la vie sur Mars (hs#28, DAVID BOWIE, Life on Mars?)

Encore inconnu, David Bowie aurait dû adapter les paroles en anglais du Comme d’habitude de Claude François. Plus préoccupé par la sortie de ses propres compositions, il se fit souffler la politesse par Paul Anka, qui commit My Way, propulsé par Sinatra. Dépité d’avoir laissé filer 100 balles, Bowie se rattrapa avec un Mars et écrivit Life on Mars?, un morceau paru sur l’album Hunky Dory en 1971, qu’il décrivit en gros comme un My Way, mais en mieux. Life on Mars? ne connut le succès que deux ans plus tard, une fois sorti en single. Le classieux clip réalisé par Mick Rock magnifiant un Bowie bleu azur dont les yeux et les lèvres maquillés ressortent du fond blanc y est peut-être pour quelque chose :

Life on Mars? est tout sauf une chanson ordinaire. Déjà, elle m’oblige à commencer ce headbanging science en citant Claude François, que j’estime musicalement à peu près autant qu’un cancrelat à qui on aurait octroyé un banjo. Ensuite, si vous entendez les accords de My Way dans Life on Mars?, vous, c’est que vous avez une oreille musicale que je n’ai pas. Enfin – et on s’en douterait presque à la vue de ce clip… lunaire –, Life on Mars? ne parle pas du tout de Mars. À vrai dire, Life on Mars? ne parle même pas d’espace. Autant dire que, pour poursuivre cette chronique scientifique, il va me falloir sortir la pelle…


De quoi parle le sublime texte de Bowie ? Il s’agit de la complainte d’une jeune ado désabusée par la société de consommation et du spectacle, et plus largement par la violence et la vacuité de l’American Way of Life. L’interrogation Is there Life on Mars? résonne comme un appel au secours adolescent : « Dites-moi qu’au moins il y a quelque chose ailleurs – de toute façon ça ne peut pas être pire qu’ici. »

Sans écrire une ligne sur le sujet, Bowie a pourtant tout exprimé sur le rapport que nous entretenons avec la planète rouge. L’homme se demande s’il y a de la vie sur Mars parce qu’il désespère de la sienne sur Terre. L’envie de vie sur Mars est une déprime adolescente. En voici quelques indices.

Mars, planète soeur

Mars faisant partie des cinq planètes visibles à l’œil nu est observée depuis que les hommes ont des yeux. Sa couleur rouge sang – et peut-être sa trajectoire erratique dans le ciel – lui vaut d’être associée à la guerre et à la destruction plutôt qu’à une quelconque oasis de vie dans une tripotée de cultures antiques. On a alors plutôt envie de laisser la planète rouge – et la vie qui s’y trouve – tranquille.

Ceci jusqu’à ce que les observations de William Herschel, à la fin du XVIIIe siècle, puis celles de son fils John, la fassent voir d’un autre œil. Mars possède des saisons, des calottes polaires qui fondent en été, des taches et des traînées sombres qui pourraient bien être des mers et des détroits, bordant des masses rougeâtres ou jaunes qui doivent être des continents. Toutes proportions gardées, dès le premier quart du XIXe siècle, les astronomes sont persuadés que Mars présente des analogies étroites avec la Terre. Ce que Camille Flammarion résume ainsi :

« Continents, mers, îles, rivages, presqu’îles, caps, golfes, eaux, nuages, pluies, inondations, neiges, saisons, hiver et été, printemps et automne, jours et nuits, matins et soirs, tout s’y passe à peu près comme ici. » (Flammarion, 1891)

C’est beau comme le guide du routard. Les conditions semblant idéales, pourquoi ne pas postuler l’existence de la vie sur Mars, et même d’une vie intelligente ? Flammarion n’y va pas par quatre chemins et avance que la planète est peuplée de races non seulement intelligentes, mais encore supérieures à nous.

Notice: réglage des canaux

Si Flammarion s’emballe ainsi, c’est parce qu’en 1877, en 1879 puis en 1881, profitant d’excellentes conditions d’observation lors d’oppositions particulièrement favorables, l’astronome italien Giovanni Schiaparelli a mis en évidence des structures rectilignes ou formant des arcs de très grands cercles qui zèbrent des planètes : des « canaux », dont certains font près de 3000 km.

p6

Schiaparelli n’est pas n’importe qui, il est directeur de l’observatoire de Milan et par ailleurs excellent cartographe, si bien que les cartes qu’il exécute convainquent une partie des astronomes qu’il y a bien une espèce intelligente peuplant Mars et s’amusant à jouer à SimCity grandeur nature. À partir de 1894, le riche astronome amateur Percival Lowell en rajoute une couche. Il se fait construire son propre observatoire en Arizona et se lance dans l’étude des canaux martiens. Il les aligne frénétiquement, recouvrant la planète d’une véritable toile d’araignée.

S730a

Il faut relever ici que tous les astronomes sont loin d’être convaincus par cet étalement de tuyauteries martiennes. Pour une bonne raison : certains arrivent à les observer, d’autres non. Pourquoi tout le monde ne voit-il pas la même chose ?

Pour les esprits charitables, les observateurs persuadés de voir des canaux sur Mars sont victimes de la médiocre qualité de leurs instruments : l’observation s’effectue aux limites de la résolution instrumentale et durant les quelques fractions de seconde qui laissent entrevoir la surface. Ils sont dès lors abusés par des phénomènes d’illusion d’optique tout ce qu’il y a plus de naturels. C’est l’explication que propose l’astronome grec naturalisé français Eugène Michel Antoniadi, qui, grâce à la grande lunette de l’observatoire de Meudon et à un œil particulièrement exercé pour interpréter ombres et contrastes pour en déduire les reliefs, fut le grand démystificateur des canaux de Mars. Voici ce que Antoniadi voit par exemple le 20 septembre 1909 :

antoniadi_20_sept_909

C’est déjà nettement moins rectiligne (et plus joli), n’est-ce pas ? Si quelque chose construit des canaux là-haut, c’est sans doute après avoir abusé du genépi, ou de son équivalent martien. Dans l’ouvrage La planète Mars publié en 1930, Antoniadi compare deux représentations de la région d’Elysium. Celle du haut est un dessin de Schiaparelli. Celle du bas son propre croquis synthétisant plusieurs observations. Les lignes rectilignes observées par Schiaparelli et ses confrères ne sont en fait, pour Antoniadi, que des alignements de taches plus ou moins régulières, donnant l’illusion de former des lignes :

canaux_antoniadi

Pour l’essentiel, il semble surtout que les observateurs convaincus de l’existence d’une vie sur Mars voyaient tout simplement ce qu’ils avaient envie d’y voir. Ce n’étaient ni Schiaparelli ni Lowell qui plaçaient leur œil sur l’oculaire, mais la « fille aux cheveux de souris » de David Bowie.

Petits arrangements avec l’habitabilité

Il n’y a pas que chez les astronomes qu’une fillette sommeille. Puisqu’il est question de vie, les biologistes ont aussi leur mot à dire sur Mars, par exemple l’illustre Alfred Russel Wallace (oui, le codécouvreur du principe de la sélection naturelle). Celui-ci eut une vie fort longue qu’il mit à profit pour disserter sur toutes sortes de sujets, dont celui assez général de la pluralité des mondes habités (Man’s Place in the Universe, 1903) et celui plus particulier de l’habitabilité de Mars (Is Mars Habitable? 1907).

Is Mars Habitable? est considéré comme un texte scientifique pionner dans le champ de l’exobiologie, mais il y aurait sans doute à redire sur son objectivité. La biographie de Wallace écrite par Peter Raby, qui vient de sortir en français (Alfred R. Wallace, l’explorateur de l’évolution, Éditions de l’évolution) ne consacre qu’un paragraphe à cette œuvre oubliée de Wallace, présentée comme une « riposte cinglante » à la théorie des canaux martiens défendue par Lowell. Voici comment Wallace critique la démarche adoptée par Lowell :

« Il part du postulat que les lignes droites sont des œuvres d’art et, plus il en trouve, plus il voit dans leur abondance la preuve qu’il s’agit bien d’œuvres d’art. Ensuite, il s’emploie à tordre et déformer routes les autres observations afin qu’elles correspondent à son postulat. »

Ainsi que le note Raby, « Cette critique aurait très bien pu s’appliquer à sa propre défense du spiritisme ». Et sans doute à l’entièreté de l’ouvrage qui, sous couvert de recherches poussées pour parvenir à une analyse du climat et des conditions atmosphériques sur Mars d’allure scientifique, est avant tout la tentative d’un nonagénaire, anthropocentriste impénitent, pour démontrer coûte que coûte que la Terre est la seule planète de l’univers où la vie a pu se développer.

Wallace n’accepte pas l’idée que la vie ait surgi par accident, ni qu’elle puisse disparaître un jour par l’effet des mêmes causes évolutives (il est bon de se rappeler ceci à la lecture de textes cherchant un peu trop ostensiblement à mettre Wallace sur un strict pied d’égalité avec Darwin pour minimiser l’apport de celui-ci…).

goldilocks

On pourrait croire que les critères d’habitabilité définis par les astronomes modernes qui traquent les exoplanètes échappent aux biais de notre propre conception du vivant, terrestre et extra-terrestre. Rien n’est moins sûr si l’on suit Ian Stewart qui, dans Les mathématiques du vivant (Flammarion, 2013), notamment, aborde la notion d’habitabilité sous l’angle des mathématiques pour nous faire comprendre les difficultés que pose sa définition.

La loi de Planck, explique-t-il, permet de déterminer la température d’une planète gravitant autour d’une étoile, donc de déterminer les frontières intérieures et extérieures de la zone habitable, c’est-à-dire là où il ne fait ni trop chaud ni trop froid, mais juste bien pour autoriser le développement de la vie à condition qu’elle mette une petite laine quand ça fraîchit le soir. Il existe deux versions de la formule de calcul, avec ou sans albédo (la fraction du rayonnement réfléchie par la planète). Avec un albédo à 0,3 (valeur terrestre), la zone habitable du Soleil s’étend de 69 millions à 130 millions de kilomètres. Mercure, située à 58 millions, est hors jeu : trop chaude. Mars, à 228 millions de kilomètres, l’est aussi : beaucoup trop froide. Mais la Terre, à 150 millions de kilomètres, l’est aussi ! Et seule Vénus, à 108 millions de kilomètres, serait habitable. Paradoxe : la seule planète habitable, celle qui est sous nos pieds, est en dehors de la zone habitable de son étoile… Amis Vénusiens, bonjour.

Le concept d’une zone habitable qui ne tiendrait pas compte des caractéristiques particulières des planètes, en particulier de leur atmosphère, est donc trop simpliste. Mais notre conception du vivant (intuitivement, quelque chose qui nous ressemble) doit aussi être revue. Les organismes extrémophiles terrestres, note Ian Stewart, vivent dans des conditions qui ne correspondent pas à celles de la zone habitable :

« dans une eau dont la température dépasse le point d’ébullition normal ou descend sous son point de fusion normal. Ni très au-delà ni très en deçà des conditions qui définissent la zone habitable, mais au-delà et en deçà tout de même. »

L’idée d’une vie sur Mars, fût-elle passée, ne donc être abordée qu’en connaissant parfaitement les caractéristiques de la planète. Et c’est bien pour ça qu’on y envoie crapahuter des rovers, en attendant que nous puissions nous y rendre nous-mêmes. Mais c’est là que ça se complique…

Y aura-t-il de la mort sur Mars ?

Selon Philippe Labrot, qui tient le site nirgal.net, « la découverte définitive d’une vie martienne ne pourra pas avoir lieu avant que des roches ne soient ramenées dans les laboratoires terrestres pour y être examinées. » La faute aux moyens et aux conditions d’analyse forcément limitées des robots, seuls sur la planète rouge. Pourquoi ne pas se rendre sur Mars et mener ces analyses sur place ? Simplement parce qu’il faudrait éviter à tout prix la contamination des écosystèmes martiens par les microorganismes terrestres que nous ne manquerions pas de trimballer avec nous, quelles que soient les précautions prises. On se trouve dès lors dans une belle impasse, que Labrot formule ainsi :

« La découverte de formes de vie sur la planète Mars aura alors une conséquence inattendue : celle d’empêcher tout débarquement humain. (…) Il est assez paradoxal de penser que si la réalité dépasse nos rêves, et qu’un écosystème existe encore aujourd’hui sur Mars, il nous faudra l’étudier par procuration, grâce à des robots commandés en temps réel depuis un avant-poste implanté sur Phobos, et non pas de nos propres mains. L’étude de Mars continuera donc d’être ce qu’elle a été depuis le début, un travail à distance, jusqu’à ce qu’un jour enfin les écosystèmes martiens soient entièrement caractérisés, et que le danger d’une éventuelle contamination croisée soit définitivement écarté. »

Si cette vision est juste, je la trouve réconfortante : laisser la vie sur Mars tranquille afin de ne pas y apporter la mort. Je me repose sur elle pour me persuader que la dernière trouvaille en date de la compagnie néerlandaise Mars One, sélectionner, sous la forme d’une télé-réalité, et envoyer des candidats dans un Loft martien en 2023, n’a aucune chance de voir le jour, tout au moins pour la partie spatiale du projet.

La page Wikipédia française consacrée à Mars One détaille les limites techniques, humaines et financières du projet, qui prétend parvenir à ses fins sur la base des techniques actuelles (capsule Dragon et lanceur Falcon Heavy de Space X, notamment) et pour la modique somme de 6 milliards de dollars. Les limites psychologiques me semblent les plus insurmontables : celles liées au voyage et à la vie sur Mars, bien sûr, mais aussi celles liées aux sept ans de sélection passés à faire de la télé-réalité. Je doute que quiconque survive à ça. Surtout avec Denis Brogniart aux manettes.

Si le projet marche malgré tout, ce n’est pas vraiment de la vie qu’on enverra sur Mars, mais des morts en sursis, puisque le voyage serait sans retour. Des milliards de téléspectateurs rivés devant leur écran à guetter la mort prochaine de leurs semblables, quel réjouissant programme. Qui nous ramène à la girl with the mousy hair de Life on Mars? :

And she’s hooked to the silver screen
But the film is a saddening bore
For she’s lived it ten times or more
She could spit in the eyes of fools
As they ask her to focus on

David Bowie avait tout compris. Comme d’habitude.

 

les dents de mes mers (requins de métropole)

L’été dernier, un aoûtien inattendu s’échouait sur une plage de la Manche : un requin “féroce”, espèce nageant d’ordinaire dans les eaux profondes de Colombie, Cette découverte insolite semblait à l’époque faire écho à l’actualité dramatique de l’île de La Réunion, théâtre d’attaques mortelles sur des surfeurs. Ce genre de collision médiatique pourrait se reproduire cette année, mais c’est un simple trompe-l’œil. Les requins qui longent les plages de métropole sont aussi méconnus qu’inoffensifs.

 

Combien sont-ils ?

Difficile, même pour les spécialistes, d’estimer le nombre d’espèces de requins qui fréquentent nos côtes. Les élasmobranches, la grande famille des poissons à squelette cartilagineux regroupant requins et raies, sont encore mal connus. Et, paradoxalement, peu étudiés, dans la mesure où ils ne constituent pas un enjeu économique, comme d’autres groupes de poissons.

On estime qu’une cinquantaine d’espèces nagent dans les eaux métropolitaines, sur plus de 500 recensées sur la planète, plus de 1000 en comptant les raies – un nombre croissant à chaque campagne scientifique (parmi les 300 espèces marines découvertes aux Philipines en 2011 figurait notamment un requin gonflable, ayant la faculté de remplir son estomac d’eau pour impressionner ses prédateurs).


Qui sont-ils ?

Parmi les plus communes sur nos côtes, des requins de fond : le requin hâ – bien pratique au scrabble – qui peut atteindre 2 m, l’aiguillat, la petite et la grande roussette (qui outre les 90 cm qui les séparent se distinguent aussi à la couleur de leur iris ou à l’écart entre leurs valvules nasales), ou l’émissole – ces trois derniers achalandant les étals des poissonneries sous l’appellation trompeuse de saumonette.

Requin hâ © APECS

Requin hâ © APECS

 

Quelques grosses espèces pélagiques aussi, c’est-à-dire évoluant dans la colonne d’eau : le placide requin-pèlerin, deuxième plus gros poisson du monde avec ses 12 mètres, le superbe et très hydrodynamique peau bleue, le plus mastoc taupe ou encore le renard, reconnaissable à sa longue queue falciforme pouvant mesurer jusqu’à la moitié de la longueur totale de l’animal. Enfin, un certain nombre de raies, famille dont les travaux en génétique récents ont montré qu’il s’agissait en fait de bêtes requins aplatis plutôt que d’espèces sœurs.

Requin peau bleue © APECS

Requin peau bleue © APECS

 

Faut-il annuler sa quinzaine à Mimizan ?

Ben, je n’ai pas de conseil touristique à vous donner, mais non. Même ces grands prédateurs ne font pas vraiment peser de menace sur nos plages. Au niveau mondial, l’ISAF (International Shark Attack File) ne répertorie que 484 attaques mortelles non provoquées depuis… 1580 ! (au 11 février 2013 ; la cuvée 2013 n’est pas encore répertoriée, avis aux amateurs… )

En outre, difficile d’affirmer qu’elles sont en augmentation récente tant ces statistiques sont fragiles et soumises à un effet loupe médiatique. Pour la France, peu de dorsales menaçantes à l’horizon : seulement 4 attaques depuis 1847, dont une seule mortelle, dans les années 1930.

© Chapatte

© Chapatte

 

Les espèces de nos littoraux, Manche, Atlantique ou Méditerranée, ne sont pas réputées agressives, même si le requin bleu ou le mako sont impliqués dans de très rares cas mortels ailleurs. Ne pas les importuner relève toutefois du simple bon sens. Ainsi, le colossal pèlerin n’ayant pour option que la fuite, gare au coup de queue lorsqu’il s’échappe ! Des scientifiques en ont d’ailleurs fait l’expérience – et en ont profité pour récupérer le mucus laissé par l’animal sur leur coque afin d’en prélever de l’ADN. Du côté des raies, attention aux décharges électriques de la torpille marbrée (de part et d’autre de la tête) ou à l’aiguillon de la pastenague (infiniment moins venimeuse ici que ses consœurs tropicales).

 

Le grand blanc nous laissera-t-il bronzer ?

Carcharodon carcharias, le grand requin blanc, fréquente la Méditerranée, c’est une certitude. Mais les rencontres restent rares : on ne l’aurait aperçu que 600 fois depuis le Moyen Âge. 22 attaques sont tout de même recensées, dont 10 mortelles, mais la dernière date de 1984. La plupart des rencontres ne sont donc pas très mouvementées, et ressemblent à ça (Spielberg, passe ton chemin) :

http://www.dailymotion.com/video/xgymqd

Vidéo de Baptiste BACCHIOLELLI, compagnie de promenade en mer CORSE EMOTION réalisée entre Sagone et Toulon.

 

Ainsi que l’indique le site corsicamare.com dans un billet qui lui est consacré, on ne sait pas grand-chose sur la démographie du grand blanc en Méditerranée, mais les phoques et les thons rouges qu’il affectionne ayant pratiquement disparu de ces eaux, il se peut que ses populations soient en régression. Les observations ont pour la plupart lieu là où on trouve encore un peu d’espadons (Italie du Sud, Malte, Sicile, Adriatique… et une ou deux observations annuelles en Corse).

Quant à l’Atlantique, rien n’interdit de penser que le grand blanc pousse jusque-là (contrairement à ce que l’on imagine, c’est une espèce des eaux tempérées), mais il s’y signale par son absolue discrétion.

 

Des espèces fragiles

Loin d’être une menace, les requins de nos côtes sont donc plutôt des espèces vulnérables, dont les caractéristiques biologiques (maturité sexuelle tardive, gestation longue, croissance lente) supportent mal la surpêche. Aucune espèce n’est protégée par la loi française, mais la Politique Commune de la Pêche de l’Union Européenne instaure des interdictions (requin-pèlerin, requin blanc, raie brunette) ou des quotas qui peuvent descendre à zéro (requin-taupe).

Des mesures de gestion circonstanciées seraient sans doute plus efficaces (interdictions saisonnières, sur des zones de reproduction…). Encore faut-il connaître l’écologie de ces espèces et cerner la structure des stocks. Pour ce faire, différentes associations parient sur les sciences participatives et mettent à contribution citoyens et pêcheurs pour remonter leurs observations ou les captures accidentelles.

Préserver la diversité des requins de métropole passe par cette amélioration du savoir, ainsi que l’illustre à merveille l’emblématique pèlerin. En 2008, un gros spécimen femelle équipé d’une balise Argos à l’île de Man stupéfiait les scientifiques en traversant l’Atlantique en quelques mois, révélant que l’espèce fréquentait les eaux océaniques. Une découverte précieuse pour sa protection : inutile, en effet, d’agir isolément sur un seul bord de l’océan si l’espèce fait la navette entre les deux !

 

apecs_logo

 

Le point de vue de…

Éric Stéphan — Association pour l’Étude et la Conservation des Sélaciens (APECS)

Fondée en 1997, l’APECS mène des programmes scientifiques et éducatifs pour mieux connaître et faire connaître requins et raies. Le programme CapOeRa permet de recenser les échouages de capsules d’œufs de raies ; le programme Allo Elasmo invite pêcheurs, plaisanciers et plongeurs à signaler les captures ou les observations de toute espèce de requin ou de raie.

 

Quelles espèces trouve-t-on en Atlantique et en Bretagne ?

Les requins ont réussi à coloniser tous les environnements. On les trouve vraiment partout, y compris dans les eaux métropolitaines. Mais on les connaît encore très mal et il est impossible d’établir des cartes de répartition ou d’abondance. Certaines espèces sont plus fréquemment observées à certains endroits, mais ce sont globalement les mêmes qu’on trouve sur la façade Atlantique, en Manche ou en Méditerranée. On peut croiser en plongée des petits requins vivant plutôt au fond et ne se déplaçant pas beaucoup : la petite et la grande roussette, ou l’émissole. Le requin-taupe lui est bien présent au niveau du talus continental. Avec le peau bleue, ce sont des espèces pélagiques, mais l’été, les plus jeunes individus peuvent s’approcher des côtes et croiser des plaisanciers. Le requin-renard, lui, vit plutôt au large. Enfin, il y a le requin-pèlerin…

 

Pourquoi vous intéressez-vous particulièrement à cette espèce ?

C’est un géant de notre patrimoine ! On l’observe régulièrement en Bretagne, en particulier dans le Finistère sud et au nord de la mer d’Iroise. Le pèlerin était très mal connu du grand public et des scientifiques lorsque nous avons créé l’APECS en 1997. On savait que l’espèce était là, et c’est tout. Il a fallu mettre en place un programme de recensement des observations pour un premier état des lieux. Nous avons ensuite mené des campagnes de terrain grâce aux suivis par satellite, à partir du début des années 2000. On acquiert encore des données, mais les premiers résultats sont surprenants. Très longtemps, on a pensé que le pèlerin restait au fond l’hiver, avec une activité réduite. Ce n’est pas ça du tout ! Il continue à être actif et à se déplacer dans la colonne d’eau, mais remonte moins en surface. On le voit donc moins qu’au printemps ou en été. C’est probablement lié à la profondeur du plancton dont il se nourrit.

 

 Les requins de nos côtes sont-ils menacés ?

La principale menace qui pèse sur eux est la pêche intensive. Mais toutes les espèces ne sont pas forcément menacées. Quand on regarde les données des campagnes halieutiques de l’IFREMER, on voit que la petite roussette ne l’est pas, par exemple. Certaines sont plus vulnérables. Le requin-taupe était pêché de façon ciblée par des bateaux français. Par mesure de précaution, l’Europe en a interdit la prise en 2009. Parmi les raies, on a aussi des espèces qui ont du mal à se régénérer et qui ne supportent pas une pression de pêche trop forte. L’objectif de notre association est de sensibiliser le grand public à la présence des requins sur nos côtes et à leur vulnérabilité. Mais aussi de contribuer à l’amélioration des connaissances. Nous avons besoin d’études complémentaires, car il y a un cruel manque de données pour les eaux françaises : en France, les raies et les requins ne sont pas un sujet de recherche prioritaire.

 

Sodomie : 100% naturelle

En réaction aux saillies homophobes de certains opposants au mariage pour tous, un peu de sciences naturelles pour expliquer que : non, l’intromission du pénis dans le rectum – et plus largement, l’homosexualité – n’est pas une pratique contre-nature. C’est même tout le contraire, ainsi que le démontre le monde animal à l’envi.

La captivité induisant des comportements que l’on n’observe pas dans la nature et la domestication pouvant faire apparaître des comportements homosexuels en sélectionnant indirectement certains traits, il faut regarder du côté des populations sauvages.


Quels sont les cas d’homosexualité observés chez les animaux ?

La distribution de l’homosexualité dans le règne animal est extrêmement large. Elle concerne non seulement des centaines d’espèces, mais encore une large gamme d’animaux, qu’ils soient sociaux ou pas, de l’insecte (coléoptères, papillons, libellules et blattes) aux mammifères terrestres et marins en passant par les reptiles et les oiseaux, bref à peu près tout ce qui a une reproduction sexuée. Pour être exact, ces comportements ne se traduisent pas toujours par une intromission effective.

Les cerfs à queue blanche dédicacent cette monte à Frigide et à ses coreligionnaires trop vite déscolarisés

Les cerfs à queue blanche dédicacent cette monte à Frigide et à ses coreligionnaires trop vite déscolarisés

Nous n’allons pas écrire les 120 journées de Sodome du monde animal, mais mentionner seulement trois cas présentant un intérêt particulier.

Le Charançon des agrumes, qu’on ne soupçonnerait a priori pas de débauche, se révèle être un libertin frénétique : on observe de véritables partouzes où les mâles montent les femelles, les femelles montent les mâles, et les mâles se montent entre eux ou montent les couples déjà formés. Notons que l’appareil génital du mâle pénètre bien la cavité anale de son partenaire.

Le petit pingouin est amusant, car il a inventé le club libertin. Les montes entre mâles ne se produisent pas à proximité des colonies de reproduction, au milieu des gosses, mais un peu à l’écart, et impliquent même une minorité de femelles. Chez le petit pingouin, qu’on se le dise, 91% des mâles se font monter par d’autres mâles.

Les frottis-frottas du bonobo étant relativement connus, je mentionnerai ici plutôt le fier gorille des montagnes (objet de tant de fantasmes injustifiés), chez qui l’on trouve des groupes constitués uniquement de mâles. Et là, comme dans toute situation contrainte de ce type, advient ce qui doit advenir : les mâles ont des comportements homosexuels régis par leur rang hiérarchique. Temporairement exclus du marché du sexe hétérosexuel, ils sont coincés dans une file d’attente sociale, dont ils sortiront éventuellement lorsqu’ils pourront avoir accès aux femelles.

Esquisse d’explication et de différentiation

Les biologistes retiennent trois catégories d’explication : la pénurie de partenaires de l’autre sexe (comme chez le gorille), la nécessité d’alliances sociales (comme chez le dauphin) ou la difficulté à discriminer entre les sexes (typiquement, chez les insectes).

Il convient ici de préciser que les scientifiques qui travaillent sur le sujet distinguent les comportements homosexuels de la préférence homosexuelle, qui est exclusive et sur le long terme. Le distinguo a son importance, car l’existence d’une préférence homosexuelle exclusive n’a jusqu’ici été formellement démontrée chez aucun animal non humain. Il n’est donc pas rigoureusement exact d’assimiler les pratiques homosexuelles animales aux pratiques humaines, bien que certaines associations homosexuelles semblent perdurer chez certaines espèces, par exemple chez certains goélands ou certains cygnes. Ceci soulève aussitôt deux questions : qu’est-ce qui fait cette spécificité humaine ? Et comment se fait-il que ce trait puisse être sélectionné, compte tenu de l’évidente baisse de fertilité qu’il implique ? Des billets ultérieurs permettront d’apporter quelques éléments de réponse.

D’ici là, j’aimerais finir en exposant une légère pointe d’agacement devant la façon dont lesmédias traitent l’actualité de ce sujet. C’est bien gentil de nous infliger continuellement les vagissements de l’alliance prognathe du bombers et de la soutane, mais serait-il inconcevable d’opposer à leur protoargumentation, au moins de temps en temps, l’avis circonstancié des gens qui connaissent le sujet. Vous savez, oui, les chercheurs. Parce qu’ils ne font pas que chercher des bosons, ils ont aussi des choses à dire pour éclairer ce type de débat. Je ne sais pas, moi, un écologue, par exemple, un anthropologue, un biologiste de l’évolution… C’est quand même pas compliqué. Enculés de lesmédias, tiens…

 

Ces éléments sont tirés sans vergogne d’un parfait résumé sur l’homosexualité chez les animaux commis par Michel Raymond & Frank Cézilly

Michel Raymond a également consacré un chapitre à l’homosexualité dans son premier livre Cro-Magnon toi-même (ici : la critique de son second ouvrage), qui est plus que recommandable.

 

le quiz nature du printemps

Vous avez performé comme des malades au quiz de l’automne sur les merveilles de la nature en très gros plan ? En ferez-vous autant pour le redoutable quiz du printemps ?

De quoi s’agit-il donc…

Photo 1

A – Un champignon du cuir chevelu

B – Une langue de pingouin

C – Un poisson-scie gominé

Quiz7

Photo 2

A – Des pointes de flèche du Néolithique

B – Une râpe à diamants

C – De la peau de requin

Quiz 6

 

Photo 3

A – Le secret de la moustache d’Edwy Plenel

B – L’algue comestible n°1 au Japon

C – Des poils de phoque

Quiz 5
Ces photos sont toujours extraites de La nature vue de (très) près, Giles Sparrow (Dunod, 320 pages, 22€), qui nous invite à regarder au plus près notre environnement: animaux, plantes ou structures géologiques remarquables, avec des petits textes explicatifs plutôt instructifs.

 

Voici les réponses. Je rappelle qu’un voyage à Bali est en jeu, ne trichez pas !

Photo 1

B – Une langue de pingouin

C’est bien une langue de pingouin, recouverte de barbes rigides qui empêchent les proies chassées en plongée par l’oiseau (krill, petits poissons et calmars) de glisser hors de son bec. (C’est toujours utile pour ne pas manger salement.)

Photo 2

C – De la peau de requin

S’il vous vient à l’idée de caresser un requin, faites-le dans le sens des denticules dermiques qui tapissent son corps ; dans l’autre, ça râpe ! – la peau du requin était d’ailleurs utilisée comme papier de verre. Ces couches de denticules, constituées d’une cavité centrale entourée d’une fine paroi de dentine, protègent le requin des parasites et favorisent son hydrodynamisme.

Photo 3

C – Des poils de phoque

Cette coupe d’une peau de phoque au microscope électronique à balayage montre que la fourrure de l’animal est constituée de poils aplatis, étanches, disposés en couches superposées, qui emprisonnent suffisamment d’air pour empêcher que l’eau (ou le vent) atteigne la peau. Si cela ne suffit pas, il y a en dessous une sacrée couche de graisse, que l’on peut voir dans un phoque coupé en deux par le scalpel de JP Colin.

 

la cinétique des gaz s’applique-t-elle au Heavy metal ? (hs#28 ANTHRAX, Caught in a Mosh)

Après, Metallica, Slayer et Megadeth, le headbanging science accueille le quatrième larron du Big 4 du thrash américain, j’ai nommé Anthrax, avec un morceau extrait d’Among the Living, leur troisième album, sorti en 1987, Caught in a Mosh :

 

Levons le voile illico : grâce à Anthrax, nous allons parler de physique sur le bLoug, ce qui est une grande première, et plus précisément de cinétique des gaz. Le lien qui vient immédiatement à l’esprit est : « ah ouais, le métal, la bière, donc les gaz… » En fait, non. Caught in a Mosh évoque le fait d’être confronté à un quelqu’un d’irrémédiablement obtus, sur lequel tous nos arguments rebondissent et restent sans effet, ce qui nous donne le sentiment d’être « pris dans un mosh », ou en langage clair, « embarqué dans un pogo ». Pour simplifier, le mosh est en quelque sorte la déclinaison du pogo (danse éminemment punk et individualiste) en une version hardcore et métal (volontiers plus collective). Puisqu’on en est au lexique, vous lirez aussi les termes de « pit » (la fosse), et de « circle pit », qui est une figure particulière dans laquelle les moshers se mettent à courir en cercle.

bandeau anthrax

Deux étudiants de l’Université de Cornell (avec deux de leurs professeurs de physique) viennent de connaître un joli buzz dans la presse outre-Atlantique avec un petit papier qui se propose d’étudier, sous l’angle de la physique, « Les mouvements de foule des moshers aux concerts de Heavy Metal » (c’est le vrai titre de leur commentaire, publié sur arXiv – il ne s’agit pas d’une véritable publi scientifique).mosh pit nice

 

Nos physiciens mélomanes s’attaquent aux :

« foules importantes (102 à 105 personnes) dans les conditions extrêmes des concerts de heavy metal. L’humeur de l’assistance, qui est source de blessures physiques fréquentes, est influencée par une combinaison de musique lourde et rapide (130 dB, 350 bpm) synchronisée avec des flashs de lumière vive, et de fréquentes intoxications. La nature et l’importance de ces stimuli atypiques contribuent aux comportements collectifs que nous allons étudier ici. [renvoi à l’image d’un public de concert, au cas où vous n’auriez pas saisi le tableau]. »

 

Ça commence mal… Sans être désagréable, mieux vaut tout de même rectifier certains détails : les auteurs tirent leurs 130 dB d’une étude datée de 1992, un simple passage dans n’importe quel concert ayant eu lieu ces 15 dernières années aurait pu leur apprendre que le niveau de décibels a sacrément diminué et est strictement réglementé ; je ne sais pas d’où proviennent les 350 bpm évoqués, mais c’est évidemment grotesque (bien qu’humainement jouable) ; les blessures fréquentes sont tirées d’une véritable étude médicale consacrée aux concerts de métal : dans un festival de 4 jours ayant réuni 240 000 personnes, 1,5 personne sur 10 000 ( !) a dû être hospitalisée suite à ses activités de mosh – c’est quand même pas lourd !

mosh pit anim

 

Bref, venons-en au cœur du sujet. À partir de vidéos de concerts sur YouTube, les auteurs ont utilisé un logiciel destiné à l’analyse des particules dans un fluide pour suivre les mouvements de foule. Ils ont observé que les vitesses des moshers avaient la même distribution statistique que celles des particules dans un gaz, dont le mouvement n’est affecté que par leurs interactions avec d’autres particules.

L’équipe a ensuite conçu un modèle, baptisé MASHer, dans lequel chaque mosher est simplifié en un MASHer, une particule au mouvement autonome, capable de rebondir sur les autres, de s’agréger à elles ou de les suivre. Un peu de bruit statistique a été rajouté aux mouvements afin de simuler l’état d’ébriété. Deux types de MASHers sont distingués : les actifs, qui ont tendance à se déplacer, à être en interaction avec les autres particules et soumis à des forces fluctuant aléatoirement (par exemple, si le gars devant sent un peu, vous allez subir une forte envie de vous en éloigner, ce qui est bien vu) ; les passifs, eux, préfèrent ne pas bouger et échapper ainsi aux désagréments des interactions avec les autres particules.

En réglant les différents paramètres de leur outil, par exemple en agissant sur le niveau de bruit ou sur la faculté à former un groupe, les chercheurs ont obtenu quelque chose d’assez conforme à ce qu’on observe dans la réalité : au bout d’un moment, les actifs se trouvent regroupés entre eux, et confinés par les passifs, comme dans un mosh pit. Mieux, sous certaines conditions, ils se mettent à former un cercle et à tourner, une figure également observée dans les fosses et connue sous le nom de circle pits.

Vous pouvez essayer de simuler votre propre mosh pit dans l’outil mis à disposition par les chercheurs.

exemple de simulation de mosh pit

 

Alors, les moshers se comportent-ils vraiment comme des molécules gazeuses ?

Je ne vais pas reprendre les auteurs sur le plan de la physique, j’en suis bien incapable, mais il y a au moins deux choses qui me gênent dans leur démarche.

La première tient à ce que leur modèle n’envisage pas que les particules soient mues par une intelligence et une volonté collectives et soumises à des facteurs externes autres que leur état d’ébriété. Les particules rebondissent les unes contre les autres et s’agglutinent en fonction des lois physiques entrées dans le système. Alors qu’en réalité, c’est précisément ce qu’elles cherchent à faire. L’étude est ici victime de son préjugé de départ : le pit est un agglomérat de débiles défoncés.

Les auteurs estiment que leurs résultats posent une question intéressante et centrale :

“Pourquoi un système en déséquilibre présente-t-il les caractéristiques d’un système en équilibre ?”

 

Je serai tenté de répondre : Pour votre modèle, je n’en sais fichtrement rien, mais pour ce qui est des mosh pits véritables, parce qu’il ne s’agit pas du tout d’un système en déséquilibre. Ce qui ruine totalement l’analogie avec la cinétique des gaz, à mon sens.

Comme on peut le voir ci-dessous, en commençant la vidéo à 1:40 (ou au début si vous aimez Mastodon), un petit circle pit se met en place à un moment bien précis du morceau. Dans la réalité, une partie des molécules de gaz s’entend donc pour bouger de façon cohérente à un moment déterminé, en fonction des signaux reçus de son environnement.

 

La taille du circle pit varie selon le nombre de personnes et c’est le groupe DevilDriver qui détient le record avec environ 25 000 molécules de gaz faisant la ronde. Voici la performance. Comme on peut le constater, tout cela a à peu près autant de rapport avec la cinétique des gaz qu’une ola au stade de France. C’est complètement organisé.

 

Voyons maintenant une figure assez subtilement intitulée Wall of death, sur ce morceau d’Exodus. Vous allez saisir assez vite le principe en regardant cette vidéo, mais ce qu’il faut en retenir, c’est que la mise en place est complètement orchestrée par le chanteur et les molécules gazeuses ne font, là aussi, de façon concertée, qu’obéir à un stimuli extérieur.

 

Pour finir de démonter l’analogie de nos jeunes physiciens, il faut aussi relever qu’il existe un véritable code tacite au sein du pit : les molécules ne font pas du tout n’importe quoi : une personne à terre, par exemple, sera aussitôt relevée ; les filles doivent être respectées ; et tout contrevenant au code sera châtié par le groupe. On est bien loin d’un modèle dans lequel les particules rebondissent les unes sur les autres et sont passivement soumises à des forces aléatoires.

La deuxième chose qui me chiffonne, est la démarche des chercheurs. Leur idée initiale est que le phénomène du mosh pit, ressemble “qualitativement” (i.e., dans leurs rêves) à la cinétique des molécules gazeuses, même si (et c’est eux qui soulignent), les moshers sont des agents qui se déplacent par eux-mêmes… Partant, ils nous proposent d’explorer cette analogie de façon quantitative. Traduisez : « nous allons essayer de bidouiller un programme qui restitue à peu près l’idée de Machin, quand bien même elle est fumeuse. » Quand votre hypothèse de travail prévoit l’existence de quelque chose, il y a de fortes chances que vous trouviez ce quelque chose, du moins quelque chose faisant vaguement l’affaire (franchement, les simulations ne ressemblent pas vraiment à la réalité) et j’ai assez l’impression que c’est à ça qu’on a affaire ici, plutôt qu’à une démarche scientifique véritable.

L’analogie a souvent des vertus. Pas celle de remplacer une démonstration inexistante. Ce buzz sur le mosh me rappelle un peu notre histoire du gars qui comparait Jimi Hendrix et les marmottes, de façon gratuite. On peut comprendre la course au coolest paper ever, mais par pitié, amis chercheurs, vous n’êtes pas obligé non plus de faire dire n’importe quoi à la musique. Vœu pieux, sans doute, car quand je vois que tous les papiers, y compris celui du New Scientist, recopient fidèlement votre communication, sans une once de questionnement, j’ai un peu l’impression d’être Caught in a Mosh moi-même, comme dirait Anthrax. Et de sentir le gaz, finalement.

 

200 ans de paléontologie française

Ça ne vous a pas échappé, en décembre 2012, il a beaucoup été question de fin du monde. Et curieusement, pas un mot sur Georges Cuvier, qui mit en évidence le rôle des catastrophes dans l’histoire du vivant, et dont on fêtait le bicentenaire de la publication de Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, ouvrage fondateur de la paléontologie. Histoire de rattraper le coup, voici un petit topo sur 200 ans de paléontologie française, alimenté par deux générations de paléontologues, Philippe Taquet et Pierre-Olivier Antoine (dont on avait parlé ici).

En « antiquaire d’une espèce nouvelle », Georges Cuvier (1769 – 1832) donna à voir aux hommes de son temps des mondes disparus peuplés de créatures étranges : reptiles marins, paresseux géants, mammouths, etc. Cette vision, aujourd’hui familière, était si nouvelle à l’époque qu’elle provoqua un étonnement considérable. Admiratif, Balzac, qui conçut sa Comédie Humaine comme une anatomie comparée des membres de la société française, se demandait si Cuvier n’était pas « le plus grand poète de notre siècle ».

Dessin de cuvier représentant le Megatherium, (sans sa queue), un paresseux géant d'Amérique du Nord (autrefois nommé Megalonyx ou Mégathère de Jefferson), dont le nom scientifique est Megatherium

Dessin de cuvier représentant le Megatherium, (sans sa queue), un paresseux géant d’Amérique du Nord

Il reste en tout cas considéré comme un des plus grands savants pour avoir donné à la science les moyens de reconstituer le passé de la Terre et de ses habitants. En 1812, il publiait Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, ouvrage qui donnait à la paléontologie ses bases méthodologiques. On lui doit aussi d’avoir révélé l’importance de l’extinction des espèces et des catastrophes dans l’histoire du vivant, tandis que la géologie a profité de sa contribution à la datation des terrains au moyen des fossiles.

Mais à quoi ressemble la paléontologie française deux siècles après ? L’image du paléontologue couvert de poussière et s’excitant sur des tiroirs de fossiles n’est plus d’actualité. Pierre-Olivier Antoine, professeur de paléontologie à l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier, fait partie de la nouvelle génération. Il brosse le portrait d’une science résolument moderne : « La paléontologie est extrêmement riche, car elle a su dresser des ponts avec des disciplines connexes (biologie du développement, géochimie…) et utiliser les technologies de pointe provenant de l’imagerie médicale, comme le microtomographe (scanner), qui permettent d’accéder sans les détruire à des structures inaccessibles et offrent de nouvelles perspectives. » L’avènement de la classification moderne, dite phylogénétique, qui consiste à placer organismes vivants et espèces fossiles sur un même arbre en fonction de leur degré d’apparentement, a aussi bouleversé la discipline : l’anatomie comparée chère à Cuvier n’a pas disparu, mais les paléontologues travaillent désormais dans un cadre formel et conceptuel renouvelé qui intègre l’évolution des espèces.

Malgré sa modernité, la paléontologie française bénéficie toujours de son passé prestigieux, de ses collections (parmi les plus importantes au monde) et de ses structures académiques. L’Hexagone lui-même, depuis que Cuvier mit au jour une faune disparue dans le gypse des carrières de Montmartre, reste un théâtre de découvertes marquantes, notamment avec les gisements à dinosaures (Charente ; Aude). La discipline jouit enfin d’une tribune médiatique disproportionnée. Le grand public se masse dans les musées d’Histoire naturelle, mais aussi, désormais, sur les gisements, grâce aux musées de sites ou aux chantiers ouverts à tous, qui permettent de former de jeunes paléontologues en herbe.

Malgré la précarisation du métier de chercheur, la paléontologie française continue à recruter, bon an mal an, ce qui est loin d’être le cas dans d’autres pays. Faute de commission propre dans les instances nationales de la recherche, que ce soit au CNRS ou à l’Université, la communauté des paléontologues doit toutefois composer avec ses voisines plus influentes, celles des géologues et des biologistes, tout en cultivant des expertises très spécifiques pour lesquelles il n’existe souvent que deux ou trois spécialistes à l’échelon mondial. Elle parvient ainsi à rester bien visible dans les revues scientifiques internationales.

Là comme ailleurs se pose la question du financement du travail sur le terrain. Ce que Pierre-Olivier Antoine appelle « mettre les mains dans le cambouis, parce que les spécimens ne poussent pas dans les tiroirs. » Cette partie du métier a aussi un coût en énergie, en temps et parfois pour la vie de famille. Mais elle offre « un plaisir insigne, qui attire vers le métier, celui de découvrir un gisement », souligne le jeune paléontologue, qui cumule déjà une vingtaine de missions en Amazonie.

Paradoxalement, la paléontologie tient peut-être son meilleur argument pour les années à venir de la crise majeure de biodiversité que nous traversons. « La société est consciente collectivement que la vie, qu’elle soit actuelle ou passée, est la même. C’est une seule histoire », conclut Pierre-Olivier Antoine, optimiste. C’est l’occasion rêvée pour sa discipline de faire valoir sa connaissance des crises biologiques du passé. Et peut-être aussi d’être un peu mieux reconnue.

 

Cours d’anatomie de Georges Cuvier Lithographie française, XIXe siècle © Jacques Boyer / Roger-Viollet

Cours d’anatomie de Georges Cuvier Lithographie française, XIXe siècle © Jacques Boyer / Roger-Viollet

Le point de vue de…

Philippe Taquet, paléontologue, professeur au Muséum, auteur d’une biographie de Georges Cuvier.

En quoi Georges Cuvier est-il le père de la paléontologie ?

Lorsqu’il arrive à Paris en 1795, Cuvier est décidé à revoir la classification des animaux. Il a une chance extraordinaire, car les armées de la République ont ramené des Pays-Bas deux crânes d’éléphants. Cuvier constate qu’ils n’ont pas la même forme et que les traces d’usure des dents ne sont pas identiques. Il prouve là l’existence de deux espèces, l’éléphant d’Asie et celui d’Afrique. Mais il va plus loin. Il y avait dans les réserves un animal trouvé dans les glaces de Sibérie que tout le monde connaissait sous le nom de mammouth. Il va comparer, dans la même planche, ce crâne aux deux autres, et montrer qu’il s’agit bien d’un autre éléphant, disparu, dont les dents sont encore différentes. Cuvier tient ainsi une méthode qui permet de comparer des espèces entre elles, mais aussi de faire revivre des espèces éteintes et de plonger le regard dans le passé. C’est ce qui va faire sa gloire.

Pourquoi les espèces disparaissent-elles, selon lui ?

Cuvier s’aperçoit qu’il y a des faunes différentes dans les différentes strates géologiques : dans les couches les plus récentes, des mammouths, dans celles d’en dessous des mammifères disparus proches des tapirs, et encore en dessous des grands reptiles. Ce sont des mondes totalement différents. Pour passer de l’un à l’autre, Cuvier imagine des « révolutions du globe », c’est-à-dire de grandes catastrophes. Les Anglais vont assimiler la dernière au déluge biblique, mais pas Cuvier : il reste prudent et ne veut pas mélanger science et religion. Avec Darwin, on pensera ensuite que Cuvier avait tort et que l’évolution se produit par changements progressifs étalés sur des millions d’années. Depuis les années 1980, on a redécouvert l’importance de cette approche catastrophique. Il y a bien des périodes de crise, mais on parle désormais d’extinctions et non plus de révolutions du globe.

Quel est l’héritage de Cuvier ?

Cuvier a donné ses lettres de noblesse à la paléontologie des vertébrés. Dans sa description du mosasaure [reptile marin disparu], il n’y a pas une virgule à changer, il a été un formidable anatomiste. Ce qui a évolué, ce sont les technologies modernes, qui permettent par exemple de saisir d’un seul coup l’intérieur d’un crâne. Mais j’utilise toujours la même méthode de l’anatomie comparée pour reconstituer mes dinosaures, ça n’a pas changé : un maxillaire droit reste un maxillaire droit.

Depuis Cuvier, on a gardé la tradition, il y a une très bonne école française de paléontologie, avec une chaire prestigieuse au Muséum ainsi que des collections de fossiles extraordinaires. Nos équipes sont reconnues au niveau international dans tous les domaines de la paléontologie, y compris la paléontologie humaine : n’oublions pas que les Français ont contribué à la découverte de Toumaï [plus vieil hominidé, 7 millions d’années] ou de Lucy.

 

A lire :

Eric Buffetaut, Cuvier. Le découvreur de mondes disparus, Belin / Pour la science, 2002, 160 p.

Philippe Taquet, Georges Cuvier – Naissance d’un génie, Odile Jacob, 2006, 539 p. (et c’est que le premier tome !)

Servais, Thomas, Antoine, Pierre-Olivier, Danelian, Taniel, Lefebvre, Bertrand, and Meyer-Berthaud, Brigitte, 2012. Paleontology in France: 200 years in the footsteps of Cuvier and Lamarck. Palaeontologia Electronica Vol. 15, Issue 1; 2E:12p.

 

Le christianisme nuit-il à la biodiversité ?

La religion joue-t-elle un rôle en matière de biodiversité ? Voilà une problématique apte à m’extirper de ma torpeur postprandiale ! Une équipe de biologistes de Stanford a récolté pendant 3 ans une foule de données sur les us et coutumes en matière de chasse de 23 communautés d’Indiens d’Amazonie appartenant aux ethnies Macuxi et Wapishina, vivant au Guyana. L’objectif des chercheurs était de déterminer comment les croyances religieuses indigènes et chrétiennes de ces communautés pouvaient influencer leurs tabous alimentaires. Et partant, en quoi elles pouvaient bénéficier à certaines espèces ou au contraire les mettre en péril. Leurs résultats, publiés en décembre 2012 dans Human Ecology1, montre que la question n’est pas si saugrenue qu’elle en a l’air, mais que la réponse est loin d’être simple.


Carte des communautés Wapishana et Macuxi étudiées

Carte des communautés Wapishana et Macuxi étudiées

 De 2007 à 2010, les chercheurs ont recueilli des données socioéconomiques quantitatives auprès de 1774 foyers (environ 9000 personnes), afin de déterminer quelle étaient leur affiliation religieuse, leur source de protéines principale, si un ou plusieurs membres du foyer proscrivaient la consommation de viande, et si oui, de quelle espèce et pourquoi, en considérant aussi bien les animaux sauvages que domestiques. Des données qualitatives sur les pratiques de chasse et celles des shamans ont complété ce corpus.

 15 des 16 appartenances religieuses répertoriées ont été regroupées en 3 catégories : « cultes établis » (catholiques et anglicans, 73 %), évangélistes (20 %) et adventistes du septième jour (3 %). Les témoins de Jéhovah et les « sans appartenance » et les « mixtes » ont été exclus.

Sources de protéines

Sources de protéines

 La viande (sauvage ou domestique) représente la source de protéines principale dans moins de la moitié des cas. Dans chaque village, la proportion de foyers dont au moins un des membres évite de consommer de la viande délibérément est extrêmement variable : de 0 % à 98 %, avec une moyenne à 38 %. Pour 77 % des foyers concernés, le tabou alimentaire lié à la viande s’explique par la peur des maladies (les « allergies », selon la terminologie indigène). Les espèces les plus communément évitées sont le tapir du Brésil, le daguet gris (un cervidé), le porc domestique, des tortues et le capybara (le plus gros rongeur vivant). De façon curieuse, les primates ne font pas partie des tabous alimentaires, mais ne sont pas chassés pour autant.

La nature exacte de l’« allergie » redoutée par les Indiens est de nature spirituelle. Ils craignent le « maître » de l’animal : le « maître » des daguets est par exemple réputé être particulièrement mauvais envers les jeunes enfants. Pour ces ethnies, le shaman est le seul à même de soigner ces « allergies », fournir la prière appropriée pour apaiser le « maître » et prodiguer des conseils sur les animaux que l’on peut consommer et ceux qu’il vaut mieux éviter.

Le tapir du brésil, en tête des espèces tabou

Le tapir du brésil, en tête des espèces tabou

L’évangélisation de ces ethnies, à partir du 17e siècle et surtout depuis le 19e siècle, a d’ores et déjà profondément modifié leurs systèmes de croyances, puisque, en fonction des villages, les visites au shaman se sont réduites (de 0 % des foyers à 38 % au cours de l’année écoulée, dans le cas présent). Mais elle pourrait influencer bien plus que les modalités de prière et concourir à aussi à modifier la biodiversité, selon les chercheurs.

Le tableau d’ensemble n’est toutefois pas clair à saisir, car les situations varient en fonction de l’appartenance cultuelle. Ainsi, 87 % des foyers adventistes déclarent avoir des tabous alimentaires, contre 32 et 34 % pour les évangélistes et les « cultes établis ». Dans le détail, ces tabous diffèrent d’un culte à l’autre et par rapport aux prescriptions traditionnelles des shamans. Alors que ces derniers prohibent un tiercé porc domestique / viande de brousse / poissons sans écailles, les anglicans et catholiques boycottent tapir / daguet / tortues, les évangélistes un trio proche tapir / daguet / capybara, et les adventistes se démarquent en prohibant porc / tapir / poissons sans écailles.

Au-delà de la difficulté à établir une carte si vous souhaitez ouvrir un resto dans les parages, cet imbroglio diététique a des conséquences pratiques en matière de biodiversité. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, la disparition partielle et contrainte de la pratique shamanique n’entraîne pas celle des tabous alimentaires, qui subsistent, même modifiés ou atténués, au sein des populations.

Christianisme:  le tapir lui dit merci

Christianisme: le tapir lui dit merci

Une espèce comme le tapir peut s’en réjouir. Étant donné son faible taux de reproduction et sa sensibilité aux chasses excessives, le changement culturel affectant les ethnies qui le consomment aurait pu conduire à une surexploitation fatale.

Dans d’autres cas, les effets environnementaux sont plus complexes. La pression de chasse peut avoir été transférée sur d’autres espèces, domestiques ou sauvages, lesquelles peuvent ou pas la supporter. Les conséquences de ces transferts ne sont pas étudiées dans la publication de Human Ecology, qui se borne à suggérer que les tabous alimentaires constituent un outil additionnel de gestion des ressources. Dans un commentaire, José M. V. Fragoso, auteur du papier et responsable du laboratoire ayant conduit l’étude, souligne que la disparition des shamans conduit les communautés à chasser dans de vastes territoires autrefois associés à des entités spirituelles et qui constituaient de facto des sanctuaires dans lesquels les animaux pouvaient se reproduire et élever leurs jeunes. Sur la base de ses observations de terrain, Fragoso estime que le nombre d’animaux non tabous tués est en augmentation, en particulier dans ces zones qui ne sont plus protégées. La biodiversité dans la région se trouve donc bien impactée par l’importation et l’essor de religions extérieures, dans des proportions que de futurs travaux permettront de préciser.

 

  1. Jeffrey B. Luzar, Kirsten M. Silvius, Jose M. V. Fragoso. Church Affiliation and Meat Taboos in Indigenous Communities of Guyanese Amazonia. Human Ecology, 2012; 40 (6): 833

sasquatch comme ça chez les pseudoscientifiques (hs#27 TENACIOUS D, Sasquatch)

Tenacious D dans le headbanging science ? Avec un morceau intitulé Sasquatch, l’équivalent nord-américain du yéti ? Il y avait au moins deux bonnes raisons de douter de la pertinence d’un billet consacré au duo satirique composé de Jack Black et Kyle Gass, tous deux chanteurs et guitaristes acoustiques.

La première tenait à la caution rock. Le doute a été vite levé : Tenacious D a tout de même ouvert pour Pearl Jam ou Metallica et accueilli comme batteurs rien moins que Dave Grohl ou Brooks Wackerman (Bad Religion) ! C’est un tout autre invité que l’on peut voir derrière les fûts dans cette vidéo (à 1:55). Un « kickin ass » style, qui ne fait hélas pas l’affaire pour Tenacious, pas à l’aise à l’idée de former un power trio…

 

La deuxième raison tenait à ligne de profond sérieux de ce blog (oui, parfaitement)… Un sujet de cryptozoologie, après avoir consacré un numéro du headbanging science aux rumeurs de hoax lunaire, paraissait risqué.

Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, il existe une actualité sur le sasquatch qui, à défaut d’être sérieuse en soi, a quelque chose à nous dire sur le fonctionnement de la science qui vaut la peine d’être relevé. Figurez-vous que…. (roulement de tambour) des données viennent de prouver de façon concluante que le sasquatch existait bel et bien. Mieux, il s’agirait d’une espèce d’hominidé directement apparentée à Homo sapiens. Étonnant non ? Et bien sûr, totalement loufoque. Mais voyons de quoi il retourne exactement.

 

headbanging science tenacious D


Syndrome de Galilée chez une ancienne vétérinaire

En novembre 2012, un communiqué de presse émanant d’un laboratoire de génétique texan (DNA Diagnostics), claironnait avoir séquencé le génome du sasquatch à partir d’une centaine d’échantillons de poils. Les données mitochondriales indiquaient une parenté directe avec Homo sapiens (via la lignée maternelle : le génome mitochondrial est transmis par la mère). En revanche, du côté du génome nucléaire (transmis par les deux parents), c’était un peu le bordel : le sasquatch était apparenté avec l’homme, d’autres primates et des trucs inconnus. Tout cela n’avait aucun sens, ce que PZ Myers, auteur du blog Pharyngula, railla à l’époque, évoquant un travail bâclé, de toute évidence entaché de niveaux élevés de contamination de l’ADN, se demandant si on allait aussi trouver des gènes de raton laveur et d’opossum dans les séquences analysées.

Melba Ketchum, auteure du papier (et par ailleurs ancienne vétérinaire reconvertie dans la génétique : elle dirige DNA Diagnostics) estimait être victime d’une cabale qui l’avait empêchée de publier ses résultats dans une revue scientifique à comité de lecture (la démarche scientifique consiste à faire évaluer ses travaux par les pairs et les soumettant à des revues à comité de lecture, qui décident si le travail de recherche soumis pour publication est acceptable ou non), se plaignant amèrement de ce que certaines n’aient même pas regardé son manuscrit et qu’un relecteur ait osé se moquer ouvertement de son travail dans son commentaire.

Melba Ketchum avait absolument raison. Il était absolument invraisemblable qu’un relecteur ait pu se moquer ouvertement de ses travaux : tous auraient dû le faire.

Melba Ketchum revient - et elle n'est pas contente

Melba Ketchum revient – et elle n’est pas contente

L’histoire aurait dû s’arrêter là, mais Melba Ketchum, évoquant un « effet Galilée » (il fallait oser !), n’avait pas dit son dernier mot.

 

On n’est jamais si bien servi que par soi même

Comment est-elle malgré tout parvenue à faire publier ses “résultats” ?

Tout simplement en rachetant et en renommant une revue ! Aussitôt créé, aussitôt publié ! DeNovo, c’est le nom de cette nouvelle revue en ligne, s’est fendue d’une édition spéciale comportant en tout et pour tout un seul article, celui de Melba Ketchum :

“Novel North American Hominins, Next Generation Sequencing of Three Whole Genomes and Associated Studies.” Authors: Ketchum MS, Wojtkiewicz PW, Watts AB, Spence DW, Holzenburg AK, Toler DG, Prychitko TM, Zhang F, Bollinger S, Shoulders R, Smith R. DeNovo. 13 February 2013.

DeNovo entend “accélérer la science”. Tu m’étonnes… L’éthique veut que les éditeurs des revues scientifique ne supervisent pas la publication de travaux de leur propre institution de recherche – et encore moins leurs propres travaux ! Pour compléter la farce, la revue est soi-disant en accès libre, mais il vous en coûtera $30 pour acquérir l’article ! Il n’a été envoyé avant publication qu’à certains blogueurs « crypto-friendly », avec embargo…

 

Et le sasquatch dans tout ça ?

Sur la forme, relevons en vrac : que l’équipe est essentiellement composée d’experts en médecine légale et ne comporte pas d’expert des primates ; qu’on ne sait pas grand chose sur la façon dont les échantillons de poils de sasquatch ont été collectés  ; que l’article  contient des illustrations de sasquatch qui font un peu désordre pour une revue scientifique, dont une vidéo de ce qui ressemble à une couverture sale planquée dans des fourrés

Sur le fond, il est évident que les conclusions vont totalement à contresens des données rapportées :

  • Que l’ADN mitochondrial corresponde à celui d’Homo sapiens ne pose pas de problème en soi si l’on admet que ce sont des femmes qui se sont reproduites avec [quelque chose] et ont donné naissance à des hybrides. Le hic est que cet ADN provient de 16 populations différentes, la plupart d’Europe et du Moyen-Orient, quelques unes africaines et amérindiennes ! La spéciation ayant eu lieu il y a 15 000 ans, on ne devrait trouver que des séquences d’Indiens nord-américains… Mais les auteurs ne s’arrêtent pas à ce détail et spéculent que ces populations ont été se balader en Amérique via le Groenland. La seule explication qui tienne est en fait celle d’une multi contamination des échantillons d’ADN de bestiole par celui des humains qui les ont récoltés ou manipulés.
  • Pour ce qui est du génome nucléaire, difficile d’en dire quoi que soit. Certains tests révèlent une parenté avec l’homme, d’autres avec un primate non identifié, d’autres encore ne révèlent rien du tout. Selon John Timmer, du site arstechnica.com, les résultats sont ceux qu’on pourrait obtenir si on essayait de mixer de force de l’ADN de deux espèces non étroitement apparentées. Par exemple Melba Ketchum avec un vrai scientifique. On ne parlerait donc plus de simple contamination, mais bel et bien de fraude.

married_bigfoot

Que conclure de cette intrusion de la pseudo-science sur les terres de la science officielle ? 3 choses.

  • Premièrement, que le système du peer-review, malgré ses défauts, présente des garanties d’étanchéité assez utiles. Les tentatives faites par les « sciences » créationnistes pour le copier, en créant leurs propres revues à comités de lecture, hostiles à l’évolution, n’ont pas donné grand-chose de concluant. Pour les auteurs, copier la démarche scientifique est couteux en temps et ne leur rapporte au final pas grand chose en termes de crédibilité. Compte tenu de l’écho scientifique nul qu’aura rencontré la tentative sur le sasquatch, on peut espérer les aficionados de Nessie, par exemple, réfléchiront à deux fois avant de soumettre leurs manuscrits à DeNovo.

 

  • Deuxièmement, que la sphère médiatique, pourtant prompte à s’emballer, se comporte plus intelligemment en matière de science qu’on ne veut bien le dire. Jusqu’à présent, je n’ai relevé l’information de la « découverte » du sasquatch que sur le site 7sur7.be – parmi des informations capitales telles que : « Cent pierres retrouvées dans l’estomac d’un labrador » ou « Elle a des cheveux longs de six mètres et demi ». Un bémol toutefois, le communiqué de presse de novembre 2012 que nous avons mentionné plus haut avait fait l’objet d’un article bien gentillet sur le site Maxisciences. Bravo à eux.

 

  • Enfin, qu’il est bien possible que la prochaine étude publiée dans DeNovo prouve, de façon concluante, que Melba Ketchum est un hybride de Robert Mitchum et d’une pêche melba.

 

Pour revenir à Tenacious D, vous vous demandez tous bien entendu qui tient le rôle du sasquatch. Il s’agit d’un autre acteur, John C Reilly, que l’on peut voir ici pousser la chansonnette au… Sasquatch Festival !

Un festival bien réel lui, dont la prochaine édition aura lieu du 24 au 27 mai 2013, sur le site de The Gorge, dans l’État de Washington. C’est un peu loin, mais sachez que la programmation est plus qu’alléchante (Sigur Ros, Arctic Monkeys, Primus, Bloc Party, BRMC, Red Fang… ) et que c’est dans cet État que la Bigfoot Field Researchers Organization recense le plus de « rencontres » du sasquatch : 556 !

 

A lire, deux bons décryptages (en anglais) dont j’ai pu m’inspirer :

 

Darwin était-il raciste ?

Suite et fin de la série de 3 billets sur la dérive raciste de l’expression “l’homme descend du singe”. Après un billet consacré à la Vénus Hottentote et un autre consacré aux élucubrations classificatoires du médecin anglais Charles White, faisons le point sur le prétendu racisme de Darwin.

Et commençons par re-dissiper un malentendu. Ainsi que l’ont montré les billets précédents, les Européens ont adopté une représentation hiérarchique des races humaines bien avant d’admettre un quelconque tranformisme – i.e. étaient racistes bien avant que Charles Darwin publiât L’Origine des espèces. Cédric Grimoult, dans l’ouvrage Créationnismes, mirages et contrevérités, cite le biologiste et généticien Michel Veuille à l’appui de cette idée :

Avant qu’aucun idée transformiste eût été avancée, le “nègre” se plaçait déjà, dans l’ordre de la nature, sur la ligne descendante allant de l’homme “parfait” au singe…1


Il n’en reste pas moins que, par calcul ou ignorance, les contempteurs de tous poils ont maintes fois reproché à Darwin d’être un chantre de l’inégalité des races.

Did-darwin-promote-racism

Un exemple de propagande parmi d’autres, due à l’officine créationniste Answer in Genesis

Les accusations portées à son encontre sont de deux ordres. Les premières tiennent moins à ses convictions qu’à celles des diverses personnalités avec qui il fut en rapport professionnel ou intime. Ainsi pointe-t-on souvent les idées eugénistes et racistes de son cousin Francis Galton ou l’action de son propre fils, Francis Darwin, à la tête de la Fédération internationale des organisations eugénistes. Dans la continuité de ces accusation, et de façon curieuse, on lui reproche également une supposée absence d’engagement contre le racisme, comme si cela valait caution.

Dans Darwin n’est pas celui qu’on croit, idées reçues sur l’auteur de L’Origine des espèces 2, Patrick Tort pourfend de façon salutaire ces griefs dénués de fondement en rappelant que les rapports épistolaires que Darwin entretenait avec son encombrant cousin se limitaient à des questions professionnelles. Concernant son fils, il souligne que ses activités ne pouvaient bien évidemment nullement condamner son père par une sorte de contamination ascendante ! Pour ce qui est de l’engagement, Tort rappelle également que la naturaliste anglais eut à s’impliquer au sein de l’Ethnological Society et que ses écrits témoignent sans ambiguïté de sa révolte personnelle contre l’esclavagisme.

Le second registre d’accusation de racisme tient aux écrits de Darwin, en particulier à certains passages de La Filiation de l’homme, qui peuvent, assurément, choquer un lecteur actuel (du moins le genre de lecteur qui s’étonnerait que soit prononcé le mot “Nègre” dans le biopic sur Lincoln, par exemple).

On trouve par exemple, dans certains ouvrages de vulgarisation, assortis de commentaires moralisateurs, cette mise en parallèle du « visage profondément sillonnée et fastueusement coloré, pour devenir plus attrayant pour la femelle »3 du mandrill africain avec les peintures du visage des bandes rouges, bleues, blanches ou noires des « nègres » et de divers sauvages. Ou cette observation sur « les facultés mentales des animaux supérieurs [qui] ne diffèrent pas en nature, bien qu’elles diffèrent énormément en degré, des facultés correspondantes de l’homme, surtout de celles des races inférieures et barbares »4.

Pour ne rien masquer de ce qui peut consterner un lecteur non averti, cet extrait est également souvent cité :

Quiconque a vu un sauvage dans son pays natal n’éprouvera aucune honte à reconnaître que le sang de quelque être inférieur coule dans ses veines. J’aimerais autant pour ma part descendre du petit singe héroïque qui brava un terrible ennemi pour sauver son gardien, ou de ce vieux babouin qui emporta triomphalement son jeune camarade après l’avoir arraché à une meute de chiens étonnés, – que d’un sauvage qui se plaît à torturer ses ennemis, offre des sacrifices sanglants, pratique l’infanticide sans remords, traite ses femmes comme des esclaves, ignore toute décence, et reste le jouet des superstitions les plus grossières.5

Au moins ne pourra-t-on pas accuser Darwin de ne pas aimer les singes…

Au-delà de ça, l’affirmation suivant laquelle le naturaliste anglais était raciste repose en général, selon Tort, sur « des montages de citations hors contexte » (ce que nous venons de faire pour la bonne cause) et sur « un véritable déni de la logique profonde et de la cohérence complexe de la pensée de Darwin »6.

Il faut pour comprendre les citations ci-dessus, se garder de tout anachronisme et distinguer clairement le sentiment de supériorité dont souffrait tous les Européens blancs de l’époque, sans que Darwin y fît exception, du racisme proprement dit, qui repose, selon la définition de Tort, sur trois composantes.

  1. D’abord une inégalité entre humains reposant sur le primat du biologique, donc un déterminisme, à la fois persistant et transmissible.
  2. Ensuite la pérennité et l’irrévocabilité de cette inégalité, qui découlent logiquement de ce qui précède.
  3. Et enfin un discours de prescription (ou des actes) visant à concrétiser cette hiérarchie naturelle dans une domination sociale au besoin brutale.

Aucune de ces trois composantes ne saurait qualifier les écrits, la pensée ou les actes de Charles Darwin. Accuser de Darwin de racisme est non-sens et n’a d’autre visée que polémique et idéologique.

  1. M. Veuille, La Sociobiologie, Paris, Presses universitaires de France, “Que sais-je”, 1986, p.118.
  2. P. Tort, Darwin n’est pas celui qu’on croit, idées reçues sur l’auteur de L’Origine des espèces, Paris, Le Cavalier Bleu, p.101-119.
  3. C. Darwin, La descendance de l’homme et la sélection sexuelle, Paris, Reinwald, 1876, p.662.
  4. Id., p.661.
  5. Id., p.752.
  6. P. Tort, Ibid., p.102

Alterscience – postures, dogmes, idéologie (Alexandre Moatti – insane lectures #11)

Qu’est-ce que l’alterscience ? Une autre science, une science différente, dans l’esprit de ses promoteurs, mais aussi une science altérée, dévoyée, dans laquelle postures, dogmes et idéologies prennent le pas. Qui sont les alterscientifiques ? Des scientifiques professionnels ou, à tout le moins des personnes véritablement formées à la science, ne s’autoproclamant pas simplement scientifiques, qui, à un moment ou un autre et pour divers motifs, basculent en quelque sorte de l’autre côté, évoluant en marge de la science tout en cherchant à s’y inscrire coûte que coûte.

9782738128874FS

C’est en étudiant les opposants à la théorie de la relativité qu’Alexandre Moatti a commencé à tirer les fils d’un écheveau de théories alterscientifiques qui ne se restreint pas à la physique, mais s’étend aussi à la cosmologie ou aux sciences du vivant. La première partie de l’ouvrage est un examen minutieux de ce qui rassemble les hommes porteurs de ces théories par- delà leurs disciplines et les époques – définissant ainsi ce qui est alterscience et ce qui ne l’est pas. Les invariants sont nombreux. Sur le plan des idées : une théorie (plus ou moins construite, mais l’alterscience ne s’arrête pas à la dénonciation ou au scepticisme et ambitionne d’œuvrer à la construction des connaissances), une attraction – répulsion pour les auteurs de référence (Einstein, Newton, évidemment) qui confine au cas psychiatrique, l’incapacité à saisir les théories récentes faute d’y avoir été formé. Sur le plan des postures : des figures de style récurrentes, la vitupération incessante à l’égard des Académies, une idéologie douteuse qui donne assez prise aux dérives nauséabondes.

Il est remarquable qu’Alexandre Moatti, tout au long de ces portraits d’hommes aussi fascinants que détestables, reste à constante distance sans jamais les réfuter ni les juger, se contentant de les citer et laissant leurs propres paroles opérer contre eux. C’est à peine si, au détour d’une conclusion, il se lâche à ironiser sur ces alter-Galilée des temps modernes autoproclamés, gémissant sur leur sort : « Et pourtant, elle ne tourne pas. » Naturellement, cette manière de faire réclamera un peu d’attention pour ne pas confondre exposé d’une pensée et acquiescement.

Il est particulièrement intéressant de (re)visiter des auteurs des 18e et 19e siècles qui font partie de notre paysage intellectuel sans qu’on sache bien quelles étaient exactement leurs idées – et pour ce qu’Alexandre Moatti nous en livre, il n’est pas certain qu’eux-mêmes l’aient su. Ainsi Saint-Simon, qui n’avait rien compris à la science de son temps ni à Newton, et dont la pensée, sous couvert de tout rapporter à la gravitation, était profondément religieuse. Ainsi Marat, en quête de gloire par l’entremise d’une brève carrière de physicien qui le vit publier des mémoires sur la lumière, sur le feu, sur l’électricité – hélas, c’est dans l’eau qu’il finit par périr. Ainsi Fourier qui emprunte à Newton son nom, mais pas ses idées, se préoccupant de la sexualité des planètes quitte à abandonner toute plausibilité. Ainsi Comte (oui, le père du positivisme), capable de s’enorgueillir de n’avoir pas lu un seul journal depuis 4 ans.

Un autre grand mérite du livre est de constamment resituer cette alterscience dans son contexte historique, alors que l’on a trop fréquemment dans les récits d’histoire des sciences l’impression d’une activité désincarnée. Parce qu’il est beaucoup question d’idéologie, la politique n’est jamais loin. Elle affleure de façon parfois grotesque, à l’occasion d’un discours de Chirac vantant les mérites de Maurice Allais ou d’une lettre de Giscard au créationniste Guy Berthaud (épisodes sans conséquence, mais qui en disent long sur un certain manque de discernement des élites). Plus souvent, elle charrie des relents plus déplaisants : l’antisémitisme semble récurrent (sidérante, cette lettre remplie de haine écrite à Einstein par Le Bon, personnage politiquement inclassable, mais récupéré par Vichy, la Nouvelle Droite ou le Front National) ; les nationalismes instrumentalisent l’alterscience aussi bien que la science (il est marquant que l’antagonisme des nations ait conduit l’immense Haeckel à abandonner sa médaille Darwin lors de l’entrée en guerre en 1914). Toujours sur le plan politique, il est bon de rappeler que l’on trouve, derrière les douces rêveries spatiales d’un Jacques Cheminade, candidat par deux fois à une élection présidentielle dans notre beau pays, les idées bien étranges du « technofasciste » Lyndon Larouche, globalement tues par les journalistes politiques lors de la campagne de 2012. Il est bon de mentionner, aussi, que du côté de « l’ultragauche », l’antiscience n’est pas forcément très éloignée des respectables bacchantes de José Bové, en la personne de certains mouvements rejetant non seulement la technologie en bloc, mais encore le darwinisme. Une position de prime à bord très étrange, mais qui repose sur l’erreur historique ayant consisté à identifier Darwin au darwinisme social et à le ranger du côté du capitalisme (erreur dans laquelle Marx et Engels se fourvoyèrent les premiers). On aboutit ainsi à des considérations aberrantes, taillées dans une forêt de raccourcis, que ne renierait pas Harun Yahya (au sujet de ce dernier, relevons qu’Alexandre Moatti a assisté par deux fois à une intervention publique de son mouvement, ce qui force le respect).

Le soubassement religieux de beaucoup de ces dévoiements de la science donnerait certainement matière à réfléchir aux partisans du dialogue entre science et religion. S’il n’est pas étonnant que la religion soit au centre des oppositions à Darwin, on découvre des prolongements en cosmologie qui ne sont généralement pas mentionnés dans les livres traitant de l’évolutionnisme. Ainsi y eut-il en France en plein 20e siècle, des ingénieurs pour lancer des Cercles d’études centrés sur une théorie géocentrique. Ces ponts ne doivent pas étonner, car dans le petit monde de l’alterscience, on trouve essentiellement tribune auprès d’autres alterscientifiques, quelle que soit leur discipline. C’est pourquoi l’on peut voir notre Georges Salet, polytechnicien et ingénieur du génie maritime, apôtre de l’évolution régressive évoqué ailleurs en ces lieux, intervenir dans les conférences du Cercle de Physique Alexandre Dufour. Il serait intéressant de prolonger l’examen de ces connexions à des cercles plus actuels, quitte à sortir de la définition restrictive de l’alterscience (on peut songer à l’UIP ; aux liens idéologiques entre créationnismes et climatoscepticisme, etc.).

N’allez pas croire que le propos du livre soit si sombre et désespérant qu’il pourrait en avoir l’air. La fréquentation de toute cette tartuferie étalée au grand jour est au contraire réjouissante. On se régale par exemple, de ces suites d’arguments de type « chaudron freudien », consistant à affirmer que la théorie d’untel est fausse tout en avançant qu’elle est de toute façon le fruit d’un plagiat (une variante alterscientifique des bretelles et de la ceinture, d’après le sophisme prêté à Freud : « Je ne t’ai jamais emprunté de chaudron, et d’ailleurs il était déjà percé quand tu me l’as prêté »). Et pour se convaincre, après tout, que ces alterscientifiques ne sont que le produit banal de nos sociétés, on se rappellera que leur plus grande « qualité », ainsi que le rappelle Alexandre Moatti, est ce que Schopenhauer, dans L’Art d’avoir toujours raison, analysait comme « l’obstination à défendre une thèse qui nous semble déjà fausse à nous-même ».

 

Alterscience – Postures, dogmes, idéologies, de Alexandre Moatti, Odile Jacob, 334 p., 23,90 €

 

En savoir +:

Le blog d’Alexandre Moatti

 Casseurs de science, une histoire des malsavants, la critique de l’ouvrage par David Larousserie.