A force de danser la danse de la pluie (voir le précédent hs), arriva ce qui devait arriver : sirène, blouses blanches, camisole, piqûre qui fait du bien… Zou, direction l’asile pour le bLoug dans ce headbanging science #13 !
L’occasion d’écouter en boucle le Welcome Home (Sanitarium) de Metallica, ici dans une vidéo de 1988 (Hammersmith Odeon, Londres) :
Welcome Home (Sanitarium) est tiré de Master of Puppets, troisième album des Four horsemen sorti en 1986. Le morceau s’inspire directement du film Vol au-dessus d’un nid de coucou (One Flew Over the Cuckoo’s Nest, 1975), le chef-d’oeuvre de Miloš Forman interprété par Jack Nicholson (le film est lui-même adapté d’un roman de l’Américain Ken Kesey (paru en 1962), par ailleurs figure de proue défoncée au LSD du mouvement psychédélique des années 1960.
Les paroles ainsi que l’accélération du tempo de Welcome Home collent parfaitement à la problématique de Vol au-dessus d’un nid de coucou : un homme sain d’esprit mais traité comme fou (“Just labeled mentally deranged”) finit par être broyé par le système inhumain, rigide et brutal qui régit l’établissement où il s’est volontairement fait interner. James Hetfield, frontman de Metallica, chante:
They think our heads are in their hands But violent use brings violent plans Keep him tied, it makes him well He’s getting better, can’t you tell ?
Vol au-dessus d’un nid de coucou se déroule au début des années 60. Vaste temps de remise en cause et de réforme du système psychiatrique en Amérique du Nord et en Europe: humanisation du soin aux personne souffrant de troubles mentaux (politique de désinstitutionnalisation), abandon progressif de la pratique de la lobotomie (qui « soigne » définitivement Jack Nicholson dans le film, de façon beaucoup moins marrante que celle des Ramones), essor de l’antipsychiatrie, mouvement qui remet en cause la notion même de maladie mentale…
A la sortie du film, le petit monde de la psychiatrie est encore ébranlé par une expérience restée célèbre: l’expérience de Rosenhan. Les résultats de cette enquête sur la validité du diagnostic psychiatrique, menée par le psychologue David Rosenhan, sont publiés en janvier 1973 dans Science sous le titre de On Being Sane In Insane Places (« Un individu sain dans des lieux qui ne le sont pas », un sous titre idoine au Welcome Home de Metallica ou au Vol au-dessus d’un nid de coucou).
Voici l’expérience résumée (l’article original est disponible en ligne). Elle s’est faite en deux temps.
Episode 1 : cachez ces sains que nous ne saurions voir
- 8 faux patients se présentent pour être admis en hopital psychiatriques (dont Rosenhan lui-même) ; leurs profils sont variés, ceux des hôpitaux également
- ils prétendent entendre des voix (les mots « vide », « creux » et « bruit sourd » (« thud » ; l’expérience est aussi connue sous le nom de « thud experiment ») ; ils ne simulent aucun autre symptôme
- ils sont admis sans difficulté
- ils se comportent ensuite normalement et annoncent au personnel soignant ne plus avoir d’hallucinations auditives – ils se comportent tellement normalement, qu’ils prennent des notes !
- le personnel médical ne les considère pas sains d’esprit – au contraire de certains vrais patients, qui leur reprochent d’être des journalistes ou des chercheurs
- 7 sur 8 sont diagnostiqués schizophrènes malgré leur comportement tout à fait normal, amical et coopératif
- ils ne peuvent sortir qu’après avoir reconnu être schizophrènes et accepté de prendre un traitement pour guérir (2100 pilules en tout, qu’ils firent semblant de prendre, et de nature disparate d’un établissement à l’autre alors que les diagnostics étaient identiques…)
- bilan : entre 7 et 52 jours d’enfermement pour une pathologie inexistante (19 en moyenne)
Episode 2 : « Ca ne va pas être possible »
Un hôpital psychiatrique, doutant des résultats, se fit fort de détecter à coup sûr de faux patients que Rosenhan enverrait sur une période de 3 mois. Averti de l’expérience, le personnel de l’hôpital démasqua 41 imposteurs certains parmi les 193 admis dans l’établissement sur la période. Problème, Rosenhal n’avait envoyé absolument AUCUN faux-patient !
D’où l’on conclut qu’un certain nombre d’individus qu’il aurait mieux valu admettre et soigner repartirent avec leur pathologie sous le bras…
En conclusion de son expérience, Rosenhan critiqua la validité du diagnostic psychiatrique, instrument révélateur de son propre environnement mais ne disant rien du patient – par conséquent inefficace à distinguer le sain du fou. Il mettait également l’accent sur la dépersonnalisation et la nature dégradante des soins apportés aux patients – soins découlant mécaniquement d’une « étiquette » indécollable, celle du diagnostic. En quelque sorte, le diagnostic créait la pathologie.
It is clear that we cannot distinguish the sane from the insane in psychiatric hospitals. The hospital itself imposes a special environment in which the meaning of behavior can easily be misunderstood. The consequences to patients hospitalized in such an environment – the powerlessness, depersonalization, segregation, mortification, and self-labeling – seem undoubtedly counter-therapeutic.
Une pinte de bon sang : critique de la critique
Pour spectaculaire qu’elle soit, la portée de l’expérience de Rosenhan doit être relativisée.
Le psychiatre Robert Spitzer fut le premier à monter au créneau. Dans un article publié en 1975 (consultable ici), il pointait du doigt la méthode employée : en quoi simuler pour fausser un diagnostic invalidait-il le principe même du diagnostic ?
Si je devais boire une pinte de sang, puis taisant cela, me précipiter aux urgences de n’importe quel hôpital en vomissant du sang, le diagnostic du personnel serait parfaitement prévisible. S’ils me diagnostiquaient et me traitaient pour un ulcère gastro-duodénal, je doute que je pourrais soutenir de façon convaincante que la science médicale ne sait pas comment diagnostiquer mes symptômes. » [ceci bien sûr dans l'hypothèse où l'on considère qu'on a affaire à un être humain et pas à un vampire...]
D’autres auteurs apportèrent leur lot de commentaires sur les limites de l’expérience de Rosenhan.
Le principal reproche concerne évidement le nombre de cas, bien trop réduit pour pouvoir en généraliser quoi que ce soit : 8 faux patients dans un premier temps, un seul établissement participant dans un second.
D’autres points peuvent être soulevés :
- Le diagnostic ne cherche pas à trancher entre des catégories sain et non sain, mais à repérer des symptomes de maladie mentale – effectivement présentés par les faux-patients. Le rôle du personnel des hôpitaux n’étant pas de détecter des imposteurs, il n’est pas étonnant que ces derniers ne soient pas démasqués. Tout autre aurait été la portée de l’étude si les faux-patients avaient mal simulé leur symptomes, donnant par là la possibilité d’être démasqués.
- Le comportement “normal” des faux-patients peut être discuté : en l’occurrence, un comportement véritablement normal consisterait à tomber le masque et déclarer l’imposture.
- Les faux-patients étant finalement déclarés “en voie de guérison” et aptes à sortir, le personnel médical a bien fini par constater la disparition des symptomes – le temps mis pour arriver à cette constation pose effectivement problème, mais au moins ont-ils échappé au sort de Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou.
- La seconde étape est doublement biaisée : l’établissement voit des imposteurs partout parce ce qu’il s’attend à ce qu’on lui en envoie et met en place une procédure contre-nature pour les débusquer.
Quoi de neuf Docteur ?
Alors, que penser de l’expérience de Rosenhan ? Il ne s’agit certainement pas de la preuve irréfutable d’une faillite générale de la psychiatrie mais simplement d’un coup de projecteur bien senti sur certains de ses effets oppresseurs.
Qu’en serait-il aujourd’hui ? La psychologue Lauren Slater, auteur d’un ouvrage sur les grandes expériences en psychologie du 20e siècle (Opening Skinner’s Box, 2004) s’est amusée à réitérer l’expérience auprès de plusieurs psychiatres – de façon tout aussi biaisée. Grande différence avec les années 70, une prescription lourde (un arsenal d’anti-psychotiques et d’anti-dépresseurs) mais ni hospitalisation ni prise en charge psychothérapeutique. Mais le sens profond ne change pas : le contexte dans lequel le psychiatre se trouve et les approches thérapeutiques de l’époque influencent le diagnostic. En clair : la médication remplace l’enfermement. Slater :
Il est assez clair pour moi que c’est la médication qui dirige les décisions, et pas le contraire. À l’époque de Rosenhan, c’était le schème psychanalytique qui déterminait ce qui allait mal ; de nos jours, c’est le schème pharmacologique, la pilule.
Quant à nos amis Jack Nicholson et James Hetfield, ont-ils réellement à se plaindre de leur petit tour au sanitarium ? Le premier semble s’être réinséré et s’être fait une place dans le porte-à-porte :
Pour le second, malheureusement, la dose paraît avoir été un peu forte :
Welcome Home (Sanitarium) – Hetfield/Ulrich/Hammett
Welcome to where time stands still no one leaves and no one will Moon is full, never seems to change just labeled mentally deranged Dream the same thing every night I see our freedom in my sight No locked doors, No windows barred No things to make my brain seem scarred Sleep my friend and you will see that dream is my reality They keep me locked up in this cage can’t they see it’s why my brain says Rage Sanitarium, leave me be Sanitarium, just leave me alone Build my fear of what’s out there and cannot breathe the open air Whisper things into my brain assuring me that I’m insane They think our heads are in their hands but violent use brings violent plans Keep him tied, it makes him well he’s getting better, can’t you tell? No more can they keep us in Listen, damn it, we will win They see it right, they see it well but they think this saves us from our hell Sanitarium, leave me be Sanitarium, just leave me alone Sanitarium, just leave me alone Fear of living on natives getting restless now Mutiny in the air got some death to do Mirror stares back hard Kill, it’s such a friendly word seems the only way for reaching out again.