Hendrix jouait comme une marmotte (hs#19 JIMI HENDRIX, Star spangled banner)

Une fois n’est pas coutume, le thème de ce 19e headbanging science m’est tombé dessus alors que je cherchais des sujets journalistiques tout à fait sérieux. Les lecteurs fidèles (hmm ?) savent bien que le bLoug s’ingénie habituellement à traduire les gémissements ineptes de ses musiciens préférés en un exposé scientifique qui, quoique brillant, n’en reste pas moins tiré par les cheveux. Cette fois, les chercheurs se sont eux-mêmes livrés à cet exercice de haute voltige, convoquant pêle-mêle Jimi Hendrix, Psychose, Darwin, du growl… et des marmottes ! Et surtout des pratiques de communication questionnables.

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Il n’est pas question de n’importe quel Hendrix, mais de sa version instrumentale toute en agressions sonores de The Star-Spangled Banner (La Bannière étoilée), poème écrit en 1814 par Francis Scott Key qui constitue depuis 1931 l’hymne national des États-Unis. Jouée pour la première fois à Atlanta, la version hendrixienne est entrée dans l’histoire du rock à Woodstock, en 1969. A coups de vibrato et de guitare saturée, le guitariste dénonce le sifflement des bombes et les rafales meurtrières qui ensanglantent le Vietnam :

Pourquoi cette musique, à l’instar des violons de Bernard Herrmann dans le Psychose d’Hitchcock, nous remue-t-elle autant ? Parce qu’elle fait mal aux dents ? Certes. Mais il y a plus que cela. Du moins selon la fine équipe du Département d’Écologie et de Biologie Évolutive de l’UCLA, qui publie les résultats d’une étude intitulée The sound of arousal in music is context-dependent (Biology Letters, juin 2012).

Leur conclusion est en substance la suivante :

Si la musique discordante est si évocatrice pour l’être humain, c’est qu’elle met en jeu des mécanismes proches des cris de détresse de certains animaux. En d’autres termes, la façon dont Hendrix maltraite ses cordes captive votre attention et suscite votre excitation aussi bien qu’une marmotte en détresse dans les serres d’un aigle.

debout, tas de marmottes !

C’est rudement poétique, dites-moi. Mais est-ce bien scientifique ? (Vous vous êtes peut-être déjà fait avoir avec le coup de la marmotte qui, soi-disant, emballe le chocolat chez Milka.)

Bon, la marmotte (ici à ventre jaune, Marmota flaviventris) pousse bien des cris d’alerte, comme les suricates (Suricata suricata) ou les toupayes (Tupaia belangeri). Ca ressemble grossièrement au couinement d’un canard en plastique.

Daniel Blumstein, qui a dirigé l’étude, s’y entend plutôt bien en marmottes. C’est un spécialiste du comportement animal (il est éditeur de la revue Animal Behaviour), et plus spécifiquement de celui de la marmotte face aux prédateurs, et l’animal occupe une bonne place parmi les thèmes de recherche de son laboratoire (l’étude dont il est question s’inscrit dans une thématique spécifique sur la peur suscitée par certains bruits et certaines odeurs).

le site très tendance marmotte de Daniel Blumstein

Bien, mais qu’en est-il de l’étude ? A-t-on fait écouter Jimi Hendrix à des marmottes ?

Pas vraiment. Et comme bien souvent avec les annonces un rien tapageuses,  l’enthousiasme retombe d’un cran à la lecture de la publication.

Un mot de la méthode d’abord. L’équipe de Blumstein a composé pour l’occasion une série de pièces sonores de 10s, avec des variantes comportant des bruits ou de brusques ruptures de cadence au milieu. Ces sons ont été présentés de façon aléatoire à 42 étudiants, chargés de les noter sur une double échelle d’excitation et de valence (i.e. de sensation, négative ou positive). Une deuxième expérience identique à la première ajoutait le visionnage simultané de vidéos banales (une personne s’assoit et boit un café, par exemple).

Voyons maintenant les résultats. Selon Daniel Blumstein, ils suggèrent que certaines musiques présentant des non-linéarités stimulent nos sens (excitation et tristesse). Mais que ces réponses émotives sont atténuées lorsque l’image est présente. Le contexte de réception influence donc notre réception. Fort bien. Et c’est tout ?

Eh bien oui. Le rapport avec les marmottes n’est qu’une spéculation à partir de ce résultat sur les conditions de réception de la musique. Les chercheurs pensent qu’écouter une musique présentant des distorsions est similaire au fait d’entendre des cris de détresse des animaux, car ceux-ci distordent leur voix… un peu comme les hommes – et les guitaristes – peuvent distordre les sons. Aucun fait ne vient étayer cette extrapolation.

mais la marmotte peut-elle imiter Hendrix, elle ?

Comment expliquer le hiatus entre ce banal résultat et les annonces qui en sont faites ? Je vois deux catégories d’explications.

La première tient aux pratiques de communication, de plus en plus polluées par les accroches vendeuses et les raccourcis audacieux, déconnectés de l’objet de recherche. Quitte à engendrer un grand n’importe quoi. Comme pour cette publication, reprise de façon très différente d’un média à l’autre, selon qu’était privilégié l’angle Hendrix ou l’angle Hitchcok, ou simplement selon ce qu’avait envie de dire l’auteur sur la musique – la palme revenant à un blog du LA Weekly titrant : Voici la preuve scientifique que le dubstep vous donne envie de tuer des gens.

Les chercheurs fournissant les munitions, il faut ici pointer du doigt la responsabilité de Daniel Blumstein. Il est bien possible, en effet, que sa passion de la marmotte le conduise parfois un peu trop loin, si l’on en juge, par exemple, par cet  article de sa plume publié sur Wired intitulé : les enseignements des marmottes sur le terrorisme (thématique plus sérieusement abordée dans un ouvrage collectif intitulé : Sécurité nationale : une approche darwinienne d’un monde dangereux).

quelque part, en Afghanistan...

Seconde catégorie d’explication, qui est une déclinaison de la première, la mode consistant à interpréter tout et n’importe quoi à l’aune de la théorie de l’évolution. Que l’on retrouve dans la littérature (cf. la dérive éditoriale de Pascal Picq, appliquant Darwin au monde de l’entreprise après s’être emparé de la politique). Mais aussi dans les communiqués de presse, qui semblent s’être donné pour mot d’ordre de relier les publications à l’histoire de la lignée humaine au moindre prétexte vaseux.

Comme l’a annoncé l’un des auteurs de l’étude : « Cette étude permet de comprendre pourquoi la distorsion du rock’n'roll excite les gens : elle révèle l’animal qui est en nous. » Mouais. Ben le headbanging science fait ça aussi. Et le fera bientôt en vous parlant du growl, mentionné dans l’introduction, mais que je réserve pour un prochain numéro (patience Jérôme !).

 

peut-on prédire un tube ? (hs#16: LCD SOUNDSYSTEM, You Wanted A Hit)

Allez, place à la grande musique, après le crincrin de criquets de Machine Head. Ceci, dit, on reste un peu dans les machines, puisqu’il va être question d’électro, d’apprentissage automatique et de prédictibilité. Mais avant toute chose, remuons notre popotin avec You Wanted A Hit, extrait de This Is Happening, troisième et a priori dernier album de LCD Soundsystem.

Le titre n’ayant pas eu la grâce d’un clip, au contraire du single Drunk Girls assez inécoutable (quelle logique…), il faut se rabattre sur des prises de concert au son et/ou image pourris. Heureusement, le bLoug a déniché celle-ci, intimiste et correcte, qui donne à voir danser le public, incontestable preuve qu’on a bien affaire à un hit :

« Ce qui rend la musique d’aujourd’hui prévisible, ce ne sont pas les fans, mais ceux qui croient savoir ce que veulent les fans », déclarait James Murphy, tête dansante de LCD (Les inrockuptibles, 26 mai 2010). Un coup de griffe à l’industrie musicale qui constitue le sujet de You Wanted A Hit :

You wanted a hit
But maybe we don’t do hits
I try and try
It ends up feeling kind of wrong

… chante Murphy, qui, en tant que producteur, DJ et co-fondateur de DFA Records (label punk-dance des Raptures qui, soit dit en passant, auraient eu les honneurs de ce headbanging science s’ils avaient daigné écrire des paroles de plus de deux lignes – foutus feignants), s’y entend un peu en matière de hits.

James Murphy vu par Luz dans Claudiquant sur le dancefloor (Hoëbecke, 2005)

Seulement voilà, en se défendant de pouvoir pondre des hits à la demande, M Murphy ment effrontément. You Wanted A Hit, morceau qui clame l’impossibilité d’une écriture sur commande, prouve exactement l’inverse puisqu’il est précisément le hit de l’album, identifiable dès la première écoute.

La question est donc posée : coup de bol ou maîtrise quasi scientifique quoique dissimulée de l’exercice ?

 

[interlude]

Avant de passer aux choses sérieuses, et avant que les true headbangers décrochent, un jeu : cet artiste tient-il un hit en puissance. Votez au 666. Enjoy et bisous à Fred :


 

Larmes fatales V

Il y a bien des ficelles pour écrire un hit. Un cas récent nous a par exemple appris comment relancer l’action de Kleenex.

Avant de partir en retraite anticipée avec ses Grammy sous le bras, la pleureuse chanteuse britannique Adèle a fait l’objet de l’attention frissonnante de psychologues et de neurologues encore tout retournés par Someone like you. Et il se trouve que Adèle a bel et bien un truc, comme l’a expliqué un article du Wall Street Journal.

Il s’agirait d’une appoggiature, c’est-à-dire une note ornementale, juste au-dessus ou juste en dessous de celle qu’il serait logique d’entendre, qui heurte assez la mélodie pour créer un son dissonant. L’enchaînement de ces appoggiatures engendre un cycle de tensions / relâchements qui pourrait nous attendrir au point de nous faire pleurer. Le psychologue Martin Guhn (Université de Colombie Britannique) explique la chose ainsi : « Lorsque les notes retournent à la mélodie anticipée, la tension redescend, et c’est agréable » (quand ça s’arrête complètement aussi, pourrait-on ajouter).

La cause et l’effet sont magnifiquement illustrés sur cette même douloureuse image :

 

Tout cela est-il aussi simple ? La théorie de l’appogiature est basée sur une étude maintenant ancienne menée par le psychologue britannique John Sloboda, dont les méthodes et les conclusions sont aujourd’hui critiquées par Isaac Schankler, musicien et chercheur au Music Computation and Cognition laboratory (University of South California). En résumé, toutes les personnes écoutant une même chanson n’ont pas forcément la même réaction et toutes les appogiatures, omniprésentes dans toute la musique occidentale, sont loin de déclencher un quelconque effet. Autrement dit, pour Schankler :

« il y a quelque chose de plus complexe qu’une réaction biologique solidement établie (…) : un réseau de facteurs culturels et personnels. Pour faire simple, cela nous montre que nos réponses émotionnelles face à la musique sont apprises. »

 

Hit Song Science, cash machine ?

Ignorant cette complexité pourtant évidente, un petit pan de la recherche (la communauté MIR (Music Information Retrieval), dont le champ d’études est la recherche d’information musicale), se demande depuis une dizaine d’années si la science est capable de prédire un hit sur la base de caractéristiques sonores identifiables et mesurables. Et plus précisément, ce que vaut le business initié par l’entreprise barcelonaise Polyphonic HMI avec son logiciel Hit Song Science. Ses promoteurs ont affirmé que les techniques d’apprentissage automatique étaient susceptibles d’expliquer la popularité d’un morceau en extrayant de l’information des signaux sonores et des paroles. D’autres études se sont empressées de nier tout lien automatique entre succès et caractéristiques sonores, mettant en avant d’autres catégories de facteurs explicatifs, tels que la popularité de l’artiste et son lien à l’auditeur.

La nature éminemment vénale de l’entreprise, sous couvert de démocratisation de la musique (principe stupide dont nous subissons les agressions vocales à longueur de programmes télé), laissait à penser que l’affaire était réglée sur le plan scientifique et la Hit Song Science oubliée.

C’était sans compter sur les remix récents de deux études de nature très différente.

 

Play (H)it again Sam

Le Dr Tijl de Bie, professeur associé en Intelligence Artificielle à l’Université de Bristol, s’est penché sur le hit-parade anglais des 40 titres les plus populaires sur les 50 dernières années (ce qui demande un courage certain). À partir de différentes caractéristiques musicales plus ou moins subjectives, il a échafaudé une équation permettant de scorer chaque titre. Ce scoring fonctionne avec une précision de 60% pour classer un titre comme “tube” (dans le top 5 anglais). Pour plus d’explications sur la méthodologie et sur les résultats, voir La science sous ScoreAHit :  ainsi que le CP de l’Université de Bristol.

Au-delà de la fiabilité très relative de l’outil (la précision varie en plus dans le temps), on peut s’amuser des contradictions internes de la démarche, le chercheur reconnaissant lui-même que son équation aura besoin d’évoluer à mesure que changent les goûts musicaux… En d’autres termes, elle sera toujours capable de déterminer des tubes a posteriori, en regardant les charts, mais aura beaucoup de mal à anticiper quoi que ce soit, bien que le site où sont présentés les résultats se risque à quelques paris sur l’avenir (« potential hits »). Si c’était pour en arriver là, il y avait plus simple, comme l’a bien compris la presse musicale française : pour savoir si ça va être un tube, il suffit de lire la presse musicale anglaise. Autre travers, l’impasse forcée sur les paramètres non musicaux, pourtant déterminants dans le succès. Il est ainsi étrange que Michael Jackson figure dans la catégorie des « hits inattendus » avec le titre Man in the mirror, devenu un hit… après la mort du chanteur, ce qui n’a rien de très inattendu et incite à penser qu’un critère “chanteur décédé” enrichirait utilement l’équation.

Malgré ces faiblesses, la démarche a au moins un mérite, celui de réussir là où toutes les conversation de comptoir sont condamnées à échouer : démontrer, faits « scientifiques » à l’appui, que c’était mieux avant. L’auteur indique ainsi :

Around 1980 it was particularly difficult to predict hits. In the first half of the nineties and from the year 2000 the equation performed best. This suggests that the late seventies and early eighties were particularly creative and innovative periods of pop music.

Et toc.

 

Mais qu’est-ce qu’ils ont dans le crâne ?

L’étude parue dans le Journal of Consumer Psychology est d’une tout autre nature. Son auteur, Gregory S. Berns, un neuroéconomiste qui s’intéresse aux bases neurologiques de la créativité, pense « avoir scientifiquement démontré que l’on peut, dans une certaine mesure, utiliser la neuro imagerie dans un groupe de personnes pour prédire la popularité culturelle. » (l’étude es consultable ici)

Et voici le résultat en image :

Régions du cerveau corrélées positivement à l’appréciation des hits : : cuneus, cortex orbitofrontal et striatum ventral

Tout part d’une étude réalisée précédemment par son laboratoire auprès de 27 jeunes de 12 à 17 ans à qui l’on a fait écouter 120 chansons issues de MySpace, de musiciens alors inconnus. Les sujets devaient noter les morceaux de 1 à 5 et leurs réactions neurologiques étaient enregistrées. À ce stade, c’est la pression de l’opinion des pairs qui intéresse le chercheur. Mais trois ans plus tard, alors qu’il regarde American Idol avec ses filles (hem…), il reconnaît un des morceaux utilisés dans son étude, devenu entre-temps un succès. Il décide alors de reconsidérer ses données en se posant une tout autre question : peut-on prévoir les hits en examinant l’image du cerveau des auditeurs ?

Berns parvient à établir une corrélation entre chiffres de ventes des morceaux et réponse du cerveau à leur écoute. Mais il reconnaît aussi les limites de son étude (nombre de sujets, choix des morceaux…) et se défend d’avoir trouvé la formule gagnante : la réponse observée n’explique qu’un tiers de morceaux qui vont se vendre à plus de 20 000 unités. Cela marche mieux avec les flops : 90% des titres qui n’entraînent qu’une faible réponse se vendent à moins de 20 000 exemplaires.

Cela marche en tout cas mieux que le système subjectif de notation de 1 à 5 par les auditeurs, qui se révèle complètement déconnecté des chiffres de ventes réels. On n’a donc toujours pas l’équation miracle pour prédire un hit, mais bien la démonstration que le public ferait mieux d’écouter sa cervelle que ce que la pression des pairs lui recommande d’apprécier.

Ce qui nous pousse à corriger James Murphy : ce qui rend la musique d’aujourd’hui prévisible, ce ne sont pas seulement ceux qui croient savoir ce que veulent les fans mais aussi les fans eux-mêmes. Et en tout cas sûrement pas le headbanging science du bLoug !

You Wanted A Hit – lyrics (James Murphy & Al Doyle)
You wanted a hit
But maybe we don’t do hits
I try and try
It ends up feeling kind of wrong
You wanted it tough
But is it ever tough enough?
No, nothing’s ever tough enough
Until we hit the road
Yeah, you wanted it lush
But honestly you must hush
No honestly you know too much
So leave us, leave us on our own
And so you wanted a hit
Well, this is how we do hits
You wanted the hit
But that’s not what we do
You wanted it real
But can you tell me what’s real?
There’s lights and sounds and stories
Music’s just a part
Yeah, you wanted the truth
And then you said you want proof
I guess you’re used to liars
Saying what they want
And we won’t be your babies anymore
We won’t be your babies anymore
We won’t be your babies
‘Til you take us home
No, we won’t be your babies anymore
We won’t be your babies anymore
We can’t be your babies
‘Til you take us home
Yeah, you wanted it smart
But honestly I’m not smart
No, honestly we’re never smart
We fake it, fake it all the time
Yeah, you wanted the time
But maybe I can’t do time
Oh, we both know that’s an awful line
But it doesn’t make it wrong
You wanted it right
No out of mind and out of sight
No dirty bus and early flight
No seven days and forty nights
Yeah, you wanted a hit
But tell me where’s the point in it?
You wanted the hit
But that’s not what we do
And we won’t be your babies anymore
We won’t be your babies anymore
We won’t be your babies
‘Til you take us home
No, we won’t be your babies anymore
We won’t be your babies anymore
We can’t be your babies
‘Til you take us home

éloge du X (hs#14: GENERATION X, Your Generation)

Le jeune, cet inconnu. Le mois de janvier 2012 nous a abreuvés de questions existentielles à son sujet: la “génération Y”, celle des moins de 30 ans, est-elle molle du genou ? Pourquoi les Y irritent-ils leurs aînés en entreprise ? Croient-ils vraiment, ces Y, que si à 30 ans ils ne figurent pas dans la TweetList de Nadine Morano ils auront raté leur vie ?

Derrière toutes ces palpitantes interrogations, un bouquin, évidemment. Celui consacré à cette fameuse “génération Y”, co-écrit et co-vendu par Myriam Levain et Julia Tissier (La génération Y par elle-même, François Bourin), avec le concours de quelques sondages bienvenus pour caler l’affaire entre deux grands pourcentages-vérité définitifs.

Soit. Mais et la génération X alors ? Plus personne n’en parle ? Tout le monde s’en fout, il n’y en a plus que pour les Y, c’est ça ? Heureusement que le headbanging science du bLoug veille au grain. Histoire de recadrer le débat, écoutons-les, les Generation X, les vrais, ceux de Billy Idol et de son groupe de mignons keupons britons. Le titre est bien trouvé, en plus: Your Generation (1978)…

 

 

l’Idol des jeunes, né sous X

Vous avez certainement lu ici ou là que la génération X désigne grosso modo les gens nés entre 1961 et 1981 (les dates peuvent varier). Et que l’expression a été popularisée par le livre Generations des sociologues William Strauss et Neil Howe, paru en 1991…

Mais vous aurez également noté deux choses. D’abord que notre jeune Billy Idol peroxydé crache sa rébellion adolescente à la face d’une autre génération que la sienne… “Your” generation : celle des parents. Ensuite que lui-même, en bon natif de 1955 (soupir), n’est qu’un foutu baby-boomer et pas un X…. Il y aurait donc eu des X bien avant les X… C’est quoi ce foutoir ?

 

Et bien oui. Les punks ne connaissent peut-être pas leur alphabet jusqu’au bout, mais, en l’occurrence, le concept de génération X est effectivement né après-guerre. Il ne désignait initialement pas la génération des baby-boomers mais bien celle d’avant ! C’est le photographe Robert Capa qui l’utilise en 1953 pour une série de portraits de jeunes gens nés durant la guerre. Le terme traverse ensuite les années 1960 et 70 en désignant différentes sous-cultures prolos spécifiquement anglaises: rockers, mods, puis punks. C’est du reste le titre d’un ouvrage sur le sujet (Generation X, de Jane Deverson et Charles Hamblett, 1965) qui trainait sur la table de nuit de maman Idol et aurait inspiré sa progéniture pour le nom de son groupe.

Puis vint 1991. L’ouvrage de Strauss et Howe, Generations, donc. Mais aussi le best-seller du Canadien Douglas Coupland, Generation X: Tales for an Accelerated Culture. Et Nirvana, Nevermind. Secouez, servez: la Generation X est (re)née. Elle change encore d’objet en passant et désigne désormais les gens nés dans les années 1960 et 70. Elle s’impose à la place du “13e génération” de Strauss et Howard (la treizième à connaître le drapeau américain – comme si cela pouvait constituer une identité) ou du “baby bust”, comme on l’appelait jusqu’alors en raison de la baisse des naissances.

 

X-men, le retour

La génération Y en a marre d’être caricaturée depuis 15 ans ? Qu’elle se rassure, la X, cette bande de slackers, en a vu d’autres : angoissée de naissance, incapable de réaliser quoi que ce soit, vivant dans l’insécurité permanente, obligée de racheter tous ses disques lors de l’arrivée du CD … c’était soi-disant la génération de la lose, celle des trente foireuses…

Seulement voilà, la plupart des membres de cette génération sont aujourd’hui des adultes « normaux », qui travaillent, s’occupent de leur famille et mènent des vies « actives, équilibrées et heureuses », selon Jon Miller, directeur du projet LSAY (Longitudinal Study of American Youth), vaste étude américaine menée pendant 20 ans auprès de 4000 rejetons X, aujourd’hui âgés de 36 à 39 ans[1]. Malgré les mutations traumatisantes de l’économie, Miller relève que les X ont, pour la plupart (il y a des Kurt Cobain), su faire preuve de résilience et « réussi à survivre et à prospérer » dans un genre d’environnement nouveau, basé sur l’information. L’idée qu’ils allaient se rater dans les grandes largeurs et ne pas faire aussi bien que les bienheureux baby-boomers fait donc long feu  De même, l’idée qu’ils grandiraient déconnectés et isolés – ce qui n’est pas sans nous rappeler les craintes nourries aujourd’hui à l’égard des Y. Les voilà en fait actifs dans leurs communautés (y compris sur internet !), satisfaits de leurs jobs, et arrivant par-dessus le marché à concilier travail, famille et loisirs.

 

 

Et les Y ? Business as usual

Cette réhabilitation des X profite aussi aux Y.

A contre courant des idées reçues, certaines études montrent qu’au-delà des différences somme toute naturelles liées à l’âge, les points communs entre générations sont plus nombreux qu’on veut bien le dire.

Y compris dans le monde du travail, lieu supposé de tous les antagonismes. C’est par exemple ce que pense Jean Pralong, auteur d’une étude auprès de 600 cadres. Pour lui, les trois générations qui travaillent ensemble ont des visions assez proches du monde de l’entreprise :

L’étude a montré que la génération Y n’existe pas. Les cadres qui ont entre 20 et 45 ans ont la même posture par rapport au travail et à la carrière. Ils partagent l’intérêt de l’opportunisme, l’idée que l’entreprise ne fera pas leur carrière, et qu’ils doivent donc s’en charger, que les collègues sont des gens sympathiques, mais dont il faut se méfier… Ils se distinguent également par des attentes assez fortes envers leurs managers, mais là encore, en se méfiant de cette relation de contrôle et de supervision. Et de manière sous-jacente, on s’aperçoit qu’ils sont aussi très inquiets par rapport au marché du travail et au chômage. Même s’ils sont cadres et en CDI, ils ont conscience que l’emploi est une notion précaire.

 

Génération: ingrédients et positions

On l’aura compris avec ce cas d’école, les générations X, Y ou Z sont essentiellement des étiquettes, qui font partie de l’argument de vente des marketeurs, des RH, des formateurs et des consultants.Étiquettes n’avaient deux défauts majeurs.

1) La réduction: en croquant le profil type d’une génération, les manieurs de tendances la restreignent à deux ou trois grands traits, pas forcément structurants : les technologies qu’elle utilise, le marché du travail dans lequel elle évolue…

2) Le grossissement: ils mettent d’autre part l’accent sur ce qui sépare la génération émergente de ses devancières, généralement sur le mode du « c’était mieux avant ».

 

Est-ce à dire que le concept même de génération est à rejeter ? [3] Non. Mais il est simplement difficile à définir. Donc à observer. Pour Raphaël Wintrebert, Fondateur de l’Observatoire Jeunes & Travail [2], il est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté des chercheurs, au sein de laquelle il existe 3 positions :

  1. ceux qui rejettent totalement l’idée de génération au plan scientifique en la reléguant au rang des « facilités de langage ». Il n’y aurait pas assez de preuves empiriques pour affirmer avec certitude que les générations développent des caractéristiques particulières.
  2. ceux qui en font un facteur sociologique explicatif au même titre, par exemple, que le concept de classe sociale ;
  3. ceux qui ne la jugent pertinente que dans certains pays et pour certaines époques, bref dans certains contextes bien particuliers.

Wintrebert enfonce le clou à propos de la génération Y :

L’expression « génération Y » est donc pour l’heure exclusivement employée par les praticiens et par les experts qui s’adressent (c’est-à-dire qui sont en relation commerciale) à ces praticiens. En jetant un œil à la base de données Cairn.info qui regroupe un très grand nombre de revues académiques en sciences sociales, on peut observer que le terme « génération Y » (ou ses équivalents anglo-saxons) n’est quasiment jamais utilisé.

Pourquoi ce rejet ? Parce que le concept n’est opératoire que si l’on observe une communauté de position sur trois dimensions: subjective (le sentiment de faire partie d’un même groupe) ; sociale (le fait de vivre dans des conditions objectives similaires) ; culturelle (le partage d’un vécu historique commun).

Un cocktail de plus en plus difficile à réussir. Du coup, les générations deviennent caduques avant même qu’on arrive à les définir, explique Wintrebert :

Nous avons à peine le temps d’analyser, et de conceptualiser rigoureusement, une « génération » que de nouvelles pratiques apparaissent qui nous donnent l’impression que notre objet a déjà changé… C’est sans doute pourquoi le langage journaliste ou managérial (parce qu’il ne s’embarrasse pas d’une trop grande rigueur) va toujours plus vite que le langage scientifique (qui a besoin de temps avant de valider ses hypothèses et d’entériner ses catégories).

 

Alors génération X, Y, Z, pourquoi pas. Mais quel nom donner à la prochaine, celle qui n’est pas encore née ? On ne va pas recommencer l’alphabet tout de même ?

Le bLoug a la solution: « génération H ». Non, pas pour hémorroïdes, pour headbanging science !

 

[1] LSAY (Longitudinal Study of American Youth) est un projet financé par la National Science Foundation, initialement destiné à étudier ce qui pouvait favoriser l’intérêt des étudiants pour les sciences et les mathématiques et aider au développement du choix de ces carrières ainsi qu’à l’acquisition d’un « bagage suffisant pour exercer des responsabilités citoyennes dans une société démocratique » (une mine d’or dont les données sont malheureusement réservées (http://www.lsay.org/).
[2] Qu’est-ce qui définit une génération ? Dans une perspective démographique, il s’agit d’une cohorte, c’est-à-dire un ensemble de personnes ayant vécu un événement identique au même âge, par exemple la naissance. Le point de vue des ethnologues relève lui de la généalogie: une génération, c’est celle des enfants dans une lignée, ou des petits-enfants. Pour les sociologues, l’âge importe, mais il faut aussi un socle d’expériences communes et une vision du monde partagée. C’est la génération des sociologues qui fait les Unes. Mais aussi celle aussi qui pose le plus question.
[3] Lire les deux articles consacrés à la génération Y: de quoi parle-t-on, finalement ? et ce qui pose problème, c’est génération.

 

 

 

Your Generation Lyrics (Generation X)

Trying to forget your generation
You know all the ways when in what I see
The ends must justify the means
Your generation don’t mean a thing to me
I say your generation don’t mean a thing to me
I say your generation don’t mean a thing to me
Might take a bit of violence
But violence ain’t our only stance
Might make our friends enemies
But we gotta take that chance
There ain’t no time for substitutes
There ain’t no time for idle threats
Actions are rather hard to place
Cause what you give is what you get
So that’s your generation
It’s your generation
Well it’s your generation
It’s your generation
[Guitar Solo]
Trying to forget your generation
You know all the ways when in what I see
The ends must justify the means
Your generation don’t mean a thing to me
I say your generation don’t mean a thing to me
I say your generation don’t mean a thing to me
Might take a bit of violence
But violence ain’t our only stance
Might make our friends enemies
But we gotta take that chance
There ain’t no time for substitutes
There ain’t no time for idle threats
Actions are rather hard to place
Cause what you give is what you get
So that’s your generation
It’s your generation
Well it’s your generation
It’s your generation
To the end
Justify the means
To the end
Justify the means
To the end
Justify the means
To the end
Justify the means
It time for generation

carte des langues en danger d’extinction en France

Il existe en France des langues régionales, dont 13 sont en danger “grave” d’extinction (punaises orange) : Auvergnat, Breton, Bourguignon, Champenois, Franc-Comtois, Gallo, Languedocian, Limousin, Lorrain, Norman, Picard, Poitevin-Saintongeais, Provençal.

Il existe aussi un Français de Jersey, un de Guernesey, et un d’Alderney, aujourd’hui éteint.


Carte interactive mondiale et infos sur chaque langue sur le site de l’UNESCO : http://www.unesco.org/culture/en/endangeredlanguages/atlas (©)

une expérience de dingue (hs#13: METALLICA, Welcome Home (Sanitarium))

A force de danser la danse de la pluie (voir le précédent hs), arriva ce qui devait arriver : sirène, blouses blanches, camisole, piqûre qui fait du bien… Zou, direction l’asile pour le bLoug dans ce headbanging science #13 !

L’occasion d’écouter en boucle le Welcome Home (Sanitarium) de Metallica, ici dans une vidéo de 1988 (Hammersmith Odeon, Londres) :

Welcome Home (Sanitarium) est tiré de Master of Puppets, troisième album des Four horsemen sorti en 1986. Le morceau s’inspire directement du film Vol au-dessus d’un nid de coucou (One Flew Over the Cuckoo’s Nest, 1975), le chef-d’oeuvre de Miloš Forman interprété par Jack Nicholson (le film est lui-même adapté d’un roman de l’Américain Ken Kesey (paru en 1962), par ailleurs figure de proue défoncée au LSD du mouvement psychédélique des années 1960.

Les paroles ainsi que l’accélération du tempo de Welcome Home collent parfaitement à la problématique de Vol au-dessus d’un nid de coucou : un homme sain d’esprit mais traité comme fou (“Just labeled mentally deranged”) finit par être broyé par le système inhumain, rigide et brutal qui régit l’établissement où il s’est volontairement fait interner. James Hetfield, frontman de Metallica, chante:

They think our heads are in their hands
But violent use brings violent plans
Keep him tied, it makes him well
He’s getting better, can’t you tell ?

Welcome Home, Jack

 

Vol au-dessus d’un nid de coucou se déroule au début des années 60. Vaste temps de remise en cause et de réforme du système psychiatrique en Amérique du Nord et en Europe: humanisation du soin aux personne souffrant de troubles mentaux (politique de désinstitutionnalisation), abandon progressif de la pratique de la lobotomie (qui « soigne » définitivement Jack Nicholson dans le film, de façon beaucoup moins marrante que celle des Ramones), essor de l’antipsychiatrie, mouvement qui remet en cause la notion même de maladie mentale…

A la sortie du film, le petit monde de la psychiatrie est encore ébranlé par une expérience restée célèbre: l’expérience de Rosenhan. Les résultats de cette enquête sur la validité du diagnostic psychiatrique, menée par le psychologue David Rosenhan, sont publiés en janvier 1973 dans Science sous le titre de On Being Sane In Insane Places (« Un individu sain dans des lieux qui ne le sont pas », un sous titre idoine au Welcome Home de Metallica ou au Vol au-dessus d’un nid de coucou).

 

Voici l’expérience résumée (l’article original est disponible en ligne). Elle s’est faite en deux temps.

Episode 1 : cachez ces sains que nous ne saurions voir

  • 8 faux patients se présentent pour être admis en hopital psychiatriques (dont Rosenhan lui-même) ; leurs profils sont variés, ceux des hôpitaux également
  • ils prétendent entendre des voix (les mots « vide », « creux » et « bruit sourd » (« thud » ; l’expérience est aussi connue sous le nom de « thud experiment ») ; ils ne simulent aucun autre symptôme
  • ils sont admis sans difficulté

 

j'entends des voix (James Hetfield, Metallica, dans sa prime jeunesse)

  • ils se comportent ensuite normalement et annoncent au personnel soignant ne plus avoir d’hallucinations auditives – ils se comportent tellement normalement, qu’ils prennent des notes !
  • le personnel médical ne les considère pas sains d’esprit – au contraire de certains vrais patients, qui leur reprochent d’être des journalistes ou des chercheurs
  • 7 sur 8 sont diagnostiqués schizophrènes malgré leur comportement tout à fait normal, amical et coopératif
  • ils ne peuvent sortir qu’après avoir reconnu être schizophrènes et accepté de prendre un traitement pour guérir (2100 pilules en tout, qu’ils firent semblant de prendre, et de nature disparate d’un établissement à l’autre alors que les diagnostics étaient identiques…)
  • bilan : entre 7 et 52 jours d’enfermement pour une pathologie inexistante (19 en moyenne)

S'enthousiasmer pour du baseball est-il réellement preuve de sanité ?

 

Episode 2 : « Ca ne va pas être possible »

Un hôpital psychiatrique, doutant des résultats, se fit fort de détecter à coup sûr de faux patients que Rosenhan enverrait sur une période de 3 mois. Averti de l’expérience, le personnel de l’hôpital démasqua 41 imposteurs certains parmi les 193 admis dans l’établissement sur la période. Problème, Rosenhal n’avait envoyé absolument AUCUN faux-patient !

D’où l’on conclut qu’un certain nombre d’individus qu’il aurait mieux valu admettre et soigner repartirent avec leur pathologie sous le bras…

 

En conclusion de son expérience, Rosenhan critiqua la validité du diagnostic psychiatrique, instrument révélateur de son propre environnement mais ne disant rien du patient – par conséquent inefficace à distinguer le sain du fou. Il mettait également l’accent sur la dépersonnalisation et la nature dégradante des soins apportés aux patients – soins découlant mécaniquement d’une « étiquette » indécollable, celle du diagnostic. En quelque sorte, le diagnostic créait la pathologie.

It is clear that we cannot distinguish the sane from the insane in psychiatric hospitals. The hospital itself imposes a special environment in which the meaning of behavior can easily be misunderstood. The consequences to patients hospitalized in such an environment – the powerlessness, depersonalization, segregation, mortification, and self-labeling – seem undoubtedly counter-therapeutic.

 

Une pinte de bon sang : critique de la critique

Pour spectaculaire qu’elle soit, la portée de l’expérience de Rosenhan doit être relativisée.

Le psychiatre Robert Spitzer fut le premier à monter au créneau. Dans un article publié en 1975 (consultable ici), il pointait du doigt la méthode employée : en quoi simuler pour fausser un diagnostic invalidait-il le principe même du diagnostic ?

Si je devais boire une pinte de sang, puis taisant cela, me précipiter aux urgences de n’importe quel hôpital en vomissant du sang, le diagnostic du personnel serait parfaitement prévisible. S’ils me diagnostiquaient et me traitaient pour un ulcère gastro-duodénal, je doute que je pourrais soutenir de façon convaincante que la science médicale ne sait pas comment diagnostiquer mes symptômes. » [ceci bien sûr dans l'hypothèse où l'on considère qu'on a affaire à un être humain et pas à un vampire...]

D’autres auteurs apportèrent leur lot de commentaires sur les limites de l’expérience de Rosenhan.

Le principal reproche concerne évidement le nombre de cas, bien trop réduit pour pouvoir en généraliser quoi que ce soit : 8 faux patients dans un premier temps, un seul établissement participant dans un second.

D’autres points peuvent être soulevés :

  • Le diagnostic ne cherche pas à trancher entre des catégories sain et non sain, mais à repérer des symptomes de maladie mentale – effectivement présentés par les faux-patients. Le rôle du personnel des hôpitaux n’étant pas de détecter des imposteurs, il n’est pas étonnant que ces derniers ne soient pas démasqués. Tout autre aurait été la portée de l’étude si les faux-patients avaient mal simulé leur symptomes, donnant par là la possibilité d’être démasqués.
  • Le comportement “normal” des faux-patients peut être discuté : en l’occurrence, un comportement véritablement normal consisterait à tomber le masque et déclarer l’imposture.
  • Les faux-patients étant finalement déclarés “en voie de guérison” et aptes à sortir, le personnel médical a bien fini par constater la disparition des symptomes – le temps mis pour arriver à cette constation pose effectivement problème, mais au moins ont-ils échappé au sort de Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou.
  • La seconde étape est doublement biaisée : l’établissement voit des imposteurs partout parce ce qu’il s’attend à ce qu’on lui en envoie et met en place une procédure contre-nature pour les débusquer.

 

Quoi de neuf Docteur ?

Alors, que penser de l’expérience de Rosenhan ? Il ne s’agit certainement pas de la preuve irréfutable d’une faillite générale de la psychiatrie mais simplement d’un coup de projecteur bien senti sur certains de ses effets oppresseurs.

Qu’en serait-il aujourd’hui ? La psychologue Lauren Slater, auteur d’un ouvrage sur les grandes expériences en psychologie du 20e siècle (Opening Skinner’s Box, 2004) s’est amusée à réitérer l’expérience auprès de plusieurs psychiatres – de façon tout aussi biaisée. Grande différence avec les années 70, une prescription lourde (un arsenal d’anti-psychotiques et d’anti-dépresseurs) mais ni hospitalisation ni prise en charge psychothérapeutique. Mais le sens profond ne change pas : le contexte dans lequel le psychiatre se trouve et les approches thérapeutiques de l’époque influencent le diagnostic. En clair : la médication remplace l’enfermement. Slater :

Il est assez clair pour moi que c’est la médication qui dirige les décisions, et pas le contraire. À l’époque de Rosenhan, c’était le schème psychanalytique qui déterminait ce qui allait mal ; de nos jours, c’est le schème pharmacologique, la pilule.

 

Quant à nos amis Jack Nicholson et James Hetfield, ont-ils réellement à se plaindre de leur petit tour au sanitarium ? Le premier semble s’être réinséré et s’être fait une place dans le porte-à-porte :

 

Pour le second, malheureusement, la dose paraît avoir été un peu forte :

 

 

 

Welcome Home (Sanitarium) – Hetfield/Ulrich/Hammett

Welcome to where time stands still
no one leaves and no one will
Moon is full, never seems to change
just labeled mentally deranged
Dream the same thing every night
I see our freedom in my sight
No locked doors, No windows barred
No things to make my brain seem scarred
Sleep my friend and you will see
that dream is my reality
They keep me locked up in this cage
can’t they see it’s why my brain says Rage
Sanitarium, leave me be
Sanitarium, just leave me alone
Build my fear of what’s out there
and cannot breathe the open air
Whisper things into my brain
assuring me that I’m insane
They think our heads are in their hands
but violent use brings violent plans
Keep him tied, it makes him well
he’s getting better, can’t you tell?
No more can they keep us in
Listen, damn it, we will win
They see it right, they see it well
but they think this saves us from our hell
Sanitarium, leave me be
Sanitarium, just leave me alone
Sanitarium, just leave me alone
Fear of living on
natives getting restless now
Mutiny in the air
got some death to do
Mirror stares back hard
Kill, it’s such a friendly word
seems the only way
for reaching out again.

quelques menus problèmes de peau (hs#9 : SLAYER, Dead Skin Mask)

C’est la rentrée, le bLoug est prêt à utiliser la terreur pour que vous l’ayez dans la peau : Welcome to Plainfield, Wisconsin, en compagnie d’Ed Gein, le boucher du Wisconsin, suavement hurlé par Slayer dans Dead Skin Mask. Et si ça ne suffit pas, on rajoutera des bactéries dévoreuses de chair !

headbanging science (la rubrique musicale des titres qui ont (presque) un rapport avec la science) : #9 : SLAYER – DEAD SKIN MASK


Tirée du Unholy Alliance Tour, tournée annuelle nord-américaine et européenne ayant Slayer pour tête d’affiche (et à laquelle a participé Mastodon, notre précédent HS), cette vidéo de Dead Skin Mask vous invite à vêtir vos plus beaux atours nécrophiles. Ce classique du combo de Huntington est paru en 1990 sur l’album Seasons in the Abyss, prétendant au titre de meilleur album du groupe. Pas de clip rigolo cette fois-ci, mais peu importe : Slayer à l’étrange talent de sonner mieux live qu’en studio, une rareté pour un groupe de thrash.

Marketé stupidement groupe le plus violent du monde, Slayer est un habitué des controverses en raison, notamment, de thématiques pas franchement consensuelles : satanisme, religion, guerre et Holocauste… Le groupe aurait même été mis à profit pas l’US Army en Iraq pour tenter d’effrayer les troupes de Saddam Hussein – ou essayer de les rendre sourdes ? Ici, point de tintouin, nous sommes dans le doux domaine de la décoration d’intérieur… Enfin, pas n’importe laquelle. Celle, très particulière de Ed Gein, aka “le boucher de Plainfield”, un des tueurs en série les plus marquants de l’histoire des Etats-Unis… Pas forcément pour de bonnes raisons.

La maison des horreurs, 50 ans avant l’invention de Damidot

Plainfield, Wisconsin. 640 habitants. Une sorte de désert rural boisé et plat comme une limande (dont le bLoug vous a appris qu’elles pouvaient être meurtrières) émaillé de granges sinistres aux allures de nids de serial killers. Le 16 novembre 1957, jour de l’ouverture de la chasse au cerf, disparaît Bernice Worden, 58 ans, boutiquière de son état. Les policiers trouvent du sang sur le sol de son magasin ainsi qu’une cartouche vide et constatent l’absence de la caisse enregistreuse. Sur le comptoir, une facture pour de l’antigel, au nom d’Edward Gein.

Edward Theodore Gein, né le 27 août 1906 à La Crosse, non loin de Plainfield, est une sorte de vieux garçon solitaire un peu étrange mais gentil (on lui confie du baby-sitting…). Il est aussitôt arrêté, d’abord pour vol. La police se rend dans sa ferme, située sur un terrain isolé de 80 hectares entouré de bois et de champs. A l’intérieur, il fait sombre, la nuit est tombée et la ferme ne possède pas l’électricité. La police découvre des pièces impeccablement rangées – en réalité sanctuarisées en hommage à sa défunte mère -, à l’exception de la cuisine et de la chambre de Gein, remplies d’un invraisemblable bric-à-brac pourrissant et empestant, interdisant presque que l’on s’y déplace.

la cuisine d’Ed Gein, un sens très particulier de l’ordre

En inspectant la cuisine avec sa lampe torche, le shérif découvre, pendue à l’envers à une poutre, une carcasse décapitée, éventrée et vidée. Pas vraiment celle d’un cerf. Il vient de retrouver Bernice Worden. Du moins une partie.

ceci n’est pas un cerf

Plus de moyens (générateur et lampes à arc) permirent ensuite à la police de faire la lumière les lieux. L’inventaire macabre de leurs découvertes est des plus singuliers. Bernice Worden retrouva sa tête (la police trouva également celle, desséchée, de Mary Hogan, la première victime officielle de Gein, disparue trois ans plus tôt), mais aussi son coeur, dans un sac plastique, et ses entrailles, recouvertes par un vieux costume. D’autres trophées, plus anciens et appartenant manifestement à d’autres victimes, complétaient la déco très tendance des lieux :

  • un haut de crâne faisant office de bol,
  • des abat-jours et une corbeille à papiers en peau humaine,
  • un fauteuil lui aussi en peau humaine,
  • un lit décoré avec des crânes,
  • neuf sexes de femmes décorés dans une boîte à chaussures,
  • une ceinture faite de mamelons,
  • des masques de peau remplis de chiffons pour figurer des têtes réduites,
  • quatre nez,
  • deux vagins “frais”
  • un squelette enterré dans le jardin
  • un costume entier en peau humaine, équipé de jambières de seins et d’un sexe féminin.

En un temps (heureux) où M6 D&co et autres consternants massacres d’intérieur n’existaient pas, le tableau était choquant. La demeure, intitulée la “maison des horreurs”, va faire les gros titres de Time et de Life. L’Amérique des années 50 va se passionner pour ce cas intrigant. Gein avouera le meurtre des deux femmes précitées ainsi que la mutilation de plusieurs cadavres, également féminins, déterrés dans le cimetière local. Il fut déclaré irresponsable de ses actes et interné dans un hôpital psychiatrique du Wisconsin.

Même pas un serial killer, encore moins un serial queer

Techniquement parlant, Gein n’est pas un tueur en série puisqu’il ne fut reconnu coupable que de deux meurtres – il est toutefois probable qu’il en ait d’autres à son actif, à commencer par celui de son frère aîné Henry, qui s’opposait à la vénération de Ed pour leur mère tyrannique, Augusta, et qui fut retrouvé mort en 1944 dans des circonstances mystérieuses.

Médicalement parlant, bien que “la goule de Plainfield” soit devenue un des cas les plus documentés de l’histoire criminelle, sa description est généralement erronée. En cause, la médiatisation très forte au moment des faits, puis le passage à la postérité à travers les oeuvres cinématographiques qu’il inspira, au premier rang desquelles Psychose, d’Alfred Hitchcock, à travers le personnage de Norman Bates, et Le silence des agneaux de Jonathan Demme, via celui de Buffalo Bill (Leatherface de Massacre à la tronçonneuse étant pour sa part un cousin plus lointain).

 

la maison Bates, cousine de celle de Gein ; Psychose est basé sur un livre de Robert Bloch qui prend quelques largesses avec les faits

 La revue Jump Cut, qui analyse les médias sous l’angle de la représentation des classes, des races ou des genres, a publié en 2000 un article qui décortique de façon très documentée les contresens du cas Gein. Le texte cherche à combattre les préjugés qui poussent à placer le signe égal entre homosexualité /  travestissement / transsexualisme et psychopathologie meurtrière (le personnage de Buffalo Bill étant l’aboutissement outrancier de ce préjugé là où Norman Bates restait plus introverti). Au-delà de ce militantisme, il montre comment la postérité réduisit à tort Gein à un travesti nécrophile (voire cannibale).

Parmi les déformations imputables à l’emballement médiatique de l’époque, la déclaration à la presse du procureur Earl Kileen spéculant que le corps de Bernice Worden avait été mutilé et que son cœur avait été découvert dans une casserole sur le poêle firent pour longtemps de Gein un cannibale (cette inexactitude est présente sur de très nombreux sites qui lui sont consacrés ; on y trouve aussi mention d’un frigo alors que la ferme n’avait pas l’électricité). Le magazine Life claironna pour sa part que Gein voulait devenir une femme. Ceci seulement deux semaines après son arrestation, soit avant que tout profil psychologique ait été officiellement établi. Les auteurs qui écrivirent ensuite sur lui relayèrent le pseudo désir qu’avait Gein de changer de sexe et de devenir une femme ; ils extrapolèrent à partir de faits inexacts. Les interrogatoires menés par la police allèrent un peu vite en besogne et furent certainement pour beaucoup à l’origine de ces mésinterprétations sur les désordres sexuels de Gein. Les retranscriptions montrent en effet que celui-ci, fortement influençable et éprouvant des difficultés à dissocier ce dont il se souvenait et ce qu’on lui rapportait, se livrait à une sorte de ni oui ni non involontaire, apportant des réponses qui allaient dans le sens de ce qu’on lui suggérait.

Ed Gein, le vrai

son alter ego cinématographique du Silence des agneaux

Pour l’article de Jump Cut, les projections des fantasmes de l’époque sont probablement à l’oeuvre dans ces interprétations hâtives. En cette fin des années 1950, la catégorie nouvelle du “psychopathe sexuel” se cristallise dans la société et Gein est du pain bénit pour les profileurs de tous poils. Travestissement et transsexualisme sont également des sujets chauds pour la justice et la psychiatrie de cette époque. Plus largement, la société américaine s’interroge alors fortement sur l’homosexualité et sur le rôle de la mère dans cette « déviance » : trop ou pas assez d’affection pour son rejeton pouvait en faire un inverti efféminé. De façon caractéristique, le rôle d’Augusta Gein, une absurde grenouille de bénitier profondément misandre est constamment mis en valeur dans la littérature sur Gein – il est vrai que son cas est particulièrement gratiné. Mais comme le pointe l’article, jamais aucun mot sur l’absence du père, bon à rien décédé tôt et totalement méprisé par Augusta.

Même aujourd’hui, le cas Gein reste semble-t-il délicat à diagnostiquer, tant fiction et faits sont enchevêtrés. Les interprétation freudiennes à base de complexe d’Œdipe qui aurait poussé Gein à vouloir changer de sexe pour résoudre son conflit avec sa mère adorée furent promptement balayées. Le “boucher fou” fut diagnostiqué comme un schizophrène présentant des symptômes aigus de travestissement, de fétichisme et de nécrophilie. Les expertises psychiatriques actuelles valident la schizophrénie mais certainement pas la nécrophilie. Gein nia du reste toute activité sexuelle avec les cadavres dont il détestait l’odeur. Aucun rapport récent ne le décrit non plus comme un travesti.

Quelle que fut sa pathologie, c’est bien tranquillement que Edward Gein mourut, en 1984, à l’âge de 78 ans, au Mendota Mental Health Institute (Wisconsin), l’institut de gériatrie où il avait été placé 6 ans auparavant. Il y coulait de jours heureux, véritable patient modèle… dont la seule bizarrerie était de regarder fixement les infirmières… Cause du décès ; insuffisance respiratoire. Pas de chance, a cette date, Tom Araya, chanteur et bassiste de Slayer, ex-thérapeute respiratoire, avait cessé ses activités médicales et englouti ses maigres économies dans l’autofinancement du premier album du groupe. Faute de secourir Gein, nul doute qu’il aurait aimé faire la causette avec lui, le thème des tueurs en séries étant sa marotte et un sujet d’inspiration pour ses textes (on pourrait aussi lui conseiller le cas Efren Saldivar : soupçonné d’au moins 50 meurtres, ce thérapeute respiratoire (!) californien fut surnommé Angel of Death… par ailleurs titre d’un des classiques de Slayer qui fait référence à Joseph Mengele… histoire de boucler la boucle des coïncidences du petit monde des atrocités, il se trouve que celles commises par les nazis dans les camps inspirèrent Gein, friand lecteur ; il eut peut-être à lire l’histoire de Ilse Koch, “la chienne de Buchenwald”, qui fut traduite devant un tribunal militaire américain à Dachau le 11 avril 1947 ; parmi les pièces à conviction : trois morceaux de peau tatouée ayant fait office d’abat-jour et une tête réduite…).

Dead skin arm

Le problème des histoires d’horreur c’est qu’on a toujours un peu peur, malgré soi, qu’elles nous arrivent en réalité, si fantastiques soient-elles. C’est sans doute ce que doit méditer Jeff Hanneman, cofondateur et guitariste de Slayer, plongé véritablement dans ce qui pourrait être une des chansons cauchemardesques du groupe. Son titre : Dead Skin Arm. Sans éprouver forcément beaucoup de sympathie pour Hanneman (pas innocent dans la mauvaise image du groupe en raison d’un goût douteux pour la Wehrmacht illustré par les noms consternants donnés à ses chiens : Prussia et Rommel), il est difficile de ne pas compatir à l’épreuve qu’il traverse depuis février 2011 : le voilà dévoré par des bactéries “mangeuses de chair” !

quoi fasciste ? mais puisque je vous dis que… ah fasciite… merde, c’est quoi ce truc ?

 

Fasciite nécrosante. C’est le petit nom de la maladie heureusement rare qui frappe le guitariste au bras droit. Il s’agit d’une infection rare de la peau et des tissus sous cutanés, se propageant le long des fascia (tissu qui enveloppe les muscles et les organes). Les origines de l’infection sont diverses. Elle peut provenir d’une plaie très banale. Dans le cas de Hanneman, une morsure d’araignée est évoquée. C’est probablement erroné, le diagnostic de la fasciite se révélant difficile, les araignées sont souvent mises en causes à tort. Les bactéries responsables de l’infection sont variées et souvent multiples, mais le streptocoque du groupe A (Streptococcus pyogenes) est souvent relevé. L’appellation de « bactéries mangeuses de chair », qui fit florès dans la presse à une époque, est usurpée : ces bactéries ne se nourrissent pas de la chair, mais libèrent des toxines mortelles pour les cellules vivantes conduisant à la nécrose.

Si vous présentez les symptômes suivants, inquiétez-vous :

  • Douleurs
  • Fièvre inexpliquée
  • Gonflement
  • Œdème dur et légèrement douloureux
  • Coloration rouge sombre et élévation de l’épiderme

Car ce qui arrive ensuite est particulièrement douloureux, rapide, et assez souvent mortel :

Rapidement, on assiste à la constitution de bulles remplies d’un liquide bleu tirant sur le violet. Par la suite, la peau devient fragile et prend une couleur tirant sur le bleu, puis sur le marron ou le noir. Dans un deuxième temps, l’infection est susceptible d’atteindre les aponévroses profondes (membranes fibreuses qui enveloppent les muscles en les séparant les uns des autres). Elle finit par donner une coloration gris foncé à la peau de la partie atteinte. A ce stade avancé, les patients présentent des signes toxiques et de choc qui traduisent une insuffisance de fonctionnement de plusieurs organes. Le choc, appelé également sepsis, correspond à une inflammation généralisée de tout l’organisme, et se traduit par une défaillance de tous les viscères qui n’assurent plus leur rôle normalement. (source : vulgaris-medical.com

Si vous tenez vraiment à voir les effets d’une fasciite nécrosante équipez-vous d’un sac à vomi et cliquez ici : Dead skin mask pour de vrai.

Le traitement est lourd et forcément médical et chirurgical : débridement de la peau (large incision pratiquée dans la zone infectée ; les médecins ont ouvert le bras de Jeff Hanneman du poignet à l’épaule), ablation des tissus nécrosés (morts), antibiothérapie, éventuellement oxygénothérapie,  greffes de peau (Hanneman y a eu le droit aussi).

 Tom Araya a déclaré que Slayer n’entrerait pas en studio tant que Hanneman ne serait pas rétabli à 100%. Rien ne dit que cela arrivera un jour. Le groupe avait jusqu’alors résisté aux tracas médicaux. En 2010, ce sont les cervicales de Araya qui lâchaient. Remède : une plaque en métal dans le cou. Et plus question de headbanger sur scène pour le chanteur-bassiste dont c’était la marque de fabrique… Un comble que Araya ait les honneurs de la rubrique headbanging science du bLoug finalement… Slayer, le groupe le plus violent du monde ? Pff, des mauviettes oui.

 

Pour tous vos problèmes de peau, une seule adresse : slayer.net

 

Dead Skin Mask – Lyrics: Araya | Music: Hanneman

Graze the skin with my finger tips
The brush of dead cold flesh pacifies the means
Provocative images delicate features so smooth
A pleasant fragrance in the light of the moon
CHORUS
Dance with the dead in my dreams
Listen to their hallowed screams
The dead have taken my soul
Temptation’s lost all control
Simple smiles elude psychotic eyes
Lose all mind control rationale declines
Empty eyes enslave the creations
Of placid faces and lifeless pageants
In the depths of a mind insane
Fantasy and reality are the same
Graze the skin with my finger tips
The brush of dead warm flesh pacifies the means
Incised members ornaments on my being
Adulating the skin before me
Simple smiles elude psychotic eyes
Lose all mind control rationale declines
Empty eyes enslave the creations
Of placid faces and lifeless pageants
CHORUS

 

la brute (part 2 : l’homme criminel de Lombroso)

Suite de l’article consacré aux représentations du singe en brute lubrique, avec la théorie de l’homme criminel de Cesare Lombroso.

Conjuguée à l’évolutionnisme, la représentation du singe comme brute a accouché de concepts pour le moins regrettables, dont les conséquences ne furent malheureusement pas limitées à la sphère des idées  mais affectèrent, en pratique, des êtres humains. Leur seul tort : être affligés de traits un peu trop proches de ceux de leurs ancêtres simiens. Parmi ces théories, celle de « l’homme criminel », développée, par le médecin italien Cesare Lombroso (1835-1909).

Lombroso et sa théorie de l’homme criminel ont leur musée à Turin – pas une fierté pour tous comme l’indique ce tract

Lombroso agrémenta d’une couche clairement évolutionniste les théories biologiques de la criminalité courantes en son temps. Il exposa ses vues dans Uomo delinquente (L’homme criminel), paru en 1876.Selon lui, les délinquants nés étaient en substance des singes vivant parmi nous. Non pas des fous ou des malades, qui ne seraient criminels que de circonstance, mais de véritables cas de « régression » à un niveau antérieur. Ces malchanceux naissaient avec une proportion un peu trop élevée pour la paix sociale de caractéristiques primitives et simiesques, demeurées dans leur patrimoine et héritées de leurs ancêtres singes. Évidemment, il n’était pas question de pouvoir guérir ces tares puisqu’elles étaient consubstantielles aux criminels qui en étaient affectés. Un juriste écrivant à Lombroso résumait ce qui devait, de façon logique et sinistre, découler de cette vision des choses : « Vous nous avez montré des orangs-outans lubriques et féroces qui ont figure humaine. Il est évident qu’en tant que tels, ils ne peuvent se conduire autrement. S’ils violent, tuent et volent, c’est en raison de leur nature et de leur passé, mais il n’en faut pas plus pour les détruire après avoir acquis la certitude qu’ils resteront des orangs-outans. »[8]

Stephen Jay Gould a consacré une partie de son indispensable ouvrage La Mal-Mesure de l’homme au cas de Cesare Lombroso, dans le chapitre bien nommé Le singe en quelques-uns d’entre nous : l’ anthropologie criminelle.[9]Son essai Le délinquant est une erreur de la nature ou le singe qui sommeille en nous [10] aborde la même question. Je me tiendrai ici aux points exposés dans ces deux textes qui concernent plus spécifiquement les singes.

La théorie de l’homme criminel exerça une très forte influence sur les sciences de la fin du XIXe siècle, qui vit par exemple la création de la discipline de l’anthropologie criminelle. Lombroso, qui avait tenté sans réussite de découvrir des différences anatomiques entre des criminels et des déments, a raconté comment il fut saisi d’une intuition subite en examinant le crâne d’un célèbre brigand et en y voyant soudain « une série de caractères ataviques rappelant plus un passé simien qu’un présent humain. »[11] Cette subite révélation guida tout le travail du médecin italien, qui se mit à traquer les signes manifestes de la souillure ancestrale, grâce auxquels on allait pouvoir identifier les criminels nés de façon infaillible.

violence en réunion chez les castors

En préalable à cette recherche de caractères simiens, Lombroso devait bien sûr faire la preuve que les inclinations naturelles des animaux inférieurs étaient elles-mêmes criminelles. Cette condition constituait en effet la clé de voute de l’édifice qu’il se proposait de construire : « si certains hommes ressemblent à des singes et que ces derniers [sont] gentils, le raisonnement s’effondre », relève Stephen Jay Gould [12] On s’en doute, dans un tel contexte, Lombroso ne put faire autrement que de céder à un laisser-aller méthodologique coupable. Gould parle de « ce qui doit être la plus ridicule démonstration d’anthropomorphisme qui ait jamais été écrite ».[13]

Qu’on en juge. Dans son étude sur le comportement criminel des animaux, Lombroso appela par exemple au secours de son propos : une fourmi piquée d’un accès de rage mettant en pièces un puceron, une cigogne adultère assassinant son mari avec l’aide de son amant, une troupe de castors, que l’on pourrait accuser de violence en réunion, liguée pour massacrer un congénère isolé. Et pour étayer plus solidement, Lombroso alla même jusqu’à  assimiler à un crime les habitudes alimentaires des insectes dévorant certaines plantes !

et conduite sans permis, en plus

Au sujet des singes, Lombroso rapportait par exemple les forfaits suivants (Cesare Lombroso, L’homme criminel, 1887, accessible en ligne) :

  • VOL : “Le Cercopithecus monas est un véritable filou. Tout en recevant vos caresses, il glisse ses mains dans vos poches, vous vole et cache les objets volés dans les draps, dans les couvertures.”
  • ESCROQUERIE : “Un chimpanzé malade avait été nourri avec des gâteaux ; quand il fut rétabli, il faisait souvent semblant de tousser pour se procurer ces friandises.”
  • MEURTRE PAR ANTIPATHIE : “Il y a des femelles qui ont une aversion invincible pour les individus de leur espèce et de leur sexe. Cela s’observe, par exemple, chez les singes anthropomorphes et surtout chez les Orangs-outans, dont les femelles traitent leurs semblables avec une animosité instinctive, les battent et arrivent même jusqu’à les tuer.”
  • CANNIBALISME ET INFANTICIDE : “Parmi les singes, les femelles des Ouistitis mangent quelquefois la tête à un de leurs petits ; elles écrasent aussi leurs petits contre un arbre quand elles sont lasses de les porter.”

méthode et stigmates

Le caractère criminel des animaux inférieurs une fois établi, Lombroso peut se lancer dans l’énumération des stigmates anatomiques de l’homme criminel. Gould relève que l’erreur méthodologique principale de Lombroso consiste à confondre les variations normales d’un caractère donné à l’intérieur d’une population et les différences de valeur moyenne pour ce même caractère entre les populations, alors qu’il s’agit de phénomènes biologiques tout à fait distincts (et d’un problème statistique élémentaire). Gould prend cet exemple : « La longueur du bras varie chez les humains et il est normal que certaines personnes aient de plus longs bras que d’autres. Le chimpanzé moyen a le bras plus long que l’humain moyen, mais cela ne signifie pas qu’un humain possédant un bras relativement plus long que la moyenne est génétiquement similaire aux singes. »[14] Pourtant, c’est ce que Lombroso conclut.

Parmi les stigmates simiens, Lombroso recense, d’après Gould   :

« l’épaisseur du crâne, le développement disproportionné des mâchoires, la prééminence de la face sur le crâne, la longueur relative des bras, les rides précoces, l’étroitesse et la hauteur du front, les oreilles « à anse ou charnues », l’absence de calvitie et les cheveux plus épais et hérissés, la peau plus brune, une plus grande acuité visuelle, la sensibilité considérablement diminuée et l’absence de réaction vasculaire (rougeur). Au cours du Congrès international d’anthropologie criminelle de 1896, il soutint même que les pieds des prostituées étaient souvent préhensiles comme chez les singes (gros orteil nettement séparé des autres). »[16]

La liste est impressionnante. Elle souligne bien une chose : la ressemblance entre l’homme et les singes n’a jamais cessé  de nous frapper et de nous inciter à en dresser le catalogue. Tantôt pour insister sur ce que nous avons de commun, tantôt pour ne retenir que ce qui nous différencie. Et dans les deux cas, toujours au détriment du singe. S’il s’agit ici de débusquer les ressemblances, c’est uniquement pour mettre à mort la brute et préserver la société de ses éléments dangereux.

face de limande

Pour en finir avec Lombroso sur une note moins sinistre, on s’amusera de son zèle qui le poussa à hasarder des similitudes avec des créatures morphologiquement et évolutivement plus éloignées de nous : lémuriens, rongeurs, porc, bovins, lamantins… et même poissons plats tels la limande ! L’asymétrie faciale de certains criminels ne ressemblait-elle pas à ces poissons dont les deux yeux sont placés du même côté du corps ? L’histoire ne dit pas quel crime les limandes avaient pu commettre, mais il devait être terrible pour qu’elles s’aplatissent ainsi…


[8] Cité par S. J. Gould, “Le délinquant est une erreur de la nature ou le singe qui sommeille en nous”, in Darwin et les grandes énigmes de la vie, Paris, Seuil

[9] S. J. Gould, La Mal-Mesure de l’homme, Paris, Odile Jacob, 2009, p.159.

[10] S. J. Gould, “Le délinquant est une erreur de la nature ou le singe qui sommeille en nous”, in Darwin et les grandes énigmes de la vie, Paris, Seuil

[11] S. J. Gould, La Mal-Mesure de l’homme, Paris, Odile Jacob, 2009, p.160.

[12] Ibid., p.161.

[13] Id.

[14] Ibid., p.165.

[16] Id.

 

combien serons-nous à table ? (hs#4 : BAD RELIGION, Ten in 2010)

Le headbanging science du mois pouvait difficilement échapper à Bad Religion, dont le leader Greg Graffin, à la fois punk-rocker et scientifique, semble exister uniquement pour justifier l’existence de cette rubrique (comme vous l’aurez compris en lisant la critique de son ouvrage,  Anarchy Evolution)…

headbanging science,la rubrique musicale des titres qui ont (presque) un rapport avec la science : #4 BAD RELIGION – TEN IN 2010

 

 

Et pourtant, science et rock ne font pas forcément bon ménage, il suffit de se plonger dans la discographie de Bad Religion pour s’en rendre compte : la thématique scientifique est parfois là, à l’arrière-plan, mais les paroles sont essentiellement politiques et sociales.

Le morceau Ten in 2010 constitue donc une étonnante rareté : pas forcément parmi les meilleurs titres de BR d’un point de vue musical, mais une toile de fond scientifique aux résonances très actuelles – et, ce qui ne gâche rien, visuellement l’un des clips les mieux réussis du groupe :

Il est bien sûr question de peuplement humain et de ressources en nourriture et en eau pour assurer la survie de tout ce beau monde : Ten in 2010, 10 milliards d’être humains en 2010, d’après Greg Graffin.

bougez pas devant, je vous compte

Il n’aura échappé à personne que nous sommes encore loin du compte. La projection était-elle réaliste à l’époque ? Même pas. Les projections de population mondiale de la série des Nations-unies disponibles en 1995 (Ten in 2010 est sorti en 1996) prévoyaient, 6,16 milliards d’habitants sur la planète en 2000, 8,29 en 2025 et (seulement) 9,83 en 2050.

Ten in 2010 n’avait donc rien d’une projection réaliste et sacrifiait allègrement la science à la rime. Ce qui soulève certaines questions.

la science est-elle soluble dans le rock ?

En 2007, le magazine américain Blender, qui se veut le guide ultime en matière musicale, classait Greg Graffin en 28ème position parmi les… pires compositeurs de paroles dans le monde du rock. Voici ce qui valait au chanteur de BR cette piètre performance :

  • 28 – Greg Graffin. Revenge of the nerd.
  • The Bad Religion singer has a list of academic qualifications as long as your arm-including a master’s in geology and a biology Ph.D.-so it’s little wonder he writes exactly like a concerned student. Graffin hit the ground running in 1982 with the naive indignation of « Fuck Armageddon … This Is Hell! » (« We’re living in the denouement of the battle’s gripping awe ») and has maintained similar standards ever since.
  • Worst lyric: « The arid torpor of inaction will be our demise » (« Kyoto Now »)
  • Bonus Worser lyric: « Damn your transcendental paralysis/We can work together and make sense of this » (« The Hopeless Housewife »)

On peut trouver l’exercice idiot, mais Blender n’a pas que des mauvais goûts (la preuve, le classement est dominé par Sting).

Par ailleurs, Greg Graffin lui-même déclare dans Anarchy Evolution ne connaître aucune bonne chanson sur la science….

tous ces mots compliqués sont-ils bien nécessaires ?

Voici ce que répondait Brooks Wackerman, batteur du groupe, en 2010, à une question sur le style « scientifique » de Greg Graffin :

  • En toute honnêteté, comprends-tu toutes les paroles de Greg Graffin ?
  • Non (rires). Je note régulièrement des mots dans le creux de ma main pour ensuite lui demander leur signification. Il y a peu de groupes de punk qui utilisent des mots à 13 syllabes. Chaque disque de Bad Religion possède toujours de mots ou des thèmes dont je n’ai jamais entendu parler.

2 comprimés, à chaque écoute de Bad Religion

Il est vrai que peu de groupes parlent de téléologie (ou science de la finalité, écueil courant de l’évolutionnisme qui tend à assigner un sens à l’évolution) dans leur chanson. Cela ne facilite pas la compréhension. Mais cela nuit-il vraiment aux idées du groupe ?

Dans une interview de 2010, Jay Bentley, bassiste du groupe, reconnaissait une petite erreur de 3,4 milliards dans le décompte de Ten in 2010 mais demandait à recompter. Au-delà du chiffre, il insistait surtout sur le message de la chanson, toujours d’actualité.

La deadline que l’on s’est désormais fixée, c’est 2050. A cette date, il s’agira d’offrir à manger et à boire à 9 milliards d’être humains – la prévision de Ten in 2010 était décidément loin du compte.

En sera-t-on capable ?

Le sujet prête à débat mais un consensus semble s’installer : il est théoriquement possible de nourrir la planète dans ce scénario, mais pratiquement, nous sommes encore loin d’être en ordre de marche.

Nine in 2050 ? ou quand Graffin sonne mieux que Griffon

Au début du mois de mars 2011, l’Académie des Sciences présentait un rapport de 300 pages intitulé “Démographie, climat et alimentation mondiale”. Rapporteur, l’agronome Michel Griffon. Qui soulignait en substance que le défi était “extrêmement complexe”.

Au chapitre des préconisations, quelques idées plus ou moins rebattues :

  • contrôler voire proscrire la fabrication de biocarburants de première génération à partir de céréales ou d’oléagineux
  • maintenir les capacités de production importantes de la profession agricole européenne mais en les réorientant vers des productions écologiquement acceptables
  • inciter chacun à réduire sa consommation de produits d’origine animale

Et également la création d’une sorte de Giec alimentaire dont la mission serait d’orienter les politiques sur les questions d’alimentation (Claude Allègre, qui doit en connaître un rayon sera ravi).

Graffin contre-attaque : proposition 1, utiliser les disques comme moules à gateau

Michel Griffon est le père du concept d’agriculture écologiquement intensive. Oui, vous avez bien lu. Ecologiquement intensive.

Le principe est d’utiliser au mieux le fonctionnement de la nature et des éco-systèmes (par exemple en promouvant la lutte biologique), mais sans remettre en cause les cultures intensives – ni du reste, le recours aux pesticides ou aux OGM.

Pour l’heure, cette troisième voie fait surtout florès dans la sphère politique (le Grenelle l’a boostée, le PS, en mal d’idée sur l’agriculture, l’a adoptée). Difficile d’y voir autre chose qu’une posture, un concept vague que son inventeur lui-même juge délicat à mettre en oeuvre : pour être efficace, il est nécessaire de prendre en considération les caractéristiques de chaque sol, chaque bassin versant, de s’adapter à chaque exploitation, voire chaque parcelle.

Une gageure qui ne peut qu’être nourrie à coup d’innovations. Or, comme le déplore Michel Griffon, le manque de recherches sur le sujet est un frein.

Cela tombe bien, ledit Griffon se trouve être Directeur général adjoint de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Et quel est la raison d’être de cette agence ? « Favoriser l’émergence de nouveaux concepts, accroitre les efforts de recherche sur des priorités économiques et sociétales, intensifier les collaborations public-privé et développer les partenariats internationaux. » Etrange, non ?

On voudrait nous faire croire que l’agriculture écologiquement intensive est une entourloupe qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Et puisqu’on n’est pas plus avancé, autant retourner à Ten in 2010, finalement plus pertinent.

ne croissez pas, ne multipliez pas

Ten In 2010

Lyrics by Greg Graffin

Parched, cracked mouths, empty swollen guts
Sun-baked pavement encroaches on us
Haves and have-nots together at last
Brutally engaged in mortal combat
10 in 2010
What kind of God orchestrates such a thing?
10 in 2010
Ten billion people all suffering
10 in 2010
Truth is not an issue just hungry mouths to feed
10 in 2010
Forget what you want, scrounge the things you need
Happy and content it can't happen to you
10 in 2010
Fifteen years we'll think of a solution
10 in 2010
It won't just appear in one day
10 in 2010
For ten in twenty-ten we're well on our way
10 in 2010
Like piercing ear darts, I heard the news today
10 in 2010
10 billion people... coming your way

 

et maintenant, allez donc confesser ce que vous gaspillez sur le site de Bad Religion

Le headbanging science du mois pouvait difficilement échapper à Bad Religion, dont le leader Greg Graffin, à la fois punk-rocker et scientifique, semble exister uniquement pour justifier l’existence de cette rubrique (comme vous l’aurez compris en lisant la critique de son ouvrage Anarchy Evolution http://lebloug.fr/index.php/en-1-du-bloug/lorigine-des-especes-de-punks-insane-lectures-2/).

Et pourtant, science et rock ne font pas forcément bon ménage, il suffit de se plonger dans la discographie de Bad Religion pour s’en rendre compte : la thématique scientifique est parfois là, à l’arrière-plan, mais les paroles sont essentiellement politiques et sociales.

Le morceau Ten in 2010 constitue donc une étonnante rareté : pas forcément parmi les meilleurs titres de BR d’un point de vue musical, mais une toile de fond scientifique aux résonances très actuelles – et, ce qui ne gâche rien, visuellement l’un des clips les mieux réussis du groupe :

Il est bien sûr question de peuplement humain et de ressources en nourriture et en eau pour assurer la survie de tout ce beau monde : Ten in 2010, 10 milliards d’être humains en 2010, d’après Greg Graffin. Il n’aura échappé à personne que nous sommes encore loin du compte. La projection était-elle réaliste à l’époque ? Même pas. Les projections de population mondiale de la série des Nations-unies disponibles en 1995 (Ten in 2010 est sorti en 1996) prévoyaient, 6,16 milliards d’habitants sur la planète en 2000, 8,29 en 2025 et (seulement) 9,83 en 2050. Ten in 2010 n’avait donc rien d’une projection réaliste et sacrifiait allègrement la science à la rime. Ce qui soulève certaines questions.

La science est-elle soluble dans le rock ?

En 2007, le magazine américain Blender, qui se veut le guide ultime en matière musicale, classait Greg Graffin en 28ème position parmi les… pires compositeurs de paroles dans le monde du rock. Voici ce qui valait au chanteur de BR cette piètre performance :

28 – Greg Graffin. Revenge of the nerd.

The Bad Religion singer has a list of academic qualifications as long as your arm-including a master’s in geology and a biology Ph.D.-so it’s little wonder he writes exactly like a concerned student. Graffin hit the ground running in 1982 with the naive indignation of « Fuck Armageddon … This Is Hell! » (« We’re living in the denouement of the battle’s gripping awe ») and has maintained similar standards ever since.

Worst lyric: « The arid torpor of inaction will be our demise » (« Kyoto Now »)

Bonus Worser lyric: « Damn your transcendental paralysis/We can work together and make sense of this » (« The Hopeless Housewife »)

On peut trouver l’exercice idiot, mais Blender n’a pas que des mauvais goûts (la preuve, le classement est dominé par Sting).

Par ailleurs, Greg Graffin lui-même déclare dans Anarchy Evolution ne connaître aucune bonne chanson sur la science….

C’est compliqué tous ces mots…

Voici ce que répondait Brooks Wackerman, batteur du groupe, en 2010, à une question sur le style « scientifique » de Greg Graffin :

http://www.addictif-zine.com/interviews/item/1960-bad-religion-interview

En toute honnêteté, comprends-tu toutes les paroles de Greg Graffin ?

Non (rires). Je note régulièrement des mots dans le creux de ma main pour ensuite lui demander leur signification. Il y a peu de groupes de punk qui utilisent des mots à 13 syllabes. Chaque disque de Bad Religion possède toujours de mots ou des thèmes dont je n’ai jamais entendu parler.

Il est vrai que peu de groupes parlent de téléologie (ou science de la finalité, écueil courant de l’évolutionnisme qui tend à assigner un sens à l’évolution) dans leur chanson. Cela ne facilite pas la compréhension. Mais cela nuit-il vraiment aux idées du groupe ?

Dans une interview de 2010, Jay Bentley, bassiste du groupe, reconnaissait une petite erreur de 3,4 milliards dans le décompte de Ten in 2010 mais demandait à recompter.

Au-delà du chiffre, il insistait surtout sur le message de la chanson, toujours d’actualité.

http://www.vacarm.net/content/view/5502/102/

La deadline que l’on s’est désormais fixée, c’est 2050. A cette date, il s’agira d’offrir à manger et à boire à 9 milliards d’être humains – la prévision de Ten in 2010 était décidément loin du compte.

2050… suffisamment loin pour ne pas trop s’inquiéter ?

Le sujet prête à débat mais un consensus semble s’installer : il est théoriquement possible de nourrir la planète dans ce scénario, mais pratiquement, nous sommes encore loin d’être en ordre de marche.

Nine in 2050 – ou quand Graffin sonne mieux que Griffon

Au début du mois de mars 2011, l’Académie des Sciences présentait un rapport de 300 pages intitulé “Démographie, climat et alimentation mondiale”. Rapporteur, l’agronome Michel Griffon. Qui soulignait en substance lors de la présentation des recommandations de ce rapport que le défi était “extrêmement complexe”.

Au chapitre des préconisations, quelques idées plus ou moins rebattues :

- contrôler voire proscrire la fabrication de biocarburants de première génération à partir de céréales ou d’oléagineux”

- maintenir les capacités de production importantes de la profession agricole européenne mais en les réorientant vers des productions “écologiquement acceptables”

  • inciter chacun à réduire sa consommation de produits d’origine animale

  • Et également la création d’une sorte de Giec dont la mission serait d’orienter les politiques sur les questions d’alimentation (Claude Allègre, qui doit en connaître un rayon sera ravi).


Ainsi qu’une instance de veille “L’Observatoire prospectif des Situations et marchés alimentaires mondiaux”, une institution indépendante, serait chargé de suivre les “évolutions et en particuliers les signaux faibles, de proposer des scénarios, d’anticiper les dangers et suggérer des voies de solution”.

Marcel Griffon est le père du concept d’agriculture écologiquement intensive. Oui, vous avez bien lu. Ecologiquement intensive.

Le principe est d’utiliser au mieux le fonctionnement de la nature et des éco-systèmes (par exemple en promouvant la lutte biologique), mais sans remettre en cause les cultures intensives – ni du reste, le recours aux pesticides ou aux OGM.

Pour l’heure, cette troisième voie fait surtout florès dans la sphère politique (le Grenelle l’a boostée, le PS, en mal d’idée sur l’agriculture, l’a adoptée). Difficile d’y voir autre chose qu’une posture, un concept vague que son inventeur lui-même juge délicat à mettre en oeuvre : pour être efficace, il est nécessaire de prendre en considération les caractéristiques de chaque sol, chaque bassin versant, de s’adapter à chaque exploitation, voire chaque parcelle.

Une gageure qui ne peut qu’être nourrie à coup d’innovations. Or, comme le déplore Marcel Griffon, le manque de recherches sur le sujet est un frein.

Cela tombe bien, Marcel Griffon se trouve être Directeur général adjoint de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Et quel est la raison d’être de cette agence ? « Favoriser l’émergence de nouveaux concepts, accroitre les efforts de recherche sur des priorités économiques et sociétales, intensifier les collaborations public-privé et développer les partenariats internationaux. » Etrange, non ?

On voudrait nous faire croire que l’agriculture écologique est une entourloupe qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Et puisqu’on n’est pas plus avancé, autant retourner à Ten in 2010, finalement plus pertinent.

loups mutants à Tchernobyl ? (hs#3 : MUNICIPAL WASTE, Wolves of Chernobyl)

Après avoir évolué avec Pearl Jam (à lire ici ), régressons franchement avec ce troisième volet de headbanging science consacré à Wolves of Chernobyl de Municipal Waste (le groupe préféré de Loulou Nicollin).

headbanging science,la rubrique musicale des titres qui ont (presque) un rapport avec la science : #3 MUNICIPAL WASTE – WOLVES OF CHERNOBYL

 

 

Emblème d’un revival crossover thrash, le combo de Richmond assume ouvertement son côté old school et sa philosophie party metal ras les baskets. Il n’y a qu’à voir…

***

Ce n’est pas évident d’emblée à la vision de ce clip – dans lequel il n’y a pas la queue d’un loup et plus de skate que de nuke – mais Wolves Of Chernobyl est plus profond qu’il n’y paraît ! Tiré de leur 4ème album, Massive Aggressive, ce morceau ne fait pas que nous ramener musicalement deux décennies en arrière. Il remet aussi sur le devant de la scène un événement majeur de notre époque, dont on fêtera le 25ème anniversaire prochainement, la catastrophe de Tchernobyl, ainsi résumée dans le le premier couplet, très sérieux :

Sometime not long ago on a day like this
Manmade energy caused the worst accident
People died fast and some passed through time
Radiation sickness wounds those who survive

Ça part ensuite en vrille, avec des loups mutants, un beau massacre en perspective et cette conclusion sinistre :

Nothing’s going to stop it
It’s a massacre

Massacre causé par des loups mutants chez Municipal Waste, certes, mais massacre tout de même,? Soit un  acte meurtrier perpétré sur une quantité non négligeable de personnes. Peut-on parler de massacre dans le cas de Tchernobyl ?

Pas exactement, comme le décortique superbement le philosophe et épistémologue Jean-Pierre Dupuy dans Retour à Tchernobyl, journal d’un homme en colère, paru en 2005. C’est d’abord une question de définition. Tchernobyl est ce que Jean-Pierre Dupuy nomme un mal systémique, un mal qui n’est le produit d’aucune intention de faire le mal. Comme l’écrivait Günther Anders à propose d’Hiroshima, « Nulle part il n’est trace de méchanceté, il n’est que des décombres ». Cela vaut aussi pour Tchernobyl Et pour les désastres à venir, selon Dupuy :

Les catastrophes majeures qui barrent notre horizon seront moins le résultat de la méchanceté des hommes ou de leur bêtise que de leur courte vue ». Et d’ajouter : « Du mal systémique, il [l'homme] ne se soucie aucunement. C’est sans doute que l’ennemi est trop proche, puisque l’ennemi c’est lui-même. C’est quelque chose que les promoteurs du principe de précaution n’ont toujours pas compris.

***

La nature du « massacre » précisée, qu’en est-il de son ampleur ? Il y a fort à parier que, d’ici quelques semaines (la catastrophe a eu lieu le 26 avril 1986), quelques papiers ranimeront la controverse à propos du bilan humain de Tchernobyl. En 2005, le ‘Forum Tchernobyl’ (un groupe d’institutions spécialisées des Nations Unies, fondé par l’ AIEA, l’Agence internationale de l’énergie atomique, par ailleurs prix Nobel de la paix, ça ne s’invente pas) publiait une estimation officielle d’environ 4000 décès dus à Tchernobyl, incluant une cinquantaine de morts suite à une irradiation aiguë, une dizaine d’enfants décédés d’un cancer de la thyroïde, le reste étant le nombre estimé de victimes qui décèderaient d’un cancer radio-induit. Au sujet de ce bilan, Jean-Pierre Dupuy s’attache à dénoncer deux choses.

  1. Tout d’abord le relativisme, pratiquement réflexe, qui consiste à minimiser l’importance numérique de la catastrophe, en procédant à des comparaisons éventuellement douteuses : qu’est-ce donc que 4000 morts par rapport aux catastrophes minières / aux morts de cancers naturels / aux millions de paysans ukrainiens condamnés par Staline à mourir de faim… Comme l’explique Dupuy, « Dans l’univers du sens, les comparaisons quantitatives ne sont pas pertinentes ». Et de fantasmer sur une réponse appropriée à ce type d’argument : « ne sachant quoi lui répondre, je l’abats d’une balle de revolver : quelle importance, puisqu’après tout il faut bien mourir de quelque chose. »
  2. Ensuite, l’art des technocrates onusiens de « subtiliser les victimes », grâce à « l’invisibilité des morts de Tchernobyl ». Faute de temps et de moyens, la modélisation s’est substituée à l’enquête épidémiologique comme outil d’analyse des conséquences de la catastrophe. Or la méthode a ses limites. Dès lors que l’on parle d’effets stochastiques, c’est-à-dire d’effets non déterministes (qui n’apparaissent pas selon le principe d’une cause induisant toujours le même effet), on entre dans le domaine de la statistique et de l’interprétation. Or, à l’heure des bilans, comme le regrette Jean-Pierre Dupuy, « la tentation est forte d’envoyer les effets stochastiques à la trappe. » Autrement dit, de conclure que l’immense majorité des victimes n’existent pas parce qu’il est impossible de les nommer. De les gommer parce qu’on ne peut dire avec certitude qu’elles meurent d’un cancer causé par la catastrophe.

Dupuy reste mesuré et avance entre 30000 à 40000 morts causées par Tchernobyl (d’autres estimations avancent des nombre à six chiffres). Il fustige par contre la dangereuse « infirmité mentale » des experts, persuadés de détenir une « vérité scientifique » et incapables d’appréhender le « monde humain, fait de significations, de symboles et de sens. » Pour Dupuy, le langage utilisé ne doit pas être celui des causes mais celui de la responsabilité : « La catastrophe de Tchernobyl aura été responsable de dizaines de milliers de morts, aucune vérité ‘scientifique’ n’a le pouvoir de s’opposer à cette vérité ‘humaine’ ».

La dernière pique de Retour de Tchernobyl est réservée aux journalistes qui accompagnaient Dupuy lors de son voyage sur les lieux de la catastrophe et qui avaient du mal à « transformer Tchernobyl en événement ». Un compagnon de voyage de Dupuy lui écrira à ce sujet : « Ils ont raté l’essentiel de ce voyage : l’invisibilité du mal. (…) D’ailleurs l’un d’entre eux ne m’a-t-il pas dit que pour lui et ses confrères Tchernobyl ne constitue pas un événement, en ce que justement il n’y a rien à montrer, rien à voir ? Certes, a-t-il ajouté, il y a des victimes mais on ne sait pas où elles sont ni ce qu’elles ont souffert. »

S’ils écrivent sur le 25ème anniversaire, les journalistes ne reviendront donc peut-être pas sur le bilan chiffré de la catastrophe. Mais ils pourront peut-être méditer sur les apparentes divagations de Municipal Waste… Des études sur des rongeurs ont mis en évidence des taux de mutations deux fois plus élevés que la moyenne et qui se compliquent et s’aggravent au fil des générations. La population des loups n’est pas encore mutante mais elle croît. Et elle a la rage… Au sens propre : une attaque contre des ouvriers a même été recensée en août 2009.

Wolves of Chernobyl, Driven by madness, You Can’t survive, Wolves of Chernobyl!

Brrr, et si Municipal Waste disait vrai en fin de compte ?

***

Wolves Of Chernobyl

Lyrics

Sometime not long ago on a day like this
Manmade energy caused the worst accident
People died fast and some passed through time
Radiation sickness wounds those who survive

Now mother nature attempts to rebuild
Fights to bring back all the things man has killed
Wildlife must feed while the ground grows with warmth
And DNA structured begin to reform

A force is growing hungry
In the black of night
A thirst driven by madness
Quenched by human life

Where will you run when the pack’s after you?
Do you think you can hide until the howling is through?
Victims can’t escape no matter how hard they flee
The beasts are running wild and all they want is to feed

Beware the pack is coming for you!

Snow stained red
Howls fill the air
Nothing’s going to stop it
It’s a massacre

Wolves of Chernobyl

Their numbers grow larger
A glow lights their eyes
Continues to hunt those alone in the night
Believe it’s a legend
Consider it a myth
Consider it luck the fact you still exist

Was the mother nature’s choice to rebuild
A way to pay us back for all we have killed
They’ll soon grow in number each person they slay
And sooner or later we’ll become their prey

Beware the pack is coming for you!

Snow stained red, howls fill the air
Wolves of Chernobyl
Nothing’s going to stop it
It’s a massacre
Wolves of Chernobyl
Driven by madness
You Can’t survive
Wolves of Chernobyl!

***

Le site de Municipal Waste est actuellement en cours de décontamination

Le site de l’illustrateur très hardcore de la pochette, Andrei Bouzikov