Ça y est, vous avez bien profité de la mer pendant les vacances ? Vous avez bien ramassé vos bouteilles d’eau, évité que vos sacs en plastique s’envolent et récupéré les bouchons de vos tubes de crème solaire, n’est-ce pas ? Non ? Alors il va falloir nettoyer maintenant.
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Histoire de vous motiver, le headbanging science sort l’artillerie lourde, avec Gojira et son Toxic Garbage Island, tiré de l’album The Way of All Flesh sorti en 2008, ci-dessous en live aux Vieilles Charrues en 2010 :
Si vous êtes familier du bLoug, vos oreilles doivent être habituées, désormais, et vous avez pu aller jusqu’au bout pour entendre Joe Duplantier brailler son Plastic bag in the sea!. Pas courant, comme paroles, pour un groupe de Death, fût-il mélodique, mais révélateur de la fibre écolo du groupe, qui serait suffisante en soi pour le faire figurer au sommaire de cette illustre rubrique. Un mégaptère pour emblème, plusieurs morceaux révélant des préoccupations environnementales réelles, et une accointance avec l’ONG coup-de-poing Sea Shepherd et son capitaine pirate emblématique Paul Watson : le groupe doit (mais quand ?) sortir un EP intitulé Sea Shepherd et milite sur son site pour l’ONG ; laquelle se trouve compter dans sa flotte un trimaran monocoque de 35 mètres filant 24 nœuds baptisé Gojira (soit le sobriquet japonais originel de Godzilla, et aussi le premier nom du groupe).
Bon, et Toxic Garbage Island alors ? Le titre fait référence à la célèbre « Plaque de déchets du Pacifique nord » (GPGP pour « Great Pacific Garbage Patch », en anglais). Un phénomène qui prend naissance dans une des gyres océaniques, zones de hautes pressions où les vents sont faibles et où les courants s’enroulent selon le principe de la force de Coriolis, piégeant dans leur dérive toutes sortes de déchets qui s’y amassent progressivement, des microplastiques au débris de coques de navires en passant par les filets de pêche. Cette gigantesque poubelle de mer est telle que l’on en est venu à parler d’un continent ou d’une île de plastique – d’où la Toxic Garbage Island de Gojira.
Si vous n’avez pas entendu parler du phénomène, je vous conseille cet excellent diaporama du Dessous des Cartes, ou cet article d’Audrey Garric du Monde. Nous soulignerons ici simplement un intéressant paradoxe.
Ceci n’est pas une île
En réalité cette fameuse île de plastique n’en pas une. En ceci qu’elle ne présente pas une surface solide et qu’elle n’est même pas visible sur les photos satellites, ce qui interdit sa localisation et sa mesure exactes. Il s’agit plutôt d’une sorte de soupe très diluée d’éléments pour la plupart microscopiques, flottant entre deux eaux, seulement visible du pont des bateaux. À tel point que l’océanographe américain Charles J. Moore ne l’a découverte que par hasard au retour d’une course à la voile en 1997.
L’image du continent ou de l’île ne recouvre donc pas exactement la réalité. Douée de la vertu de sensibiliser le grand public, elle provoque aussi l’irritation de certains scientifiques, telle l’océanographe Angelicque White de l’Université de l’état de l’Oregon, qui, en 2011,s’est crue obligée de rectifier le tir par la voie d’un communiqué de presse, avertissant que la Grande plaque était 100 fois plus petite que ce que les médias racontaient. Malgré les bonnes intentions de la chercheuse, il n’est pas difficile d’imaginer l’impact contre-productif de la démarche auprès d’un grand public ayant besoin de se représenter physiquement le phénomène, mais déjà abreuvé d’estimations fluctuantes (2 fois la taille du Texas, 5 ou 6 fois la France, 1,5 ou 3,5 millions de km2… sans parler des estimations de poids, de densité, d’épaisseur ou de nombres de déchets !).
L’image de l’île escamote en outre d’autres faits : la fameuse Grande plaque serait en fait constituée de deux plaques différentes et elle compte des petites camarades sur la plupart des eaux du globe (y compris dans l’Atlantique nord, découverte en 2010).
Ceci n’est pas tout à fait la mer non plus
Au-delà de ces grands écarts entre hyperboles des gros titres et réalité scientifiques, notre non-île sur laquelle on ne peut pas marcher offre tout de même un substrat suffisamment solide pour qu’un insecte marin ait pu en tirer profit et y proliférer – comme quoi tout est toujours question d’échelle.
En effet, Halobates sericeus, surnommé « patineur des mers » (voir ci-dessus), est une araignée d’eau qui a transformé les particules flottantes de la Grande plaque en sites de ponte grand luxe dont il a besoin, mais qu’il ne trouve que rarement en eaux propres. Un véritable sol en pleine mer constituant une aubaine et conduisant ainsi à une véritable explosion démographique de notre patineur (voir l’étude publiée en ligne le 9 mai 2012 dans Biology Letters). Si cet insecte offre un bel exemple d’adaptabilité, sa prolifération pourrait malheureusement déséquilibrer de l’écosystème, puisqu’il se nourrit de plancton, qui se trouve à la base de la chaîne alimentaire.
Si l’on tient compte du fait que la masse de particules plastiques de la Grande plaque est estimée à six fois celle du zooplancton et que ces plastiques s’accumulent par ailleurs dans les estomacs des poissons, des méduses ou des oiseaux marins, fixant de nombreuses toxines (DDT, PCB…) dans des concentrations anormales, on est finalement bien tenté de gueuler « Plastic Bag in the Sea » à l’unisson avec Gojira.
Quitte à renommer leur titre « Toxic Garbage Non-Island ».