sasquatch comme ça chez les pseudoscientifiques (hs#27 TENACIOUS D, Sasquatch)

Tenacious D dans le headbanging science ? Avec un morceau intitulé Sasquatch, l’équivalent nord-américain du yéti ? Il y avait au moins deux bonnes raisons de douter de la pertinence d’un billet consacré au duo satirique composé de Jack Black et Kyle Gass, tous deux chanteurs et guitaristes acoustiques.

La première tenait à la caution rock. Le doute a été vite levé : Tenacious D a tout de même ouvert pour Pearl Jam ou Metallica et accueilli comme batteurs rien moins que Dave Grohl ou Brooks Wackerman (Bad Religion) ! C’est un tout autre invité que l’on peut voir derrière les fûts dans cette vidéo (à 1:55). Un « kickin ass » style, qui ne fait hélas pas l’affaire pour Tenacious, pas à l’aise à l’idée de former un power trio…

 

La deuxième raison tenait à ligne de profond sérieux de ce blog (oui, parfaitement)… Un sujet de cryptozoologie, après avoir consacré un numéro du headbanging science aux rumeurs de hoax lunaire, paraissait risqué.

Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, il existe une actualité sur le sasquatch qui, à défaut d’être sérieuse en soi, a quelque chose à nous dire sur le fonctionnement de la science qui vaut la peine d’être relevé. Figurez-vous que…. (roulement de tambour) des données viennent de prouver de façon concluante que le sasquatch existait bel et bien. Mieux, il s’agirait d’une espèce d’hominidé directement apparentée à Homo sapiens. Étonnant non ? Et bien sûr, totalement loufoque. Mais voyons de quoi il retourne exactement.

 

headbanging science tenacious D


Syndrome de Galilée chez une ancienne vétérinaire

En novembre 2012, un communiqué de presse émanant d’un laboratoire de génétique texan (DNA Diagnostics), claironnait avoir séquencé le génome du sasquatch à partir d’une centaine d’échantillons de poils. Les données mitochondriales indiquaient une parenté directe avec Homo sapiens (via la lignée maternelle : le génome mitochondrial est transmis par la mère). En revanche, du côté du génome nucléaire (transmis par les deux parents), c’était un peu le bordel : le sasquatch était apparenté avec l’homme, d’autres primates et des trucs inconnus. Tout cela n’avait aucun sens, ce que PZ Myers, auteur du blog Pharyngula, railla à l’époque, évoquant un travail bâclé, de toute évidence entaché de niveaux élevés de contamination de l’ADN, se demandant si on allait aussi trouver des gènes de raton laveur et d’opossum dans les séquences analysées.

Melba Ketchum, auteure du papier (et par ailleurs ancienne vétérinaire reconvertie dans la génétique : elle dirige DNA Diagnostics) estimait être victime d’une cabale qui l’avait empêchée de publier ses résultats dans une revue scientifique à comité de lecture (la démarche scientifique consiste à faire évaluer ses travaux par les pairs et les soumettant à des revues à comité de lecture, qui décident si le travail de recherche soumis pour publication est acceptable ou non), se plaignant amèrement de ce que certaines n’aient même pas regardé son manuscrit et qu’un relecteur ait osé se moquer ouvertement de son travail dans son commentaire.

Melba Ketchum avait absolument raison. Il était absolument invraisemblable qu’un relecteur ait pu se moquer ouvertement de ses travaux : tous auraient dû le faire.

Melba Ketchum revient - et elle n'est pas contente

Melba Ketchum revient – et elle n’est pas contente

L’histoire aurait dû s’arrêter là, mais Melba Ketchum, évoquant un « effet Galilée » (il fallait oser !), n’avait pas dit son dernier mot.

 

On n’est jamais si bien servi que par soi même

Comment est-elle malgré tout parvenue à faire publier ses “résultats” ?

Tout simplement en rachetant et en renommant une revue ! Aussitôt créé, aussitôt publié ! DeNovo, c’est le nom de cette nouvelle revue en ligne, s’est fendue d’une édition spéciale comportant en tout et pour tout un seul article, celui de Melba Ketchum :

“Novel North American Hominins, Next Generation Sequencing of Three Whole Genomes and Associated Studies.” Authors: Ketchum MS, Wojtkiewicz PW, Watts AB, Spence DW, Holzenburg AK, Toler DG, Prychitko TM, Zhang F, Bollinger S, Shoulders R, Smith R. DeNovo. 13 February 2013.

DeNovo entend “accélérer la science”. Tu m’étonnes… L’éthique veut que les éditeurs des revues scientifique ne supervisent pas la publication de travaux de leur propre institution de recherche – et encore moins leurs propres travaux ! Pour compléter la farce, la revue est soi-disant en accès libre, mais il vous en coûtera $30 pour acquérir l’article ! Il n’a été envoyé avant publication qu’à certains blogueurs « crypto-friendly », avec embargo…

 

Et le sasquatch dans tout ça ?

Sur la forme, relevons en vrac : que l’équipe est essentiellement composée d’experts en médecine légale et ne comporte pas d’expert des primates ; qu’on ne sait pas grand chose sur la façon dont les échantillons de poils de sasquatch ont été collectés  ; que l’article  contient des illustrations de sasquatch qui font un peu désordre pour une revue scientifique, dont une vidéo de ce qui ressemble à une couverture sale planquée dans des fourrés

Sur le fond, il est évident que les conclusions vont totalement à contresens des données rapportées :

  • Que l’ADN mitochondrial corresponde à celui d’Homo sapiens ne pose pas de problème en soi si l’on admet que ce sont des femmes qui se sont reproduites avec [quelque chose] et ont donné naissance à des hybrides. Le hic est que cet ADN provient de 16 populations différentes, la plupart d’Europe et du Moyen-Orient, quelques unes africaines et amérindiennes ! La spéciation ayant eu lieu il y a 15 000 ans, on ne devrait trouver que des séquences d’Indiens nord-américains… Mais les auteurs ne s’arrêtent pas à ce détail et spéculent que ces populations ont été se balader en Amérique via le Groenland. La seule explication qui tienne est en fait celle d’une multi contamination des échantillons d’ADN de bestiole par celui des humains qui les ont récoltés ou manipulés.
  • Pour ce qui est du génome nucléaire, difficile d’en dire quoi que soit. Certains tests révèlent une parenté avec l’homme, d’autres avec un primate non identifié, d’autres encore ne révèlent rien du tout. Selon John Timmer, du site arstechnica.com, les résultats sont ceux qu’on pourrait obtenir si on essayait de mixer de force de l’ADN de deux espèces non étroitement apparentées. Par exemple Melba Ketchum avec un vrai scientifique. On ne parlerait donc plus de simple contamination, mais bel et bien de fraude.

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Que conclure de cette intrusion de la pseudo-science sur les terres de la science officielle ? 3 choses.

  • Premièrement, que le système du peer-review, malgré ses défauts, présente des garanties d’étanchéité assez utiles. Les tentatives faites par les « sciences » créationnistes pour le copier, en créant leurs propres revues à comités de lecture, hostiles à l’évolution, n’ont pas donné grand-chose de concluant. Pour les auteurs, copier la démarche scientifique est couteux en temps et ne leur rapporte au final pas grand chose en termes de crédibilité. Compte tenu de l’écho scientifique nul qu’aura rencontré la tentative sur le sasquatch, on peut espérer les aficionados de Nessie, par exemple, réfléchiront à deux fois avant de soumettre leurs manuscrits à DeNovo.

 

  • Deuxièmement, que la sphère médiatique, pourtant prompte à s’emballer, se comporte plus intelligemment en matière de science qu’on ne veut bien le dire. Jusqu’à présent, je n’ai relevé l’information de la « découverte » du sasquatch que sur le site 7sur7.be – parmi des informations capitales telles que : « Cent pierres retrouvées dans l’estomac d’un labrador » ou « Elle a des cheveux longs de six mètres et demi ». Un bémol toutefois, le communiqué de presse de novembre 2012 que nous avons mentionné plus haut avait fait l’objet d’un article bien gentillet sur le site Maxisciences. Bravo à eux.

 

  • Enfin, qu’il est bien possible que la prochaine étude publiée dans DeNovo prouve, de façon concluante, que Melba Ketchum est un hybride de Robert Mitchum et d’une pêche melba.

 

Pour revenir à Tenacious D, vous vous demandez tous bien entendu qui tient le rôle du sasquatch. Il s’agit d’un autre acteur, John C Reilly, que l’on peut voir ici pousser la chansonnette au… Sasquatch Festival !

Un festival bien réel lui, dont la prochaine édition aura lieu du 24 au 27 mai 2013, sur le site de The Gorge, dans l’État de Washington. C’est un peu loin, mais sachez que la programmation est plus qu’alléchante (Sigur Ros, Arctic Monkeys, Primus, Bloc Party, BRMC, Red Fang… ) et que c’est dans cet État que la Bigfoot Field Researchers Organization recense le plus de « rencontres » du sasquatch : 556 !

 

A lire, deux bons décryptages (en anglais) dont j’ai pu m’inspirer :

 

la culture scientifique pour les nuls, aperçu

Avant de penser à diffuser la culture scientifique et à vulgariser la controverse, ne faudrait-il pas que le grand public maîtrise la lecture et l’écriture ? Aperçu des difficultés estudiantines face à un texte à trous parlant de chercheurs, de génétique… et d’ecclésiastiques.

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À l’occasion de l’affaire Séralini, certains confrères blogueurs du c@fé des sciences ont amorcé un mini-débat dont il ressortait une certaine préoccupation à l’idée que ce type de coup médiatique puisse nuire à l’image de la science. J’imagine qu’ils faisaient référence à l’image de la science dans le grand public – bien malmené journalistiquement, il est vrai – et pas à la nébuleuse de ceux qui s’intéressent d’un peu plus près à l’actualité scientifique.

Je tiens ici à rassurer mes collègues inquiets, mais d’une façon qui les inquiétera peut-être beaucoup plus encore. Je ne pense pas que l’affaire Séralini ait véritablement nui à l’image de la science dans la mesure où je doute fortement que la plupart des gens aient eu connaissance de beaucoup plus d’éléments que deux ou trois rongeurs boursouflés exhibés au 20h. Et quand bien même ? L’image de la science peut sans doute dormir tranquille, car la teneur de ses querelles échappe au plus grand nombre. Appelons ça un problème de « culture scientifique », si vous voulez. Mais je crois qu’il s’agit plus fondamentalement d’une question de culture tout court, voire tout bêtement de maîtrise de la langue. Peut-être, avant de penser à diffuser la culture scientifique, faudrait-il déjà réapprendre à lire et à écrire ? Ce qui va suivre est à prendre avec distance, mais je pense cela révélateur.

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Il s’agit de quelques trouvailles d’élèves de BTS confrontés à un très classique exercice de « texte à trous ». Le texte de référence qui leur a été proposé est un article sur la bioéthique d’Alain Etchegoyen (Les apprentis sorciers, Le Figaro Magazine, novembre 1991), consultable sur ce site dans l’exercice 2 . Les élèves après avoir pris connaissance de ce texte (pas terrible au demeurant) devaient compléter le petit résumé suivant à l’aide d’une liste de mots-clés. Je n’ai pas en mémoire le temps alloué pour cette périlleuse manœuvre, mais ce n’était pas trop le stress, d’autant qu’ils pouvaient se faire expliciter les termes incompris avant de commencer. Pour bien interpréter ce qui va suivre, il faut également avoir à l’esprit que la graphie des mots-clés renseigne précisément sur leur contexte : un adjectif ne peut remplacer un verbe, un singulier un pluriel – ce qui peut aider, à condition de savoir ce que sont ces drôles de choses.

Prêts pour l’exercice ?

Le texte à trous :

La bioéthique concerne tout le monde, comme le montre la ___ qui confronte deux ___. Pour la ___, composée de ___ et de ___ , le progrès scientifique ne saurait être ___. La recherche entraînera l’___ des maladies et permettra même de les ___. On en viendra à un eugénisme ___ qui améliorera l’espèce humaine et les dépenses de la ___ publique seront allégées. Comment alors ___ ces travaux ? La ___ école, que représentent des philosophes ou des ___, affirme ses craintes en ce qui concerne la pratique d’un eugénisme ___ : il permettra la sélection ___ des embryons et ouvrira de plus en plus largement ses critères de choix à des exigences non ___. On ne peut ___ déterminer nettement quelles ___ sont inconciliables avec l’___, puisque certains individus en ont fait l’origine même de leur ___. ___, pour ces moralistes, il faut que les parents acceptent les ___ de la procréation et restent maîtres de leur décision.

 

Les mots-clés :

limité – condamner – polémique – ecclésiastiques – seconde – contrôlé – pathologiques – rationalistes – tares – humain – aléas – prévoir – génétiques – Enfin – chercheurs – génie – efficace – d’autre part – éradication – écoles – première – Santé – scientifique.

 

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Comme vous l’aurez compris, je n’ai pas choisi ce texte par hasard, mais parce qu’il avait un rapport avec la science (et aussi parce que j’avais accès aux copies). Pathologiques, rationalistes, génétiques, chercheur, scientifique, Santé, etc. de quoi nous renseigner – un peu – sur l’état de la « culture scientifique » de nos concitoyens.

Un premier indicateur fait tout de suite froid dans le dos : la plupart des élèves ont obtenu une note en dessous de la moyenne à cet exercice.

Deuxième constatation, le sens de mots tels que ecclésiastiques, pathologiques ou rationalistes échappe manifestement largement aux élèves, qui les glissent au petit bonheur la chance dans le premier trou venu.

Troisième point, la graphie n’est absolument d’aucune utilité, puisque les élèves recopient les mots plutôt scrupuleusement, mais pour les placer n’importe où, sans se soucier de la structure de la phrase. Il est manifeste que les lacunes en orthographe ou en vocabulaire se doublent d’une agression caractérisée de la syntaxe.

Plus en détail, quelques faits me paraissent intéressants à souligner dans le cadre des rapports science – citoyens. Le texte s’attache à présenter deux écoles de pensée opposées dans une polémique. D’un côté, chercheurs et rationalistes, de l’autre, ecclésiastiques et philosophes. De façon très révélatrice, pratiquement aucun élève ne parvient à restituer correctement cette opposition dans le résumé à trous. On trouve toutes sortes d’attelages amusants (ecclésiastiques & génie VS philosophes & rationalistes ; rationalistes & pathologique ( !) VS philosophes & ecclésiastiques ; chercheurs & génie VS philosophes et scientifiques, etc.). Parfois cette structure d’opposition, courant de pensée contre courant de pensée, n’est même pas comprise. Au lieu d’une « polémique qui confronte deux écoles », on a alors « la scientifique qui confronte deux chercheurs » ou la tare qui confronte deux génétiques », voire, parce que tous les goûts sont dans la nature, « la condamner (?) qui confronte deux polémiques ». Je souhaite bien du courage à tous ceux qui ont en charge d’expliciter les controverses au grand public.

Un deuxième point important a trait aux termes de « chercheurs » et de « scientifiques ». Apparemment, pour certains, cela ne recouvre pas la même chose puisque ces populations (en réalité, scientifique était employé comme adjectif, mais cela n’a pas été saisi) sont parfois opposées ou juxtaposées, comme on le voit dans les exemples ci-dessus.

Dernier point, presque tous placent le verbe « prévoir » dans la phrase « Comment alors ___ ces travaux ? », un peu comme s’ils projetaient de refaire leur salle de bains. Que l’on puisse, dans le cadre de la science et de l’éthique « condamner » des travaux ne va manifestement pas de soi, même lorsqu’on parle d’eugénisme.

 

Terminons en beauté avec un top 3 « décadence de la chrétienté »

  1. On ne peut d’autre part déterminer nettement quelles tares sont inconciliables avec l’« ecclésiastique »
  2. … affirme ses craintes en ce qui concerne la pratique d’un eugénisme « ecclésiastique »
  3. … il permettra la sélection « ecclésiastique » des embryons…

 

En dessous de la moyenne ? La correction :

La bioéthique concerne tout le monde, comme le montre la polémique qui confronte deux écoles. Pour la première, composée de chercheurs et de rationalistes, le progrès scientifique ne saurait être limité. La recherche entraînera l’éradication des maladies génétiques et permettra même de les prévoir. On en viendra à un eugénisme contrôlé qui améliorera l’espèce humaine, et les dépenses de la Santé publique seront allégées. Comment alors condamner ces travaux ? La seconde école, que représentent des philosophes ou des ecclésiastiques, affirme ses craintes en ce qui concerne la pratique d’un eugénisme scientifique : il permettra la sélection efficace des embryons et ouvrira de plus en plus largement ses critères de choix à des exigences non pathologiques. On ne peut d’autre part déterminer nettement quelles tares sont inconciliables avec l’humain, puisque certains individus en ont fait l’origine même de leur génie. Enfin, pour ces moralistes, il faut que les parents acceptent les aléas de la procréation et restent maîtres de leur décision.

 

 

Ozzy Osbourne, Néandertal ou pigeon ? (hs#18 BLACK SABBATH, Never Say Die)

Ce headbanging science n°18 ne pouvait échapper à Black Sabbath, dont la venue prochaine à Clisson pour le Hellfest (dans la version hélas fortement tronquée Ozzy and friends) devait être dignement fêtée. Choisir un titre était une autre paire de manches. Ce sera finalement Never Say Die, une injonction prétexte à nous plonger dans les secrets du génome d’Ozzy “Néandertal” Osbourne…



Extrait de Never Say Die!, huitième album, sorti en 1978, le titre est un des rares morceaux presque joyeux du quatuor de Birmingham – écoutez-moi ce final, on dirait presque du Status Quo ! Par dessus le marché, la vidéo est de bonne qualité, avec un Ozzy fringuant tout de satin blanc à franges boudiné :

 

Le titre aurait été choisi collectivement pour résumer la première décennie de carrière du Sab’ : ne jamais renoncer (l’ironie veut que le titre fut le dernier single écrit avec Ozzy, qui renonça au groupe pour entamer sa carrière solo).

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L’expression résume aussi assez bien, et de façon plus littérale, l’inoxydabilité du sieur Osbourne, célèbre pour ses abus d’alcool (et de drogues) au long cours. [Pour mémoire, Ozzy, jeune et sobre, c'était ça :]

Au sujet de ses assuétudes multiples, Ozzy a écrit dans les colonnes du Sunday Times, en 2010 :

Étant donné les piscines de gnôle que j’ai englouties toutes ces années – sans parler de toute la cocaïne, de la morphine, des somnifères, du sirop pour la toux, du LSD, du Rohypnol… et de tout ce que vous voulez – il n’y a vraiment aucune raison médicale plausible pour que je sois encore en vie.

Avant d’ajouter :

Lorsque je mourrai, je devrais faire don de mon corps au Muséum d’Histoire Naturelle.

[Ce qui pourrait donner quelque chose comme ça :]

Faute de pouvoir admirer l’animal empaillé dans la Grande Galerie de l’Évolution (ce qui peut tout de même faire peur aux jeunes visiteurs), il était toujours possible de s’intéresser à son ADN afin de comprendre comment Ozzy avait pu ne jamais renoncer et survivre à tous ses excès. Ce qui nous amène, doucement, vers notre sujet : bien évidemment, quelques chercheurs avides d’expériences limite eurent l’idée incongrue de séquencer la bête….

 

Neandertal & Jesse James à Pompéi

En l’occurrence, la société Knome, aka “The Human Genome Interpretation Company”, une firme américaine (Cambridge, Massachusetts) spécialisée dans la génétique médicale, qui propose ses services aux chercheurs et à l’industrie pharmaceutique et biotechnologique – ainsi, donc, qu’aux particuliers très particuliers. Candidat au séquençage de son ADN, Ozzy n’a pas vraiment saisi tout de suite pourquoi on voulait lui soutirer un peu sang :

Au début, j’étais très impliqué parce que j’avais mal compris ce qu’on m’expliquait : je croyais qu’on allait me dire quand j’allais mourir, afin que je puisse l’éviter.

l'instant précis où Ozzy (à droite) apprend que sur les trois milliards de paires de bases chimiques qui constituent son identité génétique, pas une seule n'est sobre

Publiés en 2010, les résultat des tests furent aussi fracassants qu’un riff de Sabbath : le génome d’Ozzy recelait des traces d’ADN néandertalien ! Cette nouvelle n’appelait qu’un bâillement poli puisque Ozzy se révélait terriblement banal sur ce plan (je renvoie à cet article de Libération pour ceux qui n’ont pas été prévenus des fricotages interspécifiques de leurs lointains parents) Mais elle allait faire les choux gras de sites people et musicaux sur le mode : “Ozzy est un Néandertal, c’est prouvé“. Ou : “l’ancêtre d’Ozzy était un Néandertal“.

Nous ne nous attarderons pas sur cette déformation médiatique : l’article de Damien Jayat a déjà décortiqué ce buzz. Rappelons simplement la proximité opportune de cette annonce avec la publication, quelques mois plus tôt (mai 2010, dans Science) des résultats du séquençage d’une grande partie du génome de l’Homme de Néandertal par l’Institut Max Planck (Leipzig, Allemagne). Gageons que si Homo sapiens avait partagé des gènes avec une quiche lorraine plutôt qu’avec Néandertal, la communication de Knome au sujet d’Ozzy aurait eu un tout autre accent – ils avaient du reste ce que l’on peut interpréter comme des billes de rechange : une parenté avec Jesse James et des Romains ayant péri à Pompéi (où un Black Sabbath antique était probablement en tournée)…

On soulignera aussi que les raccourcis abusifs relatifs à un ancêtre néandertalien ne doivent guère étonner : bien que les évolutionnistes aient cessé depuis longtemps d’utiliser le mot «ancêtre» pour situer un fossile identifié dans l’arbre des êtres vivants, la presse scientifique n’a pas toujours cette précaution (ainsi La Recherche titrait-elle son dossier d’octobre 2011 : Néandertal notre nouvel ancêtre).

 

La tumeur est un moteur

Mais là n’est pas l’essentiel. On en a beaucoup moins parlé, mais Sharon (Mme Osbourne), a elle aussi été séquencée en même temps que Monsieur. Et ses motivations étaient beaucoup moins embrouillées : rescapée d’un cancer du côlon, ayant des antécédents familiaux Alzheimer, Sharon Osbourne se faisait bêtement du mouron pour sa santé. Une préoccupation également invoquée par Ozzy, diagnostiqué depuis quelques années de tremblements proches des symptômes de Parkinson.

C’est donc bien de santé qu’il s’agit. Et peut-être aussi un peu de business….

Comme l’énoncent du reste clairement les patrons de Knome dans une interview à CNN :

Les cibles à potentiel de notre société sont les consommateurs, qui commencent à se faire à l’idée que le séquençage de leur génome pourrait les aider à mieux prendre soin d’eux et de leurs familles.

Pour atteindre ces cibles, deux “moteurs de croissance bien identifiés : les tumeurs cancéreuses et les enfants” (le couple Osbourne étant concerné par les deux, sans qu’on sache ce qui le préoccupe le plus).

Pour ce qui est du cancer, les espoirs (commerciaux) formalisés par les boss de Knome s’énoncent ainsi :

Le potentiel en cancérologie pour ce type de recherche est élevé. Les chercheurs pourraient par exemple identifier la signature de tumeurs qui ne se sont pas encore développées. On pourrait ainsi les surveiller plus tôt, en contrôlant l’apparition de variants génétiques dangereux dans les tissus des patients, ce qui permettrait d’intervenir avant que les cancers se développent.

le seul problème du séquençage, c'est la prise de sang

Si ces prémisses d’un traitement préventif sur mesure offrent évidemment des perspectives médicales immenses, constatons tout de même que tout n’est pas encore opérationnel. Pour ne parler que de gens bien, feu Christopher Hitchens (dont nous avions parlé pour un tout autre sujet) a soumis son ADN aux bons soins de la firme afin de trouver une parade au cancer de l’oesophage dont il était atteint. Les analyses ont bien permis de détecter une mutation dans ses cellules cancéreuses, et d’y associer un médicament ciblé. Hélas, ledit médicament approprié faisait déjà partie du traitement du journaliste (qui en était quand même au stade IV de sa maladie), décédé par la suite après un semblant de rémission.

Au-delà des promesses qui restent à tenir, difficile également de ne pas craindre les risques d’«eugénisme 2.0 » liés aux avancées de la génétique, récemment dénoncés dans une tribune du Monde (7 avril 2012) par Laurent Alexandre, précurseur de l’internet médical en France avec le site Doctissimo, et par ailleurs président de DNAVision, sorte d’alter ego de Knome et leader des services de génétique et de génomique appliquée.

espoir de l'eugénisme canin : bientôt la fin des chiens ridicules ?

Premier facteur de risque : l’effondrement des coûts. Là où les analyses du génome d’Ozzy étaient annoncées à 40000 $ en 2010, Knome met en avant, en 2012, une prestation Premium à 4998 $. Une sacrée chute qui met la solution à la portée de plus d’un rockeur, à laquelle fait écho Laurent Alexandre qui évoque “l’effondrement du coût du séquençage ADN, divisé par trois millions en neuf ans.”

Deuxième facteur, corollaire du premier : la facilité, ce qui devrait permettre aux techniques de dépistage génétique de se généraliser avant 2020. Selon le boss de DNA Vision :

Nous sommes déjà sur un toboggan eugéniste sans nous en être rendu compte [...] Il est possible de réaliser, dès à présent, un diagnostic génomique complet du fœtus à partir d’une simple prise de sang chez la future maman. Un puissant algorithme, mis au point par l’équipe du professeur Dennis Lo (Université de Hongkong), spécialiste du dépistage génétique, permet de différencier les séquences ADN du futur bébé et celles de la mère.. Des milliers de maladies pourront être dépistées systématiquement pendant la grossesse sans faire courir de risque à l’enfant.

Un espoir ? Certainement. Mais aussi, selon A. Laurent, une “bombe éthique et politique passée complètement inaperçue”.

C’était bien la peine qu’Ozzy s’emploie à faire le clown, tiens ! D’autant qu’on ne sait toujours pas pourquoi, génétiquement lui, plus que tout autre, est capable de ne jamais renoncer. Comme l’a si bien dit sa femme Sharon : “A la fin du monde, il ne restera plus que des cafards, Ozzy et Keith Richards.”

C’est un futur peu prometteur mais cela nous fournit au moins le nom du prochain cobaye :

 

Black Sabbath, Never Say Die – lyrics

People going nowhere, taken for a ride
Looking for the answers that they know inside
Searching for a reason, looking for a rhyme
Snow White’s mirror said “partners in crime!”
Don’t they ever have to worry?
Don’t you ever wonder why?
It’s a part of me that tells you
Oh, don’t you ever, don’t ever say die
Never, never, never say die again
Sunday’s satisfaction, Monday’s home and dry
Truth is on the doorstep, welcome in the lie
All dressed up in sorrow, got no place to go
Hold back, ’till it’s ready, taking it slow
Don’t they ever have to worry?
Don’t you ever wonder why?
It’s a part of me that tells you
Oh, don’t you ever, don’t ever say die
Never, never, never say die again
Don’t you ever say die
Don’t you ever say die
Never say die
Panic, silver lining, writing’s on the wall
Children get together, you can save us all
Future’s on the corner, throwing us a die
Slow down, turn around, everything’s fine
There’s no need to have a reason
There’s no need to wonder why
It’s a part of me that tells you
Oh, don’t you ever, don’t ever say die
Never, never, never say die again