la vie sur Mars (hs#28, DAVID BOWIE, Life on Mars?)

Encore inconnu, David Bowie aurait dû adapter les paroles en anglais du Comme d’habitude de Claude François. Plus préoccupé par la sortie de ses propres compositions, il se fit souffler la politesse par Paul Anka, qui commit My Way, propulsé par Sinatra. Dépité d’avoir laissé filer 100 balles, Bowie se rattrapa avec un Mars et écrivit Life on Mars?, un morceau paru sur l’album Hunky Dory en 1971, qu’il décrivit en gros comme un My Way, mais en mieux. Life on Mars? ne connut le succès que deux ans plus tard, une fois sorti en single. Le classieux clip réalisé par Mick Rock magnifiant un Bowie bleu azur dont les yeux et les lèvres maquillés ressortent du fond blanc y est peut-être pour quelque chose :

Life on Mars? est tout sauf une chanson ordinaire. Déjà, elle m’oblige à commencer ce headbanging science en citant Claude François, que j’estime musicalement à peu près autant qu’un cancrelat à qui on aurait octroyé un banjo. Ensuite, si vous entendez les accords de My Way dans Life on Mars?, vous, c’est que vous avez une oreille musicale que je n’ai pas. Enfin – et on s’en douterait presque à la vue de ce clip… lunaire –, Life on Mars? ne parle pas du tout de Mars. À vrai dire, Life on Mars? ne parle même pas d’espace. Autant dire que, pour poursuivre cette chronique scientifique, il va me falloir sortir la pelle…


De quoi parle le sublime texte de Bowie ? Il s’agit de la complainte d’une jeune ado désabusée par la société de consommation et du spectacle, et plus largement par la violence et la vacuité de l’American Way of Life. L’interrogation Is there Life on Mars? résonne comme un appel au secours adolescent : « Dites-moi qu’au moins il y a quelque chose ailleurs – de toute façon ça ne peut pas être pire qu’ici. »

Sans écrire une ligne sur le sujet, Bowie a pourtant tout exprimé sur le rapport que nous entretenons avec la planète rouge. L’homme se demande s’il y a de la vie sur Mars parce qu’il désespère de la sienne sur Terre. L’envie de vie sur Mars est une déprime adolescente. En voici quelques indices.

Mars, planète soeur

Mars faisant partie des cinq planètes visibles à l’œil nu est observée depuis que les hommes ont des yeux. Sa couleur rouge sang – et peut-être sa trajectoire erratique dans le ciel – lui vaut d’être associée à la guerre et à la destruction plutôt qu’à une quelconque oasis de vie dans une tripotée de cultures antiques. On a alors plutôt envie de laisser la planète rouge – et la vie qui s’y trouve – tranquille.

Ceci jusqu’à ce que les observations de William Herschel, à la fin du XVIIIe siècle, puis celles de son fils John, la fassent voir d’un autre œil. Mars possède des saisons, des calottes polaires qui fondent en été, des taches et des traînées sombres qui pourraient bien être des mers et des détroits, bordant des masses rougeâtres ou jaunes qui doivent être des continents. Toutes proportions gardées, dès le premier quart du XIXe siècle, les astronomes sont persuadés que Mars présente des analogies étroites avec la Terre. Ce que Camille Flammarion résume ainsi :

« Continents, mers, îles, rivages, presqu’îles, caps, golfes, eaux, nuages, pluies, inondations, neiges, saisons, hiver et été, printemps et automne, jours et nuits, matins et soirs, tout s’y passe à peu près comme ici. » (Flammarion, 1891)

C’est beau comme le guide du routard. Les conditions semblant idéales, pourquoi ne pas postuler l’existence de la vie sur Mars, et même d’une vie intelligente ? Flammarion n’y va pas par quatre chemins et avance que la planète est peuplée de races non seulement intelligentes, mais encore supérieures à nous.

Notice: réglage des canaux

Si Flammarion s’emballe ainsi, c’est parce qu’en 1877, en 1879 puis en 1881, profitant d’excellentes conditions d’observation lors d’oppositions particulièrement favorables, l’astronome italien Giovanni Schiaparelli a mis en évidence des structures rectilignes ou formant des arcs de très grands cercles qui zèbrent des planètes : des « canaux », dont certains font près de 3000 km.

p6

Schiaparelli n’est pas n’importe qui, il est directeur de l’observatoire de Milan et par ailleurs excellent cartographe, si bien que les cartes qu’il exécute convainquent une partie des astronomes qu’il y a bien une espèce intelligente peuplant Mars et s’amusant à jouer à SimCity grandeur nature. À partir de 1894, le riche astronome amateur Percival Lowell en rajoute une couche. Il se fait construire son propre observatoire en Arizona et se lance dans l’étude des canaux martiens. Il les aligne frénétiquement, recouvrant la planète d’une véritable toile d’araignée.

S730a

Il faut relever ici que tous les astronomes sont loin d’être convaincus par cet étalement de tuyauteries martiennes. Pour une bonne raison : certains arrivent à les observer, d’autres non. Pourquoi tout le monde ne voit-il pas la même chose ?

Pour les esprits charitables, les observateurs persuadés de voir des canaux sur Mars sont victimes de la médiocre qualité de leurs instruments : l’observation s’effectue aux limites de la résolution instrumentale et durant les quelques fractions de seconde qui laissent entrevoir la surface. Ils sont dès lors abusés par des phénomènes d’illusion d’optique tout ce qu’il y a plus de naturels. C’est l’explication que propose l’astronome grec naturalisé français Eugène Michel Antoniadi, qui, grâce à la grande lunette de l’observatoire de Meudon et à un œil particulièrement exercé pour interpréter ombres et contrastes pour en déduire les reliefs, fut le grand démystificateur des canaux de Mars. Voici ce que Antoniadi voit par exemple le 20 septembre 1909 :

antoniadi_20_sept_909

C’est déjà nettement moins rectiligne (et plus joli), n’est-ce pas ? Si quelque chose construit des canaux là-haut, c’est sans doute après avoir abusé du genépi, ou de son équivalent martien. Dans l’ouvrage La planète Mars publié en 1930, Antoniadi compare deux représentations de la région d’Elysium. Celle du haut est un dessin de Schiaparelli. Celle du bas son propre croquis synthétisant plusieurs observations. Les lignes rectilignes observées par Schiaparelli et ses confrères ne sont en fait, pour Antoniadi, que des alignements de taches plus ou moins régulières, donnant l’illusion de former des lignes :

canaux_antoniadi

Pour l’essentiel, il semble surtout que les observateurs convaincus de l’existence d’une vie sur Mars voyaient tout simplement ce qu’ils avaient envie d’y voir. Ce n’étaient ni Schiaparelli ni Lowell qui plaçaient leur œil sur l’oculaire, mais la « fille aux cheveux de souris » de David Bowie.

Petits arrangements avec l’habitabilité

Il n’y a pas que chez les astronomes qu’une fillette sommeille. Puisqu’il est question de vie, les biologistes ont aussi leur mot à dire sur Mars, par exemple l’illustre Alfred Russel Wallace (oui, le codécouvreur du principe de la sélection naturelle). Celui-ci eut une vie fort longue qu’il mit à profit pour disserter sur toutes sortes de sujets, dont celui assez général de la pluralité des mondes habités (Man’s Place in the Universe, 1903) et celui plus particulier de l’habitabilité de Mars (Is Mars Habitable? 1907).

Is Mars Habitable? est considéré comme un texte scientifique pionner dans le champ de l’exobiologie, mais il y aurait sans doute à redire sur son objectivité. La biographie de Wallace écrite par Peter Raby, qui vient de sortir en français (Alfred R. Wallace, l’explorateur de l’évolution, Éditions de l’évolution) ne consacre qu’un paragraphe à cette œuvre oubliée de Wallace, présentée comme une « riposte cinglante » à la théorie des canaux martiens défendue par Lowell. Voici comment Wallace critique la démarche adoptée par Lowell :

« Il part du postulat que les lignes droites sont des œuvres d’art et, plus il en trouve, plus il voit dans leur abondance la preuve qu’il s’agit bien d’œuvres d’art. Ensuite, il s’emploie à tordre et déformer routes les autres observations afin qu’elles correspondent à son postulat. »

Ainsi que le note Raby, « Cette critique aurait très bien pu s’appliquer à sa propre défense du spiritisme ». Et sans doute à l’entièreté de l’ouvrage qui, sous couvert de recherches poussées pour parvenir à une analyse du climat et des conditions atmosphériques sur Mars d’allure scientifique, est avant tout la tentative d’un nonagénaire, anthropocentriste impénitent, pour démontrer coûte que coûte que la Terre est la seule planète de l’univers où la vie a pu se développer.

Wallace n’accepte pas l’idée que la vie ait surgi par accident, ni qu’elle puisse disparaître un jour par l’effet des mêmes causes évolutives (il est bon de se rappeler ceci à la lecture de textes cherchant un peu trop ostensiblement à mettre Wallace sur un strict pied d’égalité avec Darwin pour minimiser l’apport de celui-ci…).

goldilocks

On pourrait croire que les critères d’habitabilité définis par les astronomes modernes qui traquent les exoplanètes échappent aux biais de notre propre conception du vivant, terrestre et extra-terrestre. Rien n’est moins sûr si l’on suit Ian Stewart qui, dans Les mathématiques du vivant (Flammarion, 2013), notamment, aborde la notion d’habitabilité sous l’angle des mathématiques pour nous faire comprendre les difficultés que pose sa définition.

La loi de Planck, explique-t-il, permet de déterminer la température d’une planète gravitant autour d’une étoile, donc de déterminer les frontières intérieures et extérieures de la zone habitable, c’est-à-dire là où il ne fait ni trop chaud ni trop froid, mais juste bien pour autoriser le développement de la vie à condition qu’elle mette une petite laine quand ça fraîchit le soir. Il existe deux versions de la formule de calcul, avec ou sans albédo (la fraction du rayonnement réfléchie par la planète). Avec un albédo à 0,3 (valeur terrestre), la zone habitable du Soleil s’étend de 69 millions à 130 millions de kilomètres. Mercure, située à 58 millions, est hors jeu : trop chaude. Mars, à 228 millions de kilomètres, l’est aussi : beaucoup trop froide. Mais la Terre, à 150 millions de kilomètres, l’est aussi ! Et seule Vénus, à 108 millions de kilomètres, serait habitable. Paradoxe : la seule planète habitable, celle qui est sous nos pieds, est en dehors de la zone habitable de son étoile… Amis Vénusiens, bonjour.

Le concept d’une zone habitable qui ne tiendrait pas compte des caractéristiques particulières des planètes, en particulier de leur atmosphère, est donc trop simpliste. Mais notre conception du vivant (intuitivement, quelque chose qui nous ressemble) doit aussi être revue. Les organismes extrémophiles terrestres, note Ian Stewart, vivent dans des conditions qui ne correspondent pas à celles de la zone habitable :

« dans une eau dont la température dépasse le point d’ébullition normal ou descend sous son point de fusion normal. Ni très au-delà ni très en deçà des conditions qui définissent la zone habitable, mais au-delà et en deçà tout de même. »

L’idée d’une vie sur Mars, fût-elle passée, ne donc être abordée qu’en connaissant parfaitement les caractéristiques de la planète. Et c’est bien pour ça qu’on y envoie crapahuter des rovers, en attendant que nous puissions nous y rendre nous-mêmes. Mais c’est là que ça se complique…

Y aura-t-il de la mort sur Mars ?

Selon Philippe Labrot, qui tient le site nirgal.net, « la découverte définitive d’une vie martienne ne pourra pas avoir lieu avant que des roches ne soient ramenées dans les laboratoires terrestres pour y être examinées. » La faute aux moyens et aux conditions d’analyse forcément limitées des robots, seuls sur la planète rouge. Pourquoi ne pas se rendre sur Mars et mener ces analyses sur place ? Simplement parce qu’il faudrait éviter à tout prix la contamination des écosystèmes martiens par les microorganismes terrestres que nous ne manquerions pas de trimballer avec nous, quelles que soient les précautions prises. On se trouve dès lors dans une belle impasse, que Labrot formule ainsi :

« La découverte de formes de vie sur la planète Mars aura alors une conséquence inattendue : celle d’empêcher tout débarquement humain. (…) Il est assez paradoxal de penser que si la réalité dépasse nos rêves, et qu’un écosystème existe encore aujourd’hui sur Mars, il nous faudra l’étudier par procuration, grâce à des robots commandés en temps réel depuis un avant-poste implanté sur Phobos, et non pas de nos propres mains. L’étude de Mars continuera donc d’être ce qu’elle a été depuis le début, un travail à distance, jusqu’à ce qu’un jour enfin les écosystèmes martiens soient entièrement caractérisés, et que le danger d’une éventuelle contamination croisée soit définitivement écarté. »

Si cette vision est juste, je la trouve réconfortante : laisser la vie sur Mars tranquille afin de ne pas y apporter la mort. Je me repose sur elle pour me persuader que la dernière trouvaille en date de la compagnie néerlandaise Mars One, sélectionner, sous la forme d’une télé-réalité, et envoyer des candidats dans un Loft martien en 2023, n’a aucune chance de voir le jour, tout au moins pour la partie spatiale du projet.

La page Wikipédia française consacrée à Mars One détaille les limites techniques, humaines et financières du projet, qui prétend parvenir à ses fins sur la base des techniques actuelles (capsule Dragon et lanceur Falcon Heavy de Space X, notamment) et pour la modique somme de 6 milliards de dollars. Les limites psychologiques me semblent les plus insurmontables : celles liées au voyage et à la vie sur Mars, bien sûr, mais aussi celles liées aux sept ans de sélection passés à faire de la télé-réalité. Je doute que quiconque survive à ça. Surtout avec Denis Brogniart aux manettes.

Si le projet marche malgré tout, ce n’est pas vraiment de la vie qu’on enverra sur Mars, mais des morts en sursis, puisque le voyage serait sans retour. Des milliards de téléspectateurs rivés devant leur écran à guetter la mort prochaine de leurs semblables, quel réjouissant programme. Qui nous ramène à la girl with the mousy hair de Life on Mars? :

And she’s hooked to the silver screen
But the film is a saddening bore
For she’s lived it ten times or more
She could spit in the eyes of fools
As they ask her to focus on

David Bowie avait tout compris. Comme d’habitude.

 

les dents de mes mers (requins de métropole)

L’été dernier, un aoûtien inattendu s’échouait sur une plage de la Manche : un requin “féroce”, espèce nageant d’ordinaire dans les eaux profondes de Colombie, Cette découverte insolite semblait à l’époque faire écho à l’actualité dramatique de l’île de La Réunion, théâtre d’attaques mortelles sur des surfeurs. Ce genre de collision médiatique pourrait se reproduire cette année, mais c’est un simple trompe-l’œil. Les requins qui longent les plages de métropole sont aussi méconnus qu’inoffensifs.

 

Combien sont-ils ?

Difficile, même pour les spécialistes, d’estimer le nombre d’espèces de requins qui fréquentent nos côtes. Les élasmobranches, la grande famille des poissons à squelette cartilagineux regroupant requins et raies, sont encore mal connus. Et, paradoxalement, peu étudiés, dans la mesure où ils ne constituent pas un enjeu économique, comme d’autres groupes de poissons.

On estime qu’une cinquantaine d’espèces nagent dans les eaux métropolitaines, sur plus de 500 recensées sur la planète, plus de 1000 en comptant les raies – un nombre croissant à chaque campagne scientifique (parmi les 300 espèces marines découvertes aux Philipines en 2011 figurait notamment un requin gonflable, ayant la faculté de remplir son estomac d’eau pour impressionner ses prédateurs).


Qui sont-ils ?

Parmi les plus communes sur nos côtes, des requins de fond : le requin hâ – bien pratique au scrabble – qui peut atteindre 2 m, l’aiguillat, la petite et la grande roussette (qui outre les 90 cm qui les séparent se distinguent aussi à la couleur de leur iris ou à l’écart entre leurs valvules nasales), ou l’émissole – ces trois derniers achalandant les étals des poissonneries sous l’appellation trompeuse de saumonette.

Requin hâ © APECS

Requin hâ © APECS

 

Quelques grosses espèces pélagiques aussi, c’est-à-dire évoluant dans la colonne d’eau : le placide requin-pèlerin, deuxième plus gros poisson du monde avec ses 12 mètres, le superbe et très hydrodynamique peau bleue, le plus mastoc taupe ou encore le renard, reconnaissable à sa longue queue falciforme pouvant mesurer jusqu’à la moitié de la longueur totale de l’animal. Enfin, un certain nombre de raies, famille dont les travaux en génétique récents ont montré qu’il s’agissait en fait de bêtes requins aplatis plutôt que d’espèces sœurs.

Requin peau bleue © APECS

Requin peau bleue © APECS

 

Faut-il annuler sa quinzaine à Mimizan ?

Ben, je n’ai pas de conseil touristique à vous donner, mais non. Même ces grands prédateurs ne font pas vraiment peser de menace sur nos plages. Au niveau mondial, l’ISAF (International Shark Attack File) ne répertorie que 484 attaques mortelles non provoquées depuis… 1580 ! (au 11 février 2013 ; la cuvée 2013 n’est pas encore répertoriée, avis aux amateurs… )

En outre, difficile d’affirmer qu’elles sont en augmentation récente tant ces statistiques sont fragiles et soumises à un effet loupe médiatique. Pour la France, peu de dorsales menaçantes à l’horizon : seulement 4 attaques depuis 1847, dont une seule mortelle, dans les années 1930.

© Chapatte

© Chapatte

 

Les espèces de nos littoraux, Manche, Atlantique ou Méditerranée, ne sont pas réputées agressives, même si le requin bleu ou le mako sont impliqués dans de très rares cas mortels ailleurs. Ne pas les importuner relève toutefois du simple bon sens. Ainsi, le colossal pèlerin n’ayant pour option que la fuite, gare au coup de queue lorsqu’il s’échappe ! Des scientifiques en ont d’ailleurs fait l’expérience – et en ont profité pour récupérer le mucus laissé par l’animal sur leur coque afin d’en prélever de l’ADN. Du côté des raies, attention aux décharges électriques de la torpille marbrée (de part et d’autre de la tête) ou à l’aiguillon de la pastenague (infiniment moins venimeuse ici que ses consœurs tropicales).

 

Le grand blanc nous laissera-t-il bronzer ?

Carcharodon carcharias, le grand requin blanc, fréquente la Méditerranée, c’est une certitude. Mais les rencontres restent rares : on ne l’aurait aperçu que 600 fois depuis le Moyen Âge. 22 attaques sont tout de même recensées, dont 10 mortelles, mais la dernière date de 1984. La plupart des rencontres ne sont donc pas très mouvementées, et ressemblent à ça (Spielberg, passe ton chemin) :

http://www.dailymotion.com/video/xgymqd

Vidéo de Baptiste BACCHIOLELLI, compagnie de promenade en mer CORSE EMOTION réalisée entre Sagone et Toulon.

 

Ainsi que l’indique le site corsicamare.com dans un billet qui lui est consacré, on ne sait pas grand-chose sur la démographie du grand blanc en Méditerranée, mais les phoques et les thons rouges qu’il affectionne ayant pratiquement disparu de ces eaux, il se peut que ses populations soient en régression. Les observations ont pour la plupart lieu là où on trouve encore un peu d’espadons (Italie du Sud, Malte, Sicile, Adriatique… et une ou deux observations annuelles en Corse).

Quant à l’Atlantique, rien n’interdit de penser que le grand blanc pousse jusque-là (contrairement à ce que l’on imagine, c’est une espèce des eaux tempérées), mais il s’y signale par son absolue discrétion.

 

Des espèces fragiles

Loin d’être une menace, les requins de nos côtes sont donc plutôt des espèces vulnérables, dont les caractéristiques biologiques (maturité sexuelle tardive, gestation longue, croissance lente) supportent mal la surpêche. Aucune espèce n’est protégée par la loi française, mais la Politique Commune de la Pêche de l’Union Européenne instaure des interdictions (requin-pèlerin, requin blanc, raie brunette) ou des quotas qui peuvent descendre à zéro (requin-taupe).

Des mesures de gestion circonstanciées seraient sans doute plus efficaces (interdictions saisonnières, sur des zones de reproduction…). Encore faut-il connaître l’écologie de ces espèces et cerner la structure des stocks. Pour ce faire, différentes associations parient sur les sciences participatives et mettent à contribution citoyens et pêcheurs pour remonter leurs observations ou les captures accidentelles.

Préserver la diversité des requins de métropole passe par cette amélioration du savoir, ainsi que l’illustre à merveille l’emblématique pèlerin. En 2008, un gros spécimen femelle équipé d’une balise Argos à l’île de Man stupéfiait les scientifiques en traversant l’Atlantique en quelques mois, révélant que l’espèce fréquentait les eaux océaniques. Une découverte précieuse pour sa protection : inutile, en effet, d’agir isolément sur un seul bord de l’océan si l’espèce fait la navette entre les deux !

 

apecs_logo

 

Le point de vue de…

Éric Stéphan — Association pour l’Étude et la Conservation des Sélaciens (APECS)

Fondée en 1997, l’APECS mène des programmes scientifiques et éducatifs pour mieux connaître et faire connaître requins et raies. Le programme CapOeRa permet de recenser les échouages de capsules d’œufs de raies ; le programme Allo Elasmo invite pêcheurs, plaisanciers et plongeurs à signaler les captures ou les observations de toute espèce de requin ou de raie.

 

Quelles espèces trouve-t-on en Atlantique et en Bretagne ?

Les requins ont réussi à coloniser tous les environnements. On les trouve vraiment partout, y compris dans les eaux métropolitaines. Mais on les connaît encore très mal et il est impossible d’établir des cartes de répartition ou d’abondance. Certaines espèces sont plus fréquemment observées à certains endroits, mais ce sont globalement les mêmes qu’on trouve sur la façade Atlantique, en Manche ou en Méditerranée. On peut croiser en plongée des petits requins vivant plutôt au fond et ne se déplaçant pas beaucoup : la petite et la grande roussette, ou l’émissole. Le requin-taupe lui est bien présent au niveau du talus continental. Avec le peau bleue, ce sont des espèces pélagiques, mais l’été, les plus jeunes individus peuvent s’approcher des côtes et croiser des plaisanciers. Le requin-renard, lui, vit plutôt au large. Enfin, il y a le requin-pèlerin…

 

Pourquoi vous intéressez-vous particulièrement à cette espèce ?

C’est un géant de notre patrimoine ! On l’observe régulièrement en Bretagne, en particulier dans le Finistère sud et au nord de la mer d’Iroise. Le pèlerin était très mal connu du grand public et des scientifiques lorsque nous avons créé l’APECS en 1997. On savait que l’espèce était là, et c’est tout. Il a fallu mettre en place un programme de recensement des observations pour un premier état des lieux. Nous avons ensuite mené des campagnes de terrain grâce aux suivis par satellite, à partir du début des années 2000. On acquiert encore des données, mais les premiers résultats sont surprenants. Très longtemps, on a pensé que le pèlerin restait au fond l’hiver, avec une activité réduite. Ce n’est pas ça du tout ! Il continue à être actif et à se déplacer dans la colonne d’eau, mais remonte moins en surface. On le voit donc moins qu’au printemps ou en été. C’est probablement lié à la profondeur du plancton dont il se nourrit.

 

 Les requins de nos côtes sont-ils menacés ?

La principale menace qui pèse sur eux est la pêche intensive. Mais toutes les espèces ne sont pas forcément menacées. Quand on regarde les données des campagnes halieutiques de l’IFREMER, on voit que la petite roussette ne l’est pas, par exemple. Certaines sont plus vulnérables. Le requin-taupe était pêché de façon ciblée par des bateaux français. Par mesure de précaution, l’Europe en a interdit la prise en 2009. Parmi les raies, on a aussi des espèces qui ont du mal à se régénérer et qui ne supportent pas une pression de pêche trop forte. L’objectif de notre association est de sensibiliser le grand public à la présence des requins sur nos côtes et à leur vulnérabilité. Mais aussi de contribuer à l’amélioration des connaissances. Nous avons besoin d’études complémentaires, car il y a un cruel manque de données pour les eaux françaises : en France, les raies et les requins ne sont pas un sujet de recherche prioritaire.

 

Sodomie : 100% naturelle

En réaction aux saillies homophobes de certains opposants au mariage pour tous, un peu de sciences naturelles pour expliquer que : non, l’intromission du pénis dans le rectum – et plus largement, l’homosexualité – n’est pas une pratique contre-nature. C’est même tout le contraire, ainsi que le démontre le monde animal à l’envi.

La captivité induisant des comportements que l’on n’observe pas dans la nature et la domestication pouvant faire apparaître des comportements homosexuels en sélectionnant indirectement certains traits, il faut regarder du côté des populations sauvages.


Quels sont les cas d’homosexualité observés chez les animaux ?

La distribution de l’homosexualité dans le règne animal est extrêmement large. Elle concerne non seulement des centaines d’espèces, mais encore une large gamme d’animaux, qu’ils soient sociaux ou pas, de l’insecte (coléoptères, papillons, libellules et blattes) aux mammifères terrestres et marins en passant par les reptiles et les oiseaux, bref à peu près tout ce qui a une reproduction sexuée. Pour être exact, ces comportements ne se traduisent pas toujours par une intromission effective.

Les cerfs à queue blanche dédicacent cette monte à Frigide et à ses coreligionnaires trop vite déscolarisés

Les cerfs à queue blanche dédicacent cette monte à Frigide et à ses coreligionnaires trop vite déscolarisés

Nous n’allons pas écrire les 120 journées de Sodome du monde animal, mais mentionner seulement trois cas présentant un intérêt particulier.

Le Charançon des agrumes, qu’on ne soupçonnerait a priori pas de débauche, se révèle être un libertin frénétique : on observe de véritables partouzes où les mâles montent les femelles, les femelles montent les mâles, et les mâles se montent entre eux ou montent les couples déjà formés. Notons que l’appareil génital du mâle pénètre bien la cavité anale de son partenaire.

Le petit pingouin est amusant, car il a inventé le club libertin. Les montes entre mâles ne se produisent pas à proximité des colonies de reproduction, au milieu des gosses, mais un peu à l’écart, et impliquent même une minorité de femelles. Chez le petit pingouin, qu’on se le dise, 91% des mâles se font monter par d’autres mâles.

Les frottis-frottas du bonobo étant relativement connus, je mentionnerai ici plutôt le fier gorille des montagnes (objet de tant de fantasmes injustifiés), chez qui l’on trouve des groupes constitués uniquement de mâles. Et là, comme dans toute situation contrainte de ce type, advient ce qui doit advenir : les mâles ont des comportements homosexuels régis par leur rang hiérarchique. Temporairement exclus du marché du sexe hétérosexuel, ils sont coincés dans une file d’attente sociale, dont ils sortiront éventuellement lorsqu’ils pourront avoir accès aux femelles.

Esquisse d’explication et de différentiation

Les biologistes retiennent trois catégories d’explication : la pénurie de partenaires de l’autre sexe (comme chez le gorille), la nécessité d’alliances sociales (comme chez le dauphin) ou la difficulté à discriminer entre les sexes (typiquement, chez les insectes).

Il convient ici de préciser que les scientifiques qui travaillent sur le sujet distinguent les comportements homosexuels de la préférence homosexuelle, qui est exclusive et sur le long terme. Le distinguo a son importance, car l’existence d’une préférence homosexuelle exclusive n’a jusqu’ici été formellement démontrée chez aucun animal non humain. Il n’est donc pas rigoureusement exact d’assimiler les pratiques homosexuelles animales aux pratiques humaines, bien que certaines associations homosexuelles semblent perdurer chez certaines espèces, par exemple chez certains goélands ou certains cygnes. Ceci soulève aussitôt deux questions : qu’est-ce qui fait cette spécificité humaine ? Et comment se fait-il que ce trait puisse être sélectionné, compte tenu de l’évidente baisse de fertilité qu’il implique ? Des billets ultérieurs permettront d’apporter quelques éléments de réponse.

D’ici là, j’aimerais finir en exposant une légère pointe d’agacement devant la façon dont lesmédias traitent l’actualité de ce sujet. C’est bien gentil de nous infliger continuellement les vagissements de l’alliance prognathe du bombers et de la soutane, mais serait-il inconcevable d’opposer à leur protoargumentation, au moins de temps en temps, l’avis circonstancié des gens qui connaissent le sujet. Vous savez, oui, les chercheurs. Parce qu’ils ne font pas que chercher des bosons, ils ont aussi des choses à dire pour éclairer ce type de débat. Je ne sais pas, moi, un écologue, par exemple, un anthropologue, un biologiste de l’évolution… C’est quand même pas compliqué. Enculés de lesmédias, tiens…

 

Ces éléments sont tirés sans vergogne d’un parfait résumé sur l’homosexualité chez les animaux commis par Michel Raymond & Frank Cézilly

Michel Raymond a également consacré un chapitre à l’homosexualité dans son premier livre Cro-Magnon toi-même (ici : la critique de son second ouvrage), qui est plus que recommandable.

 

le quiz nature du printemps

Vous avez performé comme des malades au quiz de l’automne sur les merveilles de la nature en très gros plan ? En ferez-vous autant pour le redoutable quiz du printemps ?

De quoi s’agit-il donc…

Photo 1

A – Un champignon du cuir chevelu

B – Une langue de pingouin

C – Un poisson-scie gominé

Quiz7

Photo 2

A – Des pointes de flèche du Néolithique

B – Une râpe à diamants

C – De la peau de requin

Quiz 6

 

Photo 3

A – Le secret de la moustache d’Edwy Plenel

B – L’algue comestible n°1 au Japon

C – Des poils de phoque

Quiz 5
Ces photos sont toujours extraites de La nature vue de (très) près, Giles Sparrow (Dunod, 320 pages, 22€), qui nous invite à regarder au plus près notre environnement: animaux, plantes ou structures géologiques remarquables, avec des petits textes explicatifs plutôt instructifs.

 

Voici les réponses. Je rappelle qu’un voyage à Bali est en jeu, ne trichez pas !

Photo 1

B – Une langue de pingouin

C’est bien une langue de pingouin, recouverte de barbes rigides qui empêchent les proies chassées en plongée par l’oiseau (krill, petits poissons et calmars) de glisser hors de son bec. (C’est toujours utile pour ne pas manger salement.)

Photo 2

C – De la peau de requin

S’il vous vient à l’idée de caresser un requin, faites-le dans le sens des denticules dermiques qui tapissent son corps ; dans l’autre, ça râpe ! – la peau du requin était d’ailleurs utilisée comme papier de verre. Ces couches de denticules, constituées d’une cavité centrale entourée d’une fine paroi de dentine, protègent le requin des parasites et favorisent son hydrodynamisme.

Photo 3

C – Des poils de phoque

Cette coupe d’une peau de phoque au microscope électronique à balayage montre que la fourrure de l’animal est constituée de poils aplatis, étanches, disposés en couches superposées, qui emprisonnent suffisamment d’air pour empêcher que l’eau (ou le vent) atteigne la peau. Si cela ne suffit pas, il y a en dessous une sacrée couche de graisse, que l’on peut voir dans un phoque coupé en deux par le scalpel de JP Colin.

 

la cinétique des gaz s’applique-t-elle au Heavy metal ? (hs#28 ANTHRAX, Caught in a Mosh)

Après, Metallica, Slayer et Megadeth, le headbanging science accueille le quatrième larron du Big 4 du thrash américain, j’ai nommé Anthrax, avec un morceau extrait d’Among the Living, leur troisième album, sorti en 1987, Caught in a Mosh :

 

Levons le voile illico : grâce à Anthrax, nous allons parler de physique sur le bLoug, ce qui est une grande première, et plus précisément de cinétique des gaz. Le lien qui vient immédiatement à l’esprit est : « ah ouais, le métal, la bière, donc les gaz… » En fait, non. Caught in a Mosh évoque le fait d’être confronté à un quelqu’un d’irrémédiablement obtus, sur lequel tous nos arguments rebondissent et restent sans effet, ce qui nous donne le sentiment d’être « pris dans un mosh », ou en langage clair, « embarqué dans un pogo ». Pour simplifier, le mosh est en quelque sorte la déclinaison du pogo (danse éminemment punk et individualiste) en une version hardcore et métal (volontiers plus collective). Puisqu’on en est au lexique, vous lirez aussi les termes de « pit » (la fosse), et de « circle pit », qui est une figure particulière dans laquelle les moshers se mettent à courir en cercle.

bandeau anthrax

Deux étudiants de l’Université de Cornell (avec deux de leurs professeurs de physique) viennent de connaître un joli buzz dans la presse outre-Atlantique avec un petit papier qui se propose d’étudier, sous l’angle de la physique, « Les mouvements de foule des moshers aux concerts de Heavy Metal » (c’est le vrai titre de leur commentaire, publié sur arXiv – il ne s’agit pas d’une véritable publi scientifique).mosh pit nice

 

Nos physiciens mélomanes s’attaquent aux :

« foules importantes (102 à 105 personnes) dans les conditions extrêmes des concerts de heavy metal. L’humeur de l’assistance, qui est source de blessures physiques fréquentes, est influencée par une combinaison de musique lourde et rapide (130 dB, 350 bpm) synchronisée avec des flashs de lumière vive, et de fréquentes intoxications. La nature et l’importance de ces stimuli atypiques contribuent aux comportements collectifs que nous allons étudier ici. [renvoi à l’image d’un public de concert, au cas où vous n’auriez pas saisi le tableau]. »

 

Ça commence mal… Sans être désagréable, mieux vaut tout de même rectifier certains détails : les auteurs tirent leurs 130 dB d’une étude datée de 1992, un simple passage dans n’importe quel concert ayant eu lieu ces 15 dernières années aurait pu leur apprendre que le niveau de décibels a sacrément diminué et est strictement réglementé ; je ne sais pas d’où proviennent les 350 bpm évoqués, mais c’est évidemment grotesque (bien qu’humainement jouable) ; les blessures fréquentes sont tirées d’une véritable étude médicale consacrée aux concerts de métal : dans un festival de 4 jours ayant réuni 240 000 personnes, 1,5 personne sur 10 000 ( !) a dû être hospitalisée suite à ses activités de mosh – c’est quand même pas lourd !

mosh pit anim

 

Bref, venons-en au cœur du sujet. À partir de vidéos de concerts sur YouTube, les auteurs ont utilisé un logiciel destiné à l’analyse des particules dans un fluide pour suivre les mouvements de foule. Ils ont observé que les vitesses des moshers avaient la même distribution statistique que celles des particules dans un gaz, dont le mouvement n’est affecté que par leurs interactions avec d’autres particules.

L’équipe a ensuite conçu un modèle, baptisé MASHer, dans lequel chaque mosher est simplifié en un MASHer, une particule au mouvement autonome, capable de rebondir sur les autres, de s’agréger à elles ou de les suivre. Un peu de bruit statistique a été rajouté aux mouvements afin de simuler l’état d’ébriété. Deux types de MASHers sont distingués : les actifs, qui ont tendance à se déplacer, à être en interaction avec les autres particules et soumis à des forces fluctuant aléatoirement (par exemple, si le gars devant sent un peu, vous allez subir une forte envie de vous en éloigner, ce qui est bien vu) ; les passifs, eux, préfèrent ne pas bouger et échapper ainsi aux désagréments des interactions avec les autres particules.

En réglant les différents paramètres de leur outil, par exemple en agissant sur le niveau de bruit ou sur la faculté à former un groupe, les chercheurs ont obtenu quelque chose d’assez conforme à ce qu’on observe dans la réalité : au bout d’un moment, les actifs se trouvent regroupés entre eux, et confinés par les passifs, comme dans un mosh pit. Mieux, sous certaines conditions, ils se mettent à former un cercle et à tourner, une figure également observée dans les fosses et connue sous le nom de circle pits.

Vous pouvez essayer de simuler votre propre mosh pit dans l’outil mis à disposition par les chercheurs.

exemple de simulation de mosh pit

 

Alors, les moshers se comportent-ils vraiment comme des molécules gazeuses ?

Je ne vais pas reprendre les auteurs sur le plan de la physique, j’en suis bien incapable, mais il y a au moins deux choses qui me gênent dans leur démarche.

La première tient à ce que leur modèle n’envisage pas que les particules soient mues par une intelligence et une volonté collectives et soumises à des facteurs externes autres que leur état d’ébriété. Les particules rebondissent les unes contre les autres et s’agglutinent en fonction des lois physiques entrées dans le système. Alors qu’en réalité, c’est précisément ce qu’elles cherchent à faire. L’étude est ici victime de son préjugé de départ : le pit est un agglomérat de débiles défoncés.

Les auteurs estiment que leurs résultats posent une question intéressante et centrale :

“Pourquoi un système en déséquilibre présente-t-il les caractéristiques d’un système en équilibre ?”

 

Je serai tenté de répondre : Pour votre modèle, je n’en sais fichtrement rien, mais pour ce qui est des mosh pits véritables, parce qu’il ne s’agit pas du tout d’un système en déséquilibre. Ce qui ruine totalement l’analogie avec la cinétique des gaz, à mon sens.

Comme on peut le voir ci-dessous, en commençant la vidéo à 1:40 (ou au début si vous aimez Mastodon), un petit circle pit se met en place à un moment bien précis du morceau. Dans la réalité, une partie des molécules de gaz s’entend donc pour bouger de façon cohérente à un moment déterminé, en fonction des signaux reçus de son environnement.

 

La taille du circle pit varie selon le nombre de personnes et c’est le groupe DevilDriver qui détient le record avec environ 25 000 molécules de gaz faisant la ronde. Voici la performance. Comme on peut le constater, tout cela a à peu près autant de rapport avec la cinétique des gaz qu’une ola au stade de France. C’est complètement organisé.

 

Voyons maintenant une figure assez subtilement intitulée Wall of death, sur ce morceau d’Exodus. Vous allez saisir assez vite le principe en regardant cette vidéo, mais ce qu’il faut en retenir, c’est que la mise en place est complètement orchestrée par le chanteur et les molécules gazeuses ne font, là aussi, de façon concertée, qu’obéir à un stimuli extérieur.

 

Pour finir de démonter l’analogie de nos jeunes physiciens, il faut aussi relever qu’il existe un véritable code tacite au sein du pit : les molécules ne font pas du tout n’importe quoi : une personne à terre, par exemple, sera aussitôt relevée ; les filles doivent être respectées ; et tout contrevenant au code sera châtié par le groupe. On est bien loin d’un modèle dans lequel les particules rebondissent les unes sur les autres et sont passivement soumises à des forces aléatoires.

La deuxième chose qui me chiffonne, est la démarche des chercheurs. Leur idée initiale est que le phénomène du mosh pit, ressemble “qualitativement” (i.e., dans leurs rêves) à la cinétique des molécules gazeuses, même si (et c’est eux qui soulignent), les moshers sont des agents qui se déplacent par eux-mêmes… Partant, ils nous proposent d’explorer cette analogie de façon quantitative. Traduisez : « nous allons essayer de bidouiller un programme qui restitue à peu près l’idée de Machin, quand bien même elle est fumeuse. » Quand votre hypothèse de travail prévoit l’existence de quelque chose, il y a de fortes chances que vous trouviez ce quelque chose, du moins quelque chose faisant vaguement l’affaire (franchement, les simulations ne ressemblent pas vraiment à la réalité) et j’ai assez l’impression que c’est à ça qu’on a affaire ici, plutôt qu’à une démarche scientifique véritable.

L’analogie a souvent des vertus. Pas celle de remplacer une démonstration inexistante. Ce buzz sur le mosh me rappelle un peu notre histoire du gars qui comparait Jimi Hendrix et les marmottes, de façon gratuite. On peut comprendre la course au coolest paper ever, mais par pitié, amis chercheurs, vous n’êtes pas obligé non plus de faire dire n’importe quoi à la musique. Vœu pieux, sans doute, car quand je vois que tous les papiers, y compris celui du New Scientist, recopient fidèlement votre communication, sans une once de questionnement, j’ai un peu l’impression d’être Caught in a Mosh moi-même, comme dirait Anthrax. Et de sentir le gaz, finalement.

 

200 ans de paléontologie française

Ça ne vous a pas échappé, en décembre 2012, il a beaucoup été question de fin du monde. Et curieusement, pas un mot sur Georges Cuvier, qui mit en évidence le rôle des catastrophes dans l’histoire du vivant, et dont on fêtait le bicentenaire de la publication de Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, ouvrage fondateur de la paléontologie. Histoire de rattraper le coup, voici un petit topo sur 200 ans de paléontologie française, alimenté par deux générations de paléontologues, Philippe Taquet et Pierre-Olivier Antoine (dont on avait parlé ici).

En « antiquaire d’une espèce nouvelle », Georges Cuvier (1769 – 1832) donna à voir aux hommes de son temps des mondes disparus peuplés de créatures étranges : reptiles marins, paresseux géants, mammouths, etc. Cette vision, aujourd’hui familière, était si nouvelle à l’époque qu’elle provoqua un étonnement considérable. Admiratif, Balzac, qui conçut sa Comédie Humaine comme une anatomie comparée des membres de la société française, se demandait si Cuvier n’était pas « le plus grand poète de notre siècle ».

Dessin de cuvier représentant le Megatherium, (sans sa queue), un paresseux géant d'Amérique du Nord (autrefois nommé Megalonyx ou Mégathère de Jefferson), dont le nom scientifique est Megatherium

Dessin de cuvier représentant le Megatherium, (sans sa queue), un paresseux géant d’Amérique du Nord

Il reste en tout cas considéré comme un des plus grands savants pour avoir donné à la science les moyens de reconstituer le passé de la Terre et de ses habitants. En 1812, il publiait Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, ouvrage qui donnait à la paléontologie ses bases méthodologiques. On lui doit aussi d’avoir révélé l’importance de l’extinction des espèces et des catastrophes dans l’histoire du vivant, tandis que la géologie a profité de sa contribution à la datation des terrains au moyen des fossiles.

Mais à quoi ressemble la paléontologie française deux siècles après ? L’image du paléontologue couvert de poussière et s’excitant sur des tiroirs de fossiles n’est plus d’actualité. Pierre-Olivier Antoine, professeur de paléontologie à l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier, fait partie de la nouvelle génération. Il brosse le portrait d’une science résolument moderne : « La paléontologie est extrêmement riche, car elle a su dresser des ponts avec des disciplines connexes (biologie du développement, géochimie…) et utiliser les technologies de pointe provenant de l’imagerie médicale, comme le microtomographe (scanner), qui permettent d’accéder sans les détruire à des structures inaccessibles et offrent de nouvelles perspectives. » L’avènement de la classification moderne, dite phylogénétique, qui consiste à placer organismes vivants et espèces fossiles sur un même arbre en fonction de leur degré d’apparentement, a aussi bouleversé la discipline : l’anatomie comparée chère à Cuvier n’a pas disparu, mais les paléontologues travaillent désormais dans un cadre formel et conceptuel renouvelé qui intègre l’évolution des espèces.

Malgré sa modernité, la paléontologie française bénéficie toujours de son passé prestigieux, de ses collections (parmi les plus importantes au monde) et de ses structures académiques. L’Hexagone lui-même, depuis que Cuvier mit au jour une faune disparue dans le gypse des carrières de Montmartre, reste un théâtre de découvertes marquantes, notamment avec les gisements à dinosaures (Charente ; Aude). La discipline jouit enfin d’une tribune médiatique disproportionnée. Le grand public se masse dans les musées d’Histoire naturelle, mais aussi, désormais, sur les gisements, grâce aux musées de sites ou aux chantiers ouverts à tous, qui permettent de former de jeunes paléontologues en herbe.

Malgré la précarisation du métier de chercheur, la paléontologie française continue à recruter, bon an mal an, ce qui est loin d’être le cas dans d’autres pays. Faute de commission propre dans les instances nationales de la recherche, que ce soit au CNRS ou à l’Université, la communauté des paléontologues doit toutefois composer avec ses voisines plus influentes, celles des géologues et des biologistes, tout en cultivant des expertises très spécifiques pour lesquelles il n’existe souvent que deux ou trois spécialistes à l’échelon mondial. Elle parvient ainsi à rester bien visible dans les revues scientifiques internationales.

Là comme ailleurs se pose la question du financement du travail sur le terrain. Ce que Pierre-Olivier Antoine appelle « mettre les mains dans le cambouis, parce que les spécimens ne poussent pas dans les tiroirs. » Cette partie du métier a aussi un coût en énergie, en temps et parfois pour la vie de famille. Mais elle offre « un plaisir insigne, qui attire vers le métier, celui de découvrir un gisement », souligne le jeune paléontologue, qui cumule déjà une vingtaine de missions en Amazonie.

Paradoxalement, la paléontologie tient peut-être son meilleur argument pour les années à venir de la crise majeure de biodiversité que nous traversons. « La société est consciente collectivement que la vie, qu’elle soit actuelle ou passée, est la même. C’est une seule histoire », conclut Pierre-Olivier Antoine, optimiste. C’est l’occasion rêvée pour sa discipline de faire valoir sa connaissance des crises biologiques du passé. Et peut-être aussi d’être un peu mieux reconnue.

 

Cours d’anatomie de Georges Cuvier Lithographie française, XIXe siècle © Jacques Boyer / Roger-Viollet

Cours d’anatomie de Georges Cuvier Lithographie française, XIXe siècle © Jacques Boyer / Roger-Viollet

Le point de vue de…

Philippe Taquet, paléontologue, professeur au Muséum, auteur d’une biographie de Georges Cuvier.

En quoi Georges Cuvier est-il le père de la paléontologie ?

Lorsqu’il arrive à Paris en 1795, Cuvier est décidé à revoir la classification des animaux. Il a une chance extraordinaire, car les armées de la République ont ramené des Pays-Bas deux crânes d’éléphants. Cuvier constate qu’ils n’ont pas la même forme et que les traces d’usure des dents ne sont pas identiques. Il prouve là l’existence de deux espèces, l’éléphant d’Asie et celui d’Afrique. Mais il va plus loin. Il y avait dans les réserves un animal trouvé dans les glaces de Sibérie que tout le monde connaissait sous le nom de mammouth. Il va comparer, dans la même planche, ce crâne aux deux autres, et montrer qu’il s’agit bien d’un autre éléphant, disparu, dont les dents sont encore différentes. Cuvier tient ainsi une méthode qui permet de comparer des espèces entre elles, mais aussi de faire revivre des espèces éteintes et de plonger le regard dans le passé. C’est ce qui va faire sa gloire.

Pourquoi les espèces disparaissent-elles, selon lui ?

Cuvier s’aperçoit qu’il y a des faunes différentes dans les différentes strates géologiques : dans les couches les plus récentes, des mammouths, dans celles d’en dessous des mammifères disparus proches des tapirs, et encore en dessous des grands reptiles. Ce sont des mondes totalement différents. Pour passer de l’un à l’autre, Cuvier imagine des « révolutions du globe », c’est-à-dire de grandes catastrophes. Les Anglais vont assimiler la dernière au déluge biblique, mais pas Cuvier : il reste prudent et ne veut pas mélanger science et religion. Avec Darwin, on pensera ensuite que Cuvier avait tort et que l’évolution se produit par changements progressifs étalés sur des millions d’années. Depuis les années 1980, on a redécouvert l’importance de cette approche catastrophique. Il y a bien des périodes de crise, mais on parle désormais d’extinctions et non plus de révolutions du globe.

Quel est l’héritage de Cuvier ?

Cuvier a donné ses lettres de noblesse à la paléontologie des vertébrés. Dans sa description du mosasaure [reptile marin disparu], il n’y a pas une virgule à changer, il a été un formidable anatomiste. Ce qui a évolué, ce sont les technologies modernes, qui permettent par exemple de saisir d’un seul coup l’intérieur d’un crâne. Mais j’utilise toujours la même méthode de l’anatomie comparée pour reconstituer mes dinosaures, ça n’a pas changé : un maxillaire droit reste un maxillaire droit.

Depuis Cuvier, on a gardé la tradition, il y a une très bonne école française de paléontologie, avec une chaire prestigieuse au Muséum ainsi que des collections de fossiles extraordinaires. Nos équipes sont reconnues au niveau international dans tous les domaines de la paléontologie, y compris la paléontologie humaine : n’oublions pas que les Français ont contribué à la découverte de Toumaï [plus vieil hominidé, 7 millions d’années] ou de Lucy.

 

A lire :

Eric Buffetaut, Cuvier. Le découvreur de mondes disparus, Belin / Pour la science, 2002, 160 p.

Philippe Taquet, Georges Cuvier – Naissance d’un génie, Odile Jacob, 2006, 539 p. (et c’est que le premier tome !)

Servais, Thomas, Antoine, Pierre-Olivier, Danelian, Taniel, Lefebvre, Bertrand, and Meyer-Berthaud, Brigitte, 2012. Paleontology in France: 200 years in the footsteps of Cuvier and Lamarck. Palaeontologia Electronica Vol. 15, Issue 1; 2E:12p.

 

Le christianisme nuit-il à la biodiversité ?

La religion joue-t-elle un rôle en matière de biodiversité ? Voilà une problématique apte à m’extirper de ma torpeur postprandiale ! Une équipe de biologistes de Stanford a récolté pendant 3 ans une foule de données sur les us et coutumes en matière de chasse de 23 communautés d’Indiens d’Amazonie appartenant aux ethnies Macuxi et Wapishina, vivant au Guyana. L’objectif des chercheurs était de déterminer comment les croyances religieuses indigènes et chrétiennes de ces communautés pouvaient influencer leurs tabous alimentaires. Et partant, en quoi elles pouvaient bénéficier à certaines espèces ou au contraire les mettre en péril. Leurs résultats, publiés en décembre 2012 dans Human Ecology1, montre que la question n’est pas si saugrenue qu’elle en a l’air, mais que la réponse est loin d’être simple.


Carte des communautés Wapishana et Macuxi étudiées

Carte des communautés Wapishana et Macuxi étudiées

 De 2007 à 2010, les chercheurs ont recueilli des données socioéconomiques quantitatives auprès de 1774 foyers (environ 9000 personnes), afin de déterminer quelle étaient leur affiliation religieuse, leur source de protéines principale, si un ou plusieurs membres du foyer proscrivaient la consommation de viande, et si oui, de quelle espèce et pourquoi, en considérant aussi bien les animaux sauvages que domestiques. Des données qualitatives sur les pratiques de chasse et celles des shamans ont complété ce corpus.

 15 des 16 appartenances religieuses répertoriées ont été regroupées en 3 catégories : « cultes établis » (catholiques et anglicans, 73 %), évangélistes (20 %) et adventistes du septième jour (3 %). Les témoins de Jéhovah et les « sans appartenance » et les « mixtes » ont été exclus.

Sources de protéines

Sources de protéines

 La viande (sauvage ou domestique) représente la source de protéines principale dans moins de la moitié des cas. Dans chaque village, la proportion de foyers dont au moins un des membres évite de consommer de la viande délibérément est extrêmement variable : de 0 % à 98 %, avec une moyenne à 38 %. Pour 77 % des foyers concernés, le tabou alimentaire lié à la viande s’explique par la peur des maladies (les « allergies », selon la terminologie indigène). Les espèces les plus communément évitées sont le tapir du Brésil, le daguet gris (un cervidé), le porc domestique, des tortues et le capybara (le plus gros rongeur vivant). De façon curieuse, les primates ne font pas partie des tabous alimentaires, mais ne sont pas chassés pour autant.

La nature exacte de l’« allergie » redoutée par les Indiens est de nature spirituelle. Ils craignent le « maître » de l’animal : le « maître » des daguets est par exemple réputé être particulièrement mauvais envers les jeunes enfants. Pour ces ethnies, le shaman est le seul à même de soigner ces « allergies », fournir la prière appropriée pour apaiser le « maître » et prodiguer des conseils sur les animaux que l’on peut consommer et ceux qu’il vaut mieux éviter.

Le tapir du brésil, en tête des espèces tabou

Le tapir du brésil, en tête des espèces tabou

L’évangélisation de ces ethnies, à partir du 17e siècle et surtout depuis le 19e siècle, a d’ores et déjà profondément modifié leurs systèmes de croyances, puisque, en fonction des villages, les visites au shaman se sont réduites (de 0 % des foyers à 38 % au cours de l’année écoulée, dans le cas présent). Mais elle pourrait influencer bien plus que les modalités de prière et concourir à aussi à modifier la biodiversité, selon les chercheurs.

Le tableau d’ensemble n’est toutefois pas clair à saisir, car les situations varient en fonction de l’appartenance cultuelle. Ainsi, 87 % des foyers adventistes déclarent avoir des tabous alimentaires, contre 32 et 34 % pour les évangélistes et les « cultes établis ». Dans le détail, ces tabous diffèrent d’un culte à l’autre et par rapport aux prescriptions traditionnelles des shamans. Alors que ces derniers prohibent un tiercé porc domestique / viande de brousse / poissons sans écailles, les anglicans et catholiques boycottent tapir / daguet / tortues, les évangélistes un trio proche tapir / daguet / capybara, et les adventistes se démarquent en prohibant porc / tapir / poissons sans écailles.

Au-delà de la difficulté à établir une carte si vous souhaitez ouvrir un resto dans les parages, cet imbroglio diététique a des conséquences pratiques en matière de biodiversité. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, la disparition partielle et contrainte de la pratique shamanique n’entraîne pas celle des tabous alimentaires, qui subsistent, même modifiés ou atténués, au sein des populations.

Christianisme:  le tapir lui dit merci

Christianisme: le tapir lui dit merci

Une espèce comme le tapir peut s’en réjouir. Étant donné son faible taux de reproduction et sa sensibilité aux chasses excessives, le changement culturel affectant les ethnies qui le consomment aurait pu conduire à une surexploitation fatale.

Dans d’autres cas, les effets environnementaux sont plus complexes. La pression de chasse peut avoir été transférée sur d’autres espèces, domestiques ou sauvages, lesquelles peuvent ou pas la supporter. Les conséquences de ces transferts ne sont pas étudiées dans la publication de Human Ecology, qui se borne à suggérer que les tabous alimentaires constituent un outil additionnel de gestion des ressources. Dans un commentaire, José M. V. Fragoso, auteur du papier et responsable du laboratoire ayant conduit l’étude, souligne que la disparition des shamans conduit les communautés à chasser dans de vastes territoires autrefois associés à des entités spirituelles et qui constituaient de facto des sanctuaires dans lesquels les animaux pouvaient se reproduire et élever leurs jeunes. Sur la base de ses observations de terrain, Fragoso estime que le nombre d’animaux non tabous tués est en augmentation, en particulier dans ces zones qui ne sont plus protégées. La biodiversité dans la région se trouve donc bien impactée par l’importation et l’essor de religions extérieures, dans des proportions que de futurs travaux permettront de préciser.

 

  1. Jeffrey B. Luzar, Kirsten M. Silvius, Jose M. V. Fragoso. Church Affiliation and Meat Taboos in Indigenous Communities of Guyanese Amazonia. Human Ecology, 2012; 40 (6): 833

Darwin était-il raciste ?

Suite et fin de la série de 3 billets sur la dérive raciste de l’expression “l’homme descend du singe”. Après un billet consacré à la Vénus Hottentote et un autre consacré aux élucubrations classificatoires du médecin anglais Charles White, faisons le point sur le prétendu racisme de Darwin.

Et commençons par re-dissiper un malentendu. Ainsi que l’ont montré les billets précédents, les Européens ont adopté une représentation hiérarchique des races humaines bien avant d’admettre un quelconque tranformisme – i.e. étaient racistes bien avant que Charles Darwin publiât L’Origine des espèces. Cédric Grimoult, dans l’ouvrage Créationnismes, mirages et contrevérités, cite le biologiste et généticien Michel Veuille à l’appui de cette idée :

Avant qu’aucun idée transformiste eût été avancée, le “nègre” se plaçait déjà, dans l’ordre de la nature, sur la ligne descendante allant de l’homme “parfait” au singe…1


Il n’en reste pas moins que, par calcul ou ignorance, les contempteurs de tous poils ont maintes fois reproché à Darwin d’être un chantre de l’inégalité des races.

Did-darwin-promote-racism

Un exemple de propagande parmi d’autres, due à l’officine créationniste Answer in Genesis

Les accusations portées à son encontre sont de deux ordres. Les premières tiennent moins à ses convictions qu’à celles des diverses personnalités avec qui il fut en rapport professionnel ou intime. Ainsi pointe-t-on souvent les idées eugénistes et racistes de son cousin Francis Galton ou l’action de son propre fils, Francis Darwin, à la tête de la Fédération internationale des organisations eugénistes. Dans la continuité de ces accusation, et de façon curieuse, on lui reproche également une supposée absence d’engagement contre le racisme, comme si cela valait caution.

Dans Darwin n’est pas celui qu’on croit, idées reçues sur l’auteur de L’Origine des espèces 2, Patrick Tort pourfend de façon salutaire ces griefs dénués de fondement en rappelant que les rapports épistolaires que Darwin entretenait avec son encombrant cousin se limitaient à des questions professionnelles. Concernant son fils, il souligne que ses activités ne pouvaient bien évidemment nullement condamner son père par une sorte de contamination ascendante ! Pour ce qui est de l’engagement, Tort rappelle également que la naturaliste anglais eut à s’impliquer au sein de l’Ethnological Society et que ses écrits témoignent sans ambiguïté de sa révolte personnelle contre l’esclavagisme.

Le second registre d’accusation de racisme tient aux écrits de Darwin, en particulier à certains passages de La Filiation de l’homme, qui peuvent, assurément, choquer un lecteur actuel (du moins le genre de lecteur qui s’étonnerait que soit prononcé le mot “Nègre” dans le biopic sur Lincoln, par exemple).

On trouve par exemple, dans certains ouvrages de vulgarisation, assortis de commentaires moralisateurs, cette mise en parallèle du « visage profondément sillonnée et fastueusement coloré, pour devenir plus attrayant pour la femelle »3 du mandrill africain avec les peintures du visage des bandes rouges, bleues, blanches ou noires des « nègres » et de divers sauvages. Ou cette observation sur « les facultés mentales des animaux supérieurs [qui] ne diffèrent pas en nature, bien qu’elles diffèrent énormément en degré, des facultés correspondantes de l’homme, surtout de celles des races inférieures et barbares »4.

Pour ne rien masquer de ce qui peut consterner un lecteur non averti, cet extrait est également souvent cité :

Quiconque a vu un sauvage dans son pays natal n’éprouvera aucune honte à reconnaître que le sang de quelque être inférieur coule dans ses veines. J’aimerais autant pour ma part descendre du petit singe héroïque qui brava un terrible ennemi pour sauver son gardien, ou de ce vieux babouin qui emporta triomphalement son jeune camarade après l’avoir arraché à une meute de chiens étonnés, – que d’un sauvage qui se plaît à torturer ses ennemis, offre des sacrifices sanglants, pratique l’infanticide sans remords, traite ses femmes comme des esclaves, ignore toute décence, et reste le jouet des superstitions les plus grossières.5

Au moins ne pourra-t-on pas accuser Darwin de ne pas aimer les singes…

Au-delà de ça, l’affirmation suivant laquelle le naturaliste anglais était raciste repose en général, selon Tort, sur « des montages de citations hors contexte » (ce que nous venons de faire pour la bonne cause) et sur « un véritable déni de la logique profonde et de la cohérence complexe de la pensée de Darwin »6.

Il faut pour comprendre les citations ci-dessus, se garder de tout anachronisme et distinguer clairement le sentiment de supériorité dont souffrait tous les Européens blancs de l’époque, sans que Darwin y fît exception, du racisme proprement dit, qui repose, selon la définition de Tort, sur trois composantes.

  1. D’abord une inégalité entre humains reposant sur le primat du biologique, donc un déterminisme, à la fois persistant et transmissible.
  2. Ensuite la pérennité et l’irrévocabilité de cette inégalité, qui découlent logiquement de ce qui précède.
  3. Et enfin un discours de prescription (ou des actes) visant à concrétiser cette hiérarchie naturelle dans une domination sociale au besoin brutale.

Aucune de ces trois composantes ne saurait qualifier les écrits, la pensée ou les actes de Charles Darwin. Accuser de Darwin de racisme est non-sens et n’a d’autre visée que polémique et idéologique.

  1. M. Veuille, La Sociobiologie, Paris, Presses universitaires de France, “Que sais-je”, 1986, p.118.
  2. P. Tort, Darwin n’est pas celui qu’on croit, idées reçues sur l’auteur de L’Origine des espèces, Paris, Le Cavalier Bleu, p.101-119.
  3. C. Darwin, La descendance de l’homme et la sélection sexuelle, Paris, Reinwald, 1876, p.662.
  4. Id., p.661.
  5. Id., p.752.
  6. P. Tort, Ibid., p.102

ceci n’est pas un drapeau flottant sur la Lune (hs#26 RAMMSTEIN, Amerika)

Comme le headbanging science précédent le laissait entendre, nous partons sur le Lune planter le drapeau américain en compagnie d’Apollo 11 et de Rammstein. Enfin… sur la Lune ou bien en studio ? Mise au point sur une rumeur qui a la vie dure, celle de la prétendue mise en scène par la Nasa des marches lunaires…

 


Tweeter

Pornographie, homophobie, nazisme, incitation à la tuerie de Columbine, etc. Rammstein a réussi à s’attirer la polémique à chacun des albums ponctuant ses 20 ans de carrière, démontrant un sens du marketing aigu – ou une naïveté confondante. Les Teutons ont même réussi à se faire poursuivre en justice par le criminel anthropophage Armin Meiwes, ce qui n’est pas peu classe. Ne dérogeant pas à la règle, le morceau Amerika, de l’album Reise, Reise (2004), s’est lui aussi attiré les critiques. Voyons de quoi il retourne :

Nul besoin de maîtriser la langue de Till Lindemann pour comprendre que Amerika prétend dénoncer l’hégémonisme culturel américain, via la mise en scène de ses symboles les plus connus : Coca, hamburgers, Brando…. Pas de quoi fouetter un chat, mais suffisant pour taxer le groupe d’anti-américanisme primaire. Mais c’est l’utilisation qui est faite de l’imagerie d’Apollo 11 qui va nous intéresser ici, en particulier la rumeur voulant que la conquête de la Lune n’ait été qu’un vaste hoax orchestré par la Nasa (et peut-être des puissances plus occultes encore). Le clip montre le groupe jouant sur la Lune, arborant les sigles NASA et Apollo 11 sur leurs instruments et sur leurs combinaisons. On voit également deux membres du groupe s’affairer à monter un drapeau américain avant de poser devant pour la photo, en référence à cette image célèbre :

apollo11_flag_big

Quant à la scène finale, on y découvre que le groupe joue sur une Lune reconstituée en studio. Le hoax prétend que la Nasa aurait fait de même (juste en cas d’échec, pour ne pas perdre la face, dans une version faible ; sans même chercher à essayer d’aller sur la Lune, dans une version forte).

Alors, le 21 juillet 1969, à 3 h 56 à Paris, Neil Armstrong a-t-il oui ou non allongé sa Ugg vintage, tâtant le sol avant de se décider à faire un « small step for (a) man but a giant leap for mankind » ? Évidemment oui. Il n’existe absolument aucune espèce de doute quant à la réalité de cet épisode clé de la conquête spatiale, tant les preuves abondent, qu’il s’agisse des 378 kg d’échantillon de sol lunaire ramenés par les missions Apollo, des réflecteurs laser placés sur la Lune, qui nous permettent aujourd’hui encore de mesurer avec une extrême précision la distance qui nous sépare de notre satellite, ou encore des témoignages de l’ensemble des acteurs de l’épopée lunaire. Ce qui n’empêche pas certaines de questionner chaque document d’époque de façon plus ou moins pertinente : Pourquoi ne voit-on pas d’étoiles dans le ciel ? Pourquoi voit-on plusieurs ombres ? Pourquoi le LM n’a-t-il pas creusé un cratère dans la poussière en alunissant ? Et pourquoi voit-on le drapeau flotter alors que, comme chacun le sait, il n’y a pas de vent sur la lune ?

457px-Apollo_11_Crew_During_Training_Exercise_-_GPN-2002-000032

Buzz Aldrin et Neil Armstrong s’entraînent dans un décor lunaire de la NASA. De quoi alimenter la rumeurs selon laquelle la mission entière aurait été mise en scène

En écho à la thématique patriotique de Amerika, je m’attarderai ici simplement sur cette question du drapeau, avant d’aborder des considérations plus générales sur cette sorte bien particulière de scepticisme. Pour une déconstruction méthodique de l’ensemble de la théorie du complot lunaire, je vous renvoie à celle exécutée par Phil Plait dans son blog Bad Astronmy.

Pourquoi voit-on le drapeau « flotter » dans le vide lunaire ? Examinons cet argument. La Nasa a fourni plusieurs photos qui montrent bien que les plis du drapeau sont en réalité immobiles et ne « flottent » pas. Pour pouvoir être déployé dans le milieu lunaire, le drapeau était fixé à une potence horizontale que l’on distingue d’ailleurs parfaitement sur les photos. Armstrong et Aldrin, qui n’avaient pas répété ce travail (ce qui dément qu’ils aient accordé beaucoup d’importance à ce geste patriotique), l’enfoncèrent à la va-vite sans réussir à la déployer entièrement, si bien qu’il conserve cet aspect froissé pouvant laisser croire qu’il flotte. Ce gif animé montre que le drapeau est parfaitement fixe alors que l’astronaute, lui, a bougé :

as11-40-5874-75

Mais le plus beau dans l’histoire n’est pas que le drapeau ne flottait pas, mais qu’il aurait en réalité parfaitement pu flotter ! Les conspirationnistes avançaient en fait un argument qui aurait confirmé ce qu’ils croyaient dénoncer, ainsi que l’ont démontré expérimentalement la chaîne Discovery et la Nasa : non seulement le drapeau aurait pu flotter dans le vide, mais il aurait bougé encore plus que dans notre atmosphère, en raison de l’impulsion donnée au tissu lorsque les astronautes enfoncèrent la hampe dans le sol. L’expérience en vidéo :

Enfin, avant de baisser pavillon, il convient de rappeler aux sceptiques que la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO) a photographié les sites d’atterrissage des missions Apollo, faisant apparaître objets, équipements et traces d’activité. La Nasa a ainsi pu établir, grâce aux différences d’éclairage solaire entre les clichés, que les drapeaux des missions Apollo 12, 14, 15, 16 et 17 sont encore debout sur le sol lunaire ! Seul le drapeau d’Apollo 11 n’est plus en place, Buzz Aldrin ayant déclaré l’avoir vu s’envoler lors du départ du module Eagle. Histoire de couper court à une nouvelle rumeur, empressons-nous de préciser que les empreintes de pas laissées par Neil Armstrong et Buzz Aldrin, elles, sont bien visibles sur les clichés de LRO

challenger_4x.serendipityThumb

L’hypothèse d’un canular orchestré par la Nasa ne date pas d’internet et de la vague complotiste post 11 septembre 2011, comme on pourrait le penser. À l’époque des faits, on prétendait déjà que les marches lunaires avaient été filmées par la Nasa, quelque part dans le désert du Nevada ou de l’Arizona, selon les versions. À vrai dire, même le vol circumlunaire d’Apollo 8 en décembre 1968 avait donné lieu à des rumeurs de hoax. Le poids de ces rumeurs ne saurait être estimé, mais plusieurs articles de journaux en firent écho. Il faut souligner que, sur le fond, ce scepticisme émanait de personnes ordinaires ayant simplement du mal à croire ce que la télévision et la radio leur rapportaient d’un monde en plein bouleversement, duquel elles se sentaient rejetées. Tout cela relevait plus de la conversation de comptoir spontanée et était à la fois dénué d’arrière-plan idéologique et d’orchestration politique. Seuls les membres de la Flat earth Society, par exemple, avaient des raisons précises de douter de la véracité des expéditions lunaires puisqu’on leur donnait à voir une Terre ronde. Roger Launius, conservateur au National Air and Space Museum de Washington relate dans un document consacré au sujet que son grand-père paternel, un fermier de 75 ans, démocrate depuis toujours par reconnaissance pour le New Deal de Roosevelt, ne croyait pas à l’alunissage d’Apollo 11 par simple manque de connaissance et par naïveté, de la même façon qu’il continuait à labourer ses champs avec des chevaux parce qu’il jugeait que les tracteurs étaient une mode éphémère ! Nulle trace de théorie conspirationniste à cette époque, donc, mais un témoignage d’une réalité sociale où tous ne vivaient pas exactement dans le même monde. En 1970, une enquête réalisée par un groupe de presse révéla que le taux d’incrédule pouvait grimper à 54% parmi les populations afro-américaines de Washington DC ! ce qui en disait plus long sur les tensions de la société américaine que sur les mécanismes du scepticisme proprement dits.

Norman_Mailer_Life_Magazine_Cover_August_1969

De façon étrange, les images d’Apollo 11 ne suffirent pas à lever les doutes. Leur étrangeté avait même de quoi les susciter. Norman Mailer, qui couvrit la mission pour le compte de Life magazine rapporta, après avoir vu l’homme marcher sur la Lune, que l’évènement était si éloigné et paraissait si irréel qu’il était difficile pour l’Amérique en train de se congratuler d’en comprendre pleinement le sens, un peu comme un jeune marié que l’on félicite en disant : « Te voilà un homme marié, maintenant », ne peut véritablement se représenter la signification de ce changement. Mailer souligna également qu’il aurait fallu une combinaison de moyens pour monter un tel canular si colossale et si improbable que cela constituait la meilleure preuve que la marche sur la Lune n’avait pas été mise en scène en studio. Ce que confirma Neil Armstrong dans une communication personnelle en 2003 : « il aurait été plus dur de la simuler que de le faire vraiment. »

Il en irait bien sûr tout à fait autrement de nos jours. Dans les années 1970, une véritable théorie de la conspiration a commencé à voir le jour, avec la publication d’un pamphlet de Bill Kaysing, ancien employé d’un motoriste sous-traitant de la Nasa : We Never Went to the Moon : America’s Thirty Billion Dollar Swindle (1974), qui développait l’ensemble des arguments repris depuis – à commencer par notre fameux drapeau flottant dans le vide. Diverses oeuvres ont depuis enfoncé le clou, chacune à leur façon, comme le film Capricorn One (1978), qui transpose le thème de la reconstitution en studio sur Mars, ou le vrai-faux documentaire de William Karel (Opération Lune, 2002), qui manipule si bien les images qu’on ne sait plus très bien s’il démonte ou amplifie le hoax. En 1999, un sondage Gallup révélait que seuls 6% des Américains pensaient que leur gouvernement avait mis en scène ou truqué l’alunissage d’Apollo 11. La proportion n’avait pas varié depuis 1995 et un responsable de Gallup crut bon de préciser que ces 6% étaient en quelque sorte incompressibles, une partie des personnes interrogées répondant oui à toutes les questions, quoi qu’il arrive (surprenant aveu de la part d’un institut, car les bases sont censées être cleanées de ces monorépondants). Ce faible niveau a de quoi surprendre, lorsque l’on sait par exemple que 13% des Américains seulement pensent que l’apparition de l’homme résulte d’un processus évolutif étalé sur des millions d’années sans aucune intervention d’un quelconque Dieu (Sondage Gallup de 2004). Globalement, malgré l’étrangeté soulignée par Mailer, le fait que l’homme ait marché sur la Lune pouvait être largement admis dans la mesure où il n’entrait en conflit avec aucune conviction philosophique, religieuse ou politique (à l’exception des partisans de la Terre plate, mentionnés plus haut). Il ne prêtait pas non plus le flanc à la controverse scientifique, faute d’hypothèse adverse (la plupart des arguments du hoax n’ont pas de caractère scientifique).

Capricorn One

Les choses pourraient toutefois évoluer. En 2004 un sondage révélait que les Américains de 18 à 24 ans, qui n’avaient donc pas vécu l’épopée Apollo, étaient 27% à exprimer des doutes sur le fait que la Nasa ait pu envoyer des hommes sur la Lune. En 2009, un sondage anglais cette fois annonçait que 25% des Britanniques refusaient de croire que l’homme avait marché sur la Lune. À l’éloignement historique pourrait donc se conjuguer un éloignement « géographique ». De plus, le caractère improbable d’une conspiration à grande échelle avec les moyens de l’époque s’estompe. Ainsi que le démontre le blogueur Ethan Siegel de Starts with a bang, recréer de façon réaliste une scène du programme Apollo est aujourd’hui à la portée de tous. Prenant d’ailleurs appui sur le clip de Rammstein, il livre quelques conseils pratiques aux apprentis hoaxers sur le lieu de tournage, avec diverses suggestions, comme le site de Craters of the Moon, dans le parc naturel de l’Idaho, les costumes, ou les techniques vidéo et audio pour simuler l’effet de la faible gravité lunaire : une caméra haute vitesse à 180 images par secondes donnera l’impression du ralenti lunaire une fois le film passé à vitesse normale ; le chant du clip doit lui être enregistré à vitesse normale puis accélérée pour être synchronisée avec le film à haute vitesse. Si vous revisionnez le clip de Rammstein, vous vous apercevrez que ça marche plutôt pas mal.

Doit-on s’attendre à une augmentation de l’incrédulité, en dépit de la surabondance de faits ? C’est mal barré dans certains pays, puisqu’en Iran, il y a quelques mois, des milliers de personnes ont été victimes d’un canular orchestré par un possible fan de Rammstein : croyant que Pepsi allait projeter son logo sur la face de la Lune, elles se sont massées sur les toits pour assister à cette démonstration de puissance marketing de l’Oncle Sam.

Comme l’a dit, Harrison Schmitt (Apollo 17), seul scientifique ayant foulé le sol lunaire : « Si les gens ont décidé de nier les faits historiques, scientifiques ou technologiques, il n’y a pas grand-chose à faire pour eux. Pour la plupart, je regrette simplement que nous ayons raté leur éducation. » Allez, Rammstein dès la maternelle !

la culture scientifique pour les nuls, aperçu

Avant de penser à diffuser la culture scientifique et à vulgariser la controverse, ne faudrait-il pas que le grand public maîtrise la lecture et l’écriture ? Aperçu des difficultés estudiantines face à un texte à trous parlant de chercheurs, de génétique… et d’ecclésiastiques.

Tweeter

À l’occasion de l’affaire Séralini, certains confrères blogueurs du c@fé des sciences ont amorcé un mini-débat dont il ressortait une certaine préoccupation à l’idée que ce type de coup médiatique puisse nuire à l’image de la science. J’imagine qu’ils faisaient référence à l’image de la science dans le grand public – bien malmené journalistiquement, il est vrai – et pas à la nébuleuse de ceux qui s’intéressent d’un peu plus près à l’actualité scientifique.

Je tiens ici à rassurer mes collègues inquiets, mais d’une façon qui les inquiétera peut-être beaucoup plus encore. Je ne pense pas que l’affaire Séralini ait véritablement nui à l’image de la science dans la mesure où je doute fortement que la plupart des gens aient eu connaissance de beaucoup plus d’éléments que deux ou trois rongeurs boursouflés exhibés au 20h. Et quand bien même ? L’image de la science peut sans doute dormir tranquille, car la teneur de ses querelles échappe au plus grand nombre. Appelons ça un problème de « culture scientifique », si vous voulez. Mais je crois qu’il s’agit plus fondamentalement d’une question de culture tout court, voire tout bêtement de maîtrise de la langue. Peut-être, avant de penser à diffuser la culture scientifique, faudrait-il déjà réapprendre à lire et à écrire ? Ce qui va suivre est à prendre avec distance, mais je pense cela révélateur.

calvin_langage

Il s’agit de quelques trouvailles d’élèves de BTS confrontés à un très classique exercice de « texte à trous ». Le texte de référence qui leur a été proposé est un article sur la bioéthique d’Alain Etchegoyen (Les apprentis sorciers, Le Figaro Magazine, novembre 1991), consultable sur ce site dans l’exercice 2 . Les élèves après avoir pris connaissance de ce texte (pas terrible au demeurant) devaient compléter le petit résumé suivant à l’aide d’une liste de mots-clés. Je n’ai pas en mémoire le temps alloué pour cette périlleuse manœuvre, mais ce n’était pas trop le stress, d’autant qu’ils pouvaient se faire expliciter les termes incompris avant de commencer. Pour bien interpréter ce qui va suivre, il faut également avoir à l’esprit que la graphie des mots-clés renseigne précisément sur leur contexte : un adjectif ne peut remplacer un verbe, un singulier un pluriel – ce qui peut aider, à condition de savoir ce que sont ces drôles de choses.

Prêts pour l’exercice ?

Le texte à trous :

La bioéthique concerne tout le monde, comme le montre la ___ qui confronte deux ___. Pour la ___, composée de ___ et de ___ , le progrès scientifique ne saurait être ___. La recherche entraînera l’___ des maladies et permettra même de les ___. On en viendra à un eugénisme ___ qui améliorera l’espèce humaine et les dépenses de la ___ publique seront allégées. Comment alors ___ ces travaux ? La ___ école, que représentent des philosophes ou des ___, affirme ses craintes en ce qui concerne la pratique d’un eugénisme ___ : il permettra la sélection ___ des embryons et ouvrira de plus en plus largement ses critères de choix à des exigences non ___. On ne peut ___ déterminer nettement quelles ___ sont inconciliables avec l’___, puisque certains individus en ont fait l’origine même de leur ___. ___, pour ces moralistes, il faut que les parents acceptent les ___ de la procréation et restent maîtres de leur décision.

 

Les mots-clés :

limité – condamner – polémique – ecclésiastiques – seconde – contrôlé – pathologiques – rationalistes – tares – humain – aléas – prévoir – génétiques – Enfin – chercheurs – génie – efficace – d’autre part – éradication – écoles – première – Santé – scientifique.

 

bonnet_d_ane-4

Comme vous l’aurez compris, je n’ai pas choisi ce texte par hasard, mais parce qu’il avait un rapport avec la science (et aussi parce que j’avais accès aux copies). Pathologiques, rationalistes, génétiques, chercheur, scientifique, Santé, etc. de quoi nous renseigner – un peu – sur l’état de la « culture scientifique » de nos concitoyens.

Un premier indicateur fait tout de suite froid dans le dos : la plupart des élèves ont obtenu une note en dessous de la moyenne à cet exercice.

Deuxième constatation, le sens de mots tels que ecclésiastiques, pathologiques ou rationalistes échappe manifestement largement aux élèves, qui les glissent au petit bonheur la chance dans le premier trou venu.

Troisième point, la graphie n’est absolument d’aucune utilité, puisque les élèves recopient les mots plutôt scrupuleusement, mais pour les placer n’importe où, sans se soucier de la structure de la phrase. Il est manifeste que les lacunes en orthographe ou en vocabulaire se doublent d’une agression caractérisée de la syntaxe.

Plus en détail, quelques faits me paraissent intéressants à souligner dans le cadre des rapports science – citoyens. Le texte s’attache à présenter deux écoles de pensée opposées dans une polémique. D’un côté, chercheurs et rationalistes, de l’autre, ecclésiastiques et philosophes. De façon très révélatrice, pratiquement aucun élève ne parvient à restituer correctement cette opposition dans le résumé à trous. On trouve toutes sortes d’attelages amusants (ecclésiastiques & génie VS philosophes & rationalistes ; rationalistes & pathologique ( !) VS philosophes & ecclésiastiques ; chercheurs & génie VS philosophes et scientifiques, etc.). Parfois cette structure d’opposition, courant de pensée contre courant de pensée, n’est même pas comprise. Au lieu d’une « polémique qui confronte deux écoles », on a alors « la scientifique qui confronte deux chercheurs » ou la tare qui confronte deux génétiques », voire, parce que tous les goûts sont dans la nature, « la condamner (?) qui confronte deux polémiques ». Je souhaite bien du courage à tous ceux qui ont en charge d’expliciter les controverses au grand public.

Un deuxième point important a trait aux termes de « chercheurs » et de « scientifiques ». Apparemment, pour certains, cela ne recouvre pas la même chose puisque ces populations (en réalité, scientifique était employé comme adjectif, mais cela n’a pas été saisi) sont parfois opposées ou juxtaposées, comme on le voit dans les exemples ci-dessus.

Dernier point, presque tous placent le verbe « prévoir » dans la phrase « Comment alors ___ ces travaux ? », un peu comme s’ils projetaient de refaire leur salle de bains. Que l’on puisse, dans le cadre de la science et de l’éthique « condamner » des travaux ne va manifestement pas de soi, même lorsqu’on parle d’eugénisme.

 

Terminons en beauté avec un top 3 « décadence de la chrétienté »

  1. On ne peut d’autre part déterminer nettement quelles tares sont inconciliables avec l’« ecclésiastique »
  2. … affirme ses craintes en ce qui concerne la pratique d’un eugénisme « ecclésiastique »
  3. … il permettra la sélection « ecclésiastique » des embryons…

 

En dessous de la moyenne ? La correction :

La bioéthique concerne tout le monde, comme le montre la polémique qui confronte deux écoles. Pour la première, composée de chercheurs et de rationalistes, le progrès scientifique ne saurait être limité. La recherche entraînera l’éradication des maladies génétiques et permettra même de les prévoir. On en viendra à un eugénisme contrôlé qui améliorera l’espèce humaine, et les dépenses de la Santé publique seront allégées. Comment alors condamner ces travaux ? La seconde école, que représentent des philosophes ou des ecclésiastiques, affirme ses craintes en ce qui concerne la pratique d’un eugénisme scientifique : il permettra la sélection efficace des embryons et ouvrira de plus en plus largement ses critères de choix à des exigences non pathologiques. On ne peut d’autre part déterminer nettement quelles tares sont inconciliables avec l’humain, puisque certains individus en ont fait l’origine même de leur génie. Enfin, pour ces moralistes, il faut que les parents acceptent les aléas de la procréation et restent maîtres de leur décision.