Suite des billets consacrés à la fin du monde ; après avoir réglé nos boussoles dans la première partie consacré à l’inversion des pôles magnétiques, place au Soleil : une colère extrême de notre étoile pourrait-elle provoquer un orage magnétique dévastateur pour notre civilisation hyper connectée ?
Les sautes d’humeur du Soleil sont bien connues. Elles consistent en un éjectat de particules à haute énergie qui accompagnent (mais pas systématiquement), les éruptions qui rythment son cycle. Ces nuages de gaz très chaud sont appelés éjections de masse coronale (EMC). En voici une :
Lorsqu’elles atteignent la Terre (à plusieurs centaines de km/s), elles sont susceptibles de provoquer quelques dégâts, en raison de leur puissant champ magnétique : si ce dernier est opposé au champ magnétique terrestre à l’endroit du point de contact, des phénomènes électriques se développent, qui vont par une longue chaîne créer, outre de très belles aurores, des courant électriques dans l’ionosphère (très haute atmosphère). Ces courants vont à leur tour induire des courants électriques de surface qui produisent de l’érosion et des dommages dans toutes les grandes structures métalliques allongées est/ouest (oléoducs, gazoducs) ainsi que, plus rarement, des surtensions dans des lignes à haute tension et de possibles pannes électriques.
Doit-on alors redouter un « big one » solaire ? Une EMC extraordinaire susceptible de provoquer sur Terre un orage géomagnétique géant qui provoquerait un black-out généralisé ? Si l’on se pose la question, c’est que l’on dispose de quelques précédents :
- 2003 : Coupure d’une heure en Suède ; transformateurs endommagés en Afrique du Sud.
- 1989 : 6 millions de personnes privées de courant au Québec pendant neuf heures ; facture: 2 milliards de dollars.
- 1859 : le 28 août et le 1er septembre, deux orages magnétiques intenses frappèrent les contemporains par leurs effets spectaculaires : aurores tropicales (!) permettant de lire la nuit ; incendies et décharges électriques touchant les télégraphistes.
Cet « évènement de Carrington », du nom de l’astronome qui le premier rapporta l’éruption du 1er septembre, est resté dans les annales. On en a reparlé il y a peu, par exemple dans ce billet de Pierre Barthélémy en date du 18 avril 2012 (notez bien la date ; et pas parce que c’est celle de mon anniversaire). Si Pierre Barthélémy évoquait alors le sujet, c’est que le jour même paraissait dans Nature le papier alarmiste d’un spécialiste britannique du Soleil, Mike Hapgood. Le chercheur y exhortait nos sociétés à se préparer dès à présent aux conséquences catastrophiques qu’un orage géomagnétique géant, similaire à celui de 1859, pourrait avoir sur des économies modernes, devenues si dépendantes des réseaux électriques. L’alerte fut abondamment relayée.
Mais ce fameux événement de 1859, sur lequel toutes les craintes reposaient, avait-il été aussi extraordinaire qu’on le pensait ?
L’événement de Carrington était jusque-là considéré comme exceptionnel à cause de l’analyse de la composition isotopique du nitrate d’une carotte de glace du Groenland, signature présumée d’un événement cosmique de forte ampleur qui aurait frappé la terre en 1859.
Mais cette carotte, argument n°1 du scénario catastrophe du tsunami solaire, allait fondre… comme neige au soleil dès le 28 avril 2012. Une étude publiée dans Geophysical Resarch Letters, The Carrington event not observed in most ice core nitrate records, indiquait sobrement :
- Que la plupart des carottes de glace analysées ne présentent pas de “pic” de nitrate pour l’année 1859 (soit 13 sur 14 !)
- Que les pics de nitrates présents dans les carottes du Groenland s’expliquent normalement à partir de la combustion de la biomasse, et n’ont donc aucune cause spatiale
- Qu’aucune statistique sur les particules énergétiques du Soleil ne peut être établie à partir de cette présence du nitrate dans la glace terrestre.
Il s’avérait donc que la puissance de l’orage de 1859 avait largement été surestimée et que cette surestimation ne reposait que sur l’analyse chimique d’une seule carotte glaciaire. Que personne n’en ait fait mention alors peut encore se comprendre. Malheureusement, l’événement de 1859 refait surface dans l’actualité apocalyptique sans que ce petit correctif soit mentionné par quiconque…
Pour conclure de façon plus générale sur l’aspect irréaliste de ce scénario du Soleil en surchauffe, relevons que nous effectuons un suivi observationnel des éruptions solaires depuis environ 150 ans, et un suivid des taches solaires depuis 400 ans (300 régulièrement). La théorie établit un lien entre l’énergie des éruptions et la taille des taches et on dispose de modèles qui permettent de prédire l’énergie des éruptions en fonction de la taille des taches. Ce que ces modèles permettent de voir, c’est que pour qu’une éruption gigantesque ait vraiment un impact sociétal (ie : que votre grille-pain soit inutilisable pendant un bout de temps), il faudrait que les taches à la surface du Soleil soient tellement grosses qu’on verrait à l’œil nu notre étoile avec deux gros yeux noirs. Gageons que, depuis le temps que l’homme regarde le Soleil, on aurait déjà eu des témoignages historiques d’un tel phénomène ! La conclusion qui s’impose pour les spécialistes est donc que le soleil ne sait pas produire les conditions d’une éruption gigantesque, même s’il en a largement l’énergie.
Vous pouvez donc dormir sur vos deux oreilles. À moins que vous soyez sur une liste de candidats pour l’espace, car là, l’environnement solaire demeure un épineux problème à résoudre…
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