Sodomie : 100% naturelle

En réaction aux saillies homophobes de certains opposants au mariage pour tous, un peu de sciences naturelles pour expliquer que : non, l’intromission du pénis dans le rectum – et plus largement, l’homosexualité – n’est pas une pratique contre-nature. C’est même tout le contraire, ainsi que le démontre le monde animal à l’envi.

La captivité induisant des comportements que l’on n’observe pas dans la nature et la domestication pouvant faire apparaître des comportements homosexuels en sélectionnant indirectement certains traits, il faut regarder du côté des populations sauvages.


Quels sont les cas d’homosexualité observés chez les animaux ?

La distribution de l’homosexualité dans le règne animal est extrêmement large. Elle concerne non seulement des centaines d’espèces, mais encore une large gamme d’animaux, qu’ils soient sociaux ou pas, de l’insecte (coléoptères, papillons, libellules et blattes) aux mammifères terrestres et marins en passant par les reptiles et les oiseaux, bref à peu près tout ce qui a une reproduction sexuée. Pour être exact, ces comportements ne se traduisent pas toujours par une intromission effective.

Les cerfs à queue blanche dédicacent cette monte à Frigide et à ses coreligionnaires trop vite déscolarisés

Les cerfs à queue blanche dédicacent cette monte à Frigide et à ses coreligionnaires trop vite déscolarisés

Nous n’allons pas écrire les 120 journées de Sodome du monde animal, mais mentionner seulement trois cas présentant un intérêt particulier.

Le Charançon des agrumes, qu’on ne soupçonnerait a priori pas de débauche, se révèle être un libertin frénétique : on observe de véritables partouzes où les mâles montent les femelles, les femelles montent les mâles, et les mâles se montent entre eux ou montent les couples déjà formés. Notons que l’appareil génital du mâle pénètre bien la cavité anale de son partenaire.

Le petit pingouin est amusant, car il a inventé le club libertin. Les montes entre mâles ne se produisent pas à proximité des colonies de reproduction, au milieu des gosses, mais un peu à l’écart, et impliquent même une minorité de femelles. Chez le petit pingouin, qu’on se le dise, 91% des mâles se font monter par d’autres mâles.

Les frottis-frottas du bonobo étant relativement connus, je mentionnerai ici plutôt le fier gorille des montagnes (objet de tant de fantasmes injustifiés), chez qui l’on trouve des groupes constitués uniquement de mâles. Et là, comme dans toute situation contrainte de ce type, advient ce qui doit advenir : les mâles ont des comportements homosexuels régis par leur rang hiérarchique. Temporairement exclus du marché du sexe hétérosexuel, ils sont coincés dans une file d’attente sociale, dont ils sortiront éventuellement lorsqu’ils pourront avoir accès aux femelles.

Esquisse d’explication et de différentiation

Les biologistes retiennent trois catégories d’explication : la pénurie de partenaires de l’autre sexe (comme chez le gorille), la nécessité d’alliances sociales (comme chez le dauphin) ou la difficulté à discriminer entre les sexes (typiquement, chez les insectes).

Il convient ici de préciser que les scientifiques qui travaillent sur le sujet distinguent les comportements homosexuels de la préférence homosexuelle, qui est exclusive et sur le long terme. Le distinguo a son importance, car l’existence d’une préférence homosexuelle exclusive n’a jusqu’ici été formellement démontrée chez aucun animal non humain. Il n’est donc pas rigoureusement exact d’assimiler les pratiques homosexuelles animales aux pratiques humaines, bien que certaines associations homosexuelles semblent perdurer chez certaines espèces, par exemple chez certains goélands ou certains cygnes. Ceci soulève aussitôt deux questions : qu’est-ce qui fait cette spécificité humaine ? Et comment se fait-il que ce trait puisse être sélectionné, compte tenu de l’évidente baisse de fertilité qu’il implique ? Des billets ultérieurs permettront d’apporter quelques éléments de réponse.

D’ici là, j’aimerais finir en exposant une légère pointe d’agacement devant la façon dont lesmédias traitent l’actualité de ce sujet. C’est bien gentil de nous infliger continuellement les vagissements de l’alliance prognathe du bombers et de la soutane, mais serait-il inconcevable d’opposer à leur protoargumentation, au moins de temps en temps, l’avis circonstancié des gens qui connaissent le sujet. Vous savez, oui, les chercheurs. Parce qu’ils ne font pas que chercher des bosons, ils ont aussi des choses à dire pour éclairer ce type de débat. Je ne sais pas, moi, un écologue, par exemple, un anthropologue, un biologiste de l’évolution… C’est quand même pas compliqué. Enculés de lesmédias, tiens…

 

Ces éléments sont tirés sans vergogne d’un parfait résumé sur l’homosexualité chez les animaux commis par Michel Raymond & Frank Cézilly

Michel Raymond a également consacré un chapitre à l’homosexualité dans son premier livre Cro-Magnon toi-même (ici : la critique de son second ouvrage), qui est plus que recommandable.

 

comme un poisson dans la gadoue (hs#22 MUDHONEY, Mudride)

Une lecture particulièrement attentive du titre vous aura sûrement alerté. Nous allons parler de boue. Des volcans de boue ? De bains de boue pour la peau ? De catch dans la boue ? Hmm, non. Simplement d’un animal aux conditions d’existence particulières, j’ai nommé le périophtalme, plus connu outre-Atlantique sous le sobriquet de mudskipper


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Pour introduire ce sujet vaseux dont le headbanging science raffole,  personne de mieux placé que Mudhoney. Ce pionnier du grunge, formé à Seattle en 1988, a sorti sur le mythique label Sub Pop un EP, Superfuzz Bigmuff, puis un premier album éponyme, deux fulgurances fondatrices du  genre qui restent aujourd’hui des chefs d’œuvre auprès desquels Nirvana fait pâle figure.

Les voici en 2007 dans un line-up remanié interprétant l’hypnotique Mudride ; ils ne sont pas fatigués, c’est juste le morceau qui est lent :

Take you down to the dirt

Drag you through the mud
Drag you through the mud
Got a trip for two on a one-way ride
I’ll take you anywhere, there’s no place to hide
Oh

… suinte le chanteur Mark Arm. C’est un peu le programme de ce qui va suivre. La ballade s’effectuant en compagnie d’un guide vraiment original, le périophtalme, ou mudskipper. Celui-là, on dirait que ça ne le gêne vraiment pas de marcher dans la boue :

Les mudskippers appartiennent à à une sous-famille très spécialistée dee gobies, les Oxudercinae, chez qui l’on dénombre 32 espèces, dont 18 du genre des Periophthalmus (le français ‘périophtalme’ faisant  l’économie d’un ‘h’).

Les capacités d’adaptation à une vie amphibie des périophtalmes leur ont valu l’attention des naturalistes dès le 17e siècle et de premières descriptions scientifiques dès le début du 18e siècle (dont certaines de la main de Cuvier). On les trouve un peu partout dans la bande des tropiques, où ils évoluent dans les écosystèmes de marais marins que constituent les mangroves.

Parmi les étranges caractéristiques des mudskippers figurent leur faculté de respirer hors de l’eau.

Comme les salamandres ou les grenouilles, ils disposent d’un système de respiration cutanée qui leur permet d’assimiler l’oxygène et d’évacuer le CO2 à travers la peau. D’autres échanges gazeux s’opèrent par la bouche et par la gorge, qui sont larges, humides et capillarisés, un peu comme des poumons. En aspirant de l’air, ils peuvent par ailleurs obturer leurs branchies grâce à des valves afin de les maintenir dans l’eau. Ces différents systèmes combinés sont tellement efficaces que certaines espèces ne peuvent plus vivre dans l’eau sans être obligées de respirer de l’air en surface, sous peine de suffoquer !

Aussi étonnant que cela puisse paraître, d’autres poisons ont mis en place des moyens encore plus sophistiqués que le mudskipper pour respirer hors de l’eau (l’excellent SSAFT vous propose un petit bol d’air en compagnie de ces poissons amphibies). Comme le résume Richard Dawkins dans le fous qu’il consacre au périophthalme dans Il était une fois nos ancêtres : une histoire de l’évolution, ce trait n’est donc pas si original que cela :

Le groupe des téléostéens comporte une telle diversité de morphologies et de comportements qu’il faut s’attendre à ce que certains rejouent des épisodes du parcours des poissons pulmonés et quittent l’eau pour la terre ferme.

D’un point de vue évolutif, les chercheurs estiment même que le mudskipper doit moins son succès à ses facultés de respiration qu’à des traits anatomiques, physiologiques et comportementaux particuliers, dont ses capacités de déplacement dans la boue (et quiconque s’est tapé un festival sous la pluie saura ce qu’il en est).

Il peut ainsi passer une bonne partie de son temps hors de l’eau à patauger dans la gadoue en rampant sur ses nageoires pectorales ou en effectuant des petits sauts : il est capable de sauter plus de 50 cm en arquant son corps latéralement puis en se redressant brutalement, ce qui lui vaut ses noms vernaculaires de mudskipper (« sauteur de vase »), « poisson-grenouille » ou poisson-kangourou ». Par ailleurs, il peut escalader les racines des arbres et creuse dans la vase des terriers (c’est une manie chez les gobies, ce sont un peu l’équivalent des chiens terriers chez les poissons), dans lesquels il continue à respirer… de l’air.

Ces aptitudes à la reptation, à la glissade et au saut dans la boue, combinées à une excellente vision panoramique et à des capacités auditives surprenantes hors de l’eau (il réagit à des bruits tels que le bourdonnement des mouches !), lui permettent d’échapper aux prédateurs ; cette vidéo le montre déambulant tranquillement parmi des pinces de crabe trop entreprenantes :

Parfois, hélas, il y a un lézard. Et ça se termine mal :

En dehors de ces problème de voisinage, le mudskipper a d’autres petits soucis à gérer. A commencer par la pollution de son milieu naturel la mangrove – à moins que ce ne soit du sadisme des chercheurs….

L’un deux s’est en effet efforcé de démontrer la toxicité du gasoil sur l’infortuné Periophthalmus koelreuteri en plongeant une poignée de représentants de cette espèce dans des récipients remplis de différentes fractions hydrosolubles de carburant et en observant les effets à 24, 48, 72 et 96h, parvenant sans coup férir à tuer une bonne partie de ses spécimens au bout du protocole, comme l’indique le tableau suivant :

La conclusion du chercheur est la suivante : bien que les mudskippers soient connus pour être amphibies et qu’ils aient la capacité de respirer à travers la peau et la doublure de la bouche et de la gorge, le taux de mortalité observé dans l’étude est une indication de l’obstruction de ces structures respiratoires par la présence du gasoil dans ses eaux saumâtres favorites. (Une autre hypothèse, selon moi, est qu’il a pris par mégarde des modèles essence…) (l’étude est consultable en ligne)

Il en déduit, fort justement, que des efforts doivent être entrepris pour protéger le précieux écosystème de la mangrove de la pollution par les hydrocarbures – en l’occurrence dans le Delta du Niger, mais on peut aussi faire un petit coucou à Deepwater Horizon et saluer le coup d’arrêt aux forages de Shell en Guyane où se trouve la plus grande barrière de mangrove du monde….

La morale de l’histoire du périophtalme, c’est qu’on a beau présenter tous les traits d’une parfaite adaptation au milieu, rien ne garantit la réussite à coup sûr. Mudhoney pourrait en témoigner. Car s’il existe un palmarès des cocus du rock, ce groupe y est sûrement en bonne place. Fondé sur les ruines de Green River (d’où seront issus des Pearl Jam…), il ne connut jamais le succès commercial et fut éclipsé par celui de Nirvana, accumulant des albums de moins en moins glorieux jusqu’à tomber dans l’oubli.

Aujourd’hui, Mudhoney (sur)vit toujours. Respirant avec peine quelque part dans le terrier boueux d’une niche musicale menacée. Peut-être Mark Arm s’est-il mis à l’aquariophilie.

 

Pour en savoir plus sur le mudskipper, le site de Gianluca Polgar(http://www.themudskipper.org/), un chercheur italien de l’Institute of Biological Sciences de Kuala Lumpur, en Malaisie, qui en a fait son principal sujet de recherche, et dont sont tirées certaines informations et illustrations de ce billet.

Hendrix jouait comme une marmotte (hs#19 JIMI HENDRIX, Star spangled banner)

Une fois n’est pas coutume, le thème de ce 19e headbanging science m’est tombé dessus alors que je cherchais des sujets journalistiques tout à fait sérieux. Les lecteurs fidèles (hmm ?) savent bien que le bLoug s’ingénie habituellement à traduire les gémissements ineptes de ses musiciens préférés en un exposé scientifique qui, quoique brillant, n’en reste pas moins tiré par les cheveux. Cette fois, les chercheurs se sont eux-mêmes livrés à cet exercice de haute voltige, convoquant pêle-mêle Jimi Hendrix, Psychose, Darwin, du growl… et des marmottes ! Et surtout des pratiques de communication questionnables.

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Il n’est pas question de n’importe quel Hendrix, mais de sa version instrumentale toute en agressions sonores de The Star-Spangled Banner (La Bannière étoilée), poème écrit en 1814 par Francis Scott Key qui constitue depuis 1931 l’hymne national des États-Unis. Jouée pour la première fois à Atlanta, la version hendrixienne est entrée dans l’histoire du rock à Woodstock, en 1969. A coups de vibrato et de guitare saturée, le guitariste dénonce le sifflement des bombes et les rafales meurtrières qui ensanglantent le Vietnam :

Pourquoi cette musique, à l’instar des violons de Bernard Herrmann dans le Psychose d’Hitchcock, nous remue-t-elle autant ? Parce qu’elle fait mal aux dents ? Certes. Mais il y a plus que cela. Du moins selon la fine équipe du Département d’Écologie et de Biologie Évolutive de l’UCLA, qui publie les résultats d’une étude intitulée The sound of arousal in music is context-dependent (Biology Letters, juin 2012).

Leur conclusion est en substance la suivante :

Si la musique discordante est si évocatrice pour l’être humain, c’est qu’elle met en jeu des mécanismes proches des cris de détresse de certains animaux. En d’autres termes, la façon dont Hendrix maltraite ses cordes captive votre attention et suscite votre excitation aussi bien qu’une marmotte en détresse dans les serres d’un aigle.

debout, tas de marmottes !

C’est rudement poétique, dites-moi. Mais est-ce bien scientifique ? (Vous vous êtes peut-être déjà fait avoir avec le coup de la marmotte qui, soi-disant, emballe le chocolat chez Milka.)

Bon, la marmotte (ici à ventre jaune, Marmota flaviventris) pousse bien des cris d’alerte, comme les suricates (Suricata suricata) ou les toupayes (Tupaia belangeri). Ca ressemble grossièrement au couinement d’un canard en plastique.

Daniel Blumstein, qui a dirigé l’étude, s’y entend plutôt bien en marmottes. C’est un spécialiste du comportement animal (il est éditeur de la revue Animal Behaviour), et plus spécifiquement de celui de la marmotte face aux prédateurs, et l’animal occupe une bonne place parmi les thèmes de recherche de son laboratoire (l’étude dont il est question s’inscrit dans une thématique spécifique sur la peur suscitée par certains bruits et certaines odeurs).

le site très tendance marmotte de Daniel Blumstein

Bien, mais qu’en est-il de l’étude ? A-t-on fait écouter Jimi Hendrix à des marmottes ?

Pas vraiment. Et comme bien souvent avec les annonces un rien tapageuses,  l’enthousiasme retombe d’un cran à la lecture de la publication.

Un mot de la méthode d’abord. L’équipe de Blumstein a composé pour l’occasion une série de pièces sonores de 10s, avec des variantes comportant des bruits ou de brusques ruptures de cadence au milieu. Ces sons ont été présentés de façon aléatoire à 42 étudiants, chargés de les noter sur une double échelle d’excitation et de valence (i.e. de sensation, négative ou positive). Une deuxième expérience identique à la première ajoutait le visionnage simultané de vidéos banales (une personne s’assoit et boit un café, par exemple).

Voyons maintenant les résultats. Selon Daniel Blumstein, ils suggèrent que certaines musiques présentant des non-linéarités stimulent nos sens (excitation et tristesse). Mais que ces réponses émotives sont atténuées lorsque l’image est présente. Le contexte de réception influence donc notre réception. Fort bien. Et c’est tout ?

Eh bien oui. Le rapport avec les marmottes n’est qu’une spéculation à partir de ce résultat sur les conditions de réception de la musique. Les chercheurs pensent qu’écouter une musique présentant des distorsions est similaire au fait d’entendre des cris de détresse des animaux, car ceux-ci distordent leur voix… un peu comme les hommes – et les guitaristes – peuvent distordre les sons. Aucun fait ne vient étayer cette extrapolation.

mais la marmotte peut-elle imiter Hendrix, elle ?

Comment expliquer le hiatus entre ce banal résultat et les annonces qui en sont faites ? Je vois deux catégories d’explications.

La première tient aux pratiques de communication, de plus en plus polluées par les accroches vendeuses et les raccourcis audacieux, déconnectés de l’objet de recherche. Quitte à engendrer un grand n’importe quoi. Comme pour cette publication, reprise de façon très différente d’un média à l’autre, selon qu’était privilégié l’angle Hendrix ou l’angle Hitchcok, ou simplement selon ce qu’avait envie de dire l’auteur sur la musique – la palme revenant à un blog du LA Weekly titrant : Voici la preuve scientifique que le dubstep vous donne envie de tuer des gens.

Les chercheurs fournissant les munitions, il faut ici pointer du doigt la responsabilité de Daniel Blumstein. Il est bien possible, en effet, que sa passion de la marmotte le conduise parfois un peu trop loin, si l’on en juge, par exemple, par cet  article de sa plume publié sur Wired intitulé : les enseignements des marmottes sur le terrorisme (thématique plus sérieusement abordée dans un ouvrage collectif intitulé : Sécurité nationale : une approche darwinienne d’un monde dangereux).

quelque part, en Afghanistan...

Seconde catégorie d’explication, qui est une déclinaison de la première, la mode consistant à interpréter tout et n’importe quoi à l’aune de la théorie de l’évolution. Que l’on retrouve dans la littérature (cf. la dérive éditoriale de Pascal Picq, appliquant Darwin au monde de l’entreprise après s’être emparé de la politique). Mais aussi dans les communiqués de presse, qui semblent s’être donné pour mot d’ordre de relier les publications à l’histoire de la lignée humaine au moindre prétexte vaseux.

Comme l’a annoncé l’un des auteurs de l’étude : « Cette étude permet de comprendre pourquoi la distorsion du rock’n'roll excite les gens : elle révèle l’animal qui est en nous. » Mouais. Ben le headbanging science fait ça aussi. Et le fera bientôt en vous parlant du growl, mentionné dans l’introduction, mais que je réserve pour un prochain numéro (patience Jérôme !).

 

danse de la pluie chez les chimpanzés (hs#12: THE CULT, Rain)

Un an de headbanging science ! En cette période (supposément) pluvieuse, le bLoug fête cet anniversaire en vous faisant remuer le popotin avec un titre de saison : Rain. Attention, la chorégraphie dite de la “danse de la pluie” a été inventée par des chimpanzés…

headbanging science #12 : THE CULT – RAIN

 

Morceau emblématique du groupe anglais The Cult, Rain est extrait de leur chef-d’oeuvre de 1985, l’album Love. Comme on le voit dans la vidéo, le groupe n’est alors pas encore sorti de sa chrysalide gothico post-punk. Souvenir d’une époque bénie où le regretté Enfer Magazine pouvait s’aventurer à des prédictions assez hasardeuses : « The Cult risque fort d’être aux 80′s ce que Led Zeppelin fut aux 70′s »…

Mmmh. Ian Astbury et son petit coeur au coin de l’oeil avait fière allure, n’est-ce pas ? En tout cas pas celle du gros Ewok acariâtre en anorak qu’il est devenu. Mais ce n’est pas de ça que je voulais vous entretenir… Vous aurez remarqué la chorégraphie surprenante des deux créatures non identifiées derrière Ian. Sans doute s’agit-il d’une version anglicisée de la danse de la pluie des Indiens Hopi, dont s’inspirent les paroles de Rain : ce peuple d’agriculteurs, n’ayant rien trouvé de mieux que de s’installer dans une région très aride de l’état de l’Arizona, des danseurs masqués devaient prier les esprits de la pluie afin de s’assurer de bonnes récoltes. Ceci pendant 16 jours…

Fatigué de remuer bien avant, le bLoug a préféré dériver et s’interroger sur une question existentielle annexe : les grands singes dansent-ils ou s’agit-il d’une activité proprement humaine ? La réponse est surprenante : la danse fait non seulement partie du bagage culturel des chimpanzés mais ils se livrent en plus à leur propre « danse de la pluie » ! De quoi s’agit-il exactement ? Tentons de dissiper les nuages qui planent au-dessus de cette pratique culturelle assez obscure de nos frères d’évolution.

 

Moi Jane, toi Gene Kelly

On doit l’expression de « danse de la pluie » à la primatologue britannique Jane Goodall, pionnière des observations de terrain sur les chimpanzés des forêts tanzaniennes de l’actuel parc de Gombe. En 1963, dans un article pour le National Geographic intitulé My Life Among Wild Chimpanzees, elle décrit pour la première fois une « danse de la pluie » :

Rain Incites a Violent Ritual

Generally speaking, chimpanzees become more active during the rains and often, for no apparent reason, a male will break into a run, slapping the ground or hitting out at a low branch as he passes. This behavior, when large groups are present, may develop into a fascinating display which I have called the “rain dance.”

I saw it on four occasions, always about midday and always in similar terrain. In every instance it followed the same pattern, but the duration varied from 15 to 30 minutes. It did not always take place in the rain, but rain was falling hard the first time I saw it.

 

Ce rituel de la « danse de la pluie » – décrit comme violent et ne se passant pas forcément sous la pluie ! –, a ensuite été recensé parmi 65 comportements de chimpanzés cartographiés par Whiten et al. en 2001 pour la revue Behavior (Goodall faisant partie des coauteurs). La danse de la pluie est scientifiquement définie ainsi :

Au début d’une forte pluie, plusieurs mâles adultes se livrent à de vigoureuses charges. Dans ces démonstrations, les mâles tendent à retourner à leur position initiale, de façon coordonnée ou parallèle ; les charges peuvent se faire au ralenti aussi bien que de façon rapide et incorporer différents motifs récurrents. Par exemple, marteler le sol, tambouriner sur les troncs d’arbre et les racines, traîner les branches et pousser des cris dits « halètements-hululements » (« pant-hoots »).

(Whiten et al., “Charting Cultural Variations in Chimpanzees”, Behaviour, Volume 138, Numbers 11-12, 2001 , pp. 1481-1516 ; traduction le Bloug)

 

Dis-moi comment tu danses, je te dirai quel chimpanzé tu es

Les auteurs de l’article soulignent que ces danses de la pluie diffèrent des charges d’intimidation habituelles des mâles à l’égard de leurs congénères, ce qui suggère, malgré la testostérone qui s’en dégage, qu’elles ne sont pas liées à une question de domination. Ils relèvent également de nettes différences locales pour ce qui est des motifs présents dans la danse, de son rythme ou du nombre de participants. Ainsi les chimpanzés de la forêt de Taï (Côte d’Ivoire) pratiquent-ils une danse totalement silencieuse alors que ceux des sites de l’Est africain s’accompagnent d’un “chant” bruyant à base de “pant-hoots”. Sur un même site, comme à Mahale (Tanzanie), deux versions peuvent exister : la version vigoureuse et rapide, impliquant plusieurs mâles adultes, et la version silencieuse et lente, n’impliquant qu’un seul danseur.

Ces variations plaident incontestablement en faveur d’une pratique purement culturelle. Du reste, les différentes communautés de chimpanzés ne se rendent pas au dancing à fréquences égales : c’est une activité courante pour la plupart, mais seulement habituelle pour la communauté de Budongo (Ouganda). Quant aux chimpanzés de Boussu (Guinée), ils ne pratiquent pas du tout la danse de la pluie, alors même que leurs conditions environnementales ne diffèrent pas de celles de leurs congénères danseurs… une sorte de variante des gars coincés qui n’osent pas aller sur la piste quand The Cult entame Rain.

 

La grande scène de la cascade, une variante

Le répertoire des chimpanzés comporte une autre danse aquatique, spécifiquement dédiée aux cascades (malheureusement, certains auteurs mélangent souvent les deux phénomènes). La vidéo ci-dessous, nous montre un mâle alpha de Gombe nommé Freud se livrant à une “danse de la cascade”, avec les commentaires de Jane Goodall herself :

 

Contrairement à la danse de la pluie, que les chimpanzés exécutent au début de la saison des pluies, la danse de la cascade ne semble pas liée aux saisons. Elle comporte différentes séquences : un peu de balancement en rythme à l’aide des lianes, puis une séance de jeter de rochers dans l’eau pour finir par une phase plus calme de “contemplation” de la cascade.

 

Alors, c’est de l’art ou du chimpanzé ?

Mais à quoi riment ces gesticulations primates liées à des phénomènes naturels impliquant la pluie ? Autant être clair, on n’en sait rien.

De l’interprétation à la spéculation, la frontière est ténue. Certains propos de Jane Goodall – à qui on a pu reprocher un anthropomorphisme déplacé – peuvent prêter à confusion. Ainsi son “I think chimpanzees are as spiritual as we are”, que l’on peut entendre dans la vidéo, peut-il laisser la place à une interprétation abusive qui ferait du recueillement de Freud (le chimpanzé, pas l’autre) un épisode de méditation d’ordre religieux. Plus généralement, les descriptions des danses de la pluie ou de la cascade par Goodall sont invoquées par certains auteurs comme preuve de la préexistence de l’esprit religieux chez les primates – ce dont on peut raisonnablement douter en l’état des connaissances éthologiques et psychologiques.

 

La danse de la pluie des chimpanzés est aussi parfois appelée à la rescousse pour étayer certaines théories sur les origines de l’art. Voici ce que pense Ellen Dissanayake dans son ouvrage Homo aestheticus: where art comes from and why, paru en 1995.

It has been suggested that in their « rain dance », the chimpanzees are orienting themselves toward à « zone of uncertainty » (Laughlin and Manus 1979), a disturbing or exciting stimulus that is perceived as possibly dangerous. The chimpanzee’s reactions contain germs, albeit relatively unintegrated, of repetition, rhythm, elaboration, and exaggerated motor movements drawn from spontaneous emotional excitement. It is not difficult to imagine other hominoid creatures, with greater mental ability and more control of their behavior, deliberately patterning and shaping their vocalizations into chants, and the tree shaking and stamping into dance steps, thereby relieving their anxiety and, when all is said and done, “controlling” (enutralizing), with ritual, the storm.

En résumé, de la danse de la pluie des chimpanzés, simple réponse émotionnelle à un stimulus environnemental, à une danse humaine, tout n’est affaire que de stylisation et d’intention.

Les aptitudes rythmiques et musicales des grands singes pourraient conforter cette thèse. Cette vidéo du Chimp Haven sanctuary de Keithville (Louisiane) nous révèle le sens du rythme des chimpanzés :

 

Paul Mac Cartney et Peter Gabriel ont pour leur part eu l’occasion de jammer avec des bonobos du Great Ape Trust de Des Moines (Iowa). Peter Gabriel a ainsi expliqué à Panbanisha, une femelle, comment se servir d’un clavier. Dédaignant d’abord l’instrument, Panbanisha s’est ensuite révélée assez douée pour jouer de la musique au bout de trois jours, pas en tapant sur son clavier n’importe comment, mais en exécutant une mélodie reconnaissable.

Du côté du zoo de Saint Louis (Missouri), c’est le son de la flûte qui a été testé sur les pensionnaires. Résultat, des singes calmes et apaisés. Par quoi ? Un CD de musique d’Indiens d’Amérique !

L’histoire ne nous dit pas si la danse de la pluie Hopi figurait dans la tracklist mais si Billy Duffy, guitariste de The Cult et compositeur de Rain, perd l’inspiration, qu’il se rassure : la relève est assurée, du coté des chimpanzés !


 

 

The Cult – Rain, lyrics

Hot sticky scenes, you know what I mean
Like a desert sun that burns my skin
I’ve been waiting for her for so long
Open the sky and let her come down
Here comes the rain
Here comes the rain
Here she comes again
Here comes the rain
Hot sticky scenes, you know what I mean
Like a desert sun that burns my skin
I’ve been waiting for her for so long
Open the sky and let her come down
Here comes the rain
Here comes the rain
Here she comes again
Here comes the rain
I love the rain
I love the rain
Here she comes again
Here comes the rain
Oh, rain
Rain
Rain
Oh, here comes the rain
I love the rain
Well, I love the rain
Here she comes again
I love the rain
Rain
Rain

Le headbanging science va tenter ce mois-ci de vous faire remuer le popotin sous peine de faire pleuvoir. Rain est un des morceaux emblématiques du groupe anglais The Cult, extrait de leur chef-d’oeuvre de 1985, l’album Love. Comme on le voit dans la vidéo, le groupe n’est alors pas encore sorti de sa chrysalide gothico post-punk. Souvenir d’une époque bénie où le regretté Enfer Magazine pouvait s’aventurer à des prédictions assez hasardeuses : « The Cult risque fort d’être aux 80′s ce que Led Zeppelin fut aux 70′s »…

Mmmh. Ian Astbury et son petit coeur au coin de l’oeil avait fière allure, n’est-ce pas ? En tout cas pas celle du gros ewok acariâtre en anorak qu’il est devenu. Mais ce n’est pas de ça que je voulais vous entretenir. Vous aurez remarqué la chorégraphie surprenante des deux créatures non identifiées derrière Ian. Sans doute s’agit-il d’une version anglicisée de la danse de la pluie des Indiens Hopi, dont s’inspirent les paroles de Rain : ce peuple d’agriculteurs, n’ayant rien trouvé de mieux que de s’installer dans une région très aride de l’état de l’Arizona, des danseurs masqués devaient prier les esprits de la pluie afin de s’assurer de bonnes récoltes. Ceci pendant 16 jours…

Fatigué de remuer bien avant, le bLoug a préféré dériver et s’interroger sur une question existentielle annexe : les grands singes dansent-ils ou s’agit-il d’une activité culturelle proprement humaine ? La réponse est surprenante : les chimpanzés pratiquent non seulement ce qu’on a appelé des « danses », mais ils se livrent en plus à leur propre « danse de la pluie » ! De quoi s’agit-il exactement ? Tentons de dissiper les nuages qui planent au-dessus de cette pratique culturelle assez obscure de nos frères d’évolution.

Moi Jane, toi Gene Kelly

On doit l’expression de « danse de la pluie » à la primatologue britannique Jane Goodall, pionnière des observations de terrain sur les chimpanzés des forêts tanzaniennes de l’actuel parc de Gombe. Dans un article pour le National Geographic en 1963, intitulé My Life Among Wild Chimpanzees, elle décrit pour la première fois une « danse de la pluie » :

http://ngm.nationalgeographic.com/1963/08/jane-goodall/goodall-text/22

Rain Incites a Violent Ritual

Generally speaking, chimpanzees become more active during the rains and often, for no apparent reason, a male will break into a run, slapping the ground or hitting out at a low branch as he passes. This behavior, when large groups are present, may develop into a fascinating display which I have called the “rain dance.”

I saw it on four occasions, always about midday and always in similar terrain. In every instance it followed the same pattern, but the duration varied from 15 to 30 minutes. It did not always take place in the rain, but rain was falling hard the first time I saw it.

Ce rituel de la « danse de la pluie », décrit comme violent et ne se passant pas forcément sous la pluie ! –, a été recensé parmi 65 comportements de chimpanzés cartographiés par Whiten et al. en 2001 pour la revue Behavior (Goodall faisant partie des coauteurs). La danse de la pluie est définie ainsi :

Au début d’une forte pluie, plusieurs mâles adultes se livrent à de vigoureuses charges. Dans ces démonstrations, les mâles tendent à retourner à leur position initiale, de façon coordonnée ou parallèle ; les charges peuvent se faire au ralenti aussi bien que de façon rapide et incorporer différents motifs récurrents. Par exemple, marteler le sol, tambouriner sur les troncs d’arbre et les racines, traîner les branches et pousser des cris dits « halètements-hululements » (« pant-hoots »).

Dis-moi comment tu danses, je te dirai quel chimpanzé tu es

Les auteurs de l’article soulignent que ces danses de la pluie diffèrent des charges d’intimidation habituelles des mâles à l’égard de leurs congénères, ce qui suggère qu’elles ne sont pas liées à une question de domination. Ils relèvent également de nettes différences locales pour ce qui est du type de motifs présents dans la danse et de son rythme. Ainsi les chimpanzés de la forêt de Taï (Côte d’Ivoire) pratiquent-ils une danse totalement silencieuse. Alors que ceux des sites de l’Est africain s’accompagnent d’un “chant” bruyant à base de “pant-hoots”. Sur un même site, comme à Mahale (Tanzanie), deux versions peuvent exister : la version vigoureuse et rapide, impliquant plusieurs mâles adultes, et la version silencieuse et lente, n’impliquant qu’un seul danseur. Ces variations plaident incontestablement en faveur d’une pratique purement culturelle. Du reste, les différentes communautés de chimpanzés ne se rendent pas au dancing à fréquences égales : c’est une activité courante pour la plupart, mais seulement habituelle pour la communauté de Budongo (Ouganda). Quant aux chimpanzés de Boussu (Guinée), ils ne pratiquent pas du tout la danse de la pluie, alors même que leurs conditions environnementales ne diffèrent pas de celles de leurs congénères danseurs… une sorte de variante des gars coincés qui n’osent pas aller sur la piste quand The Cult entame Rain.

Whiten et al, Charting Cultural Variations in Chimpanzees, Behaviour, Volume 138, Numbers 11-12, 2001 , pp. 1481-1516

 

La grande scène de la cascade, une variante

Le répertoire des danses aquatiques des chimpanzés comporte une autre danse, spécifiquement dédiée aux cascades (malheureusement, certains auteurs mélangent souvent les deux phénomènes). La vidéo ci-dessous, nous montre un mâle Alpha de Gombe nommé Freud se livrant à une danse de la cascade, avec les commentaires de Jane Goodall herself :

<iframe src=”http://player.vimeo.com/video/18404370?title=0&amp;byline=0&amp;portrait=0″ width=”400″ height=”265″ frameborder=”0″ webkitAllowFullScreen allowFullScreen></iframe><p><a href=”http://vimeo.com/18404370″>Waterfall Displays</a> from <a href=”http://vimeo.com/janegoodallinst”>the Jane Goodall Institute</a> on <a href=”http://vimeo.com“>Vimeo</a>.</p>

 

Contrairement à la danse de la pluie, que les chimpanzés exécutent au début de la saison des pluies, la danse de la cascade ne semble pas liée aux saisons. Elle comporte différentes séquences : un peu de balancement en rythme à l’aide des lianes, puis une séance de jeter de rochers dans l’eau pour finir par une phase plus calme de “contemplation” de la cascade.

 

Alors, c’est de l’art ou du chimpanzé ?

Mais à quoi riment ces gesticulations primates liées à l’eau ? Autant être clair, on n’en sait rien.

De l’interprétation à la spéculation, la frontière est ténue. Certains propos de Jane Goodall – à qui on a pu reprocher un anthropomorphisme déplacé – peuvent prêter à confusion. Ainsi son “I think chimpanzees are as spiritual as we are” que l’on peut entendre dans la vidéo peut-il laisser la place à une interprétation abusive qui ferait du recueillement de Freud (le chimpanzé, pas l’autre) une manifestation de méditation d’ordre religieux. Plus généralement, les descriptions des danses de la pluie ou de la cascade par Goodall sont souvent invoquées comme preuve de la préexistence de l’esprit religieux chez les primates – ce dont on peut raisonnablement douter en l’état des connaissances éthologiques et psychologiques.

La danse de la pluie des chimpanzés est aussi parfois appelée à la rescousse pour étayer certaines théories sur les origines de l’art. Voici ce que pense Ellen Dissanayake dans son ouvrage Homo aestheticus: where art comes from and why, paru en 1995.

It has been suggested that in their « rain dance », the chimpanzees are orienting themselves toward à « zone of uncertainty » (Laughlin and Manus 1979), a disturbing or exciting stimulus that is perceived as possibly dangerous. The chimpanzee’s reactions contain germs, albeit relatively unintegrated, of repetition, rhythm, elaboration, and exaggerated motor movements drawn from spontaneous emotional excitement. It is not difficult to imagine other hominoid creatures, with greater mental ability and more control of their behavior, deliberately patterning and shaping their vocalizations into chants, and the tree shaking and stamping into dance steps, thereby relieving their anxiety and, when all is said and done, “controlling” (enutralizing), with ritual, the storm.

En résumé, de la danse de la pluie des chimpanzés, simple réponse émotionnelle à un stimulus environnemental, à une danse humaine, tout n’est affaire que de stylisation. Les aptitudes rythmiques et musicales des grands singes pourraient conforter cette thèse. Cette vidéo du Chimp Haven sanctuary de Keithville (Louisiane) nous révèle le sens du rythme des chimpanzés :

http://www.youtube.com/watch?v=61c9_avmN9A

 

Paul Mac Cartney et Peter Gabriel ont quant à eux jammé avec des bonobos du Great Ape Trust de Des Moines (Iowa). Peter Gabriel a expliqué à Panbanisha, une femelle, comment se servir d’un clavier. Dédaignant d’abord l’instrument, Panbanisha s’est ensuite révélée assez douée pour jouer de la musique, pas en tapant dessus n’importe comment, mais en exécutant une mélodie reconnaissable. Du côté du zoo de Saint Louis (Missouri), c’est le son de la flûte qui a été testé sur les pensionnaires. Résultat, des singes calmes et apaisés. Par quoi ? Un CD de musique d’Indiens d’Amérique !

L’histoire ne nous dit pas si la danse de la pluie Hopi figurait dans la tracklist mais si Billy Duffy, guitariste de The Cult et compositeur de Rain, perd l’inspiration, qu’il se rassure : la relève est assurée, du coté des chimpanzés !

The Cult – Rain, lyrics

Hot sticky scenes, you know what I mean

Like a desert sun that burns my skin

I’ve been waiting for her for so long

Open the sky and let her come down

Here comes the rain

Here comes the rain

Here she comes again

Here comes the rain

Hot sticky scenes, you know what I mean

Like a desert sun that burns my skin

I’ve been waiting for her for so long

Open the sky and let her come down

Here comes the rain

Here comes the rain

Here she comes again

Here comes the rain

I love the rain

I love the rain

Here she comes again

Here comes the rain

Oh, rain

Rain

Rain

Oh, here comes the rain

I love the rain

Well, I love the rain

Here she comes again

I love the rain
Rain
Rain

ils sont fous ces éléphants (hs#11: TOY DOLLS, Nelly the Elephant)

Animal social, intelligent, dirigé par se émotions et ayant semble-t-il conscience de la mort, quoi d’étonnant à ce que l’éléphant, devienne fou lorsqu’on le pousse à bout, au point de piquer de véritables rages sanguinaires ?

headbanging science #11 : TOY DOLLS – NELLY THE ELEPHANT

 

Vous l’aurez noté, dans les blagues et énigmes pour enfants mettant en scène des éléphants, le comportement de ces derniers est souvent étrange : ils ont peur des souris, laissent des traces de pattes dans le beurre lorsqu’ils vont dans le frigo et pas moyen d’en mettre 4 ensemble dans une 2 CV. Et si les éléphants étaient tout simplement zinzins ?

Face à ce sujet de poids, le bLoug a recouru à l’avis d’un groupe d’experts : les TOY DOLLS. Cette troupe de punks semi-rigolos emmenés depuis 1979 par leur chanteur-guitariste emblématique Olga s’est en effet illustrée en 1984 avec le succès de son single Nelly the Elephant.[1] Ou l’histoire d’une éléphante de cirque (intelligente) qui en eut soudain marre et décida de briser ses chaines pour envoyer tout valdinguer. La choré vintage donne ça :

 

L’image de l’éléphant dingo est assez répandue dans la culture populaire. Une étude sur les représentations de la folie chez Walt Disney [2] ne manque pas de relever que la mère de Dumbo (un éléphant au comportement lui-même bizarre puisqu’il vole) est une éléphante de cirque cloitrée parce qu’elle a été jugée – à tort – comme une « mad elephant. » Autres indices d’un psychisme instable : la pièce de l’éléphant dans le jeu d’échec originel s’est mué en fou à son arrivée en Occident. Le jazzman Sonny Rollins est surnommé l’éléphant fou. Et qu’exprime donc l’artiste Miquel Barcelo avec cette sculpture :

 

C’est quoi ce cirque ?

L’histoire de Nelly chantée par les Toy Dolls reste amusante. La réalité l’est sans doute moins. Les éléphants de cirque ont une longue tradition de pétages de plomb. Nous avons déjà évoqué Flopsy, une éléphante qui avait eu le malheur de tuer quelques piétons en 1903 et fut aussitôt électrocutée (et filmée) par Edison, bien décidé à promouvoir le courant continu par tous les moyens. D’autres pensionnaires ont suivi : Punch, propriété du cirque Pinder, fusillé par l’armée en 1911 après être devenu incontrôlable ; plus près de nous, Janet abattue en 1992 après être devenue furieuse à l’issue d’une représentation du Great American Circus, ou Tyke du cirque des Shriners, fusillé à la suite d’un coup de folie à Honolulu en 1994.

Le site code-animal milite pour un cirque sans animaux et a recensé les éléphants actuellement sur la piste. Sa vision est évidemment éléphanto-orientée mais il n’en relève pas moins certains éléments intéressants. A commencer par le fait que les éléphants de cirque devenus fous ont le plus souvent une histoire commune : une capture à l’état sauvage puis une détention et un dressage coercitifs… et surtout un mode de vie souvent solitaire fort inapproprié pour cette espèce éminemment sociale.

Ne reculant devant rien, le bLoug a reconstitué l’évasion d’un éléphant de cirque pris d’un accès de rage ayant conduit au meurtre de son dresseur :

 

Elephants vs. humans

Les coups de folie des éléphants de cirque n’ont donc rien de surprenant. Mais qu’en est-il en milieu naturel ? Depuis de nombreuses années, les attaques d’éléphants sauvages contre les hommes se multiplient, tant en Inde qu’en Afrique.

Ce phénomène des « rogue elephants » (des « éléphants sauvageons », dirait M Chevènement) est bien distinct du coup de sang qui saisit les mâles en période de musth (phénomène tout à fait naturel quoique mal compris et qui se traduit par une agressivité soudaine et brutale).Ce qui est en jeu dans ces attaques s’apparente plus à un jeu de pouvoir entre hommes et éléphants – et ces derniers paraissent bien se venger de nous, littéralement.

Lisons ce témoignage d’une attaque délibérée, concertée et motivée d’un village du Sri Lanka par un éléphant :

A couple of days later I visited a village near by that had been demolished by a herd of elephants. It looked like an earthquake had hit it. It wasn’t just the traditional flimsy bamboo huts that had suffered. Twenty-foot palm trees had been uprooted from the ground. The villagers told us the elephant herd had stood patiently by while a single male wreaked all this destruction on his own. And they were in no doubt about why he did it. The road had cut through the elephants’ traditional migration route. They were making a new route, and were not happy at finding the village in the way. (source The Independant)

 

On aura compris que les éléphants ne sont pas très subtils dans leur politique d’aménagement du territoire. Mais comment interpréter leur comportement ?

jusqu'ici, tout va bien... (© aliocha)


Pour les biologistes, l’agressivité des éléphants envers les humains n’a rien en commun avec celle qu’ils témoignent à leurs congénères dans les conflits de territoire : elle serait purement intentionnelle et viserait expréssément à tuer. Les causes sont profondes : les agresseurs seraient des éléphants ayant été traumatisés par l’homme des années auparavant, par exemple en assistant au massacre de leur famille par des braconniers. Les rescapés n’oublient pas et ont, longtemps après, la défense dure. Le coût de leur courroux est élevé : les pertes humaines se chiffreraient à plusieurs centaines chaque année – pas étonnant quand on sait qu’un éléphant est une masse de 4 mètres qui peut peser jusqu’à 6 tonnes et vous foncer dessus à plus de 40 km/h.

 

... là, ça se complique...

Pour les chercheurs, les animaux souffriraient d’un syndrome de stress post traumatique (SSPT) comparable au nôtre. C’est l’idée développé par la zoologue américaine Joyce Poole dans une étude par dans Nature en 2005 [3] :

African elephant society has been decimated by mass deaths and social breakdown from poaching, culls [systematic killing to control populations], and habitat loss. Wild elephants are displaying symptoms associated with human PTSD,

… et partagée par Isabel Gay A. Bradshaw, qui travaille sur les points communs des traumatismes humains et animaux :

In these transformed landscapes, the life of an elephant is fraught with violence. Poaching is intensive, and the larger elephants of a group are culled systematically for their ivory. It is increasingly more difficult to maintain elephant community coherence. Orphaned elephants are left to die unless they can be rescued. The marks of trauma are found everywhere. [4]

 

Poussés dans leurs retranchements, leurs espaces naturels réduits aux acquêts en raison de l’urbanisation et de la destruction des milieux forestiers, les éléphants ne font finalement que répliquer là où d’autres espèces disparaissent sans bruit. Pour ne rien arranger, la « haine des humains » devient un fait culturel et se transmet aux jeunes, qui se comportent comme leur parents. Une sorte de haine héréditaire là aussi assez humaine et peut-être le début d’une vendetta ?

 

 

Bonus science

Une étude parue dans le British Medical Journal en 2009 a démontré que l’écoute de Nelly the Elephant favorise une bonne réanimation cardiopulmonaire ! Grâce à son tempo idoine, le morceau permet en effet de maintenir plus facilement un rythme de 100 compressions de la poitrine par minute. Un conseil : ayez donc toujours Nelly the Elephant dans votre Ipod.

 

Bonus poésie

Solitude, ô mon éléphant.
Couleur de cendres sarrasines,
Le chagrin me cerne de près,
Emmène-moi dans la forêt
Dont les larmes sont de résine.

(Louise de Vilmorin, Solitude, ô mon éléphant, 1972)

 

[1] Initialement sorti en 1982, Nelly the Elephant est en fait une reprise d’une chanson pour enfants écrite en 1956 et assez populaire dans l’Angleterre des années 1960. Ce fut le seul réel succès des Toy Dolls.

[2] Images of madness in the films of Walt Disney, Psychiatric Bulletin (1996), 20, 618-620.

[3] Nature 433, 807 (24 February 2005)

[4] Not by Bread Alone: Symbolic Loss,Trauma, and Recovery in Elephant CommunitiesSociety and Animals, Volume 12, Number 2, 2004 , pp. 143-158(16)

 

Nelly the Elephant – lyrics

To Bombay
A travelling circus came
They brought an intelegent elephant
and Nellie was her name
One dark night
she slipt her iron chain, and of she ran
to Hindustan and was never seen again
oooooooooooooooooo…
Nellie the elephant pack her trunk and
said goodbye to the circus
of she road with a trumety trump
trump trump trump
Nellie the elephant packed her trunk
and trumbled of to the jungle
of she road with a thrumety trump
trump trump trump
Night by night she danced to the circus band
When Nellie was leading the big parade she looked
so proud and grand
No more tricks for Nellie to performe
They taught her how to take a bow and she tooked
to crowd by storm
oooooooooooooooooo…
Nellie the elephant pack her trunk and
said goodbye to the circus
of she road with a trumety trump
trump trump trump
Nellie the elephant packed her trunk
and trumbled of to the jungle
of she road with a thrumety trump
trump trump trump
The head of the heard was calling far far away
they meet one night in silver light
on the road to Mandaley
oooooooooooooooooo…
Nellie the elephant pack her trunk and
said goodbye to the circus
of she road with a trumety trump
trump trump trump
Nellie the elephant packed her trunk
and trumbled of to the jungle
of she road with a thrumety trump
trump trump trump

 

JMLL, myopie et révolution

(Kaluchua bonus track #2)

La scène se passe à Paris 7, dans une petite salle où étudiants de L3, M1 & M2 s’agglutinent pour suivre un bref survol de l’histoire de la science par Jean-Marc Lévy-Leblond.

1er temps : pour chauffer les moteurs, JMLL coiffe sa casquette de directeur de collection au Seuil et assure le service après-vente de Kaluchua, de Michel de Pracontal (lire la review ici). La teneur de l’annonce suit celle de la 4ème de couverture et résume bien l’argumentaire de l’ouvrage : une  Révolution scientifique, quasi clandestine, est à l’œuvre, celle de la reconnaissance de l’existence de cultures animales.

2ème temps : une légère accalmie dans le débit de JMLL permet à une séance de questions-réponses de prendre forme ; il s’agit de savoir si la science est vraiment en panne de percées scientifiques majeures, à la sauce Einstein. JMLL tient que oui, et campe fermement sur sa position malgré quelques “mais quand même, il y a eu… ” Certes le génome, certes l’espace, certes Internet. Autant de réussites incontestables qui relèveraient plus d’exploits technologiques et ne seraient pas de même nature que les grandes avancées de l’astrophysique et de la physique. Et Kaluchua ? La Révolution Kaluchua ? Oubliée depuis le début de la séance.

3ème temps : simple oubli “physico-centré” ou véritable volonté de partage entre avancées paradigmatiques et banal tout-venant de la recherche ? Jean-Marc Lévy-Leblond a eu la gentillesse de préciser sa pensée pour le bLoug. Il confesse “un retour de myopie du physicien” à l’origine de l’oubli. Et défend très habilement sa position tout en laissant un peu de place pour que les sciences de la vie puissent tout de même opérer leur “révolution copernicienne” (de Pracontal) : “Ma thèse devrait sans doute être formulée de façon plus souple : pas de révolutions scientifiques depuis les années 1950 en nombre et en importance comparables à ce qu’a connu la première moitié du 20è siècle.”

Ce que révèle cette anecdote, c’est qu’une révolution, ça ne tombe pas tout cuit. Comme l’écrit de Pracontal, la prise en compte de l’existence des cultures animales “reste méconnue de la majorité des chercheurs”, alors qu’il s’agit d’une “découverte majeure, aux conséquences théoriques et pratiques incalculables”, elle est accueillie “comme une nouvelle parmi d’autres”.

 

sur le même sujet : de l’intérêt de l’éthologie en laboratoire – Kaluchua bonus track #1

et le blog de Léely, illustratrice scientifique de talent à qui j’ai piqué le portrait de JMLL, profitant de ce qu’elle était partie à Dakar…

de l’intérêt de l’éthologie en laboratoire

(Kaluchua bonus track #1)

A l’occasion de la review de Kaluchua (lire le post ici), une interview avec l’éthologue Alban Lemasson sur la pratique de son métier et les avantages respectifs de l’observation en laboratoire et en milieu naturel.

"vous croyez que c'est mon comportement naturel, peut-être ?"

Alban Lemasson étudie la communication vocale et la vie sociale des primates au Laboratoire d’éthologie animale et humaine de l’Université Rennes 1 (EthoS). Il s’intéresse particulièrement aux mones de Campbell, dont il étudie les étonnantes capacités de vocalises à la fois sur des sujets captifs et sur des sujets sauvages. “On s’est rendu compte que pour avoir une vision complète de la vie sociale d’un animal, il fallait combiner les deux approches, études en laboratoire et études de terrain”, explique-t-il. Certains labos  pratiquent exclusivement le terrain, d’autres le labo, et certains combinent les deux approches. D’après Alban Lemasson, cela tient aux thématiques mais aussi à des “écoles de pensée, des visions différentes entres labos : les étudiants sont “élevés” (sic) dans un laboratoire et reproduisent ensuite sa façon de travailler”.

"ça, un prédateur ? encore une de tes expériences à la noix..."

Le milieu sauvage offre des contextes d’observation plus variés grâce à la présence de prédateurs, au besoin d’avoir à rechercher la nourriture, à la survenue d’événements (chutes d’arbre) etc. Le contexte social est également plus vaste. Autant d’occasions de stimuler le signal vocal, objet d’étude de prédilection du chercheur.  Le hic, lorsqu’on étudie des singes évoluant dans des frondaisons perchées à 40 mètres de hauteur, c’est que toutes ces opportunités d’observations sont délicates à saisir. En cause, bien sûr, “les contraintes visuelles dues à la densité des du couvert forestier, mais aussi les contraintes de propagation des sons” (les singes ne sont pas les seuls à vouloir s’exprimer là-haut et toutes sortes de bruits ambiants peuvent venir parasiter les enregistrements), et enfin, la mobilité des sujets, qui ont la fâcheuse manie de ne pas rester en place.

L’intérêt des études en captivité va de soi : pas besoin de stage d’acrobranche pour suivre son sujet d’étude. Mais outre ces considérations gymnastiques et pratiques, le laboratoire permet surtout de détailler l’objet de la recherche, “d’avoir une fenêtre d’analyse plus fine”, comme l’explique Alban Lemasson : “au lieu de s’intéresser à de grandes catégories, on peut s’intéresser plus en détail à des postures, des mimiques”, bref à des comportements individuels particuliers (car on identifie facilement les individus en captivité, beaucoup plus difficilement dans la nature).

L’étude en captivité offre un autre avantage : “une plus grande facilité pour tester des situations expérimentales”. Donc pour échafauder des hypothèses et les moyens de les mettre à l’épreuve. On touche là un point-clé de la démarche combinatoire labo / terrain mise en oeuvre par Alban Lemasson :

  1. Le process d’expérience type est en fait initié en milieu naturel où l’on repère un comportement général.
  2. On entre ensuite en laboratoire où l’on peut échafauder des hypothèses plus détaillées. C’est là qu’Alban Lemasson a pu mettre au point un système d’enregistrement télémétrique permettant d’étudier les cris des femelles mones de Campbell et de découvrir leur étonnante plasticité acoustique ainsi que l’existence de “règles de conversation” (respect du tour de parole, attention à la voix des aînées…)
  3. On retourne ensuite en milieu naturel pour retester et valider ces hypothèses dans les populations sauvages. Les recherches d’Alban Lemasson en sont à ce stade.

“Le répertoire vocal des singes est certes génétiquement borné mais grâce aux études en captivité, on découvre que les gênes ne font pas tout et que ce répertoire n’est pas figé.”

"toi, j'te cause pas..."

“Presque tout ce qui caractérise l’humanité se résume par le mot culture” pensait François Jacob. En cherchant les origines du langage chez les primates, Alban Lemasson achève de dynamiter notre vision anthropocentrée de l’animal.

Mais sans provoquer grands heurts, en fin de compte ; s’il y a révolution dans les sciences du vivant, elle opère bien de façon “clandestine”, comme le raconte Michel de Pracontal dans Kaluchua. Alban Lemasson dit généralement rencontrer des gens “ouverts” à ses recherches, d’autres qui suspectaient que les singes avaient un proto-langage mais n’osaient pas en parler, et aussi quelques sceptiques, qui demandent à voir ces résultats répliqués sur d’autres espèces.

Le grand public, lui, est très réceptif, précisément “parce qu’on touche à une espèce proche de l’homme et au cognitif”. S’il y a une réticence, elle est plus pragmatique qu’idéologique : “combien ça coûte et à quoi ça sert tout ça ?” En fin de compte, un terrain très propice à la médiation scientifique.

lire également : JMLL, myopie et révolution (Kaluchua bonus track #2)

tests de culture animale (insane lectures #1)

Une antienne du discours sur la science actuelle la décrit comme stérile en découvertes majeures… Faux ! clame le journaliste Michel de Pracontal dans son dernier ouvrage, Kaluchua : une « révolution copernicienne des sciences de la vie » s’opère en ce moment-même.

Kaluchua est une translittération du mot anglais culture prononcé par les Japonais. Forgé dans les années 1950 par Kinji Imanishi, pionnier des études de terrain sur les primates, ce mot posait l’existence des cultures animales et mettait bas la traditionnelle opposition entre nature et culture.

De Pracontal narre avec talent cette épopée de l’éthologie en mettant en scène de façon rythmée des protagonistes attachants : ces mésanges voleuses de lait, ces baleines chanteuses, ces doctes suricates, ou Imo, cette petite macaque qui bouleversa les habitudes culinaires de ses congénères. Chacun révèle un comportement fascinant et tous nous disent combien la conception mécaniste de l’animal-machine est dépassée.

La force du livre réside aussi dans sa capacité à mettre en scène les scientifiques qui sortirent l’éthologie du laboratoire où elle était confinée. Cette histoire semble nourrie d’antagonismes forts entre chercheurs en laboratoire, qui tiennent l’animal pour un robot biologique téléguidé par ses gênes, et partisans du terrain, qui l’élèvent au rang de sujet, digne de culture.

"Boom boom hok-oo hok-oo krak-oo krak-oo !" ("je lis le bLoug tous les matins")

Qu’en est-il concrètement de cette opposition dans l’éthologie actuelle ? Alban Lemasson étudie la communication vocale et la vie sociale des primates au Laboratoire d’éthologie animale et humaine de l’Université Rennes 1 (EthoS). La geste conflictuelle comptée dans Kaluchua ne cadre pas réellement avec son quotidien. Et pour cause : ce chercheur mène conjointement recherches en milieu naturel et en laboratoire : « Les deux approches sont en fait complémentaires et indispensables » plaide-t-il. Bien plus, l’observation de terrain seule n’est pas la panacée. Prenons les mones de Campbell, singes cercopithèques sur lesquels travaille Alban Lemasson : impossible de savoir si les femelles de cette espèce ont voix au chapitre en milieu naturel car leur cri est très faible. C’est donc en laboratoire qu’Alban Lemasson a pu étudier leurs cris… et découvrir leur incroyable plasticité. « Ces singes ont un répertoire vocal qui n’est pas figé », explique-t-il. « Ils sont capables d’abandonner des cris inutiles et d’en créer de nouveaux : en laboratoire, un cri signifiant ‘alerte homme’ a été inventé pour remplacer le caduque ‘alerte léopard’ ».

Alban Lemasson reconnaît que cette approche mixte n’est pas la norme en éthologie. Il ne rencontre pas de véritable opposition parmi ses pairs mais une propension latente à relativiser l’importance des cultures animales, souligner ce qu’elles peuvent avoir de « simpliste », bref à sauver le soi-disant propre de l’homme.

Kaluchua est sous-titré: « cultures, techniques et traditions des sociétés animales ». N’aurait-on pas pu remplacer « animales » par « scientifiques » ?

Kaluchua, de Michel de Pracontal, Éditions du Seuil, Collection Science Ouverte , 2010, 187 pp., 17€