen’ Display from the Crystal Palace Exhibition (Pitt Rivers photographic collection in Oxford)

Le compte rendu de l’exposition d’une famille de Bochimans dans le Hall égyptien de l’Exposition Universelle de Londres en 1847 multiplie ce genre d’observations :

« Leur apparence est à peine plus belle que celle des singes. Ils sont toujours accroupis, en train de se réchauffer près du feu, en caquetant ou en grognant. Ils sont maussades, muets et sauvages ; ils ont des penchants presque purement animaux sous une apparence pire encore. »[3]

L’assimilation des Bochimans aux animaux était profondément ancrée : le terme était selon certains savants la traduction littérale du mot malais orang-outan signifiant « homme de la forêt » et des colons hollandais ont soi-disant abattu et mangé un Bochiman au cours d’une partie de chasse, le prenant pour l’équivalent africain d’un orang-outan…

En 1817, la Vénus hottentote fut disséquée par Georges Cuvier, qui avait pu l’observer de son vivant (elle était décédée en 1815). Ses observations figurent dans ce volume des Mémoires du Muséum (p259 et suivantes).

Notre “Napoléon de l’intelligence” cherchait à établir la preuve de l’infériorité de certaines races et se plut à souligner les caractéristiques soi-disant simiesques de la Vénus (qu’il qualifie de “Bochimanne”). Ainsi son nez épaté (« De ce point de vue, je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable aux singes que la sienne »[4]), son fémur, la petite taille de son crâne (sans tenir compte du fait qu’elle ne mesurait que 1,37 m) ainsi que certaines réactions (« ses mouvements avaient quelque chose de brusque et de capricieux qui rappelait ceux du singe. Elle avait surtout une manière de faire saillir ses lèvres tout à fait pareille à celle que nous avons observée chez l’orang-outang »[5]).

De façon curieuse, Cuvier relevait aussi, sans y percevoir de contradiction, que la Vénus était une femme intelligente, douée pour les langues, et avait une main charmante… C’est toujours ça de pris.

 

Polyphylétisme et évolution régressive

L’essor des théories évolutionnistes n’allait guère améliorer le sort réservé aux Hottentots et Bochimans dans les phylogénies humaines au soubassement raciste.

Cette illustration tirée tirée de l’édition de 1874 de l’ouvrage de Ernst Haeckel, Anthropogénie, s’inscrit dans une longue tradition de préjugés racistes sur la supériorité de l’homme Blanc dans le règne animal et sur les autres « races » humaines, mais elle spécifiquement évolutionniste, puisque Haeckel s’appuie sur sa théorie de la récapitulation pour établir la supériorité raciale des Blancs d’Europe du Nord et classer les races noires à proximité du singe.

Dès le 19e, puis surtout au 20e siècle, divers auteurs, tombés dans l’oubli, développent la thèse du polyphylétisme, qui cherche à enraciner chacune des grandes « races » humaines dans une espèce de grand singe. Le principe sous-jacent est que différents territoires ont vu éclore différentes formes humaines et différentes formes de grands singes, ce qui se traduit par des similitudes morphologiques comme la forme du crâne ou la couleur de la peau.

En fonction des auteurs, le nombre de branches reconnues varie et le corpus fluctue : certains prennent en compte les hommes fossiles dans l’établissement de la séquence, d’autres non ; certains se limitent aux singes de l’Ancien Monde, d’autres élargissent aux singes du Nouveau Monde (à queue !), voire aux prosimiens.

Le polyphylétisme selon Hermann Klaatsch (in “Die Aurignac-Rasse und ihre Stellung im Stammbaum der Menschheit,” Zeitschrift für Ethnologie, 1910, vol. 42, p. 567.)

En 1910, l’Allemand Hermann Klaatsch (1863-1916) propose de rattacher « les nègres au gorille, les blancs au chimpanzé et les jaunes à l’orang-outang »[6]. L’Italien Gioacchino Sera ira jusqu’à 6 branches incorporant variétés humaines, grands singes et singes de l’Ancien et du Nouveau monde (« l’hypothèse la plus extraordinaire de toutes, par son éclatement le plus total »[7]).

Avec le polyphylétisme, le préjugé raciste sort par la porte pour mieux rentrer par la fenêtre : l’ascendance simienne vaut aussi pour l’homme blanc, mais la hiérarchisation des races demeure d’actualité, la position privilégiée de l’homme blanc étant recherchée à chaque stade évolutif : le meilleur singe, le meilleur homme possible, pour évidemment finir par la meilleure race actuelle.

Ce type de vision a persisté jusque tard au XXe siècle : en 1960, le magazine Life consacré à l’évolution et préfacé par Jean Rostand, publiait un arbre évolutif reconduisant les classifications du XIXe siècle :

« la race négroïde dérive des australopithèques, la race mongoloïde dérive de l’homme de Pékin et la race caucasoïde de l’homme de Néandertal »[8].

Et là encore, en fin d’article, les pauvres Bochimans étaient impitoyablement relégués tout au bas de l’échelle :

« Sans chercher à rattacher l’homme à ces animaux, n’est-il pas permis de se demander ce que feraient les zoologistes d’êtres inférieurs aux Bochimans : et ces êtres n’ont-ils pas réellement existé ? »[9]

Comme il doit être très rigolo de s’amuser à hiérarchiser les êtres, pourquoi ne pas le faire dans l’autre sens ? En envisageant non pas une évolution du bas vers le haut, mais une régression du haut vers le bas ? Comme le note Richard Dawkins :

« dans les légendes traditionnelles de tribus du Sud-Est asiatique et d’Afrique, l’évolution va à rebours de la vision classique qui prévaut en général : leurs grands singes locaux passent pour des humains déchus. »[10]

Cette idée de régression, sorte de miroir inversé de la séquence que cherchait ordonner White, a bien été exploitée. Elle est au centre d’un épiphénomène chrétien du préjugé raciste dans les années 1940 : l’évolution régressive[11] (abordée dans ce billet, désolé pour la redite). Georges Salet et Louis Lafont, les deux auteurs de l’essai éponyme publié en 1943 étaient convaincus de la régression des races les unes par rapport aux autres à cause du péché originel (comme quoi on peut être polytechnicien et débile) :

« Ce n’est pas l’animal qui est devenu progressivement Homme, c’est l’Homme, dans des races peut-être plus coupables que les autres, qui a rétrogradé vers l’animalité. »[12]

Dans cette vision, l’homme ne descend plus du singe, il y retourne ! Du moins les races humaines plus coupables que les autres.

Un autre auteur, Henri Decugis, rejoint les deux précédents sur le thème de la dégénérescence. Les Hottentotes et les Bochimans (quelle surprise !), seraient les populations les plus dégénérées d’Afrique, proches de groupes paléolithiques éteints, donc menacés d’extinction prochaine :

« On peut supposer que nous sommes ici en présence de races déjà dégénérées chez lesquelles l’excédent de graisse était dû à un état organique défectueux qui a provoqué leur extinction dans toute l’Europe vers la fin de l’âge du Renne. »[13]

Bochimans et Hottentotes ont toutefois ceci pour se rassurer : dans la vision hautement pessimiste de l’auteur, toutes les espèces vivantes sont appelées à disparaître les unes après les autres. Attention, poésie :

« Le vieillissement des espèces vivantes est beaucoup plus avancé qu’on ne le croit communément. Aucune ne peut y échapper. [...] Seul, [l'Homme] se penche sur l’abîme sans fond vers lequel [son espèce] s’achemine pour y sombrer, lorsque son heure sera venue et pour s’endormir enfin dans le silence de la mort, pendant que de petits êtres restés primitifs, moins évolués — comme les Bactéries, les Infusoires et les Lingules — inertes, aveugles, sourds, vivront longtemps encore dans la vase froide et obscure du fond des Océans, puis s’éteindront à leur tour sans le savoir. »[14]

Tremble, lingule, ton tour viendra !

Voilà qui réconforterait sûrement beaucoup la Vénus Hottentote : les bactéries, les infusoires et les lingules étaient tout de même moins bien considérées par ces auteurs pleins de mansuétude.


[1] S. J. Gould, « La Vénus hottentote », Le sourire du flamant rose, Paris, Seuil, 1988, p.267.

[2] Cité par M.-P. Quessada, L’enseignement des origines d’Homo sapiens, hier et aujourd’hui, en France et ailleurs : programmes, manuels scolaires, conceptions des enseignants. THÈSE de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER II en Sciences de l’Éducation, option Didactique de la biologie, 2008, p.95

[3] Ibid., p.269

[4] S. J. Gould, op. cit. , p.270

[5] Id.

[6] Cité par M.-P. Quessada, op. cit., p.69.

[7] Collectif, Homo sapiens, l’odyssée de l’espèce, Paris, La Recherche/Taillandier, 2005. p.25.

[8] Ibid. p.70.

[9] Ibid., p.95.

[10] R. Dawkins, Il était une fois nos ancêtres, Une histoire de l’évolution, Robert Laffont, 2007.

[11] Aussi étonnant que cela puisse paraître, il existe toujours des séquelles pseudo-scientifiques de cette théorie : voir http://www.biblisem.net/historia/perosing.htm

[12] Georges Salet & Louis Lafont, L’Évolution régressive, Paris, Éditions franciscaines, 1943, p. 66.

[13] H. Decugis, Le Vieillissement du monde vivant, Paris, Librairie Plon, 1943, p.364.

[14] Id.

livres de sciences: les prix du bLoug 2012

C’est l’heure du bilan 2012 de la rubrique littéraire du bLoug : de la science racontée de différentes façons, parfois brillamment, parfois beaucoup moins ; lu pour vous en toute partialité :

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Prix spéciaux

Prix du bronzage intelligent : Il était une fois… les Romains en Languedoc, Georges Mattia (Errance, 250 p., 27, 00 €). Une collection de chronique archéologiques, initialement publiées dans le Midi Libre, à déguster sur la plage avant quelques huîtres (qui n’étaient  pas du tout les mêmes du temps des Romains) et un petit blanc.

Prix du livre dont j’ai vraiment beaucoup aimé dire du bien, peut-être parce qu’il réveille un vieux désir d’aventure : Au-delà d’un naufrage – Les survivants de l’expédition Lapérouse, Jean-Christophe Galipaud, Valérie Jauneau (Errance, 288 p., 30, 00 €). Un ouvrage en forme de jeu de piste sur les traces historiques et archéologiques des survivants de l’expédition Lapérouse ; un peu foutraque mais vraiment dépaysant. (critique complète)

Prix du bizutage militant : Darwinisme et Marxisme, Anton Pannekoek et Patrick Tort (Arkhê, 256 p., 19,90 €). Mon entrée dans le monde de la chronique littéraire scientifique : rugueux quand même. (critique complète)

 

Prix scientifiques

Prix du premier ouvrage : Histoire des dinosaures, Ronan Allain (Perrin, 228 p., 19,90 €) Il m’a dit que ça avait été une tannée à écrire, mais on l’encourage à recommencer, non ? Attention, pour une fois, le titre veut dire quelque chose : il s’agit bien d’une Histoire des dinosaures, pas simplement d’un énième livre sur les dinosaures.

Palme de silex : La Préhistoire du cinéma – Origines paléolithiques de la narration graphique et du cinématographe, Marc Azéma (Errance, 293 p., 39, 60 €). Il a bougé le lion là ? Mais, non t’es con, c’est la flamme de ta torche sur la paroi de la grotte. Ah… ça me donne une idée… Beau, didactique et avec 1 DVD (critique complète)

Prix de la modestie : Pourquoi je n’ai pas inventé la roue, et autres surprises de la sélection naturelle, Michel Raymond, (Odile Jacob, 206 p., 20,90 €). Michel Raymond a toujours pas mal de choses à raconter ; tiens, par exemple, ici, ça parle beaucoup de biomimétique, et c’est à l’honneur en ce moment avec l’expo Vinci. (critique complète)

Médaille 30 millions d’amis : Kamala, une louve dans la famille, Pierre Jouventin (Flammarion, 343 p., 21,00 €). Parce qu’un écologue et éthologue suffisamment timbré pour vivre avec un loup dans sa maison en arrive à vous donner des idées sur un sujet d’archéozoologie bigrement discuté : le process de domestication du chien.

Prix du livre dont la réponse est non : Un crapaud peut-il détecter un séisme ? 90 clés pour comprendre les séismes et tsunamis, Louis Géli, Hélène Géli (Quae, 173 p., 21,00 €). Reste que 5 jours avant le tremblement de terre de L’Aquila (2009), ils ont déserté les lieux ; ça prouve au moins qu’il est plus facile d’être crapaud qu’expert scientifique en Italie.

Prix du titre le plus poétique : Le bitume dans l’Antiquité,  Jacques Connan (Errance, 272 p., 35,00€). Tout est dit.

 

Prix citoyens

Prix du livre suisse utile : Manifeste pour les grands singes, Christophe Boesch, Emmanuelle Grundmann, Blaise Mulhauser (PPUR, 143 p., 15, 00 €). En réalité, ça parle surtout de forêt et de biodiversité, mais ça vous fera réfléchir à deux trois choses avant d’acheter vos meubles de jardin. Obligatoire.

 

Prix de l’effroi : Créationnismes, mirages et contrevérités, Cédric Grimoult (CNRS Éditions, 221 p., 20,00 €), pour cette citation : « les créationnistes ont déjà gagné lorsqu’ils réclament que l’on évoque leur opinion dans les cours de biologie, dans la mesure où, même dans notre pays, il n’est plus guère possible d’enseigner la théorie de l’évolution sans être assailli de questions au sujet des objections religieuses. » Le pire, c’est qu’il a raison.

Prix du livre qui a une drôle d’odeur, quand même : L’inavouable histoire du pétrole – Le secret des 7 sœurs, Frédéric Tonolli (La Martinière, 256 p., 30,00 €). Documentariste, Frédéric Tonolli fait les dessous de tapis de la géopolitique et ça sent l’hydrocarbure partout ; on a beau le savoir, on ne le sait jamais vraiment assez.

Prix du mal de mer : Capitaine Paul Watson, Entretien avec un pirate, Lamya Essemlali, Paul Watson (Glénat, 283 p., 22,00 €). Certes, c’est une hagiographie, et la misanthropie du personnage peut heurter. Mais les océans en ont besoin (et c’est un copain de Gojira).

 

Special bargain

Prix du livre que j’ai aimé déchirer au Monoprix jusqu’à ce qu’ils le retirent des rayons : je ne vous le dirai pas mais ça a été « écrit » par deux frères.

Prix de l’attachée de presse la plus zélée : Tous cobayes ! OGM, pesticides, produits chimiques, Gilles-Éric Séralini. (Flammarion, 255 p., 19,90 €). Plus rapide que La Redoute. Tiens donc ?

Prix de l’erreur de casting : Changer le comportement de votre chien en 7 jours – Hyperactivité, agressivité, peurs…, Joël Dehasse (Odile Jacob, 245 p., 21, 00 €). Je n’ai pas de chien.

Prix du fail de traduction : Une introduction à l’évolution, Carl Zimmer (De Boek, 450 p., 47,00 €). Avec des “platypus à bec de canard” dedans. Et quel titre ! (critique complète).

 

un étrange air de famille #2

L’étrange air de famille entre grands singes et humains se nourrit de fantasmes et d’approximations depuis l’Antiquité, ainsi que nous l’avons vu dans la première partie. Après les frasques du Pongo (le gorille), voici les tribulations du Pygmée (le chimpanzé) sur les tables de dissection.

 

Aux bons soins des docteurs Tulp et Tyson

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À mesure que se développe l’anatomie comparée, à partir du XVIe siècle, l’évidence du caractère animal de l’homme devient de plus en plus difficile à ignorer.[1] Mais les grands singes posent un problème de taille : les naturalistes n’en ont encore jamais vu. Il leur faut compter avec des descriptions exagérées et des témoignages fantaisistes, qui se mêlent aux croyances moyenâgeuses en l’existence d’hommes sauvages ou aux créatures mythologiques héritées de l’Antiquité. Par ailleurs, la distinction entre les grands singes n’est pas encore faite. Gorille, chimpanzé et orang-outan ont été signalés au tout début du XVIIe siècle, mais pendant longtemps encore, « on appellera orang-outan indifféremment le chimpanzé et l’orang-outan actuels. »[2]

Étrangement, c’est à un anatomiste de renom, le Hollandais, Nicolaas Claes Tulp (1593-1674), ci-dessus à l’oeuvre dans La leçon d’anatomie de Rembrandt, que l’on doit pour partie la survivance de cette confusion. Tulp eut pourtant une belle occasion de préciser la connaissance des différentes espèces : en 1632, il eut la chance de pouvoir examiner vivant puis de disséquer un chimpanzé venu d’Angola qui avait été placé dans la ménagerie du prince Frédéric-Henri d’Orange-Nassau, dans les environs de La Haye. Tulp en donna hélas une description certes historique, puisqu’il s’agit de la première description scientifique d’un anthropoïde, mais fort peu précise – identifiant au surplus l’animal dont il connaissait l’origine africaine à l’orang-outan indonésien, tout en le dénommant Satyre indien, se fiant à l’un des amis ayant vécu à Bornéo et imaginant que l’espèce qu’il lui décrivait était commune sous tous les tropiques.

Aux imprécisions des anatomistes s’ajoutèrent celles des illustrateurs. Ainsi, du dessin d’un « orang outang » que fit le médecin néerlandais Bontius en 1658, Thomas Huxley jugera plus tard qu’il ne montrait à voir « rien d’autre qu’une femme fort velue, assez belle, et avec des proportions et des pieds entièrement humains » (voir l’illustration dans cet article)[3]. Quant celle qui ornait l’ouvrage de Tulp Observationes Medicae (1641), ci dessous, elle est tellement ambiguë que l’on peut bel et bien y voir un orang-outang…

1699 est une date reconnue comme importante dans l’histoire de l’anatomie sinon de la science en général. Edward Tyson (1650-1708), réputé pour être le meilleur spécialiste anglais d’anatomie comparée, voire le fondateur de la discipline, publia cette année-là un ouvrage intitulé : L’Orang-outang, sive « homo sylvestris » : une étude comparée de l’anatomie d’un singe, d’un grand singe et de l’homme. Passons sur le fait que l’orang-outan en question était, une fois encore, un chimpanzé, confusion, on le voit, alors banale. L’épisode Tyson est intéressant, car c’est un bon exemple de construction d’une des ces « légendes dorées » qui émaillent l’histoire des sciences[4]. Stephen Jay Gould, qui n’aimait rien tant qu’inciter son lecteur à s’affranchir du filtre déformant des représentations modernes pour mieux décrypter les grandes heures de l’histoire de la biologie, a consacré son essai Le Montreur de singe[5] au cas Tyson. Son analyse montre que l’œuvre du médecin anglais a fait date, mais pas forcément pour les bonnes raisons.

Les commentateurs du traité de Tyson ont célébré son travail pour le modernisme de ses méthodes et de ses conclusions. Thomas Huxley, dans La place de l’Homme dans la nature (1863), rendit par exemple hommage au travail de Tyson, « premier compte rendu exhaustif sur un singe humanoïde, qui mérite notre intérêt pour sa précision scientifique ». Tyson dresse une liste de tous les caractères qui rapprochent son « pygmée » (c’est ainsi qu’il nomme son chimpanzé) soit des petits singes soit de l’homme. Il dénombre trente-quatre caractères pour les premiers et quarante-sept pour les seconds. Il en arrive à la conclusion que le chimpanzé a plus de ressemblances avec l’être humain qu’avec les singes, notamment dans la structure de son cerveau. L’existence d’une créature s’éloignant de tous les autres animaux connus et qui présentant bien des points de ressemblance avec l’homme est ainsi démontrée, et Tyson conclut que son « pygmée » est un être intermédiaire.

Si l’on peut reconnaître à Tyson le mérite d’anticiper Linné et l’invention des primates d’un demi-siècle, il serait faux d’en faire un précurseur de l’évolutionnisme, avertissent Albert et Jacqueline Ducros. Son œuvre « accroît les connaissances, mais sans bouleversement idéologique »[6]. Du reste, elle n’eut pas grand retentissement à l’époque, signe qu’elle ne défiait en rien le cadre conceptuel admis en son temps. Tyson s’en tient en effet fidèlement la description traditionnelle de la nature selon l’« échelle des êtres » et ne fait preuve d’aucun modernisme à cet effet. Il place son « pygmée » à mi-chemin entre d’autres primates et les êtres humains, mais sous une étiquette animale : « Notre pygmée présente de nombreux avantages sur ses congénères, et pourtant, je persiste à croire qu’il n’est qu’une sorte de singe, une simple brute ; comme le dit si bien le proverbe, un singe reste un singe, même s’il est vêtu. »

La minutie avec laquelle Tyson compare l’anatomie de son sujet avec celles de l’homme et des petits singes n’est, selon Gould, que la preuve flagrante de son conservatisme. Il écrit :

« De plus, l’utilisation de la méthode de l’anatomie comparée n’était pas la marque du modernisme éclairé de Tyson, c’était également l’expression de son attachement à la théorie de la chaîne du vivant. Si vous désirez accorder à un animal un statut intermédiaire entre le singe et l’homme, quel autre recours avez-vous que de dresser la liste des ressemblances de cet animal avec les représentants des deux groupes ? »[7]

Gould va plus loin. Outre son conservatisme, il relève chez Tyson quelques largesses avec les faits qui cadrent bien mal avec les louanges ultérieures qui seront adressées à sa méthode. Tyson insiste continuellement sur la position intermédiaire de son chimpanzé : « Notre pygmée, je le placerais dans une position intermédiaire entre celle de l’homme et celle du singe dans la grande chaîne de la création. » Mais pour en arriver à cette conclusion, il exagère, peut-être de toute bonne foi, les caractéristiques humaines de son « pygmée » et, écrit Gould, « donne simplement et systématiquement sa préférence à tout ce qui paraît plutôt humain, chaque fois qu’il existe une ambiguïté. » Cette pente glissante qui pousse à interpréter les faits à la faveur du résultat que l’on espère se lit aussi dans les croquis du chimpanzé exécutés par Tyson : le sujet est représenté debout, mais appuyé sur une canne (Tyson reprend en cela la figure de Breydenbach (voir première partie). Ayant vu son pygmée vivant, il justifie la canne en arguant de sa faiblesse et de sa difficulté à se tenir debout).

En fait de rigueur scientifique, le grand traité de 1699 se pose là. Mais Tyson, victime de la connaissance très lacunaire des grands singes, ne s’est pas rendu compte du très jeune âge de l’animal qu’il disséquait (un an). Aussi a-t-il été induit en erreur par la plus forte ressemblance des très jeunes chimpanzés avec notre propre espèce.[8]

À la fin du XVIIe siècle, l’existence des grands singes est donc connue, mais sans que les distinctions entre espèces soient très claires ni que leur place à côté de l’homme soit vraiment discutée. Le XVIIIe siècle sera celui de l’acceptation en tant que réalité scientifique des similitudes entre l’homme et les grands singes et de la discussion de leurs rapports par plusieurs anatomistes, naturalistes ou philosophes. La proximité de l’homme aux singes, d’abord descriptive et non généalogique, n’est alors acceptable que dans la mesure où l’on sépare l’âme du corps, mais elle posera rapidement question, ainsi que nous le verrons prochainement.. .

 


[1] On trouve dès 1555 des squelettes comparés de l’homme et de l’oiseau dans un ouvrage du naturaliste français Pierre Belon.

[2] Sous la direction de Pascal Picq et Yves Coppens, Aux origines de l’humanité t.2 ; le propre de l’homme, Paris, Fayard, 2001, p.38.

[3] Cité par R. Dawkins, Il était une fois nos ancêtres, Une histoire de l’évolution, Paris, Robert Laffont, 2007, p.149.

[4] A propos de ces phénomènes de distorsion de la postérité, voir les billets consacrés au légendaire débat d’Oxford et au non moins célèbre Procès Scopes.

[5] S. J. Gould, « Le montreur de singe », Le sourire du flamant rose, Seuil, Paris, Seuil, 1988.

[6] Sous la direction de Pascal Picq et Yves Coppens, Aux origines de l’humanité t.2 ; le propre de l’homme, Paris, Fayard, 2001, p.47.

[7] S. J. Gould, Le montreur de singe, in Le sourire du flamant rose, Seuil, Paris, Seuil, 1988 p.245.

[8] C’est une des illustrations classiques de la néoténie.

comme un poisson dans la gadoue (hs#22 MUDHONEY, Mudride)

Une lecture particulièrement attentive du titre vous aura sûrement alerté. Nous allons parler de boue. Des volcans de boue ? De bains de boue pour la peau ? De catch dans la boue ? Hmm, non. Simplement d’un animal aux conditions d’existence particulières, j’ai nommé le périophtalme, plus connu outre-Atlantique sous le sobriquet de mudskipper


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Pour introduire ce sujet vaseux dont le headbanging science raffole,  personne de mieux placé que Mudhoney. Ce pionnier du grunge, formé à Seattle en 1988, a sorti sur le mythique label Sub Pop un EP, Superfuzz Bigmuff, puis un premier album éponyme, deux fulgurances fondatrices du  genre qui restent aujourd’hui des chefs d’œuvre auprès desquels Nirvana fait pâle figure.

Les voici en 2007 dans un line-up remanié interprétant l’hypnotique Mudride ; ils ne sont pas fatigués, c’est juste le morceau qui est lent :

Take you down to the dirt

Drag you through the mud
Drag you through the mud
Got a trip for two on a one-way ride
I’ll take you anywhere, there’s no place to hide
Oh

… suinte le chanteur Mark Arm. C’est un peu le programme de ce qui va suivre. La ballade s’effectuant en compagnie d’un guide vraiment original, le périophtalme, ou mudskipper. Celui-là, on dirait que ça ne le gêne vraiment pas de marcher dans la boue :

Les mudskippers appartiennent à à une sous-famille très spécialistée dee gobies, les Oxudercinae, chez qui l’on dénombre 32 espèces, dont 18 du genre des Periophthalmus (le français ‘périophtalme’ faisant  l’économie d’un ‘h’).

Les capacités d’adaptation à une vie amphibie des périophtalmes leur ont valu l’attention des naturalistes dès le 17e siècle et de premières descriptions scientifiques dès le début du 18e siècle (dont certaines de la main de Cuvier). On les trouve un peu partout dans la bande des tropiques, où ils évoluent dans les écosystèmes de marais marins que constituent les mangroves.

Parmi les étranges caractéristiques des mudskippers figurent leur faculté de respirer hors de l’eau.

Comme les salamandres ou les grenouilles, ils disposent d’un système de respiration cutanée qui leur permet d’assimiler l’oxygène et d’évacuer le CO2 à travers la peau. D’autres échanges gazeux s’opèrent par la bouche et par la gorge, qui sont larges, humides et capillarisés, un peu comme des poumons. En aspirant de l’air, ils peuvent par ailleurs obturer leurs branchies grâce à des valves afin de les maintenir dans l’eau. Ces différents systèmes combinés sont tellement efficaces que certaines espèces ne peuvent plus vivre dans l’eau sans être obligées de respirer de l’air en surface, sous peine de suffoquer !

Aussi étonnant que cela puisse paraître, d’autres poisons ont mis en place des moyens encore plus sophistiqués que le mudskipper pour respirer hors de l’eau (l’excellent SSAFT vous propose un petit bol d’air en compagnie de ces poissons amphibies). Comme le résume Richard Dawkins dans le fous qu’il consacre au périophthalme dans Il était une fois nos ancêtres : une histoire de l’évolution, ce trait n’est donc pas si original que cela :

Le groupe des téléostéens comporte une telle diversité de morphologies et de comportements qu’il faut s’attendre à ce que certains rejouent des épisodes du parcours des poissons pulmonés et quittent l’eau pour la terre ferme.

D’un point de vue évolutif, les chercheurs estiment même que le mudskipper doit moins son succès à ses facultés de respiration qu’à des traits anatomiques, physiologiques et comportementaux particuliers, dont ses capacités de déplacement dans la boue (et quiconque s’est tapé un festival sous la pluie saura ce qu’il en est).

Il peut ainsi passer une bonne partie de son temps hors de l’eau à patauger dans la gadoue en rampant sur ses nageoires pectorales ou en effectuant des petits sauts : il est capable de sauter plus de 50 cm en arquant son corps latéralement puis en se redressant brutalement, ce qui lui vaut ses noms vernaculaires de mudskipper (« sauteur de vase »), « poisson-grenouille » ou poisson-kangourou ». Par ailleurs, il peut escalader les racines des arbres et creuse dans la vase des terriers (c’est une manie chez les gobies, ce sont un peu l’équivalent des chiens terriers chez les poissons), dans lesquels il continue à respirer… de l’air.

Ces aptitudes à la reptation, à la glissade et au saut dans la boue, combinées à une excellente vision panoramique et à des capacités auditives surprenantes hors de l’eau (il réagit à des bruits tels que le bourdonnement des mouches !), lui permettent d’échapper aux prédateurs ; cette vidéo le montre déambulant tranquillement parmi des pinces de crabe trop entreprenantes :

Parfois, hélas, il y a un lézard. Et ça se termine mal :

En dehors de ces problème de voisinage, le mudskipper a d’autres petits soucis à gérer. A commencer par la pollution de son milieu naturel la mangrove – à moins que ce ne soit du sadisme des chercheurs….

L’un deux s’est en effet efforcé de démontrer la toxicité du gasoil sur l’infortuné Periophthalmus koelreuteri en plongeant une poignée de représentants de cette espèce dans des récipients remplis de différentes fractions hydrosolubles de carburant et en observant les effets à 24, 48, 72 et 96h, parvenant sans coup férir à tuer une bonne partie de ses spécimens au bout du protocole, comme l’indique le tableau suivant :

La conclusion du chercheur est la suivante : bien que les mudskippers soient connus pour être amphibies et qu’ils aient la capacité de respirer à travers la peau et la doublure de la bouche et de la gorge, le taux de mortalité observé dans l’étude est une indication de l’obstruction de ces structures respiratoires par la présence du gasoil dans ses eaux saumâtres favorites. (Une autre hypothèse, selon moi, est qu’il a pris par mégarde des modèles essence…) (l’étude est consultable en ligne)

Il en déduit, fort justement, que des efforts doivent être entrepris pour protéger le précieux écosystème de la mangrove de la pollution par les hydrocarbures – en l’occurrence dans le Delta du Niger, mais on peut aussi faire un petit coucou à Deepwater Horizon et saluer le coup d’arrêt aux forages de Shell en Guyane où se trouve la plus grande barrière de mangrove du monde….

La morale de l’histoire du périophtalme, c’est qu’on a beau présenter tous les traits d’une parfaite adaptation au milieu, rien ne garantit la réussite à coup sûr. Mudhoney pourrait en témoigner. Car s’il existe un palmarès des cocus du rock, ce groupe y est sûrement en bonne place. Fondé sur les ruines de Green River (d’où seront issus des Pearl Jam…), il ne connut jamais le succès commercial et fut éclipsé par celui de Nirvana, accumulant des albums de moins en moins glorieux jusqu’à tomber dans l’oubli.

Aujourd’hui, Mudhoney (sur)vit toujours. Respirant avec peine quelque part dans le terrier boueux d’une niche musicale menacée. Peut-être Mark Arm s’est-il mis à l’aquariophilie.

 

Pour en savoir plus sur le mudskipper, le site de Gianluca Polgar(http://www.themudskipper.org/), un chercheur italien de l’Institute of Biological Sciences de Kuala Lumpur, en Malaisie, qui en a fait son principal sujet de recherche, et dont sont tirées certaines informations et illustrations de ce billet.

Une introduction (saccagée) à l’évolution (Carl Zimmer – insane lectures #10)

Que donne Une introduction à l’évolution du fameux Carl Zimmer ? En français, pas grand chose: des serpents à fourrure, des sapiens vieux de 20000 ans et une bonne indigestion qui fait verdir ce pauvre Darwin.

(insane lectures #10)

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Carl Zimmer fait partie des science writers qui comptent : il écrit sur la biologie et l’évolution pour de nombreux supports et tient un blog réputé, The Loom, hébergé par Discover, ainsi qu’un site qui a le bon goût de vous accueillir avec Megaloceros giganteus. Il est aussi auteur à succès d’ouvrages de vulgarisation dans une veine un peu catchy (les tatouages & la science, les parasites…).

Introduction à l’évolution : Ce merveilleux bricolage, paru chez De Boeck en mars 2012, est d’une autre trempe. Publié dans sa langue d’origine en 2010, c’est, comme son titre français l’indique, une introduction au cadre conceptuel de l’évolution. Soit, plus qu’un exposé historique de la naissance et de la diffusion de la théorie, dont regorgent déjà les librairies, une présentation abordable de ses principes essentiels et de ses grands mécanismes, illustrée par les études les plus récentes.

Inutile de dire que le programme est alléchant. Malheureusement, le résultat escompté n’est pas là – et ce pour deux catégories de raisons.

Commençons par les quelques défauts imputables à Carl Zimmer.

Son exposé historique de la théorie de l’évolution est faiblard (avec une mise en valeur incongrue de Wallace, et Malthus (encore et toujours) cité comme seule référence intellectuelle de Darwin, ce qui est pour le moins réducteur…), tout comme l’est celui de l’histoire de notre lignée. Carl Zimmer est heureusement bien plus à l’aise sur son domaine de prédilection, la biologie.

Pour ce qui est de la forme, il y a quelques bons trucs de vulgarisation, dont cette excellente idée de consacrer les débuts de chapitres au travail d’un chercheur spécifique, pas forcément connu, censé illustrer et servir de (mince) fil conducteur à la thématique du chapitre. Voilà un peu de chaleur dans un exposé par ailleurs assez froid.

Si le registre de langue convient à l’entreprise de vulgarisation, on peut tout de même lui reprocher l’abus de certaines facilités (« les tétrapodes étaient des animaux relativement informes » nous renseigne assez mal de leur aspect) et de faire un peu trop de la Nature un sujet (la plante fait ceci, l’animal fait cela pour évoluer).

Enfin, il est difficile de captiver le lecteur sur la durée avec des exemples souvent centrés sur des bactéries,  guêpes et autres lézards exotiques auxquels nous ne sommes même pas présentés (l’euplecte veuve-noire est un oiseau, figurez-vous).

 

Passons maintenant à ce qui ne doit rien à l’auteur.

L’éditeur, d’abord : De Boek, maison tournée vers l’enseignement, de la maternelle au secondaire, vers qui le lecteur amateur de vulgarisation se tournera d’autant moins spontanément qu’elle lui inflige en immonde couverture un Darwin verdâtre qui n’arrange pas les affaires d’un format qui tient déjà du manuel indigeste. Comparez avec la superbe (et intelligente) couverture originale :

On pourra également conseiller aux équipes éditoriales de prêter un peu plus d’attention aux textes qu’ils corrigent. Certaines coquilles ne prêtent pas à conséquence (l’année de publication de la théorie des équilibres ponctués par Gould et Elredge) ou peuvent faire sourire (le botaniste Hoover fait référence à J. Edgar ou à la marque d’aspirateur ? [il faut lire Hooker (1817 - 1911), l’ami cher de Darwin, qui fut en première ligne lors du débat d’Oxford]. D’autres sont plus fâcheuses, comme ces plus vieux fossiles de sapiens datés de 20 000 ans [il manque un 0]) en plein dans un résumé de chapitre.

Le titre, maintenant. Introduction à l’évolution… Whaou ! Non ? Heureusement que la bien peu originale référence à François Jacob du sous-titre, Ce merveilleux bricolage, relève légèrement le niveau.

Le titre anglais avait quand même une autre classe : The Tangled Bank: An Introduction to Evolution. Seulement voilà, The Tangled Bank, expression qui figure au tout début du dernier paragraphe de L’Origine des espèces, était presque impossible à traduire en français selon le traducteur.

C’est en partie vrai. Google traduit gaillardement en La Banque Tangled. L’extrait de L’Origine des espèces en frontispice, tiré du texte établi par Daniel Becquemont à partir de la traduction d’Edmond Barbier (Garnier-Flammarion, 1993) propose rivage luxuriant, ce qui, il est vrai, convient mieux à un catalogue d’agence de voyages. Quant à la nouvelle traduction d’Aurélien Berra (sous la direction scientifique de Patrick Tort et linguistique de Michel Prum, sortie chez Slatkine et chez Champion, malheureusement toujours ignorée des éditeurs ou des auteurs), son talus enchevêtré renvoie plus à une fiche de mission de la DDE.

Soit, passons, sur le titre. Hélas, c’est l’ensemble de la traduction qui semble desservir l’ouvrage de Zimmer.


Le traducteur, Bernard Swynghedauw, est Docteur en Médecine et travaille au Centre Cardiovasculaire de l’Hôpital Lariboisière. Déjà, il aurait pu traduire son propre nom. Par ailleurs, il n’est pas certain qu’il ait offert le pédigrée idéal pour ce type d’ouvrage. Voici pourquoi.

Assez souvent, le texte a tout du « traduidu », soit une traduction mot-à-mot relativement correcte, mais ne faisant aucun cas des contextes d’émission et de réception (style de l’auteur, public visé).

On lit ainsi ce type de phrases : « Les singes les plus proches, maintenant disparus, appartiennent au groupe des hominidés. » Voilà qui a le don de me plonger dans des abîmes de perplexité : fondamentalement, cela ne semble pas faux, mais, d’un autre côté, ça ne veut rien dire non plus…

On déniche également bon nombre de mots sonnant bizarrement, qui ont tout l’air d’anglicismes mal maîtrisés : des arbres « évolutionnistes » (pour « evolutionary tree », je suppose), prokaryotes (au lieu de procaryote), Triassique au lieu de Trias, ou encore le platypus à bec de canard (ouais, l’ornithorynque, quoi).

Par moment, cela confine vraiment au ridicule (à moins que des spécialistes aient l’amabilité de me contredire) : ainsi apprend-on des choses sur les « motifs de pelage éclatants des  serpents » ou  les doigts recouverts de plumes d’Acanthostega (un genre de tétrapode fossile, qui, sauf erreur, vivait dans l’eau…). On est également heureux d’apprendre que « les jeunes marsupiaux naissent en vie » (le sont-ils encore au moment de mourir ?), on partage volontiers l’émotion de Dart lorsqu’il « identifia le crâne d’un enfant avec des yeux regardant droit devant » (l’enfant de Taung, soit Australopithecus africanus) ou l’effroi du petit monde des paléontologues lorsqu’il fut « électrifié » par je ne sais plus quelle découverte.

Pinaillage ? Voire. À force de paragraphes conjuguant lourdeurs et bévues, on en vient à se méfier de tout ce que raconte l’auteur et à souhaiter que se conclue rapidement cette Introduction à l’évolution, qui s’avère bel et bien être un « talus enchevêtré ».

“L’homme descend du singe”: la dérive raciste (1)

Lorsque le singe désigne un autre homme : la dérive raciste de l’expression “l’homme descend du singe”

Cette série de 3 billets poursuit un travail sur l’expression “l’homme descend du singe” déjà évoqué sur le bLoug (à propos du procès du singe, du débat d’Oxford, ou encore de ce qu’en pensent les étudiants). En attendant un billet consacré à la Vénus Hottentote et un autre qui fait le point sur le prétendu racisme de Darwin, amusons-nous un peu des élucubrations classificatoires du médecin anglais Charles White.

Dr Charles White (1728-1813), fan d’échelles (Joseph Allen, 1809 © Manchester City Galleries).

 

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White, seul sur son échelle

Mais parfaitement, Monsieur, j’ai du sang noir ; mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre, et mon arrière-grand-père était un singe ! Vous voyez que nos deux familles ont la même filiation, mais pas dans le même sens !

Alexandre Dumas

Propos prêté à l’écrivain en réplique à quelqu’un ayant chuchoté à son passage : « On dit qu’il a beaucoup de sang noir »)[1]

 

 

Les idées de Darwin ont été déformées jusqu’au XXe siècle pour faire prévaloir l’idée que les peuples non européens, à commencer par les Africains, sont des « races » intermédiaires entre les grands singes et les Européens blancs, sur une échelle rectiligne qui va des formes animales les moins évoluées aux plus perfectionnées. Ce dévoiement a souvent été mis en avant pour discréditer le darwinisme lui-même. Il procède d’un préjugé racial généralisé fortement ancré qui recouvre l’histoire, pré-évolutionniste, de la découverte des grands singes (dont nous avons raconté les prémisses dans un étrange air de famille). Il découle également d’un contresens radical des mécanismes décrits par Darwin car il enfreint un principe fondamental de l’évolution : deux cousins sont toujours liés exactement au même degré à tout groupe extérieur, puisqu’ils lui sont liés par un ancêtre commun.

La grande confusion qui préside à la découverte et à l’identification des grands singes ne tient pas aux seuls tours que peuvent nous jouer la mémoire ou l’imagination. Le fait que l’on confonde allègrement les singes entre eux et les singes aux humains qui vivent auprès d’eux doit aussi beaucoup au racisme le plus basique. Comme le souligne Richard Dawkins :

« Les premiers explorateurs blancs en Afrique voyaient dans les chimpanzés et les gorilles des parents proches des humains noirs seulement, et pas d’eux-mêmes. »[2]

L’”Ourang Outang” de Bontius (Historiae naturalis et medicae Indiae orientalis, 1658, publication posthume)

La confusion est à l’œuvre avec la dissection du chimpanzé par Tyson en 1699 (un prochain article lui sera consacré). Son « pygmée », qu’il dessine marchant debout avec une canne à la main, reprend la terminologie de Homère et Hérodote qui évoquaient une race légendaire de très petits humains – le mot pygmée va rester pour désigner des humains de petite taille. La porosité entre hommes (de couleur) et grands singes n’est pas que physiologique, elle est aussi comportementale. Bontius, à qui l’on doit la première représentation d’un orang-outan, affirme, reprenant une antienne du racisme colonial, que :

« Selon les Javanais, les orangs asiatiques tant mâles que femelles sont parfaitement capables de parler, mais qu’ils s’en gardent bien de peur qu’on ne les force à travailler. »[3]

Le schéma raciste type de l’humanité est inscrit dans une vision fermement antiévolutionniste du vivant, celle de l’échelle des êtres. La Gradation linéaire de la chaîne des êtres du médecin et chirurgien anglais Charles White (1728-1813) en est un exemple édifiant. Dans cet ouvrage de 1799, il cherche à ordonner en une progression graduelle et linéaire les différents représentants du monde vivant en y incluant les différentes races d’homme.

La chaine des êtres, selon White. La “progression” des races humaines jusqu’à l’idéal de la statuaire grecque part de la bécassine et passe part le singe, le “Nègre” ou le “Sauvage Américain”.Asiatique.

Dans son essai « Tous unis par la longue chaîne du vivant », Stephen Jay Gould s’est attaché à décortiquer comment White s’y est pris « pour construire une chaîne unique, alors que la nature nous met sous les yeux tant de variété si peu hiérarchisée ».[4] Pour parvenir à ses fins, le médecin anglais cherche à rehausser le singe tout en rabaissant des catégories d’hommes jugées inférieures, de façon à pouvoir combler les vides importants qui séparent les échelons simiesques et humains. Quand il ne se contente pas d’inventer, White interprète certains comportements relevés chez les singes de façon très anthropocentriques. Il prétend ainsi que les babouins placent des « sentinelles chargées de veiller sur le sommeil du troupeau pendant la nuit » ou que les orangs-outangs « ont la réputation de se laisser saigner quand ils sont malades et même de solliciter cette opération. »[5]

De façon à pouvoir établir une échelle linéaire des races qui assure une position prééminente aux blancs, White se livre pendant une centaine de pages de comparaisons à ce que Gould qualifie de « lutte intellectuelle épuisante » consistant à faire entre de force des données peu malléables dans un schéma prédéfini.

Le problème pour White est évidemment que les variations qu’il relève ne vont pas toujours dans le même sens. Il n’a donc d’autre choix pour sauver son système que de créer des regroupements de caractéristiques selon qu’elles lui donnent tort ou raison. La première catégorie de traits bâtie par White regroupe « des caractéristiques de grande valeur, dont les Blancs sont abondamment pourvus, les Noirs un peu moins, et les animaux moins encore », explique Gould, hiérarchie qui, on s’en doute, convient tout à fait à son entreprise. Il fonde sa catégorie sur une série de mensurations de signification pour le moins douteuses telle que la taille du cerveau. La deuxième catégorie comprend des caractéristiques toujours « de grande valeur » dont les Noirs sont cette fois mieux pourvus que les Blancs -  à son grand désarroi -, si bien qu’il se voit obligé de renverser sa séquence en trouvant des exemples d’animaux mieux encore dotés que les Noirs. Parmi ces traits, la transpiration. White estime que :

« Les nègres transpirent beaucoup moins que les Européens ; à peine aperçoit-on de temps en temps une goutte de sueur sur leur peau. Les Simiens suent moins encore et les chiens pas du tout. »[6]

Dans le même ordre d’idées, les menstruations des femmes noires sont moins abondantes que celles des femmes blanches, mais, fort opportunément pour White, « chez les singes femelles, les saignements sont très réduits, ou même totalement absents. »[7] Pour la mémoire, ce sont les éléphants, qui n’oublient jamais, qui lui sauvent la mise.

La troisième catégorie comporte des caractéristiques qui embarrassent White, car, que ce soit dans un sens ou dans l’autre, il n’est pas moyen de respecter la séquence animal – blanc – noir. Ainsi du système pileux, plus abondant chez les Blancs que chez les Noirs, mais moins, évidemment que chez les animaux. Qu’à cela ne tienne, White en tire que seuls les animaux de la plus noble espèce ont été dotés par Dieu d’une parure : la crinière du lion, celle du cheval, et la chevelure de l’homme blanc.

La dernière catégorie, celle des caractéristiques dites « bestiales », présente une incohérence du même ordre, mais en sens inverse : les Noirs sont mieux pourvus que les Blancs, mais les animaux sont les plus démunis. White ne peut se dépêtrer des faits autrement qu’en les écartant purement et simplement, comme l’explique Gould :

« Un exemple : les hommes noirs ont des pénis plus grands que les blancs tandis que les femmes noires ont des poitrines plus fortes – signes évidents d’une sexualité indécente et non maîtrisée. Mais les pénis des singes mâles et les poitrines des singes femelles sont plus petits que ceux de n’importe quel groupe d’êtres humains. White ne trouva aucune solution satisfaisante à ce problème ; il se contenta de le contourner, sans omettre en passant que, tout compte fait, les femmes noires et les singes avaient les mamelons les plus gros ! »[8]

L’argumentation de White finit par s’écrouler d’elle-même, l’auteur ne pouvant s’en sortir qu’avec des critères subjectifs d’esthétisme. Pour ridicule qu’elle puisse nous apparaître – en particulier à travers la lecture de l’essai de Gould, qu’on a connu moins dur avec ses sujets –, la démarche de White n’en est pas moins exemplaire d’une longue tradition de dévalorisation des races non blanches au moyen d’une comparaison systématique aux grands singes. C’est dans cette tradition que s’inscrivent les théories ultérieures, dont les méthodes de comparaison se font plus scientifiques et embrassent la perspective évolutionniste, mais reposent sur le même préjugé sous-jacent, comme nous le verrons dans un prochain billet

 


[1] Cité par Claude Schopp, biographe et responsable des éditions critiques de Dumas, http://next.liberation.fr/culture/0101619448-ses-cheveux-sentent-le-negre, 15 février 2010, consulté le 16 mai 2011

[2] R. Dawkins, Il était une fois nos ancêtres, Une histoire de l’évolution, Robert Laffont, 2007, p.148.

[3] Cité par P. Picq et Y. Coppens (Dir.), Aux origines de l’humanité t.2 ; le propre de l’homme, Paris, Fayard, 2001, p.56.

[4] S. J. Gould, « Tous unis par la grande chaîne », in Le sourire du flamant rose, Paris, Seuil, 1988, p.259.

[5] Ibid. p.260.

[6] Ibid., p.262.

[7] Id.

[8] Ibid., p.263.