la vie sur Mars (hs#28, DAVID BOWIE, Life on Mars?)

Encore inconnu, David Bowie aurait dû adapter les paroles en anglais du Comme d’habitude de Claude François. Plus préoccupé par la sortie de ses propres compositions, il se fit souffler la politesse par Paul Anka, qui commit My Way, propulsé par Sinatra. Dépité d’avoir laissé filer 100 balles, Bowie se rattrapa avec un Mars et écrivit Life on Mars?, un morceau paru sur l’album Hunky Dory en 1971, qu’il décrivit en gros comme un My Way, mais en mieux. Life on Mars? ne connut le succès que deux ans plus tard, une fois sorti en single. Le classieux clip réalisé par Mick Rock magnifiant un Bowie bleu azur dont les yeux et les lèvres maquillés ressortent du fond blanc y est peut-être pour quelque chose :

Life on Mars? est tout sauf une chanson ordinaire. Déjà, elle m’oblige à commencer ce headbanging science en citant Claude François, que j’estime musicalement à peu près autant qu’un cancrelat à qui on aurait octroyé un banjo. Ensuite, si vous entendez les accords de My Way dans Life on Mars?, vous, c’est que vous avez une oreille musicale que je n’ai pas. Enfin – et on s’en douterait presque à la vue de ce clip… lunaire –, Life on Mars? ne parle pas du tout de Mars. À vrai dire, Life on Mars? ne parle même pas d’espace. Autant dire que, pour poursuivre cette chronique scientifique, il va me falloir sortir la pelle…


De quoi parle le sublime texte de Bowie ? Il s’agit de la complainte d’une jeune ado désabusée par la société de consommation et du spectacle, et plus largement par la violence et la vacuité de l’American Way of Life. L’interrogation Is there Life on Mars? résonne comme un appel au secours adolescent : « Dites-moi qu’au moins il y a quelque chose ailleurs – de toute façon ça ne peut pas être pire qu’ici. »

Sans écrire une ligne sur le sujet, Bowie a pourtant tout exprimé sur le rapport que nous entretenons avec la planète rouge. L’homme se demande s’il y a de la vie sur Mars parce qu’il désespère de la sienne sur Terre. L’envie de vie sur Mars est une déprime adolescente. En voici quelques indices.

Mars, planète soeur

Mars faisant partie des cinq planètes visibles à l’œil nu est observée depuis que les hommes ont des yeux. Sa couleur rouge sang – et peut-être sa trajectoire erratique dans le ciel – lui vaut d’être associée à la guerre et à la destruction plutôt qu’à une quelconque oasis de vie dans une tripotée de cultures antiques. On a alors plutôt envie de laisser la planète rouge – et la vie qui s’y trouve – tranquille.

Ceci jusqu’à ce que les observations de William Herschel, à la fin du XVIIIe siècle, puis celles de son fils John, la fassent voir d’un autre œil. Mars possède des saisons, des calottes polaires qui fondent en été, des taches et des traînées sombres qui pourraient bien être des mers et des détroits, bordant des masses rougeâtres ou jaunes qui doivent être des continents. Toutes proportions gardées, dès le premier quart du XIXe siècle, les astronomes sont persuadés que Mars présente des analogies étroites avec la Terre. Ce que Camille Flammarion résume ainsi :

« Continents, mers, îles, rivages, presqu’îles, caps, golfes, eaux, nuages, pluies, inondations, neiges, saisons, hiver et été, printemps et automne, jours et nuits, matins et soirs, tout s’y passe à peu près comme ici. » (Flammarion, 1891)

C’est beau comme le guide du routard. Les conditions semblant idéales, pourquoi ne pas postuler l’existence de la vie sur Mars, et même d’une vie intelligente ? Flammarion n’y va pas par quatre chemins et avance que la planète est peuplée de races non seulement intelligentes, mais encore supérieures à nous.

Notice: réglage des canaux

Si Flammarion s’emballe ainsi, c’est parce qu’en 1877, en 1879 puis en 1881, profitant d’excellentes conditions d’observation lors d’oppositions particulièrement favorables, l’astronome italien Giovanni Schiaparelli a mis en évidence des structures rectilignes ou formant des arcs de très grands cercles qui zèbrent des planètes : des « canaux », dont certains font près de 3000 km.

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Schiaparelli n’est pas n’importe qui, il est directeur de l’observatoire de Milan et par ailleurs excellent cartographe, si bien que les cartes qu’il exécute convainquent une partie des astronomes qu’il y a bien une espèce intelligente peuplant Mars et s’amusant à jouer à SimCity grandeur nature. À partir de 1894, le riche astronome amateur Percival Lowell en rajoute une couche. Il se fait construire son propre observatoire en Arizona et se lance dans l’étude des canaux martiens. Il les aligne frénétiquement, recouvrant la planète d’une véritable toile d’araignée.

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Il faut relever ici que tous les astronomes sont loin d’être convaincus par cet étalement de tuyauteries martiennes. Pour une bonne raison : certains arrivent à les observer, d’autres non. Pourquoi tout le monde ne voit-il pas la même chose ?

Pour les esprits charitables, les observateurs persuadés de voir des canaux sur Mars sont victimes de la médiocre qualité de leurs instruments : l’observation s’effectue aux limites de la résolution instrumentale et durant les quelques fractions de seconde qui laissent entrevoir la surface. Ils sont dès lors abusés par des phénomènes d’illusion d’optique tout ce qu’il y a plus de naturels. C’est l’explication que propose l’astronome grec naturalisé français Eugène Michel Antoniadi, qui, grâce à la grande lunette de l’observatoire de Meudon et à un œil particulièrement exercé pour interpréter ombres et contrastes pour en déduire les reliefs, fut le grand démystificateur des canaux de Mars. Voici ce que Antoniadi voit par exemple le 20 septembre 1909 :

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C’est déjà nettement moins rectiligne (et plus joli), n’est-ce pas ? Si quelque chose construit des canaux là-haut, c’est sans doute après avoir abusé du genépi, ou de son équivalent martien. Dans l’ouvrage La planète Mars publié en 1930, Antoniadi compare deux représentations de la région d’Elysium. Celle du haut est un dessin de Schiaparelli. Celle du bas son propre croquis synthétisant plusieurs observations. Les lignes rectilignes observées par Schiaparelli et ses confrères ne sont en fait, pour Antoniadi, que des alignements de taches plus ou moins régulières, donnant l’illusion de former des lignes :

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Pour l’essentiel, il semble surtout que les observateurs convaincus de l’existence d’une vie sur Mars voyaient tout simplement ce qu’ils avaient envie d’y voir. Ce n’étaient ni Schiaparelli ni Lowell qui plaçaient leur œil sur l’oculaire, mais la « fille aux cheveux de souris » de David Bowie.

Petits arrangements avec l’habitabilité

Il n’y a pas que chez les astronomes qu’une fillette sommeille. Puisqu’il est question de vie, les biologistes ont aussi leur mot à dire sur Mars, par exemple l’illustre Alfred Russel Wallace (oui, le codécouvreur du principe de la sélection naturelle). Celui-ci eut une vie fort longue qu’il mit à profit pour disserter sur toutes sortes de sujets, dont celui assez général de la pluralité des mondes habités (Man’s Place in the Universe, 1903) et celui plus particulier de l’habitabilité de Mars (Is Mars Habitable? 1907).

Is Mars Habitable? est considéré comme un texte scientifique pionner dans le champ de l’exobiologie, mais il y aurait sans doute à redire sur son objectivité. La biographie de Wallace écrite par Peter Raby, qui vient de sortir en français (Alfred R. Wallace, l’explorateur de l’évolution, Éditions de l’évolution) ne consacre qu’un paragraphe à cette œuvre oubliée de Wallace, présentée comme une « riposte cinglante » à la théorie des canaux martiens défendue par Lowell. Voici comment Wallace critique la démarche adoptée par Lowell :

« Il part du postulat que les lignes droites sont des œuvres d’art et, plus il en trouve, plus il voit dans leur abondance la preuve qu’il s’agit bien d’œuvres d’art. Ensuite, il s’emploie à tordre et déformer routes les autres observations afin qu’elles correspondent à son postulat. »

Ainsi que le note Raby, « Cette critique aurait très bien pu s’appliquer à sa propre défense du spiritisme ». Et sans doute à l’entièreté de l’ouvrage qui, sous couvert de recherches poussées pour parvenir à une analyse du climat et des conditions atmosphériques sur Mars d’allure scientifique, est avant tout la tentative d’un nonagénaire, anthropocentriste impénitent, pour démontrer coûte que coûte que la Terre est la seule planète de l’univers où la vie a pu se développer.

Wallace n’accepte pas l’idée que la vie ait surgi par accident, ni qu’elle puisse disparaître un jour par l’effet des mêmes causes évolutives (il est bon de se rappeler ceci à la lecture de textes cherchant un peu trop ostensiblement à mettre Wallace sur un strict pied d’égalité avec Darwin pour minimiser l’apport de celui-ci…).

goldilocks

On pourrait croire que les critères d’habitabilité définis par les astronomes modernes qui traquent les exoplanètes échappent aux biais de notre propre conception du vivant, terrestre et extra-terrestre. Rien n’est moins sûr si l’on suit Ian Stewart qui, dans Les mathématiques du vivant (Flammarion, 2013), notamment, aborde la notion d’habitabilité sous l’angle des mathématiques pour nous faire comprendre les difficultés que pose sa définition.

La loi de Planck, explique-t-il, permet de déterminer la température d’une planète gravitant autour d’une étoile, donc de déterminer les frontières intérieures et extérieures de la zone habitable, c’est-à-dire là où il ne fait ni trop chaud ni trop froid, mais juste bien pour autoriser le développement de la vie à condition qu’elle mette une petite laine quand ça fraîchit le soir. Il existe deux versions de la formule de calcul, avec ou sans albédo (la fraction du rayonnement réfléchie par la planète). Avec un albédo à 0,3 (valeur terrestre), la zone habitable du Soleil s’étend de 69 millions à 130 millions de kilomètres. Mercure, située à 58 millions, est hors jeu : trop chaude. Mars, à 228 millions de kilomètres, l’est aussi : beaucoup trop froide. Mais la Terre, à 150 millions de kilomètres, l’est aussi ! Et seule Vénus, à 108 millions de kilomètres, serait habitable. Paradoxe : la seule planète habitable, celle qui est sous nos pieds, est en dehors de la zone habitable de son étoile… Amis Vénusiens, bonjour.

Le concept d’une zone habitable qui ne tiendrait pas compte des caractéristiques particulières des planètes, en particulier de leur atmosphère, est donc trop simpliste. Mais notre conception du vivant (intuitivement, quelque chose qui nous ressemble) doit aussi être revue. Les organismes extrémophiles terrestres, note Ian Stewart, vivent dans des conditions qui ne correspondent pas à celles de la zone habitable :

« dans une eau dont la température dépasse le point d’ébullition normal ou descend sous son point de fusion normal. Ni très au-delà ni très en deçà des conditions qui définissent la zone habitable, mais au-delà et en deçà tout de même. »

L’idée d’une vie sur Mars, fût-elle passée, ne donc être abordée qu’en connaissant parfaitement les caractéristiques de la planète. Et c’est bien pour ça qu’on y envoie crapahuter des rovers, en attendant que nous puissions nous y rendre nous-mêmes. Mais c’est là que ça se complique…

Y aura-t-il de la mort sur Mars ?

Selon Philippe Labrot, qui tient le site nirgal.net, « la découverte définitive d’une vie martienne ne pourra pas avoir lieu avant que des roches ne soient ramenées dans les laboratoires terrestres pour y être examinées. » La faute aux moyens et aux conditions d’analyse forcément limitées des robots, seuls sur la planète rouge. Pourquoi ne pas se rendre sur Mars et mener ces analyses sur place ? Simplement parce qu’il faudrait éviter à tout prix la contamination des écosystèmes martiens par les microorganismes terrestres que nous ne manquerions pas de trimballer avec nous, quelles que soient les précautions prises. On se trouve dès lors dans une belle impasse, que Labrot formule ainsi :

« La découverte de formes de vie sur la planète Mars aura alors une conséquence inattendue : celle d’empêcher tout débarquement humain. (…) Il est assez paradoxal de penser que si la réalité dépasse nos rêves, et qu’un écosystème existe encore aujourd’hui sur Mars, il nous faudra l’étudier par procuration, grâce à des robots commandés en temps réel depuis un avant-poste implanté sur Phobos, et non pas de nos propres mains. L’étude de Mars continuera donc d’être ce qu’elle a été depuis le début, un travail à distance, jusqu’à ce qu’un jour enfin les écosystèmes martiens soient entièrement caractérisés, et que le danger d’une éventuelle contamination croisée soit définitivement écarté. »

Si cette vision est juste, je la trouve réconfortante : laisser la vie sur Mars tranquille afin de ne pas y apporter la mort. Je me repose sur elle pour me persuader que la dernière trouvaille en date de la compagnie néerlandaise Mars One, sélectionner, sous la forme d’une télé-réalité, et envoyer des candidats dans un Loft martien en 2023, n’a aucune chance de voir le jour, tout au moins pour la partie spatiale du projet.

La page Wikipédia française consacrée à Mars One détaille les limites techniques, humaines et financières du projet, qui prétend parvenir à ses fins sur la base des techniques actuelles (capsule Dragon et lanceur Falcon Heavy de Space X, notamment) et pour la modique somme de 6 milliards de dollars. Les limites psychologiques me semblent les plus insurmontables : celles liées au voyage et à la vie sur Mars, bien sûr, mais aussi celles liées aux sept ans de sélection passés à faire de la télé-réalité. Je doute que quiconque survive à ça. Surtout avec Denis Brogniart aux manettes.

Si le projet marche malgré tout, ce n’est pas vraiment de la vie qu’on enverra sur Mars, mais des morts en sursis, puisque le voyage serait sans retour. Des milliards de téléspectateurs rivés devant leur écran à guetter la mort prochaine de leurs semblables, quel réjouissant programme. Qui nous ramène à la girl with the mousy hair de Life on Mars? :

And she’s hooked to the silver screen
But the film is a saddening bore
For she’s lived it ten times or more
She could spit in the eyes of fools
As they ask her to focus on

David Bowie avait tout compris. Comme d’habitude.

 

la cinétique des gaz s’applique-t-elle au Heavy metal ? (hs#28 ANTHRAX, Caught in a Mosh)

Après, Metallica, Slayer et Megadeth, le headbanging science accueille le quatrième larron du Big 4 du thrash américain, j’ai nommé Anthrax, avec un morceau extrait d’Among the Living, leur troisième album, sorti en 1987, Caught in a Mosh :

 

Levons le voile illico : grâce à Anthrax, nous allons parler de physique sur le bLoug, ce qui est une grande première, et plus précisément de cinétique des gaz. Le lien qui vient immédiatement à l’esprit est : « ah ouais, le métal, la bière, donc les gaz… » En fait, non. Caught in a Mosh évoque le fait d’être confronté à un quelqu’un d’irrémédiablement obtus, sur lequel tous nos arguments rebondissent et restent sans effet, ce qui nous donne le sentiment d’être « pris dans un mosh », ou en langage clair, « embarqué dans un pogo ». Pour simplifier, le mosh est en quelque sorte la déclinaison du pogo (danse éminemment punk et individualiste) en une version hardcore et métal (volontiers plus collective). Puisqu’on en est au lexique, vous lirez aussi les termes de « pit » (la fosse), et de « circle pit », qui est une figure particulière dans laquelle les moshers se mettent à courir en cercle.

bandeau anthrax

Deux étudiants de l’Université de Cornell (avec deux de leurs professeurs de physique) viennent de connaître un joli buzz dans la presse outre-Atlantique avec un petit papier qui se propose d’étudier, sous l’angle de la physique, « Les mouvements de foule des moshers aux concerts de Heavy Metal » (c’est le vrai titre de leur commentaire, publié sur arXiv – il ne s’agit pas d’une véritable publi scientifique).mosh pit nice

 

Nos physiciens mélomanes s’attaquent aux :

« foules importantes (102 à 105 personnes) dans les conditions extrêmes des concerts de heavy metal. L’humeur de l’assistance, qui est source de blessures physiques fréquentes, est influencée par une combinaison de musique lourde et rapide (130 dB, 350 bpm) synchronisée avec des flashs de lumière vive, et de fréquentes intoxications. La nature et l’importance de ces stimuli atypiques contribuent aux comportements collectifs que nous allons étudier ici. [renvoi à l’image d’un public de concert, au cas où vous n’auriez pas saisi le tableau]. »

 

Ça commence mal… Sans être désagréable, mieux vaut tout de même rectifier certains détails : les auteurs tirent leurs 130 dB d’une étude datée de 1992, un simple passage dans n’importe quel concert ayant eu lieu ces 15 dernières années aurait pu leur apprendre que le niveau de décibels a sacrément diminué et est strictement réglementé ; je ne sais pas d’où proviennent les 350 bpm évoqués, mais c’est évidemment grotesque (bien qu’humainement jouable) ; les blessures fréquentes sont tirées d’une véritable étude médicale consacrée aux concerts de métal : dans un festival de 4 jours ayant réuni 240 000 personnes, 1,5 personne sur 10 000 ( !) a dû être hospitalisée suite à ses activités de mosh – c’est quand même pas lourd !

mosh pit anim

 

Bref, venons-en au cœur du sujet. À partir de vidéos de concerts sur YouTube, les auteurs ont utilisé un logiciel destiné à l’analyse des particules dans un fluide pour suivre les mouvements de foule. Ils ont observé que les vitesses des moshers avaient la même distribution statistique que celles des particules dans un gaz, dont le mouvement n’est affecté que par leurs interactions avec d’autres particules.

L’équipe a ensuite conçu un modèle, baptisé MASHer, dans lequel chaque mosher est simplifié en un MASHer, une particule au mouvement autonome, capable de rebondir sur les autres, de s’agréger à elles ou de les suivre. Un peu de bruit statistique a été rajouté aux mouvements afin de simuler l’état d’ébriété. Deux types de MASHers sont distingués : les actifs, qui ont tendance à se déplacer, à être en interaction avec les autres particules et soumis à des forces fluctuant aléatoirement (par exemple, si le gars devant sent un peu, vous allez subir une forte envie de vous en éloigner, ce qui est bien vu) ; les passifs, eux, préfèrent ne pas bouger et échapper ainsi aux désagréments des interactions avec les autres particules.

En réglant les différents paramètres de leur outil, par exemple en agissant sur le niveau de bruit ou sur la faculté à former un groupe, les chercheurs ont obtenu quelque chose d’assez conforme à ce qu’on observe dans la réalité : au bout d’un moment, les actifs se trouvent regroupés entre eux, et confinés par les passifs, comme dans un mosh pit. Mieux, sous certaines conditions, ils se mettent à former un cercle et à tourner, une figure également observée dans les fosses et connue sous le nom de circle pits.

Vous pouvez essayer de simuler votre propre mosh pit dans l’outil mis à disposition par les chercheurs.

exemple de simulation de mosh pit

 

Alors, les moshers se comportent-ils vraiment comme des molécules gazeuses ?

Je ne vais pas reprendre les auteurs sur le plan de la physique, j’en suis bien incapable, mais il y a au moins deux choses qui me gênent dans leur démarche.

La première tient à ce que leur modèle n’envisage pas que les particules soient mues par une intelligence et une volonté collectives et soumises à des facteurs externes autres que leur état d’ébriété. Les particules rebondissent les unes contre les autres et s’agglutinent en fonction des lois physiques entrées dans le système. Alors qu’en réalité, c’est précisément ce qu’elles cherchent à faire. L’étude est ici victime de son préjugé de départ : le pit est un agglomérat de débiles défoncés.

Les auteurs estiment que leurs résultats posent une question intéressante et centrale :

“Pourquoi un système en déséquilibre présente-t-il les caractéristiques d’un système en équilibre ?”

 

Je serai tenté de répondre : Pour votre modèle, je n’en sais fichtrement rien, mais pour ce qui est des mosh pits véritables, parce qu’il ne s’agit pas du tout d’un système en déséquilibre. Ce qui ruine totalement l’analogie avec la cinétique des gaz, à mon sens.

Comme on peut le voir ci-dessous, en commençant la vidéo à 1:40 (ou au début si vous aimez Mastodon), un petit circle pit se met en place à un moment bien précis du morceau. Dans la réalité, une partie des molécules de gaz s’entend donc pour bouger de façon cohérente à un moment déterminé, en fonction des signaux reçus de son environnement.

 

La taille du circle pit varie selon le nombre de personnes et c’est le groupe DevilDriver qui détient le record avec environ 25 000 molécules de gaz faisant la ronde. Voici la performance. Comme on peut le constater, tout cela a à peu près autant de rapport avec la cinétique des gaz qu’une ola au stade de France. C’est complètement organisé.

 

Voyons maintenant une figure assez subtilement intitulée Wall of death, sur ce morceau d’Exodus. Vous allez saisir assez vite le principe en regardant cette vidéo, mais ce qu’il faut en retenir, c’est que la mise en place est complètement orchestrée par le chanteur et les molécules gazeuses ne font, là aussi, de façon concertée, qu’obéir à un stimuli extérieur.

 

Pour finir de démonter l’analogie de nos jeunes physiciens, il faut aussi relever qu’il existe un véritable code tacite au sein du pit : les molécules ne font pas du tout n’importe quoi : une personne à terre, par exemple, sera aussitôt relevée ; les filles doivent être respectées ; et tout contrevenant au code sera châtié par le groupe. On est bien loin d’un modèle dans lequel les particules rebondissent les unes sur les autres et sont passivement soumises à des forces aléatoires.

La deuxième chose qui me chiffonne, est la démarche des chercheurs. Leur idée initiale est que le phénomène du mosh pit, ressemble “qualitativement” (i.e., dans leurs rêves) à la cinétique des molécules gazeuses, même si (et c’est eux qui soulignent), les moshers sont des agents qui se déplacent par eux-mêmes… Partant, ils nous proposent d’explorer cette analogie de façon quantitative. Traduisez : « nous allons essayer de bidouiller un programme qui restitue à peu près l’idée de Machin, quand bien même elle est fumeuse. » Quand votre hypothèse de travail prévoit l’existence de quelque chose, il y a de fortes chances que vous trouviez ce quelque chose, du moins quelque chose faisant vaguement l’affaire (franchement, les simulations ne ressemblent pas vraiment à la réalité) et j’ai assez l’impression que c’est à ça qu’on a affaire ici, plutôt qu’à une démarche scientifique véritable.

L’analogie a souvent des vertus. Pas celle de remplacer une démonstration inexistante. Ce buzz sur le mosh me rappelle un peu notre histoire du gars qui comparait Jimi Hendrix et les marmottes, de façon gratuite. On peut comprendre la course au coolest paper ever, mais par pitié, amis chercheurs, vous n’êtes pas obligé non plus de faire dire n’importe quoi à la musique. Vœu pieux, sans doute, car quand je vois que tous les papiers, y compris celui du New Scientist, recopient fidèlement votre communication, sans une once de questionnement, j’ai un peu l’impression d’être Caught in a Mosh moi-même, comme dirait Anthrax. Et de sentir le gaz, finalement.

 

sasquatch comme ça chez les pseudoscientifiques (hs#27 TENACIOUS D, Sasquatch)

Tenacious D dans le headbanging science ? Avec un morceau intitulé Sasquatch, l’équivalent nord-américain du yéti ? Il y avait au moins deux bonnes raisons de douter de la pertinence d’un billet consacré au duo satirique composé de Jack Black et Kyle Gass, tous deux chanteurs et guitaristes acoustiques.

La première tenait à la caution rock. Le doute a été vite levé : Tenacious D a tout de même ouvert pour Pearl Jam ou Metallica et accueilli comme batteurs rien moins que Dave Grohl ou Brooks Wackerman (Bad Religion) ! C’est un tout autre invité que l’on peut voir derrière les fûts dans cette vidéo (à 1:55). Un « kickin ass » style, qui ne fait hélas pas l’affaire pour Tenacious, pas à l’aise à l’idée de former un power trio…

 

La deuxième raison tenait à ligne de profond sérieux de ce blog (oui, parfaitement)… Un sujet de cryptozoologie, après avoir consacré un numéro du headbanging science aux rumeurs de hoax lunaire, paraissait risqué.

Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, il existe une actualité sur le sasquatch qui, à défaut d’être sérieuse en soi, a quelque chose à nous dire sur le fonctionnement de la science qui vaut la peine d’être relevé. Figurez-vous que…. (roulement de tambour) des données viennent de prouver de façon concluante que le sasquatch existait bel et bien. Mieux, il s’agirait d’une espèce d’hominidé directement apparentée à Homo sapiens. Étonnant non ? Et bien sûr, totalement loufoque. Mais voyons de quoi il retourne exactement.

 

headbanging science tenacious D


Syndrome de Galilée chez une ancienne vétérinaire

En novembre 2012, un communiqué de presse émanant d’un laboratoire de génétique texan (DNA Diagnostics), claironnait avoir séquencé le génome du sasquatch à partir d’une centaine d’échantillons de poils. Les données mitochondriales indiquaient une parenté directe avec Homo sapiens (via la lignée maternelle : le génome mitochondrial est transmis par la mère). En revanche, du côté du génome nucléaire (transmis par les deux parents), c’était un peu le bordel : le sasquatch était apparenté avec l’homme, d’autres primates et des trucs inconnus. Tout cela n’avait aucun sens, ce que PZ Myers, auteur du blog Pharyngula, railla à l’époque, évoquant un travail bâclé, de toute évidence entaché de niveaux élevés de contamination de l’ADN, se demandant si on allait aussi trouver des gènes de raton laveur et d’opossum dans les séquences analysées.

Melba Ketchum, auteure du papier (et par ailleurs ancienne vétérinaire reconvertie dans la génétique : elle dirige DNA Diagnostics) estimait être victime d’une cabale qui l’avait empêchée de publier ses résultats dans une revue scientifique à comité de lecture (la démarche scientifique consiste à faire évaluer ses travaux par les pairs et les soumettant à des revues à comité de lecture, qui décident si le travail de recherche soumis pour publication est acceptable ou non), se plaignant amèrement de ce que certaines n’aient même pas regardé son manuscrit et qu’un relecteur ait osé se moquer ouvertement de son travail dans son commentaire.

Melba Ketchum avait absolument raison. Il était absolument invraisemblable qu’un relecteur ait pu se moquer ouvertement de ses travaux : tous auraient dû le faire.

Melba Ketchum revient - et elle n'est pas contente

Melba Ketchum revient – et elle n’est pas contente

L’histoire aurait dû s’arrêter là, mais Melba Ketchum, évoquant un « effet Galilée » (il fallait oser !), n’avait pas dit son dernier mot.

 

On n’est jamais si bien servi que par soi même

Comment est-elle malgré tout parvenue à faire publier ses “résultats” ?

Tout simplement en rachetant et en renommant une revue ! Aussitôt créé, aussitôt publié ! DeNovo, c’est le nom de cette nouvelle revue en ligne, s’est fendue d’une édition spéciale comportant en tout et pour tout un seul article, celui de Melba Ketchum :

“Novel North American Hominins, Next Generation Sequencing of Three Whole Genomes and Associated Studies.” Authors: Ketchum MS, Wojtkiewicz PW, Watts AB, Spence DW, Holzenburg AK, Toler DG, Prychitko TM, Zhang F, Bollinger S, Shoulders R, Smith R. DeNovo. 13 February 2013.

DeNovo entend “accélérer la science”. Tu m’étonnes… L’éthique veut que les éditeurs des revues scientifique ne supervisent pas la publication de travaux de leur propre institution de recherche – et encore moins leurs propres travaux ! Pour compléter la farce, la revue est soi-disant en accès libre, mais il vous en coûtera $30 pour acquérir l’article ! Il n’a été envoyé avant publication qu’à certains blogueurs « crypto-friendly », avec embargo…

 

Et le sasquatch dans tout ça ?

Sur la forme, relevons en vrac : que l’équipe est essentiellement composée d’experts en médecine légale et ne comporte pas d’expert des primates ; qu’on ne sait pas grand chose sur la façon dont les échantillons de poils de sasquatch ont été collectés  ; que l’article  contient des illustrations de sasquatch qui font un peu désordre pour une revue scientifique, dont une vidéo de ce qui ressemble à une couverture sale planquée dans des fourrés

Sur le fond, il est évident que les conclusions vont totalement à contresens des données rapportées :

  • Que l’ADN mitochondrial corresponde à celui d’Homo sapiens ne pose pas de problème en soi si l’on admet que ce sont des femmes qui se sont reproduites avec [quelque chose] et ont donné naissance à des hybrides. Le hic est que cet ADN provient de 16 populations différentes, la plupart d’Europe et du Moyen-Orient, quelques unes africaines et amérindiennes ! La spéciation ayant eu lieu il y a 15 000 ans, on ne devrait trouver que des séquences d’Indiens nord-américains… Mais les auteurs ne s’arrêtent pas à ce détail et spéculent que ces populations ont été se balader en Amérique via le Groenland. La seule explication qui tienne est en fait celle d’une multi contamination des échantillons d’ADN de bestiole par celui des humains qui les ont récoltés ou manipulés.
  • Pour ce qui est du génome nucléaire, difficile d’en dire quoi que soit. Certains tests révèlent une parenté avec l’homme, d’autres avec un primate non identifié, d’autres encore ne révèlent rien du tout. Selon John Timmer, du site arstechnica.com, les résultats sont ceux qu’on pourrait obtenir si on essayait de mixer de force de l’ADN de deux espèces non étroitement apparentées. Par exemple Melba Ketchum avec un vrai scientifique. On ne parlerait donc plus de simple contamination, mais bel et bien de fraude.

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Que conclure de cette intrusion de la pseudo-science sur les terres de la science officielle ? 3 choses.

  • Premièrement, que le système du peer-review, malgré ses défauts, présente des garanties d’étanchéité assez utiles. Les tentatives faites par les « sciences » créationnistes pour le copier, en créant leurs propres revues à comités de lecture, hostiles à l’évolution, n’ont pas donné grand-chose de concluant. Pour les auteurs, copier la démarche scientifique est couteux en temps et ne leur rapporte au final pas grand chose en termes de crédibilité. Compte tenu de l’écho scientifique nul qu’aura rencontré la tentative sur le sasquatch, on peut espérer les aficionados de Nessie, par exemple, réfléchiront à deux fois avant de soumettre leurs manuscrits à DeNovo.

 

  • Deuxièmement, que la sphère médiatique, pourtant prompte à s’emballer, se comporte plus intelligemment en matière de science qu’on ne veut bien le dire. Jusqu’à présent, je n’ai relevé l’information de la « découverte » du sasquatch que sur le site 7sur7.be – parmi des informations capitales telles que : « Cent pierres retrouvées dans l’estomac d’un labrador » ou « Elle a des cheveux longs de six mètres et demi ». Un bémol toutefois, le communiqué de presse de novembre 2012 que nous avons mentionné plus haut avait fait l’objet d’un article bien gentillet sur le site Maxisciences. Bravo à eux.

 

  • Enfin, qu’il est bien possible que la prochaine étude publiée dans DeNovo prouve, de façon concluante, que Melba Ketchum est un hybride de Robert Mitchum et d’une pêche melba.

 

Pour revenir à Tenacious D, vous vous demandez tous bien entendu qui tient le rôle du sasquatch. Il s’agit d’un autre acteur, John C Reilly, que l’on peut voir ici pousser la chansonnette au… Sasquatch Festival !

Un festival bien réel lui, dont la prochaine édition aura lieu du 24 au 27 mai 2013, sur le site de The Gorge, dans l’État de Washington. C’est un peu loin, mais sachez que la programmation est plus qu’alléchante (Sigur Ros, Arctic Monkeys, Primus, Bloc Party, BRMC, Red Fang… ) et que c’est dans cet État que la Bigfoot Field Researchers Organization recense le plus de « rencontres » du sasquatch : 556 !

 

A lire, deux bons décryptages (en anglais) dont j’ai pu m’inspirer :

 

ceci n’est pas un drapeau flottant sur la Lune (hs#26 RAMMSTEIN, Amerika)

Comme le headbanging science précédent le laissait entendre, nous partons sur le Lune planter le drapeau américain en compagnie d’Apollo 11 et de Rammstein. Enfin… sur la Lune ou bien en studio ? Mise au point sur une rumeur qui a la vie dure, celle de la prétendue mise en scène par la Nasa des marches lunaires…

 


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Pornographie, homophobie, nazisme, incitation à la tuerie de Columbine, etc. Rammstein a réussi à s’attirer la polémique à chacun des albums ponctuant ses 20 ans de carrière, démontrant un sens du marketing aigu – ou une naïveté confondante. Les Teutons ont même réussi à se faire poursuivre en justice par le criminel anthropophage Armin Meiwes, ce qui n’est pas peu classe. Ne dérogeant pas à la règle, le morceau Amerika, de l’album Reise, Reise (2004), s’est lui aussi attiré les critiques. Voyons de quoi il retourne :

Nul besoin de maîtriser la langue de Till Lindemann pour comprendre que Amerika prétend dénoncer l’hégémonisme culturel américain, via la mise en scène de ses symboles les plus connus : Coca, hamburgers, Brando…. Pas de quoi fouetter un chat, mais suffisant pour taxer le groupe d’anti-américanisme primaire. Mais c’est l’utilisation qui est faite de l’imagerie d’Apollo 11 qui va nous intéresser ici, en particulier la rumeur voulant que la conquête de la Lune n’ait été qu’un vaste hoax orchestré par la Nasa (et peut-être des puissances plus occultes encore). Le clip montre le groupe jouant sur la Lune, arborant les sigles NASA et Apollo 11 sur leurs instruments et sur leurs combinaisons. On voit également deux membres du groupe s’affairer à monter un drapeau américain avant de poser devant pour la photo, en référence à cette image célèbre :

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Quant à la scène finale, on y découvre que le groupe joue sur une Lune reconstituée en studio. Le hoax prétend que la Nasa aurait fait de même (juste en cas d’échec, pour ne pas perdre la face, dans une version faible ; sans même chercher à essayer d’aller sur la Lune, dans une version forte).

Alors, le 21 juillet 1969, à 3 h 56 à Paris, Neil Armstrong a-t-il oui ou non allongé sa Ugg vintage, tâtant le sol avant de se décider à faire un « small step for (a) man but a giant leap for mankind » ? Évidemment oui. Il n’existe absolument aucune espèce de doute quant à la réalité de cet épisode clé de la conquête spatiale, tant les preuves abondent, qu’il s’agisse des 378 kg d’échantillon de sol lunaire ramenés par les missions Apollo, des réflecteurs laser placés sur la Lune, qui nous permettent aujourd’hui encore de mesurer avec une extrême précision la distance qui nous sépare de notre satellite, ou encore des témoignages de l’ensemble des acteurs de l’épopée lunaire. Ce qui n’empêche pas certaines de questionner chaque document d’époque de façon plus ou moins pertinente : Pourquoi ne voit-on pas d’étoiles dans le ciel ? Pourquoi voit-on plusieurs ombres ? Pourquoi le LM n’a-t-il pas creusé un cratère dans la poussière en alunissant ? Et pourquoi voit-on le drapeau flotter alors que, comme chacun le sait, il n’y a pas de vent sur la lune ?

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Buzz Aldrin et Neil Armstrong s’entraînent dans un décor lunaire de la NASA. De quoi alimenter la rumeurs selon laquelle la mission entière aurait été mise en scène

En écho à la thématique patriotique de Amerika, je m’attarderai ici simplement sur cette question du drapeau, avant d’aborder des considérations plus générales sur cette sorte bien particulière de scepticisme. Pour une déconstruction méthodique de l’ensemble de la théorie du complot lunaire, je vous renvoie à celle exécutée par Phil Plait dans son blog Bad Astronmy.

Pourquoi voit-on le drapeau « flotter » dans le vide lunaire ? Examinons cet argument. La Nasa a fourni plusieurs photos qui montrent bien que les plis du drapeau sont en réalité immobiles et ne « flottent » pas. Pour pouvoir être déployé dans le milieu lunaire, le drapeau était fixé à une potence horizontale que l’on distingue d’ailleurs parfaitement sur les photos. Armstrong et Aldrin, qui n’avaient pas répété ce travail (ce qui dément qu’ils aient accordé beaucoup d’importance à ce geste patriotique), l’enfoncèrent à la va-vite sans réussir à la déployer entièrement, si bien qu’il conserve cet aspect froissé pouvant laisser croire qu’il flotte. Ce gif animé montre que le drapeau est parfaitement fixe alors que l’astronaute, lui, a bougé :

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Mais le plus beau dans l’histoire n’est pas que le drapeau ne flottait pas, mais qu’il aurait en réalité parfaitement pu flotter ! Les conspirationnistes avançaient en fait un argument qui aurait confirmé ce qu’ils croyaient dénoncer, ainsi que l’ont démontré expérimentalement la chaîne Discovery et la Nasa : non seulement le drapeau aurait pu flotter dans le vide, mais il aurait bougé encore plus que dans notre atmosphère, en raison de l’impulsion donnée au tissu lorsque les astronautes enfoncèrent la hampe dans le sol. L’expérience en vidéo :

Enfin, avant de baisser pavillon, il convient de rappeler aux sceptiques que la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO) a photographié les sites d’atterrissage des missions Apollo, faisant apparaître objets, équipements et traces d’activité. La Nasa a ainsi pu établir, grâce aux différences d’éclairage solaire entre les clichés, que les drapeaux des missions Apollo 12, 14, 15, 16 et 17 sont encore debout sur le sol lunaire ! Seul le drapeau d’Apollo 11 n’est plus en place, Buzz Aldrin ayant déclaré l’avoir vu s’envoler lors du départ du module Eagle. Histoire de couper court à une nouvelle rumeur, empressons-nous de préciser que les empreintes de pas laissées par Neil Armstrong et Buzz Aldrin, elles, sont bien visibles sur les clichés de LRO

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L’hypothèse d’un canular orchestré par la Nasa ne date pas d’internet et de la vague complotiste post 11 septembre 2011, comme on pourrait le penser. À l’époque des faits, on prétendait déjà que les marches lunaires avaient été filmées par la Nasa, quelque part dans le désert du Nevada ou de l’Arizona, selon les versions. À vrai dire, même le vol circumlunaire d’Apollo 8 en décembre 1968 avait donné lieu à des rumeurs de hoax. Le poids de ces rumeurs ne saurait être estimé, mais plusieurs articles de journaux en firent écho. Il faut souligner que, sur le fond, ce scepticisme émanait de personnes ordinaires ayant simplement du mal à croire ce que la télévision et la radio leur rapportaient d’un monde en plein bouleversement, duquel elles se sentaient rejetées. Tout cela relevait plus de la conversation de comptoir spontanée et était à la fois dénué d’arrière-plan idéologique et d’orchestration politique. Seuls les membres de la Flat earth Society, par exemple, avaient des raisons précises de douter de la véracité des expéditions lunaires puisqu’on leur donnait à voir une Terre ronde. Roger Launius, conservateur au National Air and Space Museum de Washington relate dans un document consacré au sujet que son grand-père paternel, un fermier de 75 ans, démocrate depuis toujours par reconnaissance pour le New Deal de Roosevelt, ne croyait pas à l’alunissage d’Apollo 11 par simple manque de connaissance et par naïveté, de la même façon qu’il continuait à labourer ses champs avec des chevaux parce qu’il jugeait que les tracteurs étaient une mode éphémère ! Nulle trace de théorie conspirationniste à cette époque, donc, mais un témoignage d’une réalité sociale où tous ne vivaient pas exactement dans le même monde. En 1970, une enquête réalisée par un groupe de presse révéla que le taux d’incrédule pouvait grimper à 54% parmi les populations afro-américaines de Washington DC ! ce qui en disait plus long sur les tensions de la société américaine que sur les mécanismes du scepticisme proprement dits.

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De façon étrange, les images d’Apollo 11 ne suffirent pas à lever les doutes. Leur étrangeté avait même de quoi les susciter. Norman Mailer, qui couvrit la mission pour le compte de Life magazine rapporta, après avoir vu l’homme marcher sur la Lune, que l’évènement était si éloigné et paraissait si irréel qu’il était difficile pour l’Amérique en train de se congratuler d’en comprendre pleinement le sens, un peu comme un jeune marié que l’on félicite en disant : « Te voilà un homme marié, maintenant », ne peut véritablement se représenter la signification de ce changement. Mailer souligna également qu’il aurait fallu une combinaison de moyens pour monter un tel canular si colossale et si improbable que cela constituait la meilleure preuve que la marche sur la Lune n’avait pas été mise en scène en studio. Ce que confirma Neil Armstrong dans une communication personnelle en 2003 : « il aurait été plus dur de la simuler que de le faire vraiment. »

Il en irait bien sûr tout à fait autrement de nos jours. Dans les années 1970, une véritable théorie de la conspiration a commencé à voir le jour, avec la publication d’un pamphlet de Bill Kaysing, ancien employé d’un motoriste sous-traitant de la Nasa : We Never Went to the Moon : America’s Thirty Billion Dollar Swindle (1974), qui développait l’ensemble des arguments repris depuis – à commencer par notre fameux drapeau flottant dans le vide. Diverses oeuvres ont depuis enfoncé le clou, chacune à leur façon, comme le film Capricorn One (1978), qui transpose le thème de la reconstitution en studio sur Mars, ou le vrai-faux documentaire de William Karel (Opération Lune, 2002), qui manipule si bien les images qu’on ne sait plus très bien s’il démonte ou amplifie le hoax. En 1999, un sondage Gallup révélait que seuls 6% des Américains pensaient que leur gouvernement avait mis en scène ou truqué l’alunissage d’Apollo 11. La proportion n’avait pas varié depuis 1995 et un responsable de Gallup crut bon de préciser que ces 6% étaient en quelque sorte incompressibles, une partie des personnes interrogées répondant oui à toutes les questions, quoi qu’il arrive (surprenant aveu de la part d’un institut, car les bases sont censées être cleanées de ces monorépondants). Ce faible niveau a de quoi surprendre, lorsque l’on sait par exemple que 13% des Américains seulement pensent que l’apparition de l’homme résulte d’un processus évolutif étalé sur des millions d’années sans aucune intervention d’un quelconque Dieu (Sondage Gallup de 2004). Globalement, malgré l’étrangeté soulignée par Mailer, le fait que l’homme ait marché sur la Lune pouvait être largement admis dans la mesure où il n’entrait en conflit avec aucune conviction philosophique, religieuse ou politique (à l’exception des partisans de la Terre plate, mentionnés plus haut). Il ne prêtait pas non plus le flanc à la controverse scientifique, faute d’hypothèse adverse (la plupart des arguments du hoax n’ont pas de caractère scientifique).

Capricorn One

Les choses pourraient toutefois évoluer. En 2004 un sondage révélait que les Américains de 18 à 24 ans, qui n’avaient donc pas vécu l’épopée Apollo, étaient 27% à exprimer des doutes sur le fait que la Nasa ait pu envoyer des hommes sur la Lune. En 2009, un sondage anglais cette fois annonçait que 25% des Britanniques refusaient de croire que l’homme avait marché sur la Lune. À l’éloignement historique pourrait donc se conjuguer un éloignement « géographique ». De plus, le caractère improbable d’une conspiration à grande échelle avec les moyens de l’époque s’estompe. Ainsi que le démontre le blogueur Ethan Siegel de Starts with a bang, recréer de façon réaliste une scène du programme Apollo est aujourd’hui à la portée de tous. Prenant d’ailleurs appui sur le clip de Rammstein, il livre quelques conseils pratiques aux apprentis hoaxers sur le lieu de tournage, avec diverses suggestions, comme le site de Craters of the Moon, dans le parc naturel de l’Idaho, les costumes, ou les techniques vidéo et audio pour simuler l’effet de la faible gravité lunaire : une caméra haute vitesse à 180 images par secondes donnera l’impression du ralenti lunaire une fois le film passé à vitesse normale ; le chant du clip doit lui être enregistré à vitesse normale puis accélérée pour être synchronisée avec le film à haute vitesse. Si vous revisionnez le clip de Rammstein, vous vous apercevrez que ça marche plutôt pas mal.

Doit-on s’attendre à une augmentation de l’incrédulité, en dépit de la surabondance de faits ? C’est mal barré dans certains pays, puisqu’en Iran, il y a quelques mois, des milliers de personnes ont été victimes d’un canular orchestré par un possible fan de Rammstein : croyant que Pepsi allait projeter son logo sur la face de la Lune, elles se sont massées sur les toits pour assister à cette démonstration de puissance marketing de l’Oncle Sam.

Comme l’a dit, Harrison Schmitt (Apollo 17), seul scientifique ayant foulé le sol lunaire : « Si les gens ont décidé de nier les faits historiques, scientifiques ou technologiques, il n’y a pas grand-chose à faire pour eux. Pour la plupart, je regrette simplement que nous ayons raté leur éducation. » Allez, Rammstein dès la maternelle !

Epiphanie et astronomie (hs hs, Sheila – Les rois mages)

Désolé de réveiller des souvenirs auditifs pénibles, mais c’était le moment où jamais d’un petitheadbanging science hors-série’ (hs hs) consacré à l’Epiphanie.

On ne présente pas l’artiste :

 

Comme les Rois mages
En Galilée suivaient des yeux l’étoile du berger
Je te suivrai, où tu iras j’irai
fidèle comme une ombre, jusqu’à destination

Rectifions très brièvement les choses. Premièrement, les Rois mages (qui n’étaient pas des Rois) n’avaient rien à foutre en Galilée. Selon l’Evangile de Matthieu, qui consacre deux paragraphes à l’épisode (c’est le seul à le faire), les Rois mages venus d’Orient, sont arrivés à Jérusalem puis repartis pour Bethléem. Le trajet Jérusalem – Bethléem se déroule en Judée. La Galilée est bien plus au nord, à au moins 100 km à vue de nez :

Deuxièmement, nos excursionnistes ne suivaient certainement pas l’étoile du Berger, puisque celle-ci n’est autre que la planète Vénus. Vénus ne pouvait qu’être familière aux Rois mages, prétendument calés en astronomie (suffisamment au moins pour prétendre se guider aux étoiles). L’astre qu’ils suivirent était un phénomène céleste suffisamment rare et remarquable pour être interprété comme un signe. Pour paraphraser l’astronome Patrick Moore, si les Rois mages avaient suivi Vénus sans la reconnaître, ils auraient fait de fameux mages !

Et si tel avait été le cas. Voici quelle aurait été leur route, selon le grandiose xkcd, qui a consacré un hilarant billet au sujet, calculant divers trajets les plus loufoques les uns que les autres, en se basant sur les positions présumées des objets céleste à l’époque :

Je me contenterai de vous conseiller de lire le reste de l’œuvre, tout en remerciant le Dr Goulu qui a spotté la merveille.

Pour ceux qui aimeraient savoir quelle étoile ont bien pu suivre les Rois mages, sachez que les hypothèses de la comète de Halley, d’une étoile filante ou encore d’une supernova ne tiennent pas la route. D’autres hypothèses, telles qu’une conjonction Jupiter – Saturne paraissent plus solides. Mais la leçon à retenir est plutôt celle-ci : pour manger votre galette à temps, ne la commandez pas à des types qui naviguent au pif en plein désert.

 

apprenons à reconnaître un Viking (hs#25 AMON AMARTH, Twilight Of The Thunder God)

Vous ne pensiez tout de même pas débuter cette nouvelle année de headbanging science sans savoir comment reconnaître un Viking tout de même ? Allez, ôtez-moi ce grotesque casque à cornes et appareillons sur le langskip d’Amon Amarth pour rectifier quelques idées reçues sur les hommes du Nord.

De très sérieuses études inventées à l’instant démontrent que 50 % des Suédois (et assimilés) jouent dans un groupe de métal – les 50 % restant achètent de la musique métal. Quel beau pays. Parmi les sous-genres les plus appréciés, le Black Metal tient le haut du pavé. Le Black Metal tient en une interrogation existentielle qui peut se résumer ainsi : une créature se demande si elle va commencer par violer votre fille ou égorger votre chèvre (ou l’inverse). Le sous sous genre du Viking Metal, c’est un peu la même chose, sauf que la créature en question est un Viking.

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Amon Amarth fait partie des groupes qui jouent à fond sur la mythologie nordique, bien qu’ils se défendent d’être un groupe de Viking Metal (pour tout vous dire, ils jouent du Death mélodique, pas du Black, mais ça cause tout de même de Valhalla à tout bout de champ). Laissons ces petits jeunes férus de culture et de tradition vous exposer leurs bonnes intentions dans le coolissime Twilight Of The Thunder God :

En mars 2012, une étude génétique sur la souris domestique (Mus musculus), publiée dans BMC Evolutionary, montrait que cette commensale avait suivi nos hardis navigateurs dans leurs pérégrinations en Islande, au Groenland ou à Terre-Neuve. En d’autres termes, nos fiers Vikings avaient tout bêtement servi de marqueur pour une étude sur des rongeurs… Pas très glorieux. Leur fierté en a encore pris un coup en novembre 2012 lorsqu’un jeune doctorant en géochimie de l’Université du Massachusetts s’est targué d’avoir retracé l’historique de l’occupation humaine d’un site lacustre des îles Lofoten, au nord de la Norvège, grâce à … du caca de Viking fossile ! La grande classe.

Il semble donc que nos amis scientifiques ne respectent plus la force brute. D’où, peut-être, cette tentative désespérée d’Amon Amarth pour redonner aux pillards sanguinaires de notre enfance un peu de leur lustre rustre d’antan. Hélas, les poncifs alignés par le Viking Metal semblent ressortir du mythe bien plus que de la réalité historique. Passons quelques lieux communs sur les Vikings tirés de l’imagerie d’Amon Amarth à l’épreuve des faits.

1. Le Viking portait un casque à cornes

Ben non.  Cette représentation daterait du XIXe siècle et serait liée, selon les sources, aux pratiques folkloriques d’une clique de poètes suédois, la Götiska Förbundet (ou Gothic League), ou aux costumes des opéras de Wagner. Au combat, plutôt que cet ustensile d’opérette peu pratique, les Vikings portaient des heaumes tout ce qu’il y a de plus basiques, en cuir renforcé de bois et de fer pour la piétaille, ainsi qu’en témoignent les pièces retrouvées et les sources iconographiques.  Voici celui du cimetière de Valsgärde, en Suède :

 

2. Le Viking, une force de la nature !

Oui, bof. L’anatomie du Viking était assez similaire à la nôtre, à ceci près que nous leur rendons tout de même 8 à 10 cm, en moyenne. Si vous preniez le métro aujourd’hui avec un Viking, vous pourriez agripper la barre et lui faire sentir les effluves de votre aisselle en toute impunité, ce qui serait peu cher payé pour leurs forfaits passés.

D’après les historiens et les archéologues qui ont travaillé sur les restes osseux trouvés dans les tombes, les corps des Vikings étaient marqués par la rudesse des travaux des champs : une musculature enviable, mais aussi de l’arthrose, des problèmes dentaires et une croissance infantile perturbée par une mauvaise nutrition. Ces grands gaillards étaient plus fragiles qu’on ne l’imagine.

 

3. Le Viking, un mâle, un vrai

Ah ah. Les squelettes des Vikings révèlent une distance morphologique entre les sexes assez peu marquée, à tel point que les crânes des hommes et des femmes sont difficiles à distinguer dans les tombes. Chez les hommes, un visage moins carré que ce qu’on peut observer chez d’autres peuples anciens. Pour les femmes, des mâchoires et des sourcils plus prononcés que chez les Scandinaves actuelles (et là c’est un autre mythe qui en prend un coup…).

 

4. Le Viking, un vrai goret

Sale, rude, débraillé, la bave au coin des lèvres, tel est le portrait habituel du Viking.  Pas vrai, Johan Hegg ?

Beurk. Plusieurs sites archéologiques ont livré des pinces, des peignes, des petits nécessaires pour se curer les ongles ou se nettoyer les oreilles, des cure-dents… Tout un attirail qui plaide plutôt en faveur d’un Viking bien propret et absolument pas négligé.  Des sources écrites médiévales décrivent les Vikings installés en Angleterre comme des briseurs de cœurs très soignés, ayant l’habitude de se peigner les cheveux tous les jours, de changer leurs vêtements régulièrement, de prêter attention à leur apparence par moult caprices frivoles, et même de prendre un bain le samedi ! Peut-être pas très virilement correct, mais ça leur permettait d’assiéger la vertu des femmes mariées et de quémander la main des filles de bonne famille. Des tombeurs, quoi. D’autres sources soulignent que les hommes avaient des barbes bien entretenues, les cheveux courts dans la nuque et de longues franges soignées… Là ça commence à craindre un peu tout de même.

 

5. Le Viking, conquérant des mers

Bon, reconnaissons-leur le mérite d’avoir poussé les premiers jusqu’en Amérique du Nord (la chose est attestée archéologiquement depuis les années 1960 et ne prête plus à controverse). Mais, et si, plutôt qu’un incroyable talent de navigateurs, les Vikings avaient eu un truc tout bête à leur disposition ?


Non, je ne pensais pas à cela. D’ailleurs, les Drakkars  ne s’appelaient pas du tout ainsi ; le terme de langskip est employé pour désigner génériquement les navires de guerre. Si les Vikings purent mener leurs navires si loin, c’est grâce à un instrument de navigation dont deux physiciens français, Guy Ropars et Albert le Floch (laboratoire de physique des lasers de l’université de Rennes 1), pensent avoir percé le secret (Ropars et al, A depolarizer as a possible precise sunstone for Viking navigation by polarized skylight, Proc R Soc A, 2011).

Les Vikings auraient exploité les propriétés optiques du spath d’Islande, un cristal de calcite transparent très courant en Islande qui possède la caractéristique unique de dépolariser totalement la lumière, ce qui permet de déterminer la position du soleil même quand ce dernier n’est pas visible ou caché par des nuages. Albert Le Floch explique ainsi son utilisation : «En fait, quand on regarde à travers le spath islandais, qui se présente comme un gros cristal transparent, on voit double. La moindre luminosité dépolarisée apparaît sous la forme de deux petits rectangles de même surface. Quand le contraste de ces derniers est identique, le soleil est juste en face. Sa direction peut être relevée au degré près. » (en savoir plus sur son blog)

Bref, le talent des Vikings paraît avoir été très exagéré. Et puisqu’on en est à briser du mythe, figurez-vous que le Viking Metal n’a même pas été inventé par les Scandinaves. Eh oui, rappelez-vous Immigrant Song, de Led Zeppelin, en 1970 :

Ah, ah
We come from the land of the ice and snow
From the midnight sun where the hot springs flow
The hammer of the gods
Will drive our ships to new lands
To fight the horde, singing and crying
Valhalla, I am coming!

Maintenant que vous savez reconnaître un Viking, gardez l’œil ouvert, on n’a peut-être pas fini d’entendre parler des ces imposteurs :

Et si vous vous sentez d’aller suggérer quelques rectifications à Amon Amarth sur leur site officiel : http://www.amonamarth.com/, n’hésitez pas.

A lire également : http://sciencenordic.com/what-vikings-really-looked

 

Dr Paléo et Mr Rock (hs#24 OPENIGHTMARE, Lexomil)

Bigre ! 24e numéro du headbanging science. Déjà deux ans d’improbables rapprochements entre rock et science. Pour fêter cela, un invité de marque ce mois-ci, à qui je vais laisser la parole (j’entends votre soulagement d’ici) au sujet de ses deux passions : le rock et la science. Let’s punkrock. Mais avec méthode.


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Avant de découvrir notre invité-mystère, voyons de quoi il retourne musicalement. Le voici à l’œuvre avec OpeNightmare (“évidemment un (mauvais) jeu de mots scientiste sur le cauchemar qu’a ouvert Robert Oppenheimer”, précise-t-il), son groupe ‘historique’.

Ça secoue bien, surtout pour un morceau qui s’appelle Lexomil. Et il y a un lien avec la science insolite, puisque cette vidéo a été tournée en juillet 2010 sur le “campus spatial” de l’Observatoire Midi-Pyrénées, à Toulouse, dans le laboratoire Géosciences-Environnement Toulouse (GET) :

 

L’invité en question s’appelle Pierre-Olivier Antoine, paléontologue des vertébrés. C’est celui qui cogne sur ses fûts. L’instrument lui va pas mal, je trouve, parce que c’est tout de même un spécialiste mondial des rhinocéros (il a redécouvert Baluchitherium, plus grand mammifère terrestre qui ait jamais existé). Je l’ai découvert à l’occasion d’un papier sur Cuvier en me renseignant sur les signataires d’un état des lieux de la paléontologie française ; il avait les cheveux rouges, c’est lui que j’ai choisi d’interviewer.

Pierre-Olivier  fait partie de l’équipe de Paléontologie de l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier. Il enseigne à l’Université Montpellier 2, ainsi qu’au Mnhn.  Le concert ci-dessus était son pot de départ de Toulouse, et l’occasion de faire se rencontrer deux mondes :

J’ai profité de ma fête de départ du labo pour y organiser/imposer un concert d’OpeNightmare, dans le patio central du GET. A fond les manettes et sans la moindre concession ! C’était le lendemain de mon retour de mission de terrain en Turquie, le 5 juillet 2010. On entrait d’ailleurs en studio le lendemain pour l’enregistrement de la batterie (les autres allaient ensuite enregistrer leurs parties de “Unashamedly” [dernier album de OpeNightmare] pendant que je serais parti en expédition en Amazonie [dès le 15 juillet]…). Chouette et mémorable expérience, avec des punkrockers qui venaient pour la première fois dans un labo de recherche et des (enseignants-)chercheurs qui assistaient pour la première fois à un concert DIY  !!!

OpenNightmare et la science fricotent d’autres façons. En direct sur France Inter, Pierre-Olivier est capable de citer ‘les punkrockers de Bad Religion’ dans le texte : “And tomorrow when the human clock stops and the world stops tickin’ We’ll be an index fossil buried in our own debris” (The Index Fossil, Suffer, 1988).

Parolier de OpeNightmare, il aborde parfois des thèmes scientifiques (environnement, nucléaire) et glisse quelques clins d’oeil au milieu des thèmes politiquement engagés plus spécifiques au genre, dont cet admirable : Get ourselves brains and read Darwin again (No Fun Atom, The Harder We Come, 2008).

Enfin, il s’amuse aussi avec les pochettes, qu’il réalise lui-même :

 

Mais assez causé, voyons ce qu’il a à nous dire sur les rapports entre rock et science.

A l’instar de Greg Graffin, chanteur et leader de Bad Religion mais aussi paléontologue et enseignant (lire: l’origine des espèces de punks), tu cumules les activités de rocker et scientifique. Peux-tu nous les présenter ?

Ouah ! Je rosis de la comparaison… Je suis un grand fan de Bad Religion et, par conséquent, de Greg Graffin, même si ma vocation de paléontologue s’est déclarée bien avant ma flamme pour le punk rock (et donc mes premières écoutes du gang californien) ! J’ai eu la chance de poursuivre mes études dans le domaine qui me faisait rêver. Côté paléontologie, tout a roulé plutôt bien dans les deux dernières décennies, entre la fac en géologie à Toulouse, ma thèse de paléontologie des vertébrés au Muséum National à Paris, un post-doc à Montpellier, puis un poste de maître de conférences à Toulouse en 2003 et, pour finir, le Graal du monde académique : depuis 2010, je suis prof à Montpellier 2, dans un labo très dynamique et au sein d’une équipe extrêmement attachante, où l’humain compte beaucoup.

Côté rock, mon père est batteur et mélomane (jazz, blues, rhythm’n’blues et rock). Autant dire que j’ai baigné toute ma vie dans la musique. J’ai commencé à jouer de la batterie à la fin des années 80 (en plein explosion du punk alternatif), avec de multiples influences – partiellement héritées de l’ambiance familiale. Légèrement hyperactif sur les bords et profondément anarchiste (n’y vois pas de lien causal !), je me suis tout naturellement tourné vers le punk rock, mode de vie autant que courant musical, où l’éthique importe plus que l’esthétique (eh oui, y a pas que chez Pouy que « Spinoza encule Hegel »). Je ne m’en suis jamais éloigné depuis lors. J’ai eu plusieurs groupes à l’existence éphémère, mais l’aventure a vraiment commencé avec Feuck (devenu Singaï), entre 1994 et 1997, avec lequel j’aurai enregistré trois démos et enquillé les premières tournées. C’est l’un des groupes stupides les plus diplômés de l’histoire – avec Spinal Tap, évidemment –, puisque Marie (chant) est chargée de com’ au CNRS, Yann (guitare, chant) est docteur de SupAéro et maintenant cadre chez EADS et Mathieu (basse, chant) est chercheur au CNRS (géologue) ! Ensuite, j’ai martyrisé les fûts dans NéoForceps (si si !), un sacré combo de fusion-néométal (c’était l’époque – bien révolue), en y instillant toujours ma touche de pou-ta-pou-ta-pou… Et enfin, la grande histoire d’amour OpeNightmare a commencé tout début 2000. Elle aura duré 12 ans (je viens de jeter l’éponge, pour des raisons strictement matérielles – l’éloignement, le manque de disponibilité) et aussi pour ne pas empêcher Yoorwell et Alexomyl de continuer l’aventure, même si c’est sans moi… On a sorti quatre albums, tourné partout en France et en Europe, vécu des moments complètement fous, et rencontré des individus incroyables de talent, de modestie et d’humanité. En même temps, pendant une période de baisse d’activité d’OpeNightmare (2008-2009), Bruno de RAVI et moi avons monté un duo guitare-batterie « d’emo-crust », un genre qui n’existait pas vraiment. Après six répets avec Ivan Rebroff’s Armpits, on a fait une première démo, puis aligné les concerts, enregistré un album et fait trois tournées en France, en Espagne et même aux USA (2009). Court mais bon !!!

Dans son bouquin Anarchy Evolution, Greg Graffin décrit comment il arrive à alterner ses deux carrières, mais les deux mondes semblent parfaitement étanches. Est-ce le cas pour toi ?

Ca me surprend un peu, mais c’est peut-être lié aux conditions de travail, assez différentes entre USA et France. Pour ne prendre qu’un exemple, aux USA, et en particulier dans de grandes facs comme l’UCLA ou des colleges (le New York Hunter College où mon pote par ailleurs plutôt rock’n’roll Mike Steiper est prof), il est très mal vu qu’un enseignant soit habillé de manière relâchée. La pression de conformité (ça me rappelle le « Corrosion of Conformity » de Bad Religion, ou le « Portrait of Conformity » de mes frères autrichiens Rentokill) est beaucoup moins marquée en France, en tout cas dans les disciplines scientifiques. Peut-être cette licence est-elle due au statut un peu particulier qu’ont ici les « savants fous »… Toujours est-il que je fais cours en baggy, en vans « Germs », en T-shirt des Urinal Mints ou d’An Albatross (l’évangélisation des foules passe par là, que veux-tu !) et en sweat-à-capuche, là encore de groupes que j’aime (High Five Drive, Burning Heads, Rentokill ou Antillectual). J’ai eu les cheveux rouges pendant six ans. Je suis même allé sur le terrain en Turquie et en Amazonie avec sans que ça pose le moindre problème. Pour résumer, ça a toujours été difficile de dissimuler ma double vie !

Autre point commun aux deux vies : faire cours en amphi, c’est se donner en spectacle et se livrer à une audience parfois réticente. Il faut être bon, en forme et littéralement éviter les fausses notes. L’expérience des concerts est d’un apport remarquable dans cette optique, d’autant qu’après 15 ans d’enseignement supérieur, il m’arrive toujours d’avoir le trac avant le premier cours de l’année… Ensuite, ma conscience et mon engagement ne me quittent pas quand je fais cours ou que je dois réfléchir au partage des budgets (dans l’intérêt commun et le soutien aux moins « dotés »). Pendant les mouvements universitaires de 2009 (premières applications de la LRU : modulations des charges des enseignants), où la Fac de Toulouse III a été bloquée des semaines durant, j’ai fait grève pendant neuf semaines. Les rares cours que j’ai donnés étaient soit dans le Jardin des Plantes de Toulouse, soit dans le squat culturel Les Pavillons Sauvages. Avoir fait découvrir ce lieu de culture alternative à des jeunes adultes, tout en enseignant et en respectant le mouvement de contestation restera l’un des plus beaux moments de ma vie d’enseignant-chercheur ! Et on y jouait parfois le soir, en soutien…

La paléontologie française se porte pas mal et jouit toujours de son passé glorieux. C’est un peu moins le cas pour le rock français, non ?

Ça dépend ce que tu entends par « rock français » et par « glorieux ». Si tu t’en tiens aux artistes qui ont pignon sur rue, trombine sur couverture et dont on matraque les titres sur les médias généralistes, alors oui, je ne vois strictement rien à sauver. Je serais même beaucoup plus radical en privé, mais il ne faut pas choquer ton lectorat…

En revanche, si tu prends la peine de sortir dans ta ville, d’aller dans les rares cafés-concerts, salles associatives ou squats qui n’ont pas été fermés dans la dernière décennie, sous la pression inique des maires, des préfets… et des voisins, alors tu vas découvrir une activité débordante complètement insoupçonnable via les media mainstream. Les concerts sont à prix libre, au pire à 5€, avec des artistes sincères, talentueux et pour la plupart bénévoles – je n’ai jamais aimé le terme d’ « amateur » – et revendiquant ce statut de quasi-anonymat. Flying Donuts, Hellbats, Diego Pallavas, Bruit Qui Court ou Face-B, C’EST LE ROCK !

Tu as dessiné le squelette du Baluchitherium. Tu exécutes aussi les pochettes de tes disques. C’est le même exercice de DIY ?

Exactement : le « fais-le toi-même » (ou DIY pour Do It Yourself), c’est le mode de vie dont je parlais tout à l’heure. Dessiner une pochette ou un flyer, aller distribuer des mensuels gratuits pour un peu de promo, se taper 600 bornes par jour en camion, jouer à 4000 bornes de chez toi pour une caisse de bières, organiser un concert avec un groupe slovène génial (In-Sane) pour sept spectateurs ou un festival avec 900 spectateurs (et des groupes tout aussi géniaux) au Bikini, héberger chez toi trois groupes à la fois et faire à manger pour quinze, dont cinq végétariens et cinq végétaliens, c’est le même trip que dessiner une reconstitution de rhinocéros géant, gérer un programme de recherche international en Amazonie, aller dénicher toi-même les fossiles que tu vas étudier, ou s’assurer de ce que tes étudiants sont dans de bonnes conditions pour apprendre leur métier. Quand tu fais toi-même, tu te mets en danger, mais tu en tires tellement de plaisir ! C’est ce que j’appelle « mettre les mains dans le cambouis ». T’es sale et crevé à la fin de la journée, mais t’as provisoirement gagné ton combat contre l’inertie et le défaitisme.

Dans un article de La Dépêche consacrée à ta découverte des plus anciens rongeurs connus d’Amérique du Sud, tu arbores un T-shirt des Ramones (objet du hs#10). C’est quoi le message caché ?

Pas de message subliminable (comme dirait Lofofora). C’était juste le T-shirt que j’avais ce jour-là. Au contraire d’une cérémonie protocolaire à la Salle des Illustres de Toulouse, où – en présence de tout le gratin scientifique et culturel de Midi-Pyrénées – j’avais volontairement mis mon T-shirt « Kill Your Elite », du nom du festival dans lequel nous avions joué à La Maroquinerie, à l’invitation de Till de Guerilla Poubelle. On ne se refait pas.


Greg Graffin a un oiseau fossile qui porte son nom : Qiliana graffini. Ben… et toi ?

Pas encore. Pour l’instant je me contente de nommer des espèces en hommage à mes amis, qu’ils soient paléontologues (Mesaceratherium welcommi, du nom de mon aîné-jumeau Jean-Loup Welcomme) ou pas (Canaanimys maquiensis ou Cachiyacuy contamanensis, en l’honneur de mes quasi-frères de sang « Canaan de Cachiyacu », une communauté native du Pérou amazonien, près de Contamana).

Brian May (guitare) est docteur en astrophysique. Greg Graffin (chant) est paléontologue, comme toi. Tu vois quelqu’un à la basse pour monter un super-groupe de scientifiques ?

Sans hésiter un instant, Mathieu de Singaï (et Snoutbender), le docteur en géochimie, qui coordonne des missions au Kilimandjaro. Un monstre de technique et de toucher. Un sacré groove à 4, 5 ou 6 cordes … et un gars en or.

On pourra toujours reprendre The Show Must Go On, en pou-ta-pou-ta-pou !

150 concerts donnés en France et en Europe avec OpenNightmare VS. 40 missions de terrain comme paléontologue : qui aura gagné à la fin de ta carrière, le rock ou la science ?

Ni l’un ni l’autre : en tant qu’individu, les deux facettes m’auront tout autant enrichi (au figuré, pas en monnaie trébuchante, évidemment). Gageons qu’il restera au moins une toute petite trace de cette hyper-activité. Je crèverai fatigué, mais heureux !

Un grand merci à PierrO pour s’être prêté au jeu malgré une actu chargée (mais ça lui apprendra à trouver des rhinocéros cuits par des volcans).

A voir :

Le site d’OpenNightmare.

Cet article de futura-sciences sur la reconstitution du Baluchitherium

 

la naissance de la mort (hs#23 DEATH, Open Casket)

Peut-on passer de l’homme de Néandertal à Maurice Blanchot grâce au métal extrême tout en réglant deux trois futilités telles que l’apparition de la conscience de la mort et de la religion ? Ben oui, pourquoi cette question ? C’est le headbanging science ici, on en a vu d’autres. Ouvrons ce joli cercueil fourre-tout sans plus attendre.

 

 

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Death est un groupe de… ? Death. Bien joué.

C’est même l’inventeur du genre, ce qui permet pour une fois de s’y retrouver facilement dans la phylogénie du métal extrême. Fondé par le guitariste chanteur Chuck Schuldiner en 1983, Death publie en 1988 son deuxième album, délicatement intitulé Leprosy, dont est issu le morceau Open Casket, que voici ici interprété à Toronto 1990, dans une des rares vidéos audibles (avec en bonus Denial of Life, vous êtes vraiment gâtés)  :

Open Casket – « cercueil ouvert », donc.  De quoi peut-il bien être question ? Certainement de trucs bien gore, à l’image des titres du sanglant premier album (Zombie Ritual ; Mutilation ; Regurgitated Guts etc.) ?

Raté. Chuck Schuldiner a très vite délaissé le trip postadolescent série Z pour passer à des sujets plus matures, questionnant notamment la nature de l’être humain, ses relations avec les autres et ses sentiments. Oui, j’ai bien écrit ‘sentiments’.  En l’occurrence ceux qui étreignirent le chanteur devant le cercueil d’un défunt cher, son frère (c’est le sujet de la chanson). Ne vous y trompez pas, les hurlements entendus dans la vidéo ne sont pas inhumains. Ils sont ceux d’une émotion intense face à la mort qui est même foutrement humaine.

 

 

Comportements altérés chez les animaux

Vous me direz, beaucoup d’animaux adoptent un comportement particulier lorsqu’ils sont confrontés à la mort de leurs congénères. C’est vrai des chimpanzés, dont les mères peuvent gardent par exemple le corps de leur enfant décédé pendant des jours, jusqu’à ce que la dépouille se momifie. Regardons le jeune Fokayé jouer avec le dépouilles de son frère ou de sa soeur, conservée par la mère pendant 68 jours ; les images de ce type d’attitude sont troublantes :

Je ne pense toutefois pas qu’elles soient bouleversantes. Ni qu’elles doivent être interprétées comme un comportement comparable à celui des humains, qui serait l’indice d’une véritable conscience de la mort. Sur ce sujet, il semble indispensable de tracer la frontière entre perception et représentation. Certains animaux perçoivent un changement de statut du corps de l’individu qu’ils connaissent (ce qui autorise Youki à manger mémère) et ont comportement altéré, signe d’incompréhension, de manque affectif et de stress. Mais ils n’ont ni conception de la mort, ni représentation du défunt dans un quelconque au-delà, et corollairement pas de rituel funéraire.

 

Le puits aux ossements

Ceci posé, depuis quand l’homme suit-il de tels rituels ?

Le traitement rituel des morts chez les humains semble apparaître tardivement. Tout au moins si l’on se réfère aux seules traces que nous en ayons, les sépultures. Traces fragiles s’il en est puisque la préservation du squelette en connexion est un critère qui ne se suffit pas à prouver l’inhumation volontaire et que d’autres indices pouvant être appelés en renfort de cette interprétation, tels que l’aménagement de la sépulture, des traces d’ocres ou des objets accompagnant le corps, restent sujets à caution, ainsi que nous allons le voir.

Le gisement de la Sima de los Huesos à Atapuerca (Espagne) a livré quelque 30 squelettes de l’espèce Homo heidelbergensis, précurseur de Néandertal (notez bien ce détail). Datés d’au moins 300 000 ans, ces pré-Néandertaliens, essentiellement des jeunes adultes, auraient été jetés intentionnellement dans une cheminée verticale de 13 m. La présence de tant de restes humains concentrés dans une petite bande sédimentaire ne semble pas due à un événement catastrophique et pourrait être la plus ancienne sépulture connue. Relevons tout de même qu’un enterrement à la mode los Huevos devait ressembler à ça (personnellement, ça ne me ferait pas envie) :

 

Funérailles au Paléolithique moyen

Les plus anciennes sépultures volontaires font leur apparition à partir de 100 000 ans. Elles sont liées à l’Homme de Néandertal en Europe et aux premiers humains anatomiquement modernes au Proche-Orient.

Le phénomène semble apparaître en divers lieux, mais pas d’un seul coup ni partout.  Il n’y a pas de discrimination d’âge ni de sexe chez les défunts et les corps sont déposés le plus souvent sur le côté, en position « fœtale », la direction est-ouest paraissant privilégiée.

Les plus anciennes sont celles des grottes de Skhul (100 000 ans) et Qafzeh (92 000 ans), en Israël. Skhul a livré 10 squelettes (7 adultes et 3 enfants) ; tous étaient en position repliée, dans des fosses de faible profondeur.  C’est le site le plus ancien, mais c’est celui de Qafzeh, qui a livré  25 squelettes, qui va retenir notre attention. En particulier Qafzeh 11, sépulture ayant livré le squelette d’un adolescent, décrit ainsi par Bernard Vandermeersch, son découvreur : “Il était couché sur le dos, les mains ramenées de chaque côté du cou et on voit l‘hémi-massacre d’un grand cervidé qui a été déposé sur les mains, en travers de la partie supérieure du thorax” (voir ci-dessous). Nous sommes donc en présence d’une offrande faite au mort.

Intéressons nous maintenant aux deux sites plus récents : Kébara (Israël) et La Ferrassie (Dordogne). La sépulture de Kebara remonte à 60 000 ans et se distingue par la mise en évidence d’un rituel impliquant le prélèvement post-mortem du crâne d’un défunt longtemps après enfouissement (une molaire supérieure déchaussée en atteste). Celle de La Ferrassie est une nécropole de sept sépultures (dont 3 enfants, un nourrisson et un fœtus) datée de 35 000 ans, qui montre des signes manifestes de protection des corps (l’une des sépultures étant même couverte par une dalle).

 

 

L’acte de croire, le propre de sapiens ?

Kebara-La Ferrassie-Qafzeh. Que nous dévoilent ces trois sites archéologiques associés à des sépultures ?

La chronologie n’est pas celle que l’on pourrait imaginer : Qafzeh est plus ancien (92 000 ans), mais attesterait une capacité cognitive supplémentaire, matérialisée par la présence d’une offrande. La clé de lecture réside donc dans l’identité des défunts : les sépultures de Kebara et de La Ferrassie appartiennent à l’Homme de Neandertal, celle de Qafzeh à Homo sapiens.

Tout ceci amène l’anthropologue Albert Piette à proposer une hypothèse passionnante sur l’origine de l’acte de croire, qui serait associée aux seuls Hommes modernes. Je vous en conseille la lecture complète, mais la voici résumée à très gros traits :

1. Préalable méthodologique sur les offrandes : la plupart des interprétations allant dans ce sens ont été invalidées (mais pas Qafzeh !), ainsi que le rappelle Albert Piette :

Des études récentes, très techniques, de ces éléments constituent d’ailleurs une remise en cause de la plupart de ces interprétations et réduisent à presque rien le nombre de «faits positifs» ou indiscutables (Soressi & D’Errico 2007). Les ossements gravés ou percés qui ont été découverts dans plusieurs sépultures néandertaliennes l’auraient été à la suite de processus naturels, des incisions régulières qui ont été repérées sur des pierres ne seraient pas dues au travail des hommes, les pollens que d’aucuns associaient à une litière de fleurs auraient été transportés par des animaux.

2. Les animaux attendent l’animation du corps du défunt, s’émeuvent de son absence, continuent à se comporter envers lui comme s’il était vivant.

3. Par rapport à cela, l’homme de Kebara ou de La Ferrassie (Néandertal, donc), a une perception nette de la mort comme processus irréversible (le corps est enterré) : l’homme de Kebara, en prélevant le crâne du défunt, ne sépare pas le mort enterré de son état de mort (difficile d’évoluer sans crâne même dans l’au-delà !) ; celui de La Ferrassie maintient l’attention accordée à la personne vivante (protection de l’espace funéraire) : c’est un premier signe de “comme si” (comme si c’était encore «lui»), mais qui n’indique pas encore que le mort continue à « vivre ».

4. Avec l’homme de Qafzeh (Homo sapiens, donc), l’apparition de l’offrande signe une tout autre compétence cognitive : l’acte de croire (que le mort est d’une manière ou d’une autre toujours vivant) ; voici ce qu’en dit Piette :

Dans ce cas, le mort n’est plus présent comme mort sur le mode du comme si en tant qu’ancien vivant, mais comme toujours vivant. Vivant où ? Il est bien sûr prématuré de penser qu’il y a là une représentation d’un autre monde vers lequel la mort serait un passage. Disons que cette nouvelle forme de vie du mort reste indéterminée. Ce lieu pourrait d’ailleurs être considéré comme proche, mais invisible. Il est peut-être d’ailleurs aussi indéterminé pour ceux qui ont placé le bois de cervidé sur le cadavre. Les offrandes d’objets spécifiques laissent penser qu’il ne s’agit pas de faire pendant quelques instants comme si le mort était encore vivant, mais plutôt qu’elles sont destinées à un mort comme revivant.

 

Naissance de la religion  ?

L’hypothèse ne séduira pas forcément, la mode étant à la réhabilitation de Néandertal. N’oublions pas non plus qu’elle ne repose que sur trois sites.

Toutefois, elle résonne plutôt bien avec ce que la psychologie évolutionniste nous dit de l’apparition de la religiosité : sapiens se serait distingué à un moment donné par une plus grande souplesse cognitive, qui lui a permis de produire des inférences  à partir de prémisses non réelles, de réaliser des scénarios en utilisant des données imaginées, ce qui est exactement au centre de la proposition religieuse : tout sonne presque vrai, mais l’on accepte le presque et l’on oublie que c’est bizarre (Piette utilise les termes d’hypolucidité ou de relâchement mental pour parler de cette capacité nouvelle induite par une plus grande fluidité cognitive).

 

 

Mort de Death

Et Chuck Schuldiner, le chanteur de Death, dans tout ça ? Était-il croyant ? Il se défendait en tout cas d’être sataniste, changeant la croix inversée qui formait le « t » de Death pour une autre, plus normale. Il ne parvint en tout cas pas à échapper à la camarde et mourut en 2001, des suites d’un cancer au cerveau, qu’il n’avait pu opérer par manque d’argent et grâce à l’excellent système de Santé américain.

Ses textes accomplissent pour lui cette opération singulière sur la mort qui consiste à la renverser en l’impossibilité de mourir et que Maurice Blanchot appela génialement  l’« arrêt de mort », qui n’est autre que l’espace de la littérature – ou du métal extrême.

 

 

 

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Death – Open Casket

Approach the image filled with fear
As the image grows so clear
Future now takes full control
The one whose past you now behold
Touch – the flesh it is so cold
Turn away – you now have been told
Never to return, memories will last
In the future, you’ll think about the past
Never to forget, what you have seen
 
People come to pay respect
Taking pictures of the dead
That is what life comes to be
Once they lived, now they’re deceased
 
Death is oh so strange
The past no one can change
What you can’t predict
Is how long you’ll exist
Open casket – open casket
 
Life will never be the same
Death can never be explained
It’s their time to go beyond
Empty feeling when they’re gone
 
Never to return, memories will last
In the future, you’ll think about the past
Never to forget, what you have seen
What can not be real you now believe

 

comme un poisson dans la gadoue (hs#22 MUDHONEY, Mudride)

Une lecture particulièrement attentive du titre vous aura sûrement alerté. Nous allons parler de boue. Des volcans de boue ? De bains de boue pour la peau ? De catch dans la boue ? Hmm, non. Simplement d’un animal aux conditions d’existence particulières, j’ai nommé le périophtalme, plus connu outre-Atlantique sous le sobriquet de mudskipper


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Pour introduire ce sujet vaseux dont le headbanging science raffole,  personne de mieux placé que Mudhoney. Ce pionnier du grunge, formé à Seattle en 1988, a sorti sur le mythique label Sub Pop un EP, Superfuzz Bigmuff, puis un premier album éponyme, deux fulgurances fondatrices du  genre qui restent aujourd’hui des chefs d’œuvre auprès desquels Nirvana fait pâle figure.

Les voici en 2007 dans un line-up remanié interprétant l’hypnotique Mudride ; ils ne sont pas fatigués, c’est juste le morceau qui est lent :

Take you down to the dirt

Drag you through the mud
Drag you through the mud
Got a trip for two on a one-way ride
I’ll take you anywhere, there’s no place to hide
Oh

… suinte le chanteur Mark Arm. C’est un peu le programme de ce qui va suivre. La ballade s’effectuant en compagnie d’un guide vraiment original, le périophtalme, ou mudskipper. Celui-là, on dirait que ça ne le gêne vraiment pas de marcher dans la boue :

Les mudskippers appartiennent à à une sous-famille très spécialistée dee gobies, les Oxudercinae, chez qui l’on dénombre 32 espèces, dont 18 du genre des Periophthalmus (le français ‘périophtalme’ faisant  l’économie d’un ‘h’).

Les capacités d’adaptation à une vie amphibie des périophtalmes leur ont valu l’attention des naturalistes dès le 17e siècle et de premières descriptions scientifiques dès le début du 18e siècle (dont certaines de la main de Cuvier). On les trouve un peu partout dans la bande des tropiques, où ils évoluent dans les écosystèmes de marais marins que constituent les mangroves.

Parmi les étranges caractéristiques des mudskippers figurent leur faculté de respirer hors de l’eau.

Comme les salamandres ou les grenouilles, ils disposent d’un système de respiration cutanée qui leur permet d’assimiler l’oxygène et d’évacuer le CO2 à travers la peau. D’autres échanges gazeux s’opèrent par la bouche et par la gorge, qui sont larges, humides et capillarisés, un peu comme des poumons. En aspirant de l’air, ils peuvent par ailleurs obturer leurs branchies grâce à des valves afin de les maintenir dans l’eau. Ces différents systèmes combinés sont tellement efficaces que certaines espèces ne peuvent plus vivre dans l’eau sans être obligées de respirer de l’air en surface, sous peine de suffoquer !

Aussi étonnant que cela puisse paraître, d’autres poisons ont mis en place des moyens encore plus sophistiqués que le mudskipper pour respirer hors de l’eau (l’excellent SSAFT vous propose un petit bol d’air en compagnie de ces poissons amphibies). Comme le résume Richard Dawkins dans le fous qu’il consacre au périophthalme dans Il était une fois nos ancêtres : une histoire de l’évolution, ce trait n’est donc pas si original que cela :

Le groupe des téléostéens comporte une telle diversité de morphologies et de comportements qu’il faut s’attendre à ce que certains rejouent des épisodes du parcours des poissons pulmonés et quittent l’eau pour la terre ferme.

D’un point de vue évolutif, les chercheurs estiment même que le mudskipper doit moins son succès à ses facultés de respiration qu’à des traits anatomiques, physiologiques et comportementaux particuliers, dont ses capacités de déplacement dans la boue (et quiconque s’est tapé un festival sous la pluie saura ce qu’il en est).

Il peut ainsi passer une bonne partie de son temps hors de l’eau à patauger dans la gadoue en rampant sur ses nageoires pectorales ou en effectuant des petits sauts : il est capable de sauter plus de 50 cm en arquant son corps latéralement puis en se redressant brutalement, ce qui lui vaut ses noms vernaculaires de mudskipper (« sauteur de vase »), « poisson-grenouille » ou poisson-kangourou ». Par ailleurs, il peut escalader les racines des arbres et creuse dans la vase des terriers (c’est une manie chez les gobies, ce sont un peu l’équivalent des chiens terriers chez les poissons), dans lesquels il continue à respirer… de l’air.

Ces aptitudes à la reptation, à la glissade et au saut dans la boue, combinées à une excellente vision panoramique et à des capacités auditives surprenantes hors de l’eau (il réagit à des bruits tels que le bourdonnement des mouches !), lui permettent d’échapper aux prédateurs ; cette vidéo le montre déambulant tranquillement parmi des pinces de crabe trop entreprenantes :

Parfois, hélas, il y a un lézard. Et ça se termine mal :

En dehors de ces problème de voisinage, le mudskipper a d’autres petits soucis à gérer. A commencer par la pollution de son milieu naturel la mangrove – à moins que ce ne soit du sadisme des chercheurs….

L’un deux s’est en effet efforcé de démontrer la toxicité du gasoil sur l’infortuné Periophthalmus koelreuteri en plongeant une poignée de représentants de cette espèce dans des récipients remplis de différentes fractions hydrosolubles de carburant et en observant les effets à 24, 48, 72 et 96h, parvenant sans coup férir à tuer une bonne partie de ses spécimens au bout du protocole, comme l’indique le tableau suivant :

La conclusion du chercheur est la suivante : bien que les mudskippers soient connus pour être amphibies et qu’ils aient la capacité de respirer à travers la peau et la doublure de la bouche et de la gorge, le taux de mortalité observé dans l’étude est une indication de l’obstruction de ces structures respiratoires par la présence du gasoil dans ses eaux saumâtres favorites. (Une autre hypothèse, selon moi, est qu’il a pris par mégarde des modèles essence…) (l’étude est consultable en ligne)

Il en déduit, fort justement, que des efforts doivent être entrepris pour protéger le précieux écosystème de la mangrove de la pollution par les hydrocarbures – en l’occurrence dans le Delta du Niger, mais on peut aussi faire un petit coucou à Deepwater Horizon et saluer le coup d’arrêt aux forages de Shell en Guyane où se trouve la plus grande barrière de mangrove du monde….

La morale de l’histoire du périophtalme, c’est qu’on a beau présenter tous les traits d’une parfaite adaptation au milieu, rien ne garantit la réussite à coup sûr. Mudhoney pourrait en témoigner. Car s’il existe un palmarès des cocus du rock, ce groupe y est sûrement en bonne place. Fondé sur les ruines de Green River (d’où seront issus des Pearl Jam…), il ne connut jamais le succès commercial et fut éclipsé par celui de Nirvana, accumulant des albums de moins en moins glorieux jusqu’à tomber dans l’oubli.

Aujourd’hui, Mudhoney (sur)vit toujours. Respirant avec peine quelque part dans le terrier boueux d’une niche musicale menacée. Peut-être Mark Arm s’est-il mis à l’aquariophilie.

 

Pour en savoir plus sur le mudskipper, le site de Gianluca Polgar(http://www.themudskipper.org/), un chercheur italien de l’Institute of Biological Sciences de Kuala Lumpur, en Malaisie, qui en a fait son principal sujet de recherche, et dont sont tirées certaines informations et illustrations de ce billet.

le plastique c’est fantastique (hs#21 GOJIRA, Toxic Garbage Island)

Ça y est, vous avez bien profité de la mer pendant les vacances ? Vous avez bien ramassé vos bouteilles d’eau, évité que vos sacs en plastique s’envolent et récupéré les bouchons de vos tubes de crème solaire, n’est-ce pas ? Non ? Alors il va falloir nettoyer maintenant.

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Histoire de vous motiver, le headbanging science sort l’artillerie lourde, avec Gojira et son Toxic Garbage Island, tiré de l’album The Way of All Flesh sorti en 2008, ci-dessous en live aux Vieilles Charrues en 2010 :

Si vous êtes familier du bLoug, vos oreilles doivent être habituées, désormais, et vous avez pu aller jusqu’au bout pour entendre Joe Duplantier brailler son Plastic bag in the sea!. Pas courant, comme paroles, pour un groupe de Death, fût-il mélodique, mais révélateur de la fibre écolo du groupe, qui serait suffisante en soi pour le faire figurer au sommaire de cette illustre rubrique. Un mégaptère pour emblème, plusieurs morceaux révélant des préoccupations environnementales réelles, et une accointance avec l’ONG coup-de-poing Sea Shepherd et son capitaine pirate emblématique Paul Watson : le groupe doit (mais quand ?) sortir un EP intitulé Sea Shepherd et milite sur son site pour l’ONG ; laquelle se trouve compter dans sa flotte un trimaran monocoque de 35 mètres filant 24 nœuds baptisé Gojira (soit le sobriquet japonais originel de Godzilla, et aussi le premier nom du groupe).

 

"tiens, des pollueurs..." "on leur envoie ton bateau ou un solo de batterie de Mario ?"

 

Bon, et Toxic Garbage Island alors ? Le titre fait référence à la célèbre « Plaque de déchets du Pacifique nord » (GPGP pour « Great Pacific Garbage Patch », en anglais). Un phénomène qui prend naissance dans une des gyres océaniques, zones de hautes pressions où les vents sont faibles et où les courants s’enroulent selon le principe de la force de Coriolis, piégeant dans leur dérive toutes sortes de déchets qui s’y amassent progressivement, des microplastiques au débris de coques de navires en passant par les filets de pêche. Cette gigantesque poubelle de mer est telle que l’on en est venu à parler d’un continent ou d’une île de plastique – d’où la Toxic Garbage Island de Gojira.

 

Les quatre principaux courants océaniques qui parcourent la moitié nord de l’océan Pacifique entourent la gyre Nord-pacifique, zone de convergence des déchets ©Arte

Si vous n’avez pas entendu parler du phénomène, je vous conseille cet excellent diaporama du Dessous des Cartes, ou cet article d’Audrey Garric du Monde. Nous soulignerons ici simplement un intéressant paradoxe.

 

Ceci n’est pas une île

En réalité cette fameuse île de plastique n’en pas une. En ceci qu’elle ne présente pas une surface solide et qu’elle n’est même pas visible sur les photos satellites, ce qui interdit sa localisation et sa mesure exactes. Il s’agit plutôt d’une sorte de soupe très diluée d’éléments pour la plupart microscopiques, flottant entre deux eaux, seulement visible du pont des bateaux. À tel point que l’océanographe américain Charles J. Moore ne l’a découverte que par hasard au retour d’une course à la voile en 1997.

L’image du continent ou de l’île ne recouvre donc pas exactement la réalité. Douée de la vertu de sensibiliser le grand public, elle provoque aussi l’irritation de certains scientifiques, telle l’océanographe Angelicque White de l’Université de l’état de l’Oregon, qui, en 2011,s’est crue obligée de rectifier le tir par la voie d’un communiqué de presse, avertissant que la Grande plaque était 100 fois plus petite que ce que les médias racontaient. Malgré les bonnes intentions de la chercheuse, il n’est pas difficile d’imaginer l’impact contre-productif de la démarche auprès d’un grand public ayant besoin de se représenter physiquement le phénomène, mais déjà abreuvé d’estimations fluctuantes (2  fois la taille du Texas, 5 ou 6 fois la France, 1,5 ou 3,5 millions de km2… sans parler des estimations de poids, de densité, d’épaisseur ou de nombres de déchets !).

L’image de l’île escamote en outre d’autres faits : la fameuse Grande plaque serait en fait constituée de deux plaques différentes et elle compte des petites camarades sur la plupart des eaux du globe (y compris dans l’Atlantique nord, découverte en 2010).

 

Ceci n’est pas tout à fait la mer non plus

Au-delà de ces grands écarts entre hyperboles des gros titres et réalité scientifiques, notre non-île sur laquelle on ne peut pas marcher offre tout  de même un substrat suffisamment solide pour qu’un insecte marin ait pu en tirer profit et y proliférer – comme quoi tout est toujours question d’échelle.

En effet, Halobates sericeus, surnommé « patineur des mers » (voir ci-dessus), est une araignée d’eau qui a transformé les particules flottantes de la Grande plaque en sites de ponte grand luxe dont il a besoin, mais qu’il ne trouve que rarement en eaux propres. Un véritable sol en pleine mer constituant une aubaine et conduisant ainsi à une véritable explosion démographique de notre patineur (voir l’étude publiée en ligne le 9 mai 2012 dans Biology Letters). Si cet insecte offre un bel exemple d’adaptabilité, sa prolifération pourrait malheureusement déséquilibrer de l’écosystème, puisqu’il se nourrit de plancton, qui se trouve à la base de la chaîne alimentaire.

Si l’on tient compte du fait que la masse de particules plastiques de la Grande plaque est estimée à six fois celle du zooplancton et que ces plastiques s’accumulent par ailleurs dans les estomacs des poissons, des méduses ou des oiseaux marins, fixant de nombreuses toxines (DDT, PCB…) dans des concentrations anormales, on est finalement bien tenté de gueuler « Plastic Bag in the Sea » à l’unisson avec Gojira.
Quitte à renommer leur titre « Toxic Garbage Non-Island ».

c'est bon, on peut rentrer, y a plus de sacs