Le christianisme nuit-il à la biodiversité ?

La religion joue-t-elle un rôle en matière de biodiversité ? Voilà une problématique apte à m’extirper de ma torpeur postprandiale ! Une équipe de biologistes de Stanford a récolté pendant 3 ans une foule de données sur les us et coutumes en matière de chasse de 23 communautés d’Indiens d’Amazonie appartenant aux ethnies Macuxi et Wapishina, vivant au Guyana. L’objectif des chercheurs était de déterminer comment les croyances religieuses indigènes et chrétiennes de ces communautés pouvaient influencer leurs tabous alimentaires. Et partant, en quoi elles pouvaient bénéficier à certaines espèces ou au contraire les mettre en péril. Leurs résultats, publiés en décembre 2012 dans Human Ecology1, montre que la question n’est pas si saugrenue qu’elle en a l’air, mais que la réponse est loin d’être simple.


Carte des communautés Wapishana et Macuxi étudiées

Carte des communautés Wapishana et Macuxi étudiées

 De 2007 à 2010, les chercheurs ont recueilli des données socioéconomiques quantitatives auprès de 1774 foyers (environ 9000 personnes), afin de déterminer quelle étaient leur affiliation religieuse, leur source de protéines principale, si un ou plusieurs membres du foyer proscrivaient la consommation de viande, et si oui, de quelle espèce et pourquoi, en considérant aussi bien les animaux sauvages que domestiques. Des données qualitatives sur les pratiques de chasse et celles des shamans ont complété ce corpus.

 15 des 16 appartenances religieuses répertoriées ont été regroupées en 3 catégories : « cultes établis » (catholiques et anglicans, 73 %), évangélistes (20 %) et adventistes du septième jour (3 %). Les témoins de Jéhovah et les « sans appartenance » et les « mixtes » ont été exclus.

Sources de protéines

Sources de protéines

 La viande (sauvage ou domestique) représente la source de protéines principale dans moins de la moitié des cas. Dans chaque village, la proportion de foyers dont au moins un des membres évite de consommer de la viande délibérément est extrêmement variable : de 0 % à 98 %, avec une moyenne à 38 %. Pour 77 % des foyers concernés, le tabou alimentaire lié à la viande s’explique par la peur des maladies (les « allergies », selon la terminologie indigène). Les espèces les plus communément évitées sont le tapir du Brésil, le daguet gris (un cervidé), le porc domestique, des tortues et le capybara (le plus gros rongeur vivant). De façon curieuse, les primates ne font pas partie des tabous alimentaires, mais ne sont pas chassés pour autant.

La nature exacte de l’« allergie » redoutée par les Indiens est de nature spirituelle. Ils craignent le « maître » de l’animal : le « maître » des daguets est par exemple réputé être particulièrement mauvais envers les jeunes enfants. Pour ces ethnies, le shaman est le seul à même de soigner ces « allergies », fournir la prière appropriée pour apaiser le « maître » et prodiguer des conseils sur les animaux que l’on peut consommer et ceux qu’il vaut mieux éviter.

Le tapir du brésil, en tête des espèces tabou

Le tapir du brésil, en tête des espèces tabou

L’évangélisation de ces ethnies, à partir du 17e siècle et surtout depuis le 19e siècle, a d’ores et déjà profondément modifié leurs systèmes de croyances, puisque, en fonction des villages, les visites au shaman se sont réduites (de 0 % des foyers à 38 % au cours de l’année écoulée, dans le cas présent). Mais elle pourrait influencer bien plus que les modalités de prière et concourir à aussi à modifier la biodiversité, selon les chercheurs.

Le tableau d’ensemble n’est toutefois pas clair à saisir, car les situations varient en fonction de l’appartenance cultuelle. Ainsi, 87 % des foyers adventistes déclarent avoir des tabous alimentaires, contre 32 et 34 % pour les évangélistes et les « cultes établis ». Dans le détail, ces tabous diffèrent d’un culte à l’autre et par rapport aux prescriptions traditionnelles des shamans. Alors que ces derniers prohibent un tiercé porc domestique / viande de brousse / poissons sans écailles, les anglicans et catholiques boycottent tapir / daguet / tortues, les évangélistes un trio proche tapir / daguet / capybara, et les adventistes se démarquent en prohibant porc / tapir / poissons sans écailles.

Au-delà de la difficulté à établir une carte si vous souhaitez ouvrir un resto dans les parages, cet imbroglio diététique a des conséquences pratiques en matière de biodiversité. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, la disparition partielle et contrainte de la pratique shamanique n’entraîne pas celle des tabous alimentaires, qui subsistent, même modifiés ou atténués, au sein des populations.

Christianisme:  le tapir lui dit merci

Christianisme: le tapir lui dit merci

Une espèce comme le tapir peut s’en réjouir. Étant donné son faible taux de reproduction et sa sensibilité aux chasses excessives, le changement culturel affectant les ethnies qui le consomment aurait pu conduire à une surexploitation fatale.

Dans d’autres cas, les effets environnementaux sont plus complexes. La pression de chasse peut avoir été transférée sur d’autres espèces, domestiques ou sauvages, lesquelles peuvent ou pas la supporter. Les conséquences de ces transferts ne sont pas étudiées dans la publication de Human Ecology, qui se borne à suggérer que les tabous alimentaires constituent un outil additionnel de gestion des ressources. Dans un commentaire, José M. V. Fragoso, auteur du papier et responsable du laboratoire ayant conduit l’étude, souligne que la disparition des shamans conduit les communautés à chasser dans de vastes territoires autrefois associés à des entités spirituelles et qui constituaient de facto des sanctuaires dans lesquels les animaux pouvaient se reproduire et élever leurs jeunes. Sur la base de ses observations de terrain, Fragoso estime que le nombre d’animaux non tabous tués est en augmentation, en particulier dans ces zones qui ne sont plus protégées. La biodiversité dans la région se trouve donc bien impactée par l’importation et l’essor de religions extérieures, dans des proportions que de futurs travaux permettront de préciser.

 

  1. Jeffrey B. Luzar, Kirsten M. Silvius, Jose M. V. Fragoso. Church Affiliation and Meat Taboos in Indigenous Communities of Guyanese Amazonia. Human Ecology, 2012; 40 (6): 833

icono spécial cétacés

Petite livraison iconographique aquatique, avec une spéciale cétacés : la vaquita qui rigole pas, le cachalot qui fait popo et un belouga fossile.

la vaquita, le cétacé le plus menacé au monde

La vaquita (Phocoena sinus) est un petit marsouin d’ 1 m40 à 1m50, endémique d’une minuscule zone de la mer de Cortez (Mexique). Naturellement rare, l’espèce est extrêmement menacée, entres autres par les filets de pêche dans lesquels les vaquitas s’empêtrent. Malgré des mesures de sensibilisation et de réduction des activités, l’infographie laisse peu d’espoir. © UICN

Pour en savoir +

http://www.saveyourlogo.org/programmes/dauphin/vaquita-au-mexique/

http://wwf.panda.org/what_we_do/endangered_species/cetaceans/about/vaquita/

 

 

l’or gris du cachalot

Une illustration amusante pour nous rappeler que l’ambre gris, toujours si coûteux et si prisé par les collectionneurs alors qu’il est normalement aujourd’hui synthétisé pour ses usages en parfumerie, n’est jamais qu’une concrétion intestinale du cachalot. De la merde, quoi. Elle provient de l’interaction des sécrétions biliaires et des aliments non digestibles ingérés par les cachalots (les becs de calamars). © Denis Scott/Corbis; Getty Images

Une story sur ce commerce lucratif actuel :

http://www.businessweek.com/magazine/ambergris-treasure-of-the-deep-01122012.html

 

 

Bohaskaia monodontoides, nouvelle baleine fossile

Bohaskaia monodontoides est une nouvelle espèce de baleine fossile, décrite dans le Journal of Vertebrate Paleontology. Ici au premier plan, elle est accompagnée de ses proches parents le narval et le bélouga et forme avec eux la famille des monodontidés, des mammifères de l’ordre des cétacés. Ces pensionnaires emblématiques de l’Arctique se distinguent par des vertèbres cervicales non soudées et par l’absence de nageoire dorsale, ce qui peut être bien pratique pour passer sous la banquise. La couleur de Bohaskaia est une vue de l’artiste, mais c’est mimi. © Carl Buell

Pour en savoir +

http://ocean.si.edu/ocean-photos/illustration-new-fossil-whale-bohaskaia-monodontoides

 

 


un gecko psychédélique découvert au Vietnam

C’est son vrai nom ! Long de 7,5 cm, Cnemaspis psychedelica est endémique d’une petite île au large du Vietnam (Hon Khoai ). Il fait partie des 208 nouvelles espèces découvertes en 2011 dans la région du Grand Mékong, un réservoir de biodiversité menacé notamment par les projets de barrages (voir la série du bLoug consacrée au sujet) ©L Lee Grismer/AFP/Getty Images

Description de l’espèce sur the Reptile Database

 

le Mékong ne passera pas par les barrages – part#3

La construction de barrages sur le cours principal du Mékong est provisoirement gelée… bonne nouvelle pour la biodiversité (1ère partie) mais aussi pour la pèche et l’agriculture (2ème partie)… D’autres arguments peuvent-ils justifier  l’existence de projets si risqués ?

Un argument énergétique peut-être ? Comme le rappelle Émeline Hassendorfer de l’association Entre Deux Eaux, « Un barrage peut avoir d’autres finalités que la production électrique : régulation des flux, irrigation, apports d’eau potable, ou même barrière anti-sel comme ce serait le cas dans le delta du Mékong, sujet à ce problème ». Mais dans ces projets, seule la production hydroélectrique semble véritablement entrer en ligne de compte.

A première vue, les chiffres ne sont pourtant guère impressionnants : une capacité de 14 000 mégawatts, correspondant à une production annuelle de 66 000 gigawatts, cela ne représenterait qu’entre 6 et 8 % des besoins en énergie des quatre pays riverains à l’horizon 2025. De quoi peser lourd dans la balance ?

Plus qu’il n’y paraît. D’abord parce qu’il s’agit d’énergie renouvelable (ce qui intéresse des nations très dépendantes des énergies fossiles), mais aussi et surtout parce qu’elle profiterait essentiellement au Laos et au Cambodge, deux pays économiquement nains et énergétiquement démunis par rapport au Vietnam et surtout à la Thaïlande (34ème puissance mondiale). Alors que la Thaïlande fait état d’une couverture électrique de 95 % de sa population, le Laos n’atteint que 60 %, et le Cambodge, lui, n’a même pas de véritable couverture nationale. On s’en doute, ce sont les régions rurales les plus défavorisées en matière d’accès à l’énergie, et parmi celles-ci, les populations riveraines du fleuve. Un point commun aux quatre pays, leur demande en électricité a crû de 8 % par an ces dernières années, portée par une croissance soutenue. Cela n’est pas près de s’arrêter : la zone prévoit un taux de croissance annuel moyen d’au moins 5 % jusqu’en 2030 ! y compris pour la Thaïlande, alors que ce pays est déjà beaucoup plus avancé que ses voisins.

Copyright © 2007, Suthep Kritsanavarin

Les besoins énergétiques justifient-ils pour autant la construction de barrages sur le Mékong ? Pour le Cambodge, très certainement, car le pays n’a que peu d’alternative pour satisfaire à sa demande nationale d’énergie. Le Laos, lui, pourrait faire l’impasse sur cette nouvelle source d’approvisionnement : son potentiel hydroélectrique sur les affluents est suffisamment conséquent, construire sur le cours principal du fleuve lui rapporterait au mieux un peu plus de devises à l’export. Pour le Vietnam et la Thaïlande, déjà producteurs d’une énergie abondante et relativement peu chère, les barrages sur le Mékong ne changeraient pas fondamentalement la donne, ni en termes de coût ni en termes de sécurité d’approvisionnement.

un jackpot trompeur

Au-delà de la satisfaction des besoins énergétiques nationaux, les barrages pourraient rapporter entre 3 et 4 milliards de dollars de recettes par an en 2030. En théorie, une manne providentielle pour investir dans le développement social et économique et réduire la pauvreté : c’est là l’argumentaire-type en faveur de tout projet de la sorte, mais c’est un raisonnement à courte vue, comme le décrypte le rapport de la MRC. En réalité, les ouvrages sur le Mékong contribueraient à renforcer les inégalités. A court et moyen terme, la pauvreté serait encore aggravée, en particulier chez les populations démunies dans les zones rurales et urbaines riveraines – les barrages, ce sont avant tout les promoteurs, les financiers et les gouvernements hôtes qui en récolteraient les fruits. L’inégalité vaut aussi entre pays. Le Vietnam et le Cambodge risqueraient de subir des pertes nettes, au moins dans un premier temps. Tout simplement parce que l’essor d’un secteur de l’économie (ici l’énergie) peut se faire au détriment d’autres secteurs, non moins vitaux (en l’occurrence, la pèche et l’agriculture). Au Cambodge, l’économie de la pèche, primordiale pour le pays, serait particulièrement mise à mal par les barrages. Au Vietnam, ce sont les populations du delta du Mékong, qui vivent d’une riziculture extraordinairement productive, qui seraient touchées. Seul le Laos devrait finalement bénéficier d’une croissance économique significative grâce aux barrages… mais non sans risque, puisqu’elle s’assortirait d’effets inflationnistes et d’une dégradation du taux de change qui pénaliserait le marché des biens de consommation, vecteur de réduction de la pauvreté…

Tableau toujours très en demi-teinte en matière d’emploi puisque les effets devraient se limiter à la période de construction et que la main d’œuvre, notamment qualifiée ou semi-qualifiée, ne pourrait être fournie localement. Plus généralement, plus de la moitié des ressources, quelles soient humaines ou techniques (ingénierie, équipement…), devraient être importées, seule la Thaïlande étant à même de manufacturer certaines pièces hydrauliques, par exemple.

Au final, les gains paraissent minces, les risques réels. Mais le bilan exact reste difficile à poser. Tout simplement car, comme le reconnaissent eux-mêmes les experts, « Les coûts sociaux et écologiques de ce type de projet ne peuvent être abordés par les instruments économiques classiques ». En d’autres termes, il est peu probable, voire impossible, que l’on arrive à chiffrer de manière réaliste les mesures nécessaires de protection de l’environnement et des populations.

le poids de la fierté nationale

La vision traditionnelle des barrages  en fait un moyen de choix pour la construction et le développement d’une nation. Propagée par une industrie barragière prospère, cette vision réductrice a de quoi convaincre les gouvernements, séduits par l’idée que les investissements étrangers puissent revenir à long terme, “sans frais”, à leur économie nationale.

Pour son développement, le Laos a ainsi misé sur l’hydro-électrique, avec l’ambition de devenir la « pile » de l’Asie du Sud-Est. Mis en service en mai et tout juste inauguré, l’ambitieux barrage de Nam Theun 2 illustre bien cette politique et préfigure très probablement ce qui sera en jeu si les barrages sur le Mékong voient le jour. Pour le pays (l’un des plus pauvres du monde), son coût de 1,3 milliards de dollars est exorbitant, mais il est compensé par la perspective de bénéfices à terme. Pour les villageois démunis, l’accès à l’électricité est le prélude à de meilleures conditions de vie : installations sanitaires, eau potable, routes praticables en toutes saisons permettant un meilleur accès aux écoles et aux soins de santé… Un bilan flatteur mais qui pourrait être trompeur car il évacue la question de la durabilité. Il s’agit de communautés, qui dépendaient autrefois des ressources naturelles (forêt, poissons) que les barrages ont rognées ou annihilées. Quels moyens de subsistance durables vont-elles pouvoir substituer à ces ressources naturelles définitivement perdues ?

Nam Theun 2 pose une autre question, celle des affluents du Mékong. Les barrages sur le cours principal du fleuve constituent en fait l’arbre qui cache la forêt : ce ne sont pas moins de 88 projets qui sont prévus d’ici à 2030, tous les autres concernant des affluents. Dans les scénarios élaborés par les experts de la MRC il ne semble pas y avoir place au doute : ces barrages secondaires se construiront, au moins pour partie. Mais même en nombre, ils seraient un moindre mal puisqu’ils devraient avoir des répercussions négatives limitées tout en contribuant significativement aux besoins énergétiques de la zone. Ce qui souligne en creux la très relative nécessité des ouvrages sur le cours principal du fleuve.

Les poissons-chats géants du Mékong ont donc gagné un sursis de 10 ans. Que vaut cette décision sachant que les pays de la région ne sont pas tenus de respecter les recommandations de la MRC ? Selon Émeline Hassendorfer, même si tout n’est pas optimal dans leur coopération, les quatre pays membres « reconnaissent que la MRC est l’organe qui gère le fleuve et s’en remettent entièrement à elle ». Du reste, les règles de fonctionnement de la commission traduisent une « réelle volonté d’égalité entre les membres et toute décision de construction sur le cours principal du fleuve requiert le consensus des quatre pays ». Dans ces conditions, difficile d’imaginer le Laos, qui a le plus à gagner, faire cavalier seul et mettre à bas tous les efforts de concertation régionale pour produire une électricité qu’il lui faudrait de toute façon revendre à ses partenaires…

Si problème de coopération transfrontalière il y a, c’est en amont qu’il faut le chercher. La Chine, qui n’est pas membre de la MRC mais collabore avec elle en tant qu’observateur, a ses propres projets de barrages sur le Haut-Mékong. Certains sont déjà opérationnels. Et ils n’ont pas manqué de faire polémique lorsque, au printemps dernier, le niveau du fleuve au Laos et dans le nord de la Thaïlande a atteint son plus bas depuis 50 ans, occasionnant une grave sécheresse et des remous diplomatiques sérieux. La situation s’est depuis apaisée. De là à ce que la Chine suspende à son tour ses projets pour 10 ans ?

le Mékong ne passera pas par les barrages – part#2

La construction de barrages sur le cours principal du Mékong est provisoirement gelée (1ère partie) ; c’est une bonne nouvelle pour la biodiversité ; qu’en est-il pour la pèche et l’agriculture ?

Au-delà de l’enjeu environnemental, la raréfaction des poissons est surtout une question de survie pour les populations riveraines, pour qui la pêche représente une ressource alimentaire cruciale. Chaque année, 2,1 millions de tonnes de poissons sont capturées dans la région, soit près de 20 % de la production mondiale ! Cette activité intense serait sévèrement touchée par les barrages : moins 600 000 tonnes par an, soit des prises amputées de près de 30 % ! Les lieux de pêche nouveaux que constitueraient les réservoirs des barrages ne compenseraient qu’un dixième de ces pertes.

Et cela ne s’arrête pas là : à terme, la réduction importante des flux de sédiments et de nutriments aurait aussi des répercussions sur les ressources côtières, et affectera iten particulier le Vietnam, pays où ce type de pèche est en plein essor. Quant à l’aquaculture, elle serait aussi menacée, faute de nourriture pour les poissons d’élevage… Plus qu’une ressource alimentaire, c’est en fait toute l’économie de la région qui vacillerait, la pêche conditionnant la survie d’une multitude de petites activités en amont (bateaux, production de sel et de glace…) et en aval (toute la filière agro-alimentaire).

Les populations locales ont-elles conscience de leur précarité ? Pour avoir visité différentes communautés de pêcheurs au Cambodge, Émeline Hassendorfer (Entre deux eaux) relève que « certains pêcheurs, qui servent de point-relais aux programmes du MRC, sont plus impliqués et plus conscients des enjeux ». Mais, dans leur grande majorité, on a affaire à des communautés isolées. « Leurs membres ne vont jamais dans les grandes villes et ne sont même pas au courant des projets de barrages », reconnaît-elle.

La pêche n’est pas la seule activité menacée. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’agriculture ne profiterait pas des barrages. Les nouvelles capacités d’irrigation ne permettraient pas de compenser la perte de terres exploitables inondées. Par ailleurs, les apports en nutriments naturels (phosphates) diminuant à cause des retenues d’eau, le recours aux engrais irait croissant, ce qui représenterait un surcoût délicat à supporter. Globalement, c’est donc la sécurité alimentaire des riverains qui se trouverait menacée.

Un cortège de conséquences néfastes pourrait compléter ce tableau : déménagement de 100 000 personnes qui perdront leur maison et leur terres, risques de pollution, accélération de la déforestation, repoussoir pour le tourisme… Mais il s’agit là d’une liste de périls assez générique, qui n’a rien de très spécifique à la situation du Mékong…

à suivre : 3ème partie – économie et politique énergétique

le Mékong ne passera pas par les barrages – part#1

Compte tenu des risques pour les écosystèmes et surtout pour l’avenir social et économique des populations riveraines du Mékong, la construction de barrages sur le cours principal du fleuve est provisoirement gelée.

1ère partie

On a du mal à imaginer à quoi peut ressembler le « ouf » de soulagement d’un poisson-chat géant de 3 mètres de long et pesant 350 kilos… mais on a pu entendre assez distinctement celui des défenseurs de cet emblème de la biodiversité lorsqu’il a été décidé, en octobre dernier, de suspendre les projets de barrages sur le Mékong pour une période de dix ans.

Cette décision constitue la recommandation essentielle d’un rapport d’experts rendu public par la Commission du fleuve Mékong (MRC), organe consultatif intergouvernemental regroupant la Thaïlande, le Laos, le Cambodge et le Vietnam. Ce rapport examinait en détails les avantages, coûts et impacts de la construction projetée de douze barrages hydroélectriques dans la zone dite du Bas-Mékong (la partie inférieure du fleuve), jusqu’alors exempte de tout barrage sur le cours principal.

293 kg de poisson-chat

Il est des raisons évidentes de se réjouir de cette décision. D’abord parce que l’ensemble de la région constitue un réservoir d’espèces impressionnant. Navire-amiral de la biodiversité, le poisson-chat géant traîne ainsi dans son sillage une véritable cour des miracles : un poisson-vampire, un autre qui joue les aspirateurs, une grenouille qui chante, un oiseau chauve, et une orchidée carnivore pouvant atteindre la bagatelle de sept mètres de long. En tout, 145 nouvelles espèces ont été répertoriées dans le Mékong en 2009, un taux de découvertes quasiment sans égal dans le monde.

une légende laotienne veut que les poissons-chats géants se rassemblent chaque année dans une grotte et décident quels poissons migreront vers le nord pour pondre et quels poissons devront se sacrifier aux pécheurs

Les barrages font peser une menace réelle sur la biodiversité : ils perturbent ou détruisent des habitats naturels et fragmentent les écosystème, empêchant les migrations d’espèces aquatiques. Mollusques, amphibiens et oiseaux seraient fortement impactés, ainsi que les tortues, les crocodiles, les loutres, ou encore le dauphin du Mékong, avec à la clé, pour certaines espèces endémiques, une extinction totale.

La situation est sans doute encore plus préoccupante pour les poissons. Avec 781 espèces actuellement recensées, le Mékong constitue le deuxième réservoir de biodiversité au monde pour les poissons, après l’Amazone. Les experts mandatés par la MRC estiment que 50 % des espèces de poissons pourraient disparaître dans certaines zones. Émeline Hassenforder, présidente de l’association Entre Deux Eaux, a pour sa part analysé différents projets de coopération transfrontalière autour de l’eau. Au sujet du Mékong, elle souligne le rôle important joué par le lac Tonlé Sap, au Cambodge : « Pendant la saison sèche, l’eau s’écoule du lac et vient alimenter le fleuve. Pendant la saison des pluies, le flux s’inverse et le lac triple en taille. Il s’agit d’une sorte d’éponge naturelle, qui permet de réguler le cours du fleuve et qui est capital pour la migration des poissons. » Première menace pour la migration des poissons, ce système vital du Tonlé Sap serait mis à mal par les barrages. Puis les barrages eux-mêmes constitueraient des obstacles évidents se succédant sur le parcours des poissons vers leurs zones de frai, sans solution d’aménagement opérationnelle compte tenu du nombre d’espèces différentes concernées et de la hauteur prévue des constructions.

à suivre : 2ème partie – l’économie de la pèche et l’agriculture

en savoir + : la commission du fleuve Mékong