Tenacious D dans le headbanging science ? Avec un morceau intitulé Sasquatch, l’équivalent nord-américain du yéti ? Il y avait au moins deux bonnes raisons de douter de la pertinence d’un billet consacré au duo satirique composé de Jack Black et Kyle Gass, tous deux chanteurs et guitaristes acoustiques.
La première tenait à la caution rock. Le doute a été vite levé : Tenacious D a tout de même ouvert pour Pearl Jam ou Metallica et accueilli comme batteurs rien moins que Dave Grohl ou Brooks Wackerman (Bad Religion) ! C’est un tout autre invité que l’on peut voir derrière les fûts dans cette vidéo (à 1:55). Un « kickin ass » style, qui ne fait hélas pas l’affaire pour Tenacious, pas à l’aise à l’idée de former un power trio…
La deuxième raison tenait à ligne de profond sérieux de ce blog (oui, parfaitement)… Un sujet de cryptozoologie, après avoir consacré un numéro du headbanging science aux rumeurs de hoax lunaire, paraissait risqué.
Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, il existe une actualité sur le sasquatch qui, à défaut d’être sérieuse en soi, a quelque chose à nous dire sur le fonctionnement de la science qui vaut la peine d’être relevé. Figurez-vous que…. (roulement de tambour) des données viennent de prouver de façon concluante que le sasquatch existait bel et bien. Mieux, il s’agirait d’une espèce d’hominidé directement apparentée à Homo sapiens. Étonnant non ? Et bien sûr, totalement loufoque. Mais voyons de quoi il retourne exactement.
Syndrome de Galilée chez une ancienne vétérinaire
En novembre 2012, un communiqué de presse émanant d’un laboratoire de génétique texan (DNA Diagnostics), claironnait avoir séquencé le génome du sasquatch à partir d’une centaine d’échantillons de poils. Les données mitochondriales indiquaient une parenté directe avec Homo sapiens (via la lignée maternelle : le génome mitochondrial est transmis par la mère). En revanche, du côté du génome nucléaire (transmis par les deux parents), c’était un peu le bordel : le sasquatch était apparenté avec l’homme, d’autres primates et des trucs inconnus. Tout cela n’avait aucun sens, ce que PZ Myers, auteur du blog Pharyngula, railla à l’époque, évoquant un travail bâclé, de toute évidence entaché de niveaux élevés de contamination de l’ADN, se demandant si on allait aussi trouver des gènes de raton laveur et d’opossum dans les séquences analysées.
Melba Ketchum, auteure du papier (et par ailleurs ancienne vétérinaire reconvertie dans la génétique : elle dirige DNA Diagnostics) estimait être victime d’une cabale qui l’avait empêchée de publier ses résultats dans une revue scientifique à comité de lecture (la démarche scientifique consiste à faire évaluer ses travaux par les pairs et les soumettant à des revues à comité de lecture, qui décident si le travail de recherche soumis pour publication est acceptable ou non), se plaignant amèrement de ce que certaines n’aient même pas regardé son manuscrit et qu’un relecteur ait osé se moquer ouvertement de son travail dans son commentaire.
Melba Ketchum avait absolument raison. Il était absolument invraisemblable qu’un relecteur ait pu se moquer ouvertement de ses travaux : tous auraient dû le faire.
L’histoire aurait dû s’arrêter là, mais Melba Ketchum, évoquant un « effet Galilée » (il fallait oser !), n’avait pas dit son dernier mot.
On n’est jamais si bien servi que par soi même
Comment est-elle malgré tout parvenue à faire publier ses “résultats” ?
Tout simplement en rachetant et en renommant une revue ! Aussitôt créé, aussitôt publié ! DeNovo, c’est le nom de cette nouvelle revue en ligne, s’est fendue d’une édition spéciale comportant en tout et pour tout un seul article, celui de Melba Ketchum :
“Novel North American Hominins, Next Generation Sequencing of Three Whole Genomes and Associated Studies.” Authors: Ketchum MS, Wojtkiewicz PW, Watts AB, Spence DW, Holzenburg AK, Toler DG, Prychitko TM, Zhang F, Bollinger S, Shoulders R, Smith R. DeNovo. 13 February 2013.
DeNovo entend “accélérer la science”. Tu m’étonnes… L’éthique veut que les éditeurs des revues scientifique ne supervisent pas la publication de travaux de leur propre institution de recherche – et encore moins leurs propres travaux ! Pour compléter la farce, la revue est soi-disant en accès libre, mais il vous en coûtera $30 pour acquérir l’article ! Il n’a été envoyé avant publication qu’à certains blogueurs « crypto-friendly », avec embargo…
Et le sasquatch dans tout ça ?
Sur la forme, relevons en vrac : que l’équipe est essentiellement composée d’experts en médecine légale et ne comporte pas d’expert des primates ; qu’on ne sait pas grand chose sur la façon dont les échantillons de poils de sasquatch ont été collectés ; que l’article contient des illustrations de sasquatch qui font un peu désordre pour une revue scientifique, dont une vidéo de ce qui ressemble à une couverture sale planquée dans des fourrés…
Sur le fond, il est évident que les conclusions vont totalement à contresens des données rapportées :
- Que l’ADN mitochondrial corresponde à celui d’Homo sapiens ne pose pas de problème en soi si l’on admet que ce sont des femmes qui se sont reproduites avec [quelque chose] et ont donné naissance à des hybrides. Le hic est que cet ADN provient de 16 populations différentes, la plupart d’Europe et du Moyen-Orient, quelques unes africaines et amérindiennes ! La spéciation ayant eu lieu il y a 15 000 ans, on ne devrait trouver que des séquences d’Indiens nord-américains… Mais les auteurs ne s’arrêtent pas à ce détail et spéculent que ces populations ont été se balader en Amérique via le Groenland. La seule explication qui tienne est en fait celle d’une multi contamination des échantillons d’ADN de bestiole par celui des humains qui les ont récoltés ou manipulés.
- Pour ce qui est du génome nucléaire, difficile d’en dire quoi que soit. Certains tests révèlent une parenté avec l’homme, d’autres avec un primate non identifié, d’autres encore ne révèlent rien du tout. Selon John Timmer, du site arstechnica.com, les résultats sont ceux qu’on pourrait obtenir si on essayait de mixer de force de l’ADN de deux espèces non étroitement apparentées. Par exemple Melba Ketchum avec un vrai scientifique. On ne parlerait donc plus de simple contamination, mais bel et bien de fraude.
Que conclure de cette intrusion de la pseudo-science sur les terres de la science officielle ? 3 choses.
- Premièrement, que le système du peer-review, malgré ses défauts, présente des garanties d’étanchéité assez utiles. Les tentatives faites par les « sciences » créationnistes pour le copier, en créant leurs propres revues à comités de lecture, hostiles à l’évolution, n’ont pas donné grand-chose de concluant. Pour les auteurs, copier la démarche scientifique est couteux en temps et ne leur rapporte au final pas grand chose en termes de crédibilité. Compte tenu de l’écho scientifique nul qu’aura rencontré la tentative sur le sasquatch, on peut espérer les aficionados de Nessie, par exemple, réfléchiront à deux fois avant de soumettre leurs manuscrits à DeNovo.
- Deuxièmement, que la sphère médiatique, pourtant prompte à s’emballer, se comporte plus intelligemment en matière de science qu’on ne veut bien le dire. Jusqu’à présent, je n’ai relevé l’information de la « découverte » du sasquatch que sur le site 7sur7.be – parmi des informations capitales telles que : « Cent pierres retrouvées dans l’estomac d’un labrador » ou « Elle a des cheveux longs de six mètres et demi ». Un bémol toutefois, le communiqué de presse de novembre 2012 que nous avons mentionné plus haut avait fait l’objet d’un article bien gentillet sur le site Maxisciences. Bravo à eux.
- Enfin, qu’il est bien possible que la prochaine étude publiée dans DeNovo prouve, de façon concluante, que Melba Ketchum est un hybride de Robert Mitchum et d’une pêche melba.
Pour revenir à Tenacious D, vous vous demandez tous bien entendu qui tient le rôle du sasquatch. Il s’agit d’un autre acteur, John C Reilly, que l’on peut voir ici pousser la chansonnette au… Sasquatch Festival !
Un festival bien réel lui, dont la prochaine édition aura lieu du 24 au 27 mai 2013, sur le site de The Gorge, dans l’État de Washington. C’est un peu loin, mais sachez que la programmation est plus qu’alléchante (Sigur Ros, Arctic Monkeys, Primus, Bloc Party, BRMC, Red Fang… ) et que c’est dans cet État que la Bigfoot Field Researchers Organization recense le plus de « rencontres » du sasquatch : 556 !
A lire, deux bons décryptages (en anglais) dont j’ai pu m’inspirer :
- Ce papier de doubtfulnews.com
- Et celui de arstechnica.com
Ha ha, excellent, bravo!
Merci Karim!
http://1.bp.blogspot.com/_ZnynueixVa4/SI4cER6_12I/AAAAAAAABLc/ELYQghYC7iY/s1600-h/photo-full.jpg
ça me fait aussi penser qu’il y aura ZZ Top à Clisson cette année.
Hé Hé,
il y aura pas mal de bandes de sasquatchs hirsutes au Hellfest, c’est là qu’il faudrait prélever de l’ADN
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Citer Tenacious D dans un billet de blog scientifique : respect
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